La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/11/2020 | FRANCE | N°18/21433

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 12 novembre 2020, 18/21433


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2020



AUDIENCE SOLENNELLE



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/21433 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6OFU



Décisions déférées à la cour : décisions du 10 août 2018, 06 décembre 2018 et 02 avril 2019 - Conseil de l'ordre des avocats de PARIS





DEMANDEUR

aux recour

s RG 18/21433, 18/21434, 19/01475 et 19/08557



Monsieur [F] [K]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représenté par Me Olivier DARCET, avocat au barreau de PARIS, toque : C2103, substitué par Me...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2020

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/21433 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6OFU

Décisions déférées à la cour : décisions du 10 août 2018, 06 décembre 2018 et 02 avril 2019 - Conseil de l'ordre des avocats de PARIS

DEMANDEUR

aux recours RG 18/21433, 18/21434, 19/01475 et 19/08557

Monsieur [F] [K]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Olivier DARCET, avocat au barreau de PARIS, toque : C2103, substitué par Me Jérôme HERCÉ, du barreau de Rouen

DÉFENDEUR

aux recours RG 18/21433, 18/21434, 19/01475 et 19/08557

LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PARIS ES QUALITE D'AUTORITE DE POURSUITE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentés par et ayant pour avocat plaidant Me Nicolas GUERRERO, avocat au barreau de PARIS, toque : E0900

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 septembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

- Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre, chargée du rapport

- Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

- M. Stanislas DE CHERGE, Conseiller

- Mme Hélène GUILLOU, Présidente de chambre

- M. Marc BAILLY, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Michel LERNOUT, Avocat général, qui a fait connaître son avis.

DÉBATS : à l'audience tenue le 17 septembre 2020, ont été entendus :

- Nicole COCHET, en son rapport

- Me Nicolas GUERRERO, en ses observations in limine litis

- Michel LERNOUT, Avocat général, sur les observations in limine litis

- Me Jérôme HERCÉ, sur les observations in limine litis et en ses observations sur le fond

- Me Nicolas GUERRERO,

- Michel LERNOUT, Avocat général,

en leurs observations

- Me Jérôme HERCÉ, en dernier

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et par Djamila DJAMA, Greffier présent lors du prononcé.

* * *

M.[F] [K] a fait l'objet en 2015 et 2016 de poursuites disciplinaires sanctionnées en dernier lieu par un arrêt rendu par cette cour le 19 septembre 2919, confirmant sa radiation de l'ordre des avocats au Barreau de Paris, arrêt sur lequel il a formé un pourvoi en cassation actuellement pendant.

Le 30 mars 2018, en lien avec l'affaire ayant donné lieu à cette décision disciplinaire, M.[K] a été mis en examen du chef d'abus de faiblesse et placé sous contrôle judiciaire ; dans ce contexte, les juges d'instruction en charge du dossier, se fondant sur les dispositions de l'article 138-12 ° du code de procédure pénale, ont saisi le 11 avril 2018 le Bâtonnier d'une demande de suspension provisoire d'exercice à son encontre.

Par un arrêté du 26 avril 2018, le Conseil de l'ordre saisi de cette demande a prononcé cette mesure en application des dispositions de l' article 24 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971.

Cette mesure a fait l'objet de renouvellements successifs par arrétés disciplinaires des 10 août 2018, 6 décembre 2018 et 2 avril 2019, contre lesquels M.[K] a formé les recours suivants qu'il a adressés au greffe de la cour d'appel de Paris :

- Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 septembre 2018, M.[K] a indiqué former un appel général contre tous les chefs de l'arrété de renouvellement du 10 août 2018 ;

- Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 septembre 2018 visant ce même arrêté du 10 août 2018, il a réitéré ces demandes en précisant solliciter de la cour son annulation, ou sa réformation en ce que l'arrêté a rejeté sa demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et ses moyens développés in limine litis, avant de reconduire la mesure.

- Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 décembre 2018, il conteste le deuxième arrêté de renouvellement, du 6 décembre 2018, du fait du rejet des moyens développés in limine litis et du mal fondé du renouvellement de la mesure, en réitérant par ailleurs les termes généraux de son premier recours.

- Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 avril 2019 enfin, il conteste le troisième arrêté, du 2 avril 2019, en invoquant la nullité de la décision en ce qu'elle ne fait mention ni du débat lié à l'audience autour de sa demande de récusation du président de la formation ordinale, ni de la décision prise d'y passer outre, réitérant par ailleurs les exceptions invoquées dans ses recours précédents, et sa position au fond sur le défaut de pertinence de la décision de suspension provisoire prise à son encontre.

Dans des écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, dont M.[K] a reçu communication, le Bâtonnier en qualité d'autorité de poursuite souligne l'inutilité de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité, et demande la cour :

- de dire irrecevables les appels formés par M. [K]

- de constater qu'elle n'est pas saisie de ces appels

- de débouter M. [K] de l'ensemble des exceptions de nullité qu'il soulève

- de constater la régularité des arrêtés attaqués, et de dire qu'il y avait lieu de renouveler la mesure - de suspension provisoire par les arrêtés attaqués

- de dire les appels mal fondés et confirmer les arrêtés en condamnant M.[K] aux entiers dépens de l'instance.

A l'audience du 20 septembre 2020, M [K] récuse oralement aussi bien toute irrégularité de ses déclarations d'appel, formalisées conformément aux dispositions de l'article 16 alinéa 1 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 par des envois de lettres recommandées dont il justifie, que le défaut de saisine allégué de la cour, chacun des recours indiquant qu'il sollicitait soit l'annulation de la décision, soit sa réformation en précisant ceux de ses chefs sur lesquels il souhaitait voir la cour revenir.

Puis, soutenant à la barre ses dernières écritures déposées, il fait remarquer à titre liminaire que la cour doit statuer sur plusieurs instances portant toutes sur des mesures de suspension temporaires, alors que les décisions disciplinaires ont été rendues un an auparavant, cette chronologie privant ces recours de leur effectivité en contravention avec les dispositions des articles 6, 7 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'attachant ensuite à soutenir les moyens qui doivent selon lui conduire à la caducité de la mesure de suspension provisoire et de ses renouvellements, et à l'annulation des trois arrêtés dont appel, il demande en définitive à la cour :

- de constater que les magistrats instructeurs n'ont pas demandé le renouvellement de la mesure de suspension provisoire,

- de juger caduque la mesure de suspension provisoire et son renouvellement,

- d'annuler les arrêtés disciplinaires des 10 août 2018, 6 décembre 2018 et 2 avril 2019 dont appel,

- de juger qu'une formation disciplinaire est incompétente pour connaître d'une mesure de suspension provisoire fondée sur l'article 24 de la loi du 11 février 2004,

- de juger le conseil de l'ordre seul compétent,

- de juger que l'effet dévolutif de l'appel avait dessaisi le Conseil de l'ordre, et a fortiori le conseil de discipline,

- de juger que faute d'un égal accès aux jurisprudences et positions doctrinales, la défense est en position d'inégalité des armes et privée d'un procès équitable.

Le Parquet général a été entendu en ses observations, dans le cadre desquelles il soutient les mêmes moyens d'irrecevabilité et de défaut de saisine de la cour que le Bâtonnier, en demandant subsidiairement à la cour d'écarter les exceptions et moyens de fond invoqués par M.[K].

Le conseil de M. [K] a eu la parole en dernier.

SUR CE

Sur la jonction

M.[K] a introduit successivement quatre recours dont les deux premiers intéressent la même décision, et les deux suivants des décisions distinctes mais qui ont le même objet - prolonger la décision de suspension provisoire initialement prise à son encontre le 26 avril 2018 - , les moyens invoqués étant identiques et développés, tant par M.[K] que par M. le Bâtonnier en qualité d'autorité de poursuite. Dès lors l'interêt d'une bonne administration de la justice commande la jonction des quatre procédures - anticipée par les parties qui produisent et soutiennent une défense unique - pour les examiner ensemble et statuer sur le tout par une seule et même décision.

Sur l'irrégularité alléguée des recours

L'article 16 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 réglant les modalités du recours prévu par l'article 197 du même décret contre les décisions prises en matière disciplinaire prévoit que "le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel, ou par déclaration remise contre récépissé au greffier en chef".

M.[K] a choisi d'introduire les quatre recours par la voie d'une lettre recommandée, dont M. le Bâtonnier demande vérification de ce qu'ils ont été adressés au bon destinataire - "le secrétariat greffe de la cour d'appel", et non "le greffier en chef"-, soutenant en outre que M.[K] ne rapporte pas la preuve de ce que ces envois ont bien été faits dans le format d'un courrier recommandé avec accusé de réception, sans lequel ils sont irréguliers, avec pour conséquence l'irrégularité de l'appel.

Or figurent au dossier de la cour :

- pour le recours du 5 septembre 2018, une enveloppe d'un envoi recommandé avec accusé de réception, adressée au secrétariat - greffe de la cour d'appel, portant un cachet de la poste du 6 septembre et le cachet d'arrivée au greffe de la cour le 7 septembre suivant ;

- pour le recours du 10 septembre 2018, l'enveloppe d'un envoi recommandé avec accusé de réception, adressée au secrétariat - greffe de la cour d'appel, portant un cachet de la poste du 10 septembre et le cachet d'arrivée au greffe de la cour le 12 septembre suivant ;

- pour le recours du 31 décembre 2018, l'enveloppe d'un envoi recommandé avec accusé de réception, adressée au secrétariat - greffe de la cour d'appel, portant un cachet de la poste du 31 décembre 2018 et le cachet d'arrivée au greffe de la cour le 24 janvier 2019 ;

- pour le recours du 30 avril 2019, l'enveloppe d'un envoi recommandé avec accusé de réception, adressée au secrétariat - greffe de la cour d'appel, sans cachet visible de la poste mais avec un cachet d'arrivée à la cour le 6 mai suivant.

M.[K] produit en outre à l'audience les copies des accusés réception qu'il a reçus, dont les dates coïncident avec celles de ces envois.

La régularité formelle des recours qu'il a engagés est ainsi suffisamment démontrée, sans qu'il y ait lieu d'exiger en outre de M.[K] que la lettre valant recours porte mention du numéro d'accusé-réception correspondant, étant observé qu'une telle mention ne pourrait être apposée utilement que par le greffe au moment de l'ouverture du courrier après réception, et qu'au demeurant la conservation de l'enveloppe de réception dans le dossier ouvert à l'enregistrement du recours suffit à fournir la preuve demandée.

Les quatre recours engagés, réguliers en la forme, sont par conséquent recevables.

Sur la saisine de la cour

Se référant aux termes de l'article 562 du code de procédure civile et à la juridprudence de la Cour de cassation, le Bâtonnier soutient ensuite que les déclarations de recours ainsi formalisées ne répondent pas aux exigences de l'article précité, faute de préciser quels sont les chefs de la décision attaqués, en sorte que l'effet dévolutif n'a pu jouer, et que la cour n'est dès lors pas saisie.

Il se réfère aux mentions figurant dans les recours successifs de M.[K], à savoir :

- dans le recours du 5 septembre 2018 : " le présent appel est général et porte sur tous les chefs de la décision qu'il tend à voir annuler par la cour";

- dans les trois recours suivants : "l'appel de M.[K] tend à obtenir l'annulation ou la réformation de la décision rendue le [10 août 2018],[6 décembre 2018],[30 avril 2019]", pour en déduire que M.[K] et son conseil ont opéré une confusion entre la réformation des chefs de jugements et l'annulation des décisions, et n'ont pas respecté les exigences issues de l'article 562 du code de procédure civile, éclairées par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la cour d'appel de Paris.

L'article 562 du code de procédure civile énonce que "l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".

En ce qui concerne la lettre recommandée AR du 5 septembre 2018 constitutive du premier recours contre l'arrêté du 10 août 2018, il est exact qu'il ne mentionne pas les chefs de la décision qu'il attaque, ni n'expose les motifs pour lesquels il estime que la cour devrait annuler la décision ainsi qu'il le demande. Cependant le recours du 10 septembre, dirigé contre la même décision, rectifie ce recours voire s'y substitue, ayant été formalisé à l'interieur du délai d'un mois ouvert par l'article 197 du décret du 27 novembre 1991 ; en tout cas il le complète, en précisant sa portée en des termes dont la lecture tronquée de M. le Batonnier ne rend pas exactement compte.

Il mentionne certes que " l'appel tend à obtenir l'annulation ou la réformation de la décision rendue...", mais précise ensuite " de ses chefs suivants " énoncés comme suit :

- article 3: Rejette la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité développée par M.[F] [K];

- article 4 : Rejette les moyens développés in limine litis par M.[F] [K] ;

- article 5 : Prononce, par application de l'article 24 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée par la loi 2004-130 du 11 février 2004, la reconduction de la suspension provisoire de l'exercice de la profession d'avocat arrêtée le 26 avril 2018 et ce pour une nouvelle durée de 4 mois, à compter du présent arrêté ".

Ces énonciations donnent clairement connaissance à la cour de la portée du recours formé par M.[K], en sorte qu'elle s'en trouve valablement saisie.

Il en va de même des deux lettres recommandées AR portant recours à l'encontre des deux arrêtés disciplinaires venus renouveler le 6 décembre 2018, puis le 2 avril 2019, la mesure de suspension prise à son encontre, qui toutes deux indiquent tendre à l'annulation ou la réformation de la décision "de ses chefs suivants " dont suit l'énumération. Ainsi, la lettre recommandée AR du 31 décembre 2018 attaquant l'arrêté du 6 décembre vise expressément les chefs suivants :

"- article 2 rejet des moyens développés in limine litis par M.[K] relatifs

- au dispositif légal prévoyant la délégation à des organes d'une personne morale de droit privé investie d'une mission de service public disciplinaire le pouvoir de juger des fautes disciplinaires des avocats " et à l'affirmation que la formation n'aurait pas été saisie et n'aurait pas statué en matière disciplinaire en application de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971

- à la désignation des membres de la formation de jugement

- à la composition du conseil de discipline en sa formation restreinte

- à l'absence de enouvellement de la mesure de suspension émanant des magistrats instructeurs et à l'impossibilité pour le Bâtonnier de l'Ordre de s'autosaisir

- à l'effet dévolutif de l'appel d'une instance disciplinaire précédente et distincte qui interdirait au conseil de l'ordre de statuer sur une demande identique fondée sur l'article 24

- au fait que la poursuite ne saurait être déléguée, moyen improprement qualifié de non soutenu oralement

" - article 3 application à l'encontre de M.[F] [K] de la mesure de suspension provisoire de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 pour une durée de quatre mois renouvelée."

Celle du 30 avril 2019 précise critiquer la décision du 2 avril 2020 des chefs suivants :

"- la décision est nulle en ce qu'elle ne fait pas mention du débat qui s'est tenu devant la formation du conseil de l'ordre à propos de la saisine par M.[K], antérieurement à l'audience ordinale, de Mme le premier président de la cour d'appel de Paris afin de statuer sur une requête en récusation du président de la formation ordinale, ni de la décision prise par cette formation de poursuivre l'audience et de passer outre au dépôt de cette requête ; en conséquence la formation a été présidée par une personne dénuée d'impartialité objective et qui ne pouvait siéger. Ce défaut d'impartialité invalide la composition de la formation et affecte la validité de la décisoin prise.'

"- L'appel tend par ailleurs à obtenir la réformation de l'arrêté du 2 avril 2019 rendu dans cette affaire.'

" Les chefs critiqués de la décision entreprise sont

- sur les exceptions :

- le défaut de communication des pièces sollicitées par la défense aurait dû conduire au renvoi de l'audience ; l'appel porte sur le chef de la décision qui a rejeté ce moyen

- la formation ne pouvait être saisie en l'absence d'une demande expresse du juge d'instruction. La formation notamment a considéré qu'aucun texte n'imposait au juge d'instruction de solliciter le renouvellement de la mesure de suspension. Elle a rejeté le moyen. L'appel porte sur ce chef.

- les juges de la formation disciplinaire du coneil de l'ordre sont élus sans quorum, ni majorité, sans respect du principe de séparation des pouvoirs. Ce moyen a été écarté. L'appel porte sur ce chef.

- seul le conseil de l'ordre est compétent pour statuer au visa de l'article 24 et les anciens membres du conseil de l'ordre ne peuvent siéger. Ce moyen a été écarté. L'appel porte sur ce chef.

- La demande du Bâtonnier se heurte à l'effet dévolutif de l'appel d'une précédente décision du conseil de l'ordre. Le moyen a été rejeté. L'appel porte sur ce chef

- la poursuite relève du pouvoir exclusif du Bâtonnier cette prérogative ne peut être déléguée. Le moyen a été écarté. L'appel porte sur ce chef.

- Sur l'article 24, la formation a retenu qu'il y avait lieu de faire application à M.[K] de la mesure de suspension de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée. L'appel porte sur ce chef."

Le moyen tiré par M. le Bâtonnier d'un défaut de saisine de la cour doit donc être écarté.

La cour doit donc examiner les recours formés sur chacun de trois arrêtés de renouvellement sur la base des dernières écritures de M.[K] qui réduisent l'étendue de sa critique, puisqu'en particulier il n'invoque plus le moyen tiré du refus du conseil de discipline de poser une question prioritaire de constitutionnalité, ni celui de l'irrégularité de la composition de la formation disciplinaire du conseil de l'Ordre, qui sont désormais soumis à l'examen de la Cour de cassation dans le cadre des pourvois dont elle est saisie.

Sur le moyen tiré de la caducité de la mesure de suspension faute de demande de renouvellement de celle-ci par les juges d'instruction à l'origine de la demande

Comme il l'a fait devant la formation disciplinaire du conseil de l'ordre, M [K] soutient devant la cour qu'il relevait du seul pouvoir des magistrats instructeurs de solliciter le renouvellement de la mesure de suspension provisoire prise le 26 avril 2018 à son encontre, le bâtonnier ne disposant à cet égard d'aucun pouvoir d'autosaisine. Il invoque, à l'appui de ce moyen, les énonciations du manuel des "règles de la profession d'avocat" , dont il verse aux débats l'extrait relatif à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 24 du décret du 27 novembre 1991 et aux pouvoirs respectifs du conseil de l'ordre et du juge d'instruction en la matière. Il ressort de ce commentaire

- que seul le conseil de l'ordre peut prononcer la mesure et y mettre fin,

- mais que lorsqu'il est saisi par le juge d'instruction, il statue dans les conditions du droit commun, d'où la limitation du prononcé de la suspension à une durée de quatre mois,

- et qu'il appartient donc au juge d'instruction, s'il le souhaite, de demander au conseil de l'ordre de prolonger la mesure dans le cadre d'une demande de renouvellement, ce que le conseil de l'ordre ne peut faire spontanément puisqu'il ne détient aucun des éléments pour statuer, avec cette conséquence que si le magistrat ne demande pas le renouvellement, la mesure de suspension provisoire tombe.

Pour combattre cette position - qui est conforme à l'avis 2005-70 rendu sur l'article 24 par la commission des règles et usages du conseil national des barreaux,- le bâtonnier soutient qu'en l'absence d'ordonnances demandant le renouvellement émanant des juges d'instruction, il pouvait lui même convoquer ou citer dans les conditions prévues à l'article 192 "[du décret du 27 novembre 1991], comme le prévoit l'alinéa 2 de l'article 198 du même décret, dès lors que ni l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971, ni les articles 198 et 199 du décret du 27 novembre 1991, ni l'article 138 al 2 ° du code de procédure pénale ne font défense au batonnier de citer devant le conseil de l'ordre un avocat au titre d'une demande de suspension provisoire attachée à une procédure pénale.

Il indique encore que l'article 138 al 2 12° du code de procédure pénale prévoyant que la mesure est renouvelable sans autre précision, le conseil de l'ordre, dès lors qu'il avait été initialement saisi, pouvait renouveler, ou non, la mesure initiale.

Il précise enfin qu'à défaut de nouvelles ordonnances, les magistrats instructeurs ont pris le soin de transmettre des éléments d'actualisation relatifs à l'information judiciaire, afin d'éclairer le conseil de l'ordre lorsqu'il s'est prononcé sur la mesure, en sorte que c'est en toute connaissance de cause et conformément à l'impératif de protection du public, que la suspension provisoire de M.[K] a été reconduite.

Les dispositions de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 modifiées par la loi 2004-130 du 11 Fevrier 2004 prévoient que "lorsque l'urgence ou la protection du public l'exigent, le conseil de l'ordre peut, à la demande du procureur général ou du bâtonnier, suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui en relève lorsque ce dernier fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire".

Ce texte connaît une application particulière en matière pénale, lorsqu'il doit être mis en oeuvre pour accompagner une mesure de contrôle judiciaire prise, notamment, dans le cadre d'une information judiciaire ; dès lors, dans le cadre de ce contrôle, il est fait interdiction à l'avocat de poursuivre l'exercice de sa profession.

Il est constant que la mesure de suspension provisoire prononcée à l'encontre de M. [F] [K] le 26 avril 2018 sur le fondement de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 l'a été dans ce contexte spécifique, après que MM. [R] [H] et [U] [B], vice-présidents chargés de l'instruction au tribunal judiciaire de Paris, saisis d'une procédure d'information judiciaire à l'encontre de M.[K], eurent saisi le bâtonnier de l'ordre en application des dispositions de l'article 138- 12° du code de procédure pénale, en conséquence de la mesure de contrôle judiciaire qu'ils avaient prise à son encontre.

Il n'est pas discuté, par ailleurs, que les trois mesures de renouvellement successives critiquées ont été prises par la formation disciplinaire du conseil de l'ordre du barreau de Paris saisie à l'initiative du bâtonnier, sans que ce renouvellement ait fait l'objet d'une demande de la part des juges d'instruction initiateurs de la mesure.

Comme l'expose M. le bâtonnier lui même dans ses écritures, la procédure de mise en oeuvre de l'article 24 qui se rattache à la procédure pénale est distincte de celle qui se rattache à la procédure disciplinaire.

Il ne suffit donc pas de se référer au silence des textes relatifs à la matière disciplinaire, pour en déduire une faculté de saisine par le bâtonnier, autorité de poursuite disciplinaire, lorsque la demande de suspension provisoire intervient dans le contexte d'une procédure pénale.

Le silence de l'article 138-2° du code de procédure pénale sur les conditions du renouvellement de la mesure de suspension est encore moins démonstratif d'un pouvoir qu'aurait le bâtonnier pour le solliciter : il concerne en effet la mise en oeuvre d'une mesure de contrôle judiciaire, relevant de la seule autorité judiciaire, ici les juges d'instruction saisis qui, ayant à ce titre décidé d'interdire à M.[K] d'exercer de sa profession, devaient, corollairement, saisir le conseil de l'ordre de la mesure de suspension provisoire qu'il est seul habilité à prendre, mais à qui il n'incombe pas de décider de la mettre en oeuvre.

On ne voit pas, dès lors, ce qui pourrait l'habiliter à prendre l'initiative de reconduire cette mesure, prise en accompagnement de la mesure d'interdiction du contrôle judiciaire, sans en avoir reçu la demande expresse des juges d'instruction, seuls en capacité d'en apprécier l'opportunité, le recueil d'éléments d'information de la part des juges d'instruction auquel M. le bâtonnier dit avoir procédé ne pouvant suppléer l'absence d'une saisine en bonne et due forme, soumise au contradictoire de M. [K].

Sans qu'il y ait lieu pour la cour de se prononcer sur les autres moyens développés par M.[K], il résulte de ce qui précède que les arrétés de prolongation attaqués, pris irrégulièrement, doivent être annulés.

PAR CES MOTIFS

la cour

Ordonne la jonction des procédures RG 18/21433, RG 18/21434, RG 19/01475 et RG 19/08557, l'affaire se poursuivant sous le RG 18/21433,

Déclare les recours de M. [K] recevables,

Dit que ces recours ont eu un effet dévolutif,

Annule les arrêtés disciplinaires des 10 août 2018, 6 décembre 2018 et 2 avril 2019 prolongeant la mesure de suspension provisoire d'exercice ordonnée à l'encontre de M.[K] le 26 avril 2018,

Laisse les dépens à la charge de M.le Bâtonnier, en qualité d'autorité de poursuite.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/21433
Date de la décision : 12/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°18/21433 : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-12;18.21433 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award