Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 12 NOVEMBRE 2020
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10464 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6MHC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juillet 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/09306
APPELANTE
Madame [C] [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
INTIMEE
SA AEROLÍNEAS ARGENTINAS
[Adresse 2]
[Adresse 3]
ARGENTINE
Représentée par Me Xavier SKOWRON-GALVEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C0067
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Sandra ORURS, présidente de chambre
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat du 6 décembre 1976, la société Aerolineas Argentinas, société anonyme de droit argentin, a engagé Mme [K], épouse [I], en qualité d'auxiliaire commercial pour son agence parisienne.
La société applique la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959.
La salariée a été convoquée le 5 août 2013 à un entretien préalable fixé au 16 août. Le 26 août, elle a accepté le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qui lui avait été proposé lors de l'entretien préalable. L'employeur lui a en outre notifié son licenciement pour motif économique le 6 septembre suivant.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 26 novembre 2013.
Par jugement du 11 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Paris l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et a rejeté la demande de l'employeur au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 10 septembre 2018, la salariée a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 1er septembre.
Par conclusions transmises par voie électronique le 10 juin 2020, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de condamner la société intimée à lui payer les sommes suivantes :
- 151 533,90 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 50 000 euros de dommages-intérêts pour non-déclaration du statut cadre dont elle estime relever,
- 15 753,39 euros d'indemnité compensatrice de préavis au titre du statut cadre et 1 753,33 euros au titre des congés payés afférents,
- 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Elle demande à la cour d'enjoindre à l'intimée, sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et par organisme passé le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt, de régulariser sa situation auprès des organismes d'assurance retraite (de base et complémentaire) et d'assurance chômage, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte, et d'ordonner la capitalisation des intérêts.
Par conclusions transmises le 10 décembre 2018 par voie électronique, l'intimée sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'appelante au paiement de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction est intervenue le 16 juin 2020 et l'affaire a été plaidée le 16 septembre.
MOTIFS
Sur la revendication du statut de cadre
La salariée soutient qu'au regard du coefficient figurant sur ses bulletins de paie, elle aurait dû bénéficier du statut de cadre, ce que conteste l'employeur, qui invoque une erreur matérielle.
La charge de la preuve de la classification revendiquée pèse sur le salarié.
La qualification d'un salarié se détermine relativement aux fonctions réellement exercées qui doivent être comparées aux critères de classification retenus par la convention collective.
Selon l'annexe I de la convention collective applicable, sont considérés comme cadres les collaborateurs qui répondent aux deux conditions suivantes :
1° Posséder une formation technique, administrative, juridique, commerciale ou financière résultant soit d'études sanctionnées par un diplôme de l'enseignement supérieur, soit d'une expérience professionnelle éprouvée qui leur confère des capacités équivalentes ;
2° Occuper dans l'entreprise un emploi où ils mettent en oeuvre les connaissances qu'ils ont acquises. Ces emplois comportent généralement des pouvoirs de décision et de commandement ou des responsabilités équivalentes.
En l'espèce, la salariée ne produit aucun élément relatif aux fonctions réellement exercées. Elle ne justifie ni de l'obtention d'un diplôme de l'enseignement supérieur, ni de l'exercice d'un pouvoir de décision ou de commandement.
Elle a été embauchée en qualité d'auxiliaire commercial, classée G2 C3, coefficient 155. Ses bulletins de paie font état en dernier lieu d'un emploi occupé de 'commercial III', statut non cadre, indice VI, coefficient 430.
La seule mention sur le bulletin de paie d'un coefficient 430, qui n'est pas prévu par la convention collective, relève manifestement d'une erreur matérielle, alors que la volonté de l'employeur de surclasser la salariée n'est pas alléguée et est même contredite par la mention 'statut non cadre'. Au demeurant, postérieurement à son licenciement, la salariée a postulé à n emploi d'agent de comptoir en vente de voyages, ce qui correspond, selon les emplois repère figurant à la grille de classification des ouvriers et ETAM, à un niveau 3 de la filière relation clients.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour non-déclaration du statut de cadre et de ses demandes subséquentes.
Sur la rupture du contrat de travail
L'appelante soutient que le document remis préalablement à l'acceptation du CSP n'énonce pas le motif économique motivant la rupture de son contrat de travail et, subsidiairement, que la lettre de licenciement n'énonce pas ce motif, que la société ne rencontrait pas de difficultés justifiant la fermeture de la succursale à [Localité 4] et qu'elle n'a pas procédé aux recherches de reclassement.
L'intimée réplique qu'elle connaît des difficultés économiques depuis 2011, qui ont entraîné la fermeture de plusieurs succursales, dont en dernier lieu celle de [Localité 4], que ces difficultés sont énoncées dans la notice explicative remise à la salariée avant l'acceptation du CSP et qu'elle en justifie.
Si la cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas dûe à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier, la seule fermeture d'un établissement ne peut constituer une telle cause que si elle est justifiée par des difficultés économiques, une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
La cause économique s'apprécie au niveau de l'entreprise et non au niveau de l'établissement dont la fermeture est décidée.
Lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation. Si l'information intervient postérieurement à l'acceptation du CSP, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La lettre de licenciement ou le document écrit d'information doit comporter non seulement l'énonciation des difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise, mais également l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
En l'occurrence, l'employeur fait état de difficultés économiques rendant nécessaire la fermeture de sa succursale parisienne, entité dépourvue de la personnalité juridique. Dans la lettre de convocation à l'entretien préalable comme dans le document accompagnant la remise du CSP, il rappelle en introduction et en termes généraux les difficultés économiques rencontrées par la société depuis 2001, mais cantonne son analyse à la situation de la succursale parisienne, dont il détaille la baisse du chiffre d'affaires et analyse les ventes et les coûts des frais de structure. Il ne mentionne de surcroît pas la suppression du poste de la salariée, la 'lettre de licenciement' adressée postérieurement à l'acceptation du CSP ne pouvant suppléer sa carence sur ce point.
Dès lors, la cour retient, par infirmation du jugement, que le licenciement de la salariée est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Conformément à l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la salariée peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.
Au regard de son ancienneté (presque 37 ans), de son âge lors de la rupture (60 ans), de sa rémunération et de sa situation personnelle (justifie avoir recherché un emploi avant sa retraite effective au 1er mars 2015), la cour lui alloue la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts.
En l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre au salarié.
En l'espèce, il résulte de la lecture du reçu pour solde de tout compte et de la 'lettre de licenciement' du 6 septembre 2013 produits, que la salariée n'a bénéficié d'aucune somme au titre de son préavis, les trois mois ayant été reversés à Pôle Emploi.
Dès lors, la cour lui alloue la somme de 11 449,41 euros à ce titre, outre 1 144,94 euros au titre des congés payés afférents.
Sur les autres demandes
Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de l'arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le CSP étant sans cause, il y a lieu d'ordonner à l'employeur le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de trois mois, sous déduction de la contribution prévue à l'article L.1233-69 du code du travail.
L'équité commande d'allouer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
L'employeur, qui succombe, devra supporter les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes de dommages-intérêts pour non-déclaration du statut cadre et d'injonction à la société Aerolineas Argentinas sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et par organisme passé le délai de deux mois suivant la notification du jugement de régulariser sa situation auprès des organismes d'assurance retraite et d'assurance chômage ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Aerolineas Argentinas à payer à Mme [I] les sommes de :
- 60 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 11 449,41 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 144,94 euros au titre des congés payés afférents ;
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de la société Aerolineas Argentinas devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Ordonne à la société Aerolineas Argentinas de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [I] dans la limite de trois mois, sous déduction de la contribution prévue à l'article L.1233-69 du code du travail ;
Condamne la société Aerolineas Argentinas à verser à Mme [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Aerolineas Argentinas aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE