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10/11/2020 | FRANCE | N°20/04495

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 10 novembre 2020, 20/04495


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2020



(n°120/2020, 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général:20/04495 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTME



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Février 2020 rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 1ère section - RG n° 18/13008





APPELANTS



Monsieur [Z] [E]
r>Né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 8]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 6]



Représenté et assisté de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2020

(n°120/2020, 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général:20/04495 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTME

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Février 2020 rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 1ère section - RG n° 18/13008

APPELANTS

Monsieur [Z] [E]

Né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 8]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté et assisté de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0974

S.A. LE BRONX

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de TOULOUSE sous le numéro 390 778 660

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée et assistée de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0974

INTIMÉE

SOCIÉTÉ POUR LA PERCEPTION DE LA REMUNERATION EQUITABLE DE LA COMMUNICATION AU PUBLIC DES PHONOGRAMMES DU COMMERCE - SPRE

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 334 784 865

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assistée de Me Jean MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0584

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente,

Mme Agnès MARCADE, Conseillère, en remplacement de Mme Françoise BARUTEL, conseillère empêchée

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère, en remplacement de Mme Déborah BOHEE, conseillère empêchée

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société LE BRONX, dont le président est Monsieur [Z] [E], exploite une activité de bar et discothèque à [Localité 9] sous l'enseigne 'Esmeralda'.

La société pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce (ci-après, la SPRE) est une société civile qui perçoit et répartit par moitié entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes la rémunération due, selon l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, par toute personne utilisant dans un lieu public, sur le territoire français, un phonogramme publié à des fins de commerce.

La loi dite 'Lang' du 3 juillet 1985 a reconnu des droits exclusifs aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes. Elle a également prévu un régime de licence légale pour certaines utilisations publiques des phonogrammes du commerce. En contrepartie de la liberté de diffusion des phonogrammes publiés à des fins de commerce, les utilisateurs de ces derniers doivent s'acquitter d'une somme qualifiée de rémunération équitable, assise sur les recettes de l'établissement ou, à défaut, évaluée forfaitairement dans les cas prévus à l'article L.131-4 du code de la propriété intellectuelle, et qui est répartie entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes. Cette rémunération est perçue pour le compte des ayants droit et répartie entre eux par un ou plusieurs organismes, au rang desquels figure la SPRE.

L'article L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle (ancien article 23 de la loi du 3 juillet 1985) prévoit que le barème de la rémunération équitable est déterminé par voie d'accord entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant les phonogrammes. L'article L.214-4 du même code (ancien article 24 de la loi du 3 juillet 1985) dispose qu'à défaut d'accord intervenu avant le 30 juin 1986, le barème est fixé par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée à égalité de membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires de la rémunération et de membres désignés par les organisations représentant les redevables de ladite rémunération. La même disposition prévoit que les organisations appelées à désigner les membres de la commission, ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner, sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

La société LE BRONX indique avoir réglé à la SPRE la somme de 95 065,65 euros au titre de la rémunération prévue par l'article L 214-4 du code de la propriété intellectuelle.

Par acte du 16 juillet 2018, la société LE BRONX a assigné la SPRE devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir juger que la SPRE n'est pas habilitée à solliciter de sa part le paiement d'une quelconque somme au titre de la rémunération équitable de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle et de la voir condamner à lui restituer la somme versée par elle, outre à lui payer une somme de 30 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de pratiques commerciales trompeuses au sens de l'article L.121-1-1 du code de la consommation, de facturation frauduleuse et de l'exercice d'une activité dans des conditions tendant à créer dans l'esprit du public une confusion avec l'exercice d'une fonction publique.

Par acte du 5 août 2019, M. [E] a été assigné par la SPRE en intervention forcée aux fins de condamnation in solidum avec la société LE BRONX sur les demandes reconventionnelles de la SPRE. La jonction des procédures a été ordonnée.

La société LE BRONX et M. [E] ont formé un incident, demandant au juge de la mise en état :

- de transmettre au Conseil d'Etat 17 questions préjudicielles,

- de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse du Conseil d'Etat,

- de condamner la SPRE à verser à la société LE BRONX 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans une ordonnance rendue le 6 février 2020, le juge de la mise en état du tribunal (devenu tribunal judiciaire de Paris) a notamment :

- rejeté les demandes de transmission des questions préjudicielles et de sursis à statuer présentées par la société LE BRONX,

- rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la SPRE,

- renvoyé l'affaire à la mise en état,

- condamné la société LE BRONX aux dépens de l'incident et au paiement à la SPRE de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 1er mars 2020, la société LE BRONX et M. [E] ont interjeté appel de cette ordonnance.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 4 septembre 2020, la société LE BRONX et M. [E] demandent à la cour, au visa des articles 49 alinéa 2 du code de procédure civile, L.214-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 1er du code civil et 40 du code de procédure pénale :

- de rejeter la demande de la SPRE tendant à voir condamner la société LE BRONX au titre d'un abus d'agir en justice à une somme de 5 000 € comme étant irrecevable,

- d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 24 janvier 2020 en ce qu'elle a rejeté la demande de transmission au Conseil d'État des 17 questions préjudicielles suivantes :

1°. « L'arrêté du 27 janvier 1987 fixant la composition de la commission prévue à l'article 24 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, pris par le ministre de la culture, sans que ce dernier ait invité les organisations professionnelles concernées à définir les branches d'activités dans le cadre desquelles les accords spécifiques prévus à l'article 23 de la loi devaient être négociés, ni pris une quelconque disposition réglementaire permettant l'opposabilité des accords de définitions des branches et le contrôle du juge administratif, et sans qu'aucune disposition réglementaire ne soit intervenue pour définir la représentativité prévue audit article et les conditions de sa sollicitation par une quelconque organisation des bénéficiaires de la rémunération et des usagers est-il pris par une autorité incompétente, est-il nul et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégal ' »

2°. « La seconde phrase de l'article 1 et l'article 2 du décret n° 86-537 du 14 mars 1986, en ce qu'ils prévoient que la commission est composée des représentants des organisations des bénéficiaires du droit à rémunération et des représentants des organisations d'utilisateurs de phonogrammes désignés par le ministre de la culture violent-t-ils l'article 24 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteurs et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle ' »

3°. « La décision du 9 septembre 1987 de la commission prévue à l'article 24 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, prise sans qu'il soit possible d'attester de l'existence des vingt-quatre membres titulaires et des vingt-quatre membres suppléants qui devaient être désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération et les organisations représentant les personnes qui, dans la branche d'activité concernée, utilisent les phonogrammes et ayant vocation à être invités à participer aux délibérations, sans qu'il ait jamais été possible de connaitre les noms et les dates de désignation de ces membres, ni les instrumentum attestant de leur désignation, ni de la convocation des membres de la commission aux réunions ayant délibéré en date du 3 août, 7 et 8 septembre 1987, doit-elle être considérée comme nulle et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégale ' »

4°. « L'arrêté du 22 octobre 2001 portant composition de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, pris par le ministre de la culture, sans que ce dernier ait invité les organisations professionnelles concernées à définir les branches d'activités dans le cadre desquelles les accords spécifiques prévus à l'article L.214-3 du Code de la propriété intellectuelle devaient être négociés, ni pris une quelconque disposition réglementaire permettant l'opposabilité des accords de définition de branches et le contrôle du juge administratif, et sans qu'aucune disposition réglementaire ne soit intervenue pour définir la représentativité prévue audit article et les conditions de sa sollicitation par une quelconque organisation des bénéficiaires de la rémunération et des usagers est-il pris par une autorité incompétente, est-il nul et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégal ' »

5°. « La seconde phrase de l'article R.214-1 et l'article R.214-2 du Code de la propriété intellectuelle, en ce qu'ils prévoient que la commission est composée des représentants des organisations des bénéficiaires du droit à rémunération et des représentants des organisations d'utilisateurs de phonogrammes désignés par le ministre de la culture violent-ils l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle et l'article 432-12 du Code pénal ' »

6°. « La décision du 30 novembre 2001 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, prise alors que l'existence de 24 de ses membres et de leurs suppléants n'est pas rapportée, doit-elle être considérée comme nulle et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégale ' »

7°. « La décision du 30 novembre 2001 de la commission arbitrale prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, qui comprend en son sein M. [Y] [P], chargé de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles, nommé à titre de personnalité qualifiée par le ministre de la culture, alors qu'il lui est subordonné est-elle illégale comme contraire aux dispositions des articles L.214-3 et L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle et aux dispositions de l'article 432-12 du Code pénal sanctionnant la prise illégale d'intérêts ' »

8°. « L'article 5 de la décision réglementaire du 30 novembre 2001 prise par la commission composée de douze représentants de la Société pour la Rémunération Équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce (SPRE), qui organise le barème des rémunérations dues aux associés de ladite société et confie à ladite société SPRE la gestion et le contrôle du dispositif qu'elle est chargée d'organiser est-il illégal pour non-respect des dispositions de l'article 432-12 du Code pénal ' »

9°. « La décision réglementaire du 30 novembre 2001 prise par une commission administrative composée de douze représentants de la Société pour la Rémunération Équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce (SPRE) et qui confie sans procédure de mise en concurrence aux bénéficiaires représentés par ladite société SPRE, ou à une société de perception et de répartition des droits mandatée par elle, la mission de contrôler les éléments nécessaires au calcul de la rémunération et de recueillir le relevé de programmes diffusés est-elle illégale pour non-respect des dispositions de l'article 432-14 du Code pénal ' »

10°. « L'article 1er alinéa 1er de la décision du 30 novembre 2001 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle qui assujettit à la rémunération équitable de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle les discothèques et établissements similaires sur la totalité des recettes brutes produites par les entrées ainsi que par la vente de consommations ou la restauration sans aucune pondération en fonction du niveau d'utilisation des phonogrammes du commerce viole-t-il les dispositions combinées de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 12 de la Convention internationale sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961 et encourt-il à ce titre la sanction de l'illégalité ' »

11°. « Les arrêtés du 13 octobre 2008 portant nomination du président et du 16 février 2019 portant composition de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, pris par le ministre de la culture, sans que ce dernier ait invité les organisations professionnelles concernées à définir les branches d'activités dans le cadre desquelles les accords spécifiques prévus à l'article L.214-3 du Code de la propriété intellectuelle devaient être négociés, ni pris une quelconque disposition réglementaire permettant l'opposabilité des accords de définition de branches et le contrôle du juge administratif, et sans qu'aucune disposition réglementaire ne soit intervenue pour définir la représentativité prévue audit article et les conditions de sa sollicitation par une quelconque organisation des bénéficiaires de la rémunération et des usagers est-il pris par une autorité incompétente, est-il nul et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégal ' »

12°. « La décision du 5 janvier 2010 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, prise alors que la preuve de l'existence de 30 de ses membres titulaires et suppléants et de leur désignation n'est pas rapportée, doit-elle être considérée comme nulle et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégale ' »

13°. « L'article 1er alinéa 1er de la décision du 5 janvier 2010 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle qui assujettit à la rémunération équitable de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle les établissements exerçant une activité de café et restaurants (dont restaurant rapide) qui diffusent une musique de sonorisation, constituant une composante accessoire à l'activité commerciale, sans aucune pondération en fonction de l'utilisation effective du dit matériel de sonorisation à la diffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce, viole-t-il les dispositions combinées de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 12 de la Convention internationale sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961 et encourt-il à ce titre la sanction de l'illégalité ' »

14°. « L'article 7 de la décision réglementaire du 5 janvier 2010, prise par l'autorité administrative à compétence nationale créée par l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, ayant en son sein la Société pour la Rémunération Équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce (SPRE) et ses quinze représentants, et qui confie, sans aucune publicité préalable, ni mise en concurrence, à une unique société de droit privé, ladite société SPRE, ou à une société de perception et de répartition des droits mandatée par elle, la mission de contrôler les éléments nécessaires au calcul de la rémunération et de recueillir le relevé de programmes diffusés est-il illégal pour non-respect des dispositions des articles 432-12 et 432-14 du Code pénal ' »

15°. « L'arrêté du 27 septembre 2011 portant nomination du président de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle et l'arrêté du 16 février 2009 portant la composition de ladite commission, pris par le ministre de la culture, sans qu'un règlement soit venu définir les branches d'activités dans le cadre desquelles les accords spécifiques prévus à l'article 214-3 du Code de la propriété intellectuelle devaient être négociés, ni qu'aucune disposition réglementaire ne soit intervenue pour définir la représentativité prévue audit article et permettre sa sollicitation par une quelconque organisation des bénéficiaires de la rémunération et des usagers est-il pris par une autorité incompétente, est-il nul et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégal ' »

16°. « La décision du 30 novembre 2011 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle, prise alors que la preuve de l'existence de 30 de ses membres titulaires et suppléants et de leur désignation n'est pas rapportée, doit-elle être considérée comme nulle et de nul effet, ou à titre subsidiaire illégale ' »

17°. « L'article 1er alinéa 1er de la décision du 30 novembre 2011 de la commission prévue à l'article L.214-4 du Code de la propriété intellectuelle qui assujettit à la rémunération équitable de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle les établissements exerçant une activité de café et restaurants (dont restaurant rapide) qui diffusent une musique de sonorisation, constituant une composante accessoire à l'activité commerciale, sans aucune pondération en fonction de l'utilisation effective du dit matériel de sonorisation à la diffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce, viole-t-il les dispositions combinées de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle et l'article 12 de la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961 et encourt-il à ce titre la sanction de l'illégalité ' »

- en conséquence, de transmettre lesdites questions au Conseil d'État,

- de constater que l'ordonnance de M. [F] contient des faits relevant de qualifications délictuelles ou criminelles,

- de transmettre le dossier au procureur de la République,

- de condamner la SPRE aux dépens et au paiement à la société LE BRONX d'une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles.

Dans ses conclusions transmises le 24 juillet 2020, la SPRE demande à la cour, au visa des articles L. 214-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle :

- de confirmer l'ordonnance dont appel,

- de juger qu'il n'y a pas lieu à transmission des dix-sept questions préjudicielles au Conseil d'Etat,

- de débouter la société LE BRONX de toutes ses demandes,

- de réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la SPRE de sa demande de condamnation pour procédure abusive et statuant à nouveau, de condamner la société LE BRONX à lui payer 5 000 euros pour procédure abusive,

- de condamner la société LE BRONX à lui payer :

- 5 000 euros pour procédure abusive,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société LE BRONX en tous les dépens qui seront recouvrés par la SELARL BDL AVOCATS conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2020.

MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de la société LE BRONX et M. [E] de transmission au Conseil d'État de questions préjudicielles

La société LE BRONX et M. [E] sollicitent la transmission au Conseil d'Etat de 17 questions préjudicielles concernant, pour l'essentiel, directement ou indirectement, les décisions réglementaires prises par la commission prévue par l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985, devenu l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, sur lesquelles la SPRE se fonde pour solliciter le paiement de la rémunération équitable.

La SPRE oppose que la condition du caractère sérieux des difficultés soulevées n'est pas remplie.

L'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile dispose : 'Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle'.

Sur les questions 1, 4, 11 et 15

Les questions 1, 4, 11 et 15 portent sur la légalité de cinq arrêtés pris par le ministre de la culture, en date des 27 janvier 1987, 22 octobre 2001, 13 octobre 2008, 16 février 2009 et 27 septembre 2011 ayant fixé la composition de la commission prévue à l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985 (devenu article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle) ou nommé le président de ladite commission, et de celle subséquente de quatre décisions prises par la commission (9 septembre 1987, 30 novembre 2001, 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011).

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent ainsi :

- en ce qui concerne l'arrêté du ministre de la culture du 27 janvier 1987 fixant la composition de la commission et la décision de la commission du 9 septembre 1987 prise au visa de cet arrêté :

que l'article 23 de la loi du 3 juillet 1986 - qui organisait un mécanisme de négociation d'accords spécifiques à chaque branche d'activité entre les organisations représentatives des bénéficiaires de la rémunération et des utilisateurs redevables de ladite rémunération - n'étant jamais entré en vigueur, l'arrêté du 27 janvier 1987 du ministre de la culture fixant la composition de la commission prévue à l'article 24 est susceptible d'être considéré comme émanant d'une autorité incompétente et la décision du 9 septembre 1987 prétendument prise par cette commission est en conséquence susceptible d'être considérée comme inexistante et, à titre subsidiaire, illégale (question 1) ;

- en ce qui concerne l'arrêté du ministre de la culture du 22 octobre 2001 portant composition de la commission et la décision de la commission du 30 novembre 2001 prise au visa de cet arrêté :

que les dispositions réglementaires nécessaires à la détermination des branches d'activité dans lesquelles les négociations spécifiques prévues à l'article L.214-3 du code de la propriété intellectuelle devaient être engagées n'ont jamais été édictées, de même que les dispositions nécessaires à l'octroi de la représentativité aux organisations concernées, préalable à la possibilité d'une négociation ; qu'en conséquence, l'article L.214-3 n'est pas à ce jour entré en vigueur et l'article L.214-4, qui n'a vocation à intervenir qu'à titre subsidiaire par rapport à l'article L.214-3, n'a pas davantage pu entrer en vigueur ; que le ministre de la culture n'était donc pas compétent pour mettre en place la commission à l'origine de la décision du 30 novembre 2001 ; qu'émanant d'une autorité incompétente, l'arrêté du 22 octobre 2001 portant composition de la commission doit être considéré comme nul et de nul effet, et à titre subsidiaire illégal, et la décision réglementaire du 30 novembre 2001 de même (question 4) ;

- en ce qui concerne les arrêtés du ministre de la culture des 13 octobre 2008 et 27 septembre 2011 portant nomination du président de la commission, du 16 février 2009 portant composition de la commission et la décision de la commission du 5 janvier 2010 :

que les dispositions nécessaires à la détermination des branches dans lesquelles les négociations spécifiques prévues à l'article L.214-3 du code de la propriété intellectuelle devaient être engagées et à l'opposabilité des accords de définition des branches n'ont jamais été prises ; qu'il en est de même des dispositions nécessaires à l'octroi de la représentativité aux organisations concernées, préalable à la possibilité d'une négociation ; qu'en conséquence, l'article L.214-3 n'est jamais entrée en vigueur et l'article L.214-4 qui n'a vocation à intervenir qu'à titre subsidiaire par rapport à l'article L.214-3 n'a donc pas davantage pu entrer en vigueur ; que le ministre de la culture n'était donc pas compétent pour mettre en place la commission à l'origine de la décision du 5 janvier 2010 ; qu'émanant d'une autorité incompétente, les arrêtés du 13 octobre 2008 et du 27 septembre 2011 portant nomination du président de la commission et l'arrêté du 16 février 2009 portant composition de la commission doivent être considérés comme nuls et de nuls effets, et à titre subsidiaire illégaux, et la décision réglementaire du 5 janvier 2010 de même (questions 11 et 15).

La SPRE conteste le caractère sérieux des questions dont la transmission est sollicitée, arguant notamment que les appelants ajoutent à la loi, laquelle ne prévoyait aucun formalisme pour acter le défaut d'accord entre les bénéficiaires de la rémunération et les utilisateurs de phonogrammes.

Ceci étant exposé, l'article 23 de la loi du 3 juillet 1985 (devenu l'article L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle) organisait un mécanisme de négociation d'accords spécifiques à chaque branche d'activité entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des utilisateurs de phonogrammes. L'article 24 de cette même loi prévoyait que le barème de la rémunération équitable serait fixé par une commission à défaut d'accord entre les organisations représentatives des bénéficiaires de la rémunération équitable et des utilisateurs redevables de ladite rémunération, intervenu dans les six mois de l'entrée en vigueur de la loi ou l'expiration du précédent accord ; de même, les versions ultérieures de ce texte, codifié à l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, prévoyaient que le barème de la rémunération équitable serait fixé par une commission à défaut d'accord entre les organisations représentatives des bénéficiaires de la rémunération équitable et des utilisateurs redevables, intervenu avant le 30 juin 1986 ou à l'expiration du précédent accord.

Ces textes ne prévoyaient aucun formalisme pour constater le défaut d'accord. En outre, les décisions contestées de la commission sont prises au visa de la loi du 3 juillet 1985 et 'notamment de son article 24" (décision du 9 septembre 1987) ou des 'article L. 214-1 à L. 214-5 (...) du code de la propriété intellectuelle' (décisions des 30 novembre 2001, 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011), de sorte que, comme le souligne la SPRE, ces visas valaient constatation par la commission que la condition de l'absence d'accord entre les bénéficiaires de la rémunération et les utilisateurs de phonogrammes dans le délai légal était remplie. Le juge de la mise en état a justement relevé que la circonstance que les organisations professionnelles qui auraient dû négocier l'accord visé à l'article 23 de la loi du 3 juillet 1985 (devenu L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle) soient les mêmes que celles composant la commission prévue à l'article 24 (devenu L. 214-4 code de la propriété intellectuelle) était de nature à garantir l'absence d'accord.

Il est donc indifférent, quant à la légalité des arrêtés et de celle, subséquente, des décisions prises à leur visa, que le ministre de la culture n'ait jamais pris, comme l'affirment les appelants, les dispositions réglementaires nécessaires à l'entrée en vigueur de l'article 23 de la loi du 3 juillet 1985 (L. 214-3 CPI). Au demeurant, dans un arrêt n° 86672 du 5 juillet 1989, rejetant la demande d'annulation de l'arrêté du 27 janvier 1987 du ministre de la culture, le Conseil d'Etat a considéré qu'au regard des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985, qui dispose que les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminées par arrêtée du ministre chargé de la culture, ce dernier pouvait légalement fixer par arrêté la composition de la commission.

De même, est indifférente, en ce qui concerne la légalité des arrêtés des 22 octobre 2001, 13 octobre 2008, 27 septembre 2011 et 16 février 2009 portant composition de la commission ou nomination de son président, et de celle, subséquente, des décisions de la commission des 30 novembre 2001, 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011, l'absence d'accord entre les organisations des bénéficiaires de la rémunération et des utilisateurs due au fait que les branches d'activité et les conditions de représentativité des organisations concernées n'aient jamais été définies. L'article L.214-3 du code de la propriété intellectuelle (qui reprend l'article 23 de la loi du 3 juillet 1985) n'édicte en effet aucune obligation de négociation préalable entre les organisations des artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes et les organisations d'utilisateurs de phonogrammes, ni aucune obligation quant à la mise en place par l'autorité publique de conditions censées permettre une telle négociation, relatives notamment à la désignation des branches d'activité et à la définition de la représentativité des organisations professionnelles visées à cet article. Contrairement à ce qu'affirment les appelants, le ministre de la culture était compétent, en application de l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, en l'absence d'accord entre les professionnels concernés au sens de l'article L. 214-3, pour prendre l'arrêté du 22 octobre 2001 portant composition de la commission à l'origine de la décision du 30 novembre 2001, ainsi que les arrêtés du 13 octobre 2008 et du 16 février 2009 à l'origine de la décision du 5 janvier 2010 et l'arrêté du 27 septembre 2011 visé par la décision du 30 novembre 2011.

Enfin, dans une décision du 14 octobre 2019, le Conseil d'Etat, saisi par deux sociétés, LUCAS et REGIEX PUBLICITE, de demandes tendant à voir déclarer nulles les décisions de la commission, notamment, des 9 septembre 1987, 30 novembre 2001, 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011, a rejeté les requêtes, disant que 'Toutefois, les moyens qu'elles soulèvent tirés de ce que ces décisions ont été prises à la suite d'une procédure irrégulière en l'absence, d'une part, de décision désignant les organisations représentatives des artistes interprètes, des producteurs et des usagers de phonogrammes, et d'autre part, de constat par le ministre d'un désaccord sur la rémunération des artistes interprètes, des producteurs et des usagers de phonogrammes, et tirés de ce que les membres de ladite commission n'ont pas été régulièrement nommés ne sont, en tout état de cause, pas de nature à affecter l'existence même des décisions attaquées'. Les problématiques abordées par cette décision du Conseil d'Etat touchent aux questions soulevées par les appelants dans la présente procédure, relatives i) à l'absence de négociation d'accords spécifiques à chaque branche d'activité entre les organisations représentatives des bénéficiaires de la rémunération et des utilisateurs redevables de ladite rémunération (question préjudicielle 1) et ii) à l'absence de détermination des branches d'activité dans lesquelles les négociations spécifiques prévues à l'article L.214-3 du code de la propriété intellectuelle devaient être engagées et de définition de la représentativité des organisations concernées (questions préjudicielles 4, 11 et 15).

De ce qui précède, il résulte que les questions préjudicielles 1, 4, 11 et 15 ne présentent pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les questions 2 et 5

Les questions 2 et 5 portent sur la légalité des articles 1 et 2 du décret n° 86-537 du 14 mars 1986 (question préjudicielle 2) codifiés sous les articles R. 214-1 et R. 214-2 du code de la propriété intellectuelle (question préjudicielle 5).

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent ainsi que les articles 1 et 2 du décret n° 86-537 du 14 mars 1986 et les articles R. 214-1 et R. 214-2 du code de la propriété intellectuelle, en prévoyant que la commission est composée de 'représentants' des bénéficiaires du droit à rémunération et de 'représentants' des utilisateurs de phonogrammes ou de 'représentants des organisations' bénéficiaires du droit à rémunération et de 'représentants des organisations' d'utilisateurs de phonogrammes, alors que l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985 et l'article L.214-4 du code de la propriété intellectuelle disposent que la commission est composée de 'membres désignés par les organisations représentant' ces professionnels, opèrent une confusion qui n'est pas sans conséquence puisque le représentant d'une organisation directement intéressée aux délibérations d'une commission administrative chargée d'établir des barèmes officiels ne peut y participer sans créer un conflit d'intérêt. Ils soulignent qu'une commission arbitrale ne peut être composée de représentants des parties intéressées et que le principe d'impartialité est une condition de légalité des actes administratifs. Ils ajoutent que le ministre de la culture a dans les faits reconnu l'illégalité de ces dispositions et que son arrêté du 16 février 2009 est conforme aux dispositions de l'article 24 (codifié à l'article L. 214-4 du CPI), confiant aux organisations représentant les bénéficiaires et les utilisateurs le soin de désigner les 'membres' de la commission et non plus d'y envoyer leurs 'représentants'.

La SPRE répond qu'après la fixation de la composition de la commission par le décret du 14 mars 1986 (article 2) et la désignation des organisations représentatives des utilisateurs et des bénéficiaires du droit à rémunération par l'arrêté du 27 janvier 1987, ces organisations ont régulièrement désigné les membres de la commission les représentant, en application de l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985 (L.214-4 du CPI).

L'article 24 de la loi du 3 juillet 1985 dispose: 'La commission est composée de membres désignés par les organisations représentants les bénéficiaires de droits à rémunération'. L'article 1er du décret du 14 mars 1986 indique que chacune des formations de la commission 'comprend un nombre égal de représentants des bénéficiaires du droit à rémunération et de représentants des utilisateurs de phonogrammes' et l'article 2 du même décret indique également que 'la commission comprend douze représentants des organisations bénéficiaires du droit à rémunération et douze représentants des organisations d'utilisateurs de phonogrammes, désignés dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 24 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985. Un suppléant est désigné, dans les mêmes conditions, pour chacun des représentants titulaires des organisations de bénéficiaires du droit à rémunération et d'utilisateurs de phonogrammes. Les membres suppléants de la commission n'assistent aux séances et ne participent aux délibérations qu'en cas d'absence du représentant titulaire qu'ils suppléent'
1: Mises en gras ajoutées.

.

L'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, qui a repris l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985, prévoit que la commission est 'composée, en nombre égal, d'une part, de membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, d'autre part, de membres désignés par les organisations représentant les [utilisateurs de phonogrammes]'. L'article R. 214-1 énonce que ' La commission prévue à l'article L.214-4 siège soit en formation plénière, soit en formations spécialisées dans une ou plusieurs branches d'activités. Chacune de ces formations est présidée par le président de la commission et comprend un nombre égal de représentants des bénéficiaires du droit à rémunération et de représentants des utilisateurs de phonogrammes' et l'article R. 214-2 que 'Un suppléant est désigné dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L.214-4 pour chacun des représentants titulaires des organisations de bénéficiaires du droit à rémunération et d'utilisateurs de phonogrammes. Les membres suppléants de la commission n'assistent aux séances et ne participent aux délibérations qu'en cas d'absence du représentant titulaire qu'ils suppléent'
2: Mises en gras ajoutées.

.

Sauf à jouer sur le sens des mots, le représentant désigné par une organisation pour participer à une instance devient de facto un membre de cette instance. Au demeurant, l'article 2 du décret du 14 mars 1986, comme l'article R.214-2, reprennent in fine le terme de 'membres' pour désigner les suppléants appelés à remplacer les 'représentants titulaires'. Il n'y a donc pas de contradiction ni de confusion entre les articles1et 2 du décret n° 86-537 du 14 mars 1986 et les articles R.214-1et R.214-2 du code de la propriété intellectuelle, d'une part, et les dispositions des article 24 de la loi du 3 juillet 1985 et de l'article L.214-4 du code de la propriété intellectuelle, d'autre part. En outre, la composition paritaire de la commission, comprenant en nombre égal des membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération et des membres désignés par les organisations représentant les utilisateurs de phonogrammes, était de nature à garantir l'équilibre des intérêts en cause.

De ce qui précède, il résulte que les questions préjudicielles 2 et 5 ne présentent pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les questions 3, 6, 12 et 16

Les questions 3, 6, 12 et 16 portent sur la légalité des décisions prises par la commission en date des 9 septembre 1987 (question préjudicielle 3), 30 novembre 2001 (question préjudicielle 6), 5 janvier 2010 (question préjudicielle 12) et 30 novembre 2011 (question préjudicielle 16) au regard de l'absence de preuve de l'existence d'une partie des membres de cette commission ou de leur désignation.

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent ainsi que :

- les décision du 9 septembre 1987 et 30 novembre 2001 ont été prises par des commissions dont seuls trois membres avaient été nommés, respectivement par les arrêtés du 27 janvier 1987 et du 22 octobre 2001, la preuve de l'existence des 24 membres titulaires et suppléants et de la régularité des délibérations, alors que la commission ne peut siéger valablement que si les trois quarts de ses membres sont présents ou représentés, n'étant pas rapportée ;

- les décisions des 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011 ne visent pas les désignations des membres de la commission, à l'exception des arrêtés concernant son président, la preuve de l'existence des membres de la commission n'étant donc pas rapportée.

La SPRE oppose que cette contestation ne soulève pas une question de légalité, la preuve de l'existence des membres de la commission relevant du domaine de la justification d'un fait, et que les appelants ne contestent pas sérieusement que la commission s'est réunie, nécessairement avec des membres, dans les conditions légales garanties par la procédure dont le respect est certifié par la signature de son président.

Ceci étant exposé, la décision du 9 septembre 1987 a été prise au visa de l'arrêté du 27 janvier 1987 fixant la composition de la commission créée par l'article 24 de la loi du 3 juillet 1985. Cet arrêté a désigné M. [C], conseiller à la Cour de cassation, M. [B], maître des requêtes au Conseil d'Etat, et M. [L], inspecteur général de l'administration des affaires culturelles, mais a seulement mentionné le nombre de représentants de chacune des organisations professionnelles représentant les bénéficiaires du droit à rémunération et les bénéficiaires des utilisateurs de phonogrammes, sans citer les noms des personnes concernées.

L'absence de précisions quant à l'identité de ces membres ne peut toutefois constituer un motif susceptible de porter atteinte à la légalité de la décision de la commission, l'arrêté au visa duquel elle a été prise n'ayant pas apporté davantage de précisions quant à cette identité. En outre, comme le souligne la SPRE, le respect de la procédure tenant à la composition de la commission lors de l'adoption de la décision est garanti par la signature de son président. Enfin, le Conseil d'Etat, dans la décision précitée du 14 octobre 2019, a rejeté les requêtes des sociétés LUCAS et REGIEX PUBLICITE en retenant que les moyens 'tirés de ce que les membres de ladite commission n'ont pas été régulièrement nommés ne sont, en tout état de cause, pas de nature à affecter l'existence même des décisions attaquées'.

Ces considérations valent pour la décision du 30 novembre 2001 prise au visa de l'arrêté du 22 octobre 2001, dans les mêmes conditions.

La décision du 5 janvier 2010 a été prise aux visas de l'arrêté du 13 octobre 2008 portant nomination du président de la commission et de l'arrêté du 16 février 2009 portant composition de la commission. De même, la décision du 30 novembre 2011 a été prise aux visas de l'arrêté du 27 septembre 2011 portant nomination du président de la commission et de l'arrêté du 16 février 2009. L'arrêté du 16 février 2009, comme l'arrêté du 27 janvier 1987, mentionnent le nombre de représentants de chacune des organisation professionnelles représentant les bénéficiaires du droit à rémunération et les bénéficiaires des utilisateurs de phonogrammes, sans citer les noms des personnes concernées. Pour les raisons qui viennent d'être exposées, l'absence de précisions quant à l'identité de certains membres de la commission ne peut constituer un motif susceptible de porter atteinte à la légalité des décisions prises.

De ce qui précède, il résulte que les questions préjudicielles 3, 6, 12 et 16 ne présentent pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les questions 8, 9 et 14

Les questions 8, 9 et 14 portent sur la légalité des décisions prises par la commission en date des

30 novembre 2001 (questions préjudicielles 8 et 9) et 5 janvier 2010 (question préjudicielle 14) au regard des articles 432-12 et 432-14 du code pénal visant respectivement le délit de prise illégale d'intérêt et celui de favoritisme.

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent ainsi que :

- la décision du 30 novembre 2001, en son article 5 qui prévoit que 'les redevables sont tenus de fournir tout justificatif des éléments nécessaires au calcul de la rémunération aux bénéficiaires représentés par la (...) SPRE ou par une société de perception et de répartition des droits mandatée par elle. Le relevé des programmes diffusés est également transmis aux mêmes sociétés', viole l'article 432-12 du code pénal et encourt la nullité en ce que la SPRE, qui revendique avoir participé à la commission chargée d'établir les barèmes et les conditions de la gestion de la rémunération équitable et en être le personnage le plus influant, se confie ainsi à elle-même le soin d'administrer, de gérer et de liquider ladite rémunération ;

- la décision du 30 novembre 2001, en son article 5, viole aussi l'article 432-14 du code pénal et encourt la nullité en ce que la SPRE, seule destinataire des éléments de calcul de la rémunération, dispose d'un avantage concurrentiel évident pour procéder à la facturation de cette licence légale, à sa perception et à sa répartition, alors qu'aucun texte ne dispense la commission de procéder à une publicité et à une mise en concurrence ;

- la décision du 5 janvier 2010, en son article 7, en ce qu'elle confie, sans aucune publicité préalable ni mise en concurrence, à la SPRE ou à une société mandatée par elle, la mission de contrôler les éléments nécessaires au calcul de la rémunération et de recueillir le relevé des programmes diffusés, viole également les articles 432-12 et 432-14 du code pénal.

La SPRE répond à juste raison que l'élément constitutif des infractions invoquées relatif à la qualité des personnes visées par les infractions invoquées ne se retrouve pas en l'espèce. La SPRE n'est pas, en effet, 'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public' ou 'une personne investie d'un mandat électif public' au sens de l'article 432-12 du code pénal qui définit le délit de prise illégale d'intérêt, mais une société de droit privé chargée d'une fonction de gestion privée pour le compte de bénéficiaires de la rémunération équitable qui est de nature privée, ces bénéficiaires étant des personnes privées. En outre, la société LE BRONX et M. [E] n'explicitent pas en quoi la commission - qui est, comme il a été dit, composée à parts égales de représentants des organisations de bénéficiaires de la rémunération et de représentants des organisations d'utilisateurs de phonogrammes -, en prenant les décisions des 30 novembre 2001 et 5 janvier 2010 prévoyant notamment que les professionnels redevables fourniront à la SPRE les justificatifs des éléments nécessaires au calcul de la rémunération ainsi qu'un relevé des programmes diffusés, aurait commis un des actes définis par la disposition pénale précitée comme consistant à 'prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement'.

La SPRE n'est pas davantage 'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, d'un établissement public n'ayant pas le caractère industriel ou commercial, d'une collectivité territoriale ou d'un de ses établissements publics ou d'une société d'économie mixte' ni une 'personne agissant pour le compte de l'une de celles susvisées', au sens de l'article 432-14 du même code qui définit le délit de favoritisme.

Par ailleurs, dans son arrêt précité du 5 juillet 1989, le Conseil d'Etat a considéré que le ministre de la culture n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en retenant comme seul représentant des bénéficiaires du droit de rémunération, la SPRE qui regroupe en son sein les organisations les plus représentatives des bénéficiaires du droit de rémunération.

De ce qui précède, il résulte que les questions préjudicielles 8, 9 et 14 ne présentent pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les questions 10, 13 et 17

Les questions 10, 13 et 17 portent sur la légalité des décisions prises par la commission en date des 30 novembre 2001 (question préjudicielle 10), 5 janvier 2010 (question préjudicielle 13) et 30 novembre 2011 (question préjudicielle 17) au regard du fait que le barème de la rémunération fixé ne comporte pas de pondération en fonction de l'utilisation effective des phonogrammes, en violation des articles L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 12 de la convention internationale sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961.

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent ainsi que les articles 1 alinéa 1 des décisions des 30 novembre 2001, 5 janvier 2010 et 30 novembre 2011, qui assujettissent à la rémunération équitable les entreprises exerçant une activité de discothèque ou établissement similaire ou les établissements exerçant une activité de café et restaurant (dont restauration rapide) qui diffusent une musique de sonorisation constituant une composante accessoire à l'activité commerciale, sur la totalité de leurs recettes brutes, sans prise en compte de la réalité de la diffusion de phonogrammes du commerce et de l'importance de cette diffusion éventuelle au regard du chiffre d'affaires de l'entreprise et de ses différentes composantes, en omettant de tenir compte des critères de la rémunération équitable tels qu'issus de l'article 12 de la convention du 26 octobre 1961 et de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, pourraient constituer un excès de pouvoir et encourir à ce titre la critique de l'illégalité.

La SPRE objecte qu'il n'est pas justifié en quoi il y aurait violation des dispositions légales et conventionnelles invoquées, compte tenu notamment du taux fixé et des modes de calcul de la rémunération, rappelant que les barèmes ont été fixés par la commission qui est composée à parité entre représentants des bénéficiaires de la rémunération et représentants des redevables.

Cependant, les décisions critiquées ont été prises par une commission composée à parité entre représentants des bénéficiaires de la rémunération équitable et représentants des redevables de cette rémunération et au visa de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit que la rémunération équitable 'est assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement dans les cas prévus à l'article L. 131-4" et les décisions critiquées n'ont pu y ajouter en prévoyant une pondération en fonction du niveau d'utilisation effective des phonogrammes du commerce ou du matériel de sonorisation.

Il en résulte que les questions préjudicielles 10, 13 et 17 ne présentent pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur la question 7

La question 7 porte sur la légalité de la décision du 30 novembre 2001 prise par la commission comprenant en son sein M. [T], chargé de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles, nommé à titre de personnalité qualifiée par le ministre de la culture, et à ce titre subordonné à ce dernier, au regard des articles L. 214-3 et L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle et 432-12 du code pénal.

La qualité de M. [T] de chargé de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles ne constituait pas un obstacle à sa désignation par le ministre de la culture en tant que personnalité qualifiée, conformément à l'article L. 214-4 dans sa version alors applicable, étant relevé que les appelants ne caractérisent nullement la prise illégale d'intérêt qui aurait été ainsi recherchée par le ministre de la culture, le montant des rémunérations équitables ne bénéficiant qu'aux artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes.

La question préjudicielle 7 ne présente donc pas la difficulté sérieuse exigée par l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile et il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de transmission au Conseil d'Etat des questions préjudicielles et de sursis à statuer.

Sur la demande de la société LE BRONX et M. [E] de mise en oeuvre de l'article 40 du code de procédure pénale

La société LE BRONX et M. [E] soutiennent que le juge de la mise en état a constaté l'existence d'actes qui n'existent pas pour fonder sa décision, ce qui leur paraît tomber sous le coup des articles du code pénal réprimant le faux en écriture publique et l'abus d'autorité par personne dépositaire de l'autorité agissant dans l'exercice de ses fonctions. Ils demandent, en conséquence, à la cour de transmettre le dossier au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

La SPRE estime que la demande est révélatrice de la grave altération de l'exercice des voies de recours par les appelants.

La société LE BRONX et M. [E] font grief au juge :

- d'avoir évoqué l'existence d'un acte par lequel la SPRE a désigné ses représentants au sein de la commission, acte non produit aux débats et en réalité inexistant (page 8 de l'ordonnance),

- d'avoir indiqué que les décisions fixant la rémunération ont été prises par une commission composée conformément à son texte constitutif, ce qui implique qu'il ait constaté l'existence des membres de la commission, de leur convocation conforme et du quorum permettant leur délibération, alors que ces actes sont en réalité inexistants (page 8 de l'ordonnance),

- d'avoir désanonymisé un arrêt du Conseil d'Etat cité dans l'ordonnance 'dans un seul but de nuire à l'avocat de la société LE BRONX', ce qui 'atteste encore plus de son intention coupable',

- de s'être référé à deux arrêts du Conseil d'Etat qui n'abordent aucune des problématiques soulevées dans le présent contentieux pour conclure à l'absence de sérieux des questions préjudicielles dont la transmission était sollicitée.

Les critiques des appelants portent ainsi exclusivement sur le contenu juridictionnel de la décision dont ils ont interjeté appel. Si ces critiques ressortissent à la liberté de tout justiciable de contester une décision de justice qui ne lui est pas favorable, cette liberté doit trouver son expression dans l'exercice des voies de recours qui sont ouvertes et ne peut conduire à la mise en cause du magistrat rédacteur en raison d'agissements de nature pénale.

La demande de transmission du dossier au procureur de la République sera en conséquence rejetée.

Sur le caractère abusif de la procédure

La SPRE demande la réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande pour procédure abusive et sollicite en outre la condamnation des appelants à lui verser, à ce titre, une somme de 5 000 € pour la procédure d'appel.

La société LE BRONX et M. [E] opposent à juste raison qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état, dont les pouvoirs sont limitativement énumérés aux articles 780 à 797 du code de procédure civile, de condamner à une indemnité pour procédure abusive.

L'ordonnance sera donc confirmée de ce chef et la demande formée au titre de la procédure d'appel par la SPRE sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société LE BRONX, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance.

En équité, la société LE BRONX paiera à la SPRE la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dispositions de l'ordonnance déférée sur les dépens et les frais irrépétibles sont confirmées.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande indemnitaire de la SPRE pour procédure abusive au titre de la procédure d'appel,

Rejette la demande de la société LE BRONX et M. [E] de transmission du dossier au procureur de la République,

Condamne la société LE BRONX aux dépens, qui seront recouvrés par la SELARL BDL AVOCATS conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la SPRE de la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/04495
Date de la décision : 10/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°20/04495 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-10;20.04495 ?
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