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10/11/2020 | FRANCE | N°19/16977

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 10 novembre 2020, 19/16977


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 10 NOVEMBRE 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16977 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CATGW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/08452



APPELANTS :



Monsieur [D] [L] né le [Date naissance 5] 1933 à [Localité 15] (Algérie) décédé

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Monsieur [P] [L] né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 19] (Maroc)



[Adresse 16]

FCI MIami - Federal Correctionnal Institution

[Adresse 16]

[Localité 9]

ETATS-UNIS



représen...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16977 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CATGW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/08452

APPELANTS :

Monsieur [D] [L] né le [Date naissance 5] 1933 à [Localité 15] (Algérie) décédé

Monsieur [P] [L] né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 19] (Maroc)

[Adresse 16]

FCI MIami - Federal Correctionnal Institution

[Adresse 16]

[Localité 9]

ETATS-UNIS

représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : L0020

assisté de Me Félix de BELLOY et Me Franck POINDESSAULT, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R191

Monsieur [O] [Z] né le [Date naissance 2] 1934 à [Localité 18] (22)

[Adresse 3]

[Localité 13]

représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant assisté de Me Félix de BELLOY et Me Franck POINDESSAULT, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R191

Madame [V] [J] née [H] née le [Date naissance 7] 1942 à [Localité 17] (Maroc)

[Adresse 12]

[Localité 14]

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : L0020

assistée de Me Félix de BELLOY et Me Franck POINDESSAULT, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R191

PARTIE INTERVENANTE :

Madame [E] [N] née le [Date naissance 8] 1951 à [Localité 19] (Maroc)

[Adresse 6]

[Localité 20]

ISRAEL

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMES :

SAS CDR CREANCES

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 11]

[Localité 13]

représentée par Me Stéphane BONIFASSI et de Me Elena FEDOROVA, avocats du barreau de PARIS, toque : A619

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL

[Adresse 10]

[Localité 13]

représenté à l'audience par Mme BOUCHET GENTON, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

M. François MELIN, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.

FAITS ET PROCEDURE

Par un contrat du 10 mai 1991, la SDBO, filiale du Crédit lyonnais, aux droits de laquelle se trouve la société CDR Créances, a consenti un prêt de 87.855.000 USD, ultérieurement porté à 92.533.000 USD, à la société de droit américain Euro-American Lodging Corporation (EALC) constituée par M. [D] [L], de nationalité espagnole, afin de financer l'acquisition et la restructuration d'un immeuble à New York.

La société EALC n'ayant pas honoré les échéances du prêt, elle a été condamnée par un arrêt définitif de cette cour du 12 février 2003 à payer la somme de 95.837.522 USD correspondant aux sommes impayées augmentées des taxes versées à l'Etat de New York.

La société CDR Créances a engagé plusieurs actions en responsabilité contre les personnes physiques et les sociétés qu'elle estimait responsables de ce défaut.

Elle a notamment agi contre M. [Y] et les sociétés de son groupe qu'elle accusait d'avoir participé à la vente frauduleuse de l'immeuble litigieux. Les parties ont transigé le 12 juillet 2007. La société CDR Créances s'est désistée de ses actions contre M. [Y], les membres de sa famille et ses sociétés et a cédé, le 12 juillet 2007, à une société du groupe [Y] sa créance sur EALC moyennant le prix de 105.000.000 USD, tout en déclarant conserver le bénéfice des actions en responsabilité délictuelle contre M. [D] [L], les membres de sa famille et son groupe.

En avril et mai 2006, la société CDR Créances a engagé une action en responsabilité devant les juridictions américaines contre M. [D] [L], Mme [E] [L], M. [P] [L], M. [O] [Z] et Mme [V] [H], épouse [J], qu'elle accusait de s'être livrés à des manoeuvres frauduleuses, notamment à l'aide de sociétés-écrans, afin de détourner les sommes prêtées.

Par une décision du 16 septembre 2011, la cour suprême de l'Etat de New York a condamné M. [P] [L], M. [D] [L], M. [O] [Z] et Mme [H], épouse [J], à payer à la société CDR Créances, venant aux droits de la SDBO, la somme de 135.359.331, 39 dollars avec intérêts au taux réglementaire à compter du 12 juillet 2007 pour un montant de 50.965.569, 62 dollars outre les coûts et dépens pour un montant de 400 dollars, soit au total la somme de 186.325.301, 01 dollars.

Ce jugement a été confirmé par la division des appels de la cour suprême de l'Etat de New York le 27 décembre 2012 puis par un arrêt du 8 mai 2014.

La société CDR Créances a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'exequatur du jugement du 16 septembre 2011.

Par un jugement du 15 novembre 2017, le tribunal a :

- déclaré exécutoire sur le territoire français le jugement rendu le 16 septembre 2011 par la cour suprême de l'Etat de New York ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné M. [P] [L], M. [D] [L], M. [Z] et Mme [H], épouse [J], à payer la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens, dont distraction au profit de Maître Stéphane Bonifassi.

M. [P] [L], M. [Z], Mme [H], épouse [J], M. [D] [L] ont formé appel le 11 décembre 2017.

[D] [L] est décédé le [Date décès 4] 2017.

PRETENTIONS

Par des conclusions du 23 septembre 2020, les appelants demandent à la cour de:

- constater le décès de M. [D] [L] intervenu le [Date décès 4] 2017 ;

- constater que Mme [E] [N], épouse [L], reprend l'instance, de manière volontaire, en qualité d'héritière de [D] [L] ;

- constater que Mme [E] [N], épouse [L], interviendra aux côtés de M. [P] [L], Mme [V] [J] et M. [O] [Z], co-appelants ;

Au fond,

- infirmer le jugement du 15 novembre 2017 ;

A titre principal,

- juger que la créance de la société CDR Créances a été intégralement acquittée;

- juger que cette société ne justifie pas d'un intérêt à agir ;

- juger que la demande en exequatur est irrecevable ;

A titre subsidiaire et en tout état de cause,

- juger que la décision du 16 septembre 2011 rendue par la Cour Suprême de l'Etat de New- York est en contradiction avec l'ordre public international français ;

En tout état de cause,

- condamner la société CDR Créances à payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par des conclusions du 29 septembre 2020, la société CDR Créances demande à la cour de :

En principal,

- juger l'intervention volontaire de Mme [E] [L] dans la présente procédure irrecevable faute de qualité à agir ;

- constater que le jugement du 15 novembre est devenu définitif à l'égard de [D] [L] ;

Subsidiairement,

- prononcer la disjonction d'instance à l'égard de M. [D] [L] ;

- constater l'absence de diligences entreprises par M. [P] [L], Mme [V] [H], épouse [J], M. [O] [Z] et/ou les héritiers de [D] [L] aux fins de la reprise de la présente instance ;

- prononcer en conséquence la radiation de l'affaire du rôle à l'égard de [D] [L] ;

En tout état de cause,

- constater la poursuite de la présente instance introduite par [D] [L], M. [P] [L], Mme [V] [H], épouse [J], M. [O] [Z] à l'égard de M. [P] [L], Mme [V] [J] [H], M. [O] [Z] ;

A titre principal au fond,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 15 novembre 2017 ;

- condamner solidairement M. [P] [L], Mme [V] [H], épouse [J], et M. [O] [Z] à payer la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement M. [P] [L], Mme [V] [H], épouse [J], et M. [O] [Z] aux dépens, en ce compris les frais de traduction des documents produits, dont distraction au profit de Maître Stéphane Bonifassi.

MOTIFS

1) Sur l'irrecevabilité de Mme [E] [N]

La déclaration d'appel a été établie aux noms de MM. [D] [L], [P] [L], et [O] [Z] et de Mme [V] [H], épouse [J].

[D] [L] est décédé le [Date décès 4] 2017.

Par un arrêt du 25 juin 2019, la cour a constaté l'interruption de l'instance, ordonné la radiation de l'affaire et dit qu'elle sera rétablie sur la justification par la partie la plus diligente de l'intervention volontaire ou forcée des héritiers de [D] [L].

Par des conclusions du 20 juin 2020, Mme [E] [N] a indiqué intervenir volontairement dans la procédure.

La société CDR Créances demande à la cour de juger cette intervention volontaire irrecevable en l'absence de qualité à agir de Mme [E] [N], celle-ci ne démontrant pas sa qualité d'héritière de [D] [L].

Mme [E] [N] répond qu'elle était l'épouse de ce dernier et donc qu'elle est son héritière, de sorte qu'elle peut intervenir volontairement dans la procédure et reprendre l'instance, peu important qu'elle accepte ou non par la suite la succession.

L'article 370 du code de procédure civile dispose qu'à compter de la notification qui est en faite à l'autre partie, l'instance est interrompue par le décès d'une partie dans les cas où l'action est transmissible.

En application de l'article 373 du même code, l'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense.

Pour établir sa qualité d'héritière, Mme [E] [N] se réfère uniquement à l'acte de transcription, daté du 23 novembre 1965, sur le registre civil du service consulaire espagnol de son mariage célébré avec [D] [L] le 16 septembre 1962 par un tribunal rabbinique.

Cet acte, dressé il y a près de 55 ans, ne permet toutefois pas d'établir la qualité d'ayant droit de [D] [L].

Mme [E] [N] ne démontre donc pas son intérêt à agir, au sens de l'article 31 du code de procédure civile, et est donc irrecevable en son intervention. L'instance reste ainsi interrompue à l'égard des héritiers de [D] [L], conformément à l'arrêt du 25 juin 2019.

La société CDR Créances demande qu'il soit jugé en conséquence que le jugement a un caractère définitif à l'égard de [D] [L], en l'absence de reprise de l'instance par un héritier. Cette demande est cependant rejetée. En application des articles 372 et 373 du code de procédure civile, l'instance est en effet interrompue par le décès d'une partie tant qu'elle n'est pas reprise volontairement ou par voie de citation. Or, l'instance n'a pas été reprise.

En application de l'article 376 du code de procédure civile, la cour invite la société CDR Créances à mettre en cause par voie de citation les héritiers de [D] [L] dans un délai de six mois. A défaut, l'affaire sera radiée à leur égard.

2) Sur l'intérêt à agir de la société CDR Créances

L'article 31 du code de procédure dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

Les appelants soutiennent que la société CDR Créances n'a pas d'intérêt à demander l'exequatur du jugement rendu le 16 septembre 2011 par la cour suprême de l'Etat de New York car il aurait déjà obtenu le remboursement de sa créance due au titre du prêt 10 mai 1991, à la fois pour le principal et les intérêts et car il a même bénéficié d'un trop perçu de 9 millions d'euros.

Toutefois, les éléments évoqués par les appelants visent le fond du litige et la contestation du droit reconnu à la société CDR Créances par le juge américain et n'affectent pas l'intérêt de cette société à demander l'exequatur du jugement considéré.

3) Sur les conditions de l'exequatur

En application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, le juge français doit, en l'absence de convention internationale et de règlement européen, s'assurer que trois conditions sont remplies, à avoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude. Toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux.

Sur l'allégation de fraude à la compétence française

Les appelants soutiennent qu'il y a eu fraude à la compétence française car le contrat de prêt conclu le 10 mai 1991 et la cession de créance du 12 juillet 2007 étaient régis par le droit français et relevaient de la compétence du juge français et que la société CDR Créances a néanmoins saisi le juge américain.

Néanmoins, la cour relève, en premier lieu, comme l'a retenu à juste titre le tribunal de grande instance de Paris, que la cour suprême de l'Etat de New York a jugé qu'elle était saisie non pas d'une action fondée sur le contrat de prêt mais d'une action en responsabilité délictuelle pour fraude et que l'exception d'incompétence fondée sur la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de prêt devait dès lors être rejetée.

En second lieu, l'allégation des appelants a pour objet, en réalité, de contester la compétence du juge américain saisi en se référant au fond du litige mais ne fait pas état d'éléments évoquant une fraude dans sa saisine.

Sur l'allégation de fraude à la loi française

Les appelants soutiennent l'existence d'une fraude à la loi française car le juge américain aurait en réalité statué sur le remboursement du prêt et sur la qualification des sommes réclamées, alors que l'article 9 du contrat de cession de créance donnait compétence à la loi française.

Toutefois, ils se bornent à contester, en réalité, la décision prise par le juge américain sur le fond, sans faire état d'éléments de nature à démontrer l'existence d'une fraude à la loi française.

Sur l'allégation de fraude au jugement

Les appelants allèguent l'existence d'une fraude au jugement en faisant notamment valoir que:

- suite à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 février 2003, la société CDR Créances a fait croire au juge américain que les sommes retenues par cet arrêt pouvaient être prises en compte deux fois, au principal puis pour le calcul des intérêts, ce qui a conduit à multiplier la créance par deux, à hauteur de 212 millions de dollars ;

- la société CDR Créances s'est affranchie du fait qu'il fallait appliquer le taux d'intérêt légal français comme l'a prévu cet arrêt ;

- suite à la liquidation de la société EALC, la société CDR Créances a demandé au juge américain la condamnation de [D] [L] à rembourser la dette de cette société;

- la société CDR Créances a pourtant cédé sa créance le 12 juillet 2007, ce qui a eu pour effet d'éteindre sa créance, mais elle n'a pas révélé l'existence et le contenu de cette cession et a affirmé n'avoir jamais reçu paiement devant le juge américain au cours de la procédure du mois de mai 2008 ;

- au cours de la procédure ayant conduit au jugement du 16 septembre 2011, le contrat de cession de créance a certes été versé aux débats mais les appelants n'ont pas été entendus dans le cadre d'une procédure 'for default';

- la société CDR Créances a alors imposé une interprétation mensongère de cette cession de créance en faisant croire qu'elle opérait un simple paiement partiel, ce qui a conduit le juge américain, qui a ainsi été trompé, à retenir que le prêt est demeuré largement impayé ;

- la société CDR Créances a donc demandé au juge américain et obtenu le paiement du prêt du 10 mai 1991, malgré la cession de créance, alors qu'elle n'avait plus aucun droit, et après avoir persuadé le juge américain que sa créance avait une nature délictuelle et non contractuelle ;

- la société CDR Créances a ainsi fait en sorte que le juge américain ne se pose pas la question de la réalité de son préjudice ;

- en définitive, la société CDR Créances a demandé au juge américain le paiement du prêt, à propos duquel il n'avait pourtant plus de droit.

La cour relève toutefois que :

- le jugement du 16 septembre 2011 a été précédé par une ordonnance du 20 janvier 2011 et une ordonnance du 2 août 2011, les appelants indiquant eux-mêmes que le jugement constitue l'aboutissement exécutoire et chiffré de cette dernière ;

- l'ordonnance du 20 janvier 2011 indique que la procédure a été engagée par la société CDR Créances en vue d'obtenir une indemnisation pour faux témoignage, subornation de témoins et fausses déclarations de témoins faites sous serment. Cette décision, qui compte dix-huit pages, présente un historique, de cinq pages, de l'affaire, en faisant notamment état du prêt du 10 mai 1991 à la société EALC. Elle précise, sur près de cinq pages, les faits d'entrave à l'exercice de la justice et de fraude que la juridiction impute à MM. [D] et [P] [L], à Mme [H], épouse [J], à Mme [E] [N] et à M. [Z], à savoir les faits de faux témoignages et de subornation de témoins, la falsification de documents et d'attestations, et le mépris d'ordonnances de communication de pièces ;

- l'ordonnance du 22 août 2011, qui compte dix pages, porte notamment sur le calcul des dommages et intérêts dûs et indique que les arguments soulevés par MM. [D] et [P] [L], Mme [H], épouse [J], et M. [Z] ont été examinés mais qu'ils constituaient une tentative de plaider à nouveau des aspects déjà jugés dans des procédures antérieures. Elle ajoute que la cession de dette n'interdit pas à la société CDR Créances de poursuivre une action en responsabilité délictuelle et que l'argumentaire de MM. [D] et [P] [L], Mme [H], épouse [J], et M. [Z] selon lequel la somme de 130 millions de dollars doit leur être créditée suite à cette cession est infondé. L'ordonnance précise enfin que le complot que ceux-ci ont exercé en vue d'escroquer la société CDR Créances ne justifie pas une condamnation à des dommages et intérêts punitifs;

- le jugement du 16 septembre 2011 condamne MM. [D] et [P] [L], Mme [H], épouse [J], et M. [Z] à payer, notamment, une somme de 135 359 331, 39 dollars, en se référant aux deux ordonnances du 20 janvier et 22 août 2011 ;

- ce jugement a été confirmé par une décision, de trente-quatre pages, de la cour suprême de New York du 27 décembre 2012 puis par une seconde décision de cette même juridiction du 8 mai 2014, de vingt-cinq pages.

Il en résulte que le juge américain a examiné à différentes reprises l'affaire et a distingué les aspects contractuels, liés à la conclusion du contrat de prêt et à la cession de créance, des conséquences des comportements imputés à MM. [D] et [P] [L], Mme [E] [N], Mme [H], épouse [J], et M. [Z] en termes d'entrave à la justice et de fraude qu'elle a sanctionnés dans ses décisions.

Par ailleurs, si les appelants soutiennent que la société CDR Créances a commis une fraude au jugement, ils ne démontrent pas l'existence de manoeuvres frauduleuses mais font état d'éléments qui tendent en réalité à contester l'appréciation qui a été faite du dossier par le juge américain, alors pourtant que toute révision du jugement étranger est proscrite en matière d'exequatur.

Sur l'allégation de contrariété à l'ordre public pour violation des droits de la défense

Les appelants soutiennent que le jugement du 16 septembre 2011 heurte l'ordre public de procédure en ce qu'il a été prononcé par défaut, que les demandes de la société CDR Créances ont été accueillies sans examen de leurs moyens, qu'aucune audience n'a eu lieu quant à la détermination du préjudice de cette société et qu'il y a donc eu violation des droits de la défense.

L'exception d'ordre public international français intègre certes le respect des droits de la défense.

Il n'est pas contesté que l'ordonnance du 20 janvier 2011 a mis en oeuvre une procédure par défaut ('by default') conformément aux règles de procédure civile locales, après avoir caractérisé les entraves à la justice, qui justifiaient son application, imputables aux mis en cause.

Toutefois, cette procédure n'est pas contraire à l'ordre public international français, dès lors qu'elle se borne à sanctionner des entraves répétées à la justice, dont il a été indiqué précédemment qu'elles ont été répertoriées de manière détaillée par cette ordonnance du 20 janvier 2011, que l'acte introductif d'instance a bien été signifié à MM. [D] et [P] [L], à Mme [H], épouse [J], et à M. [Z] et qu'il n'est pas contesté qu'ils étaient représentés dans les différentes procédures par un avocat.

Sur l'allégation de contrariété à l'ordre public pour violation de l'obligation de motivation

Les appelants soutiennent que les ordonnances des 20 janvier et 22 août 2011 ne comportent aucune motivation quant à la réalité des fautes reprochées, quant au montant de la condamnation et quant au lien entre ces fautes et la condamnation.

Toutefois, l'ordonnance du 20 janvier 2011 indique de façon détaillée (pages 9 et suivantes) les manquements reprochés à MM. [D] et [P] [L], à Mmes [H], épouse [J], et [E] [N] et à M. [Z], en distinguant les rôles et agissements de chacun d'eux, contrairement à ce que les appelants soutiennent.

L'ordonnance du 22 août 2011, quant à elle, traite (pages 5 et suivantes) du montant du préjudice, en précisant que la charge de la preuve de ce montant pesait sur la société CDR Créances (page 6) et qu'au regard des pièces volumineuses produites, le juge est en mesure de déterminer le montant dû sans nécessité d'une audience sur cet aspect (page 6), étant relevé que l'ordonnance précise que les arguments des défendeurs, y compris celui relatif à la cession de créance, ont été pris en considération face aux demandes de la société CDR Créances (page 7) et que ces demandes reposaient sur un calcul erroné des intérêts (pages 6-7).

L'existence d'une contrariété à l'ordre public international en raison d'une insuffisance de la motivation n'est donc pas établie, l'argumentaire des appelants tendant en réalité à contester, sur le fond, leur condamnation, alors pourtant que la révision du jugement dont l'exequatur est demandé est interdite.

Sur l'allégation de contrariété à l'ordre public de fond

Les appelants soutiennent que le jugement du 16 septembre 2011 constitue une violation du principe indemnitaire puisqu'il les condamnent au paiement d'une somme qui a été cédée et sur laquelle la société CDR Créances n'avait plus aucun droit, que cette société ne justifie pas de l'assiette de la condamnation, qu'elle ne justifie pas de son préjudice délictuel sauf par référence à sa créance contractuelle, que la condamnation n'établit aucun lien de causalité entre la faute et le préjudice, que la sanction n'est pas mesurée au regard de la faute, qu'en dehors des fautes procédurales qui leur sont reprochées, le jugement ne décrit pas d'agissements fautifs de Mmes [H], épouse [J], et [E] [N] et de M. [Z], et que la question du préjudice né des fautes délictuelles de [D] [L] n'est pas envisagée par le jugement.

Toutefois, ainsi qu'il l'a été relevé précédemment, les ordonnances du 20 janvier et du 2 août 2011 ont examiné de manière approfondie les manquements reprochés aux défendeurs à ces procédures ainsi que la question du montant du préjudice subi par la société CDR Créances, en écartant certaines de ses prétentions et après avoir examiné l'argumentaire des défendeurs.

Or, l'allégation de contrariété à l'ordre public de fond tend uniquement à mettre en cause, sur le fond, ces appréciations du juge américain, au mépris du principe d'interdiction de la révision du jugement étranger dont l'exequatur est sollicité.

**

Au regard de ce qui précède, le jugement du 15 novembre 2017 est donc confirmé.

4) Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Les appelants, qui succombent, sont condamnés in solidum à payer à la société CDR Créances la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Leur demande formée au titre de ce même article est quant à elle rejetée.

5) Sur les dépens

Les appelants, qui succombent, sont condamnés in solidum à payer les dépens.

PAR CES MOTIFS

Déclare Madame [E] [N] irrecevable en son intervention volontaire ;

Invite la société CDR Créances à mettre en cause par voie de citation les héritiers de [D] [L] dans un délai de six mois ;

Dit qu'à défaut, l'affaire sera radiée à leur égard ;

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 15 novembre 2017 ;

Condamne M. [P] [L], M. [O] [Z], Mme [V] [H], épouse [J], et Mme [E] [N] à payer in solidum à la société CDR Créances la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes formées par les parties ;

Condamne in solidum M. [P] [L], M. [O] [Z], Mme [V] [H], épouse [J], et Mme [E] [N] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 19/16977
Date de la décision : 10/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°19/16977 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-10;19.16977 ?
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