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29/10/2020 | FRANCE | N°20/01972

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 29 octobre 2020, 20/01972


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANÇAIS

délivrées le :13/11/2020AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRET DU 29 OCTOBRE 2020



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01972 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBR33



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Janvier 2020 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/01315





APPELANTES



S.A. BGFIBANK RDC SA

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Représentée par Me Benjamin VAN GAVER de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, a...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANÇAIS

délivrées le :13/11/2020AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRET DU 29 OCTOBRE 2020

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01972 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBR33

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Janvier 2020 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/01315

APPELANTES

S.A. BGFIBANK RDC SA

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Benjamin VAN GAVER de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

S.A. BGFI HOLDING CORPORATION SA

[Adresse 4]

[Localité 7] GABON

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me Benjamin VAN GAVER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

INTIMÉ

Monsieur [S] [Z] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me William BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : R143

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Christophe ESTEVE, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur François LEPLAT ,président

Monsieur Christophe ESTEVE, conseiller

Monsieur Didier MALINOSKY, Magistrat Honoraire

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christophe ESTEVE, conseiller pour le président empêché et par Clémentine VANHEE, greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 13 décembre 2018, M. [S] [Z] [Y] a fait assigner la société de droit étranger BGFI Holding Corporation SA et la société de droit étranger BGFIBANK RDC SA devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement des sommes de 1.500.000 euros et de 500.000 euros en réparation de ses préjudices, outre 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 10 décembre 2019, les défenderesses ont soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance de Paris au profit des juridictions congolaises ou gabonaises et sollicité le paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, M. [S] [Z] [Y] concluant en réplique au rejet de cette exception.

M. [S] [Z] [Y], de nationalité congolaise, expose qu'il a été salarié de la société BGFIBANK RDC SA, de nationalité congolaise, depuis le 2 novembre 2015 et qu'il a exercé son activité professionnelle à [Localité 5] en République démocratique du Congo.

Il explique avoir dû quitter son pays précipitamment après avoir été agressé et menacé de mort par le directeur général de la banque en mai 2017, d'autant que la direction des deux banques serait liée au pouvoir en place.

Arrivé en France, M. [S] [Z] [Y] a obtenu le statut de réfugié. Il estime en conséquence pouvoir agir à l'encontre de son ancien employeur devant les juridictions françaises sur le double fondement de l'article 14 du code civil et de l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951.

Par ordonnance entreprise du 14 janvier 2020 le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

Rejeté l'exception d'incompétence,

Renvoyé l'affaire à la mise en état selon le calendrier suivant :

- conclusions en défense avant le 15 mars 2020,

- conclusions éventuelles en demande avant le 15 mai 2020,

- conclusions du ministère public avant le 1er juin 2020, et

- conclusions éventuelles en réplique avant le 10 juin 2020,

Renvoyé à la mise en état du 16 juin 2020 à 14h30 pour fixation des dates de clôture et de plaidoiries,

Réservé les dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 3 mars 2020 par la société de droit étranger BGFI Holding Corporation SA et la société de droit étranger BGFIBANK RDC SA ;

Vu la requête aux fins d'assignation à jour fixe du 3 mars 2020 et l'ordonnance du 2 juin 2020 autorisant à assigner pour l'audience du 11 septembre 2020 à 13h30 ;

Vu l'assignation à jour fixe du 19 juin 2020 ;

Vu les dernières écritures signifiées le 3 septembre 2020 par lesquelles la société BGFI Holding Corporation SA et la société BGFIBANK RDC SA demandent à la cour de :

Vu l'article 14 du Code civil,

Vu l'article 130 du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires de la République démocratique du Congo,

Vu l'article 397 alinéa 1 du Code de procédure civile gabonais,

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951,

INFIRMER l'ordonnance rendue le 14 janvier 2020 par le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris ;

Et statuant à nouveau :

DÉCLARER les juridictions françaises incompétentes pour connaître de ce litige, au profit des juridictions congolaises ou gabonaises ;

CONDAMNER M. [S] [Z] [Y] à payer à BGFI Holding Corporation SA et à BGFIBANK RDC SA la somme de 15.000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières écritures signifiées le 8 juillet 2020 au terme desquelles M. [S] [Z] [Y] demande à la cour de :

Vu l'article 14 du code civil,

Vu le principe du déni de justice,

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

CONFIRMER l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris rendue le 14 janvier 2020 ;

DÉBOUTER les appelantes de l'ensemble de leurs demandes ;

CONDAMNER les appelantes à payer à M. [S] [Z] [Y] la somme de 5.000 euros in solidum au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont déposées et à l'ordonnance déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception d'incompétence :

L'article 14 du code civil dispose que : "L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français."

Selon l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 : "Droit d'ester en justice

1. Tout réfugié aura, sur le territoire des Etats contractants, libre et facile accès devant les tribunaux.

2. Dans l'Etat contractant où il a sa résidence habituelle, tout réfugié jouira du même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux, y compris l'assistance judiciaire et l'exemption de la caution judicatum solvi.

3. Dans les Etats contractants autres que celui où il a sa résidence habituelle, et en ce qui concerne les questions visées au paragraphe 2, tout réfugié jouira du même traitement qu'un national du pays dans lequel il a sa résidence habituelle."

* * *

Au soutien de leur exception, les appelantes font valoir, d'une part, que M. [S] [Z] [Y] ne démontre pas le déni de justice et que, d'autre part, il ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 14 du code civil.

S'agissant du déni de justice, la société BGFI Holding Corporation SA et la société BGFIBANK RDC SA soutiennent tout d'abord que M. [S] [Z] [Y] ne démontre pas qu'il est dans l'impossibilité ni de fait, ni de droit, d'accéder au juge congolais ou gabonais ; que le juge français n'a pas à préjuger de la qualité supposée d'une juridiction étrangère lorsqu'il s'interroge sur sa compétence ; que la preuve n'est pas rapportée de prétendus liens entre elles et le pouvoir en place en République démocratique du Congo ; que des éléments qu'elles mettent aux débats sont en faveur de l'indépendance du système judiciaire de la République démocratique du Congo ; qu'en tout état de cause les juridictions gabonaises, indépendantes et impartiales, peuvent être saisies, les liens capitalistiques existants entre les banques appelantes et le Président du Gabon ou sa famille étant très minimes ;

Ensuite, sur le statut de réfugié dont M. [S] [Z] [Y] se prévaut, les sociétés appelantes objectent que la Convention de Genève n'impose certainement pas aux Etats signataires d'assimiler les réfugiés à leurs nationaux, son objet premier étant, sur ce point, de ne pas discriminer les réfugiés par rapport aux nationaux dans l'effectivité du droit d'ester en justice.

Elles considèrent, en l'espèce, que la qualité de réfugié de M. [S] [Z] [Y] ne constitue pas pour lui un lien de rattachement suffisant avec la France et qu'il ne rapporte aucune preuve des risques de représailles réelles et actuelles auxquels il prétend être exposé.

En ce qui concerne la revendication d'une application des dispositions de l'article 14 du code civil, la société BGFI Holding Corporation SA et la société BGFIBANK RDC SA soulignent que le texte de l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 selon lequel "tout réfugié jouira du même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux" diffère de celui de l'article 6 de la précédente Convention de Genève du 28 octobre 1933, qui prévoyait expressément que "Les réfugiés auront, dans les territoires des Parties contractantes, libre et facile accès devant les tribunaux. Dans les pays où ils ont leur domicile ou leur résidence régulière, ils jouiront, sous ce rapport, des mêmes droits et privilèges que les nationaux".

Elles en déduisent que cette différence de rédaction n'est pas fortuite et qu'ainsi la qualité d'étranger réfugié ne permet pas d'invoquer contre d'autres étrangers les règles accordant un privilège de juridiction aux ressortissants français.

Devant la cour, M. [S] [Z] [Y] se prévaut à titre principal des dispositions de l'article 14 du code civil et à titre subsidiaire du déni de justice.

Sur l'article 14 du code civil, il se réfère à l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et considère que les termes "même traitement qu'un ressortissant [français]" ne diffèrent en rien des dispositions antérieures prévues dans la Convention de Genève du 28 octobre 1933 et n'ont pas opéré une restriction de droits pour les réfugiés.

Il fait observer qu'il n'a pas contractuellement renoncé à ce droit et que celui-ci n'est pas non plus exclu par une convention bilatérale, au demeurant inexistante, entre la France et la République démocratique du Congo.

Il est constant que M. [S] [Z] [Y] n'a saisi aucune juridiction étrangère, congolaise ou gabonaise de ce litige et n'a donc pas implicitement renoncé au bénéfice des dispositions de l'article 14 du code civil.

Il résulte par ailleurs de la formulation de l'article 16 la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que le fait d'accorder à un réfugié le "même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux" doit s'interpréter en une égalité de traitement du réfugié étranger avec un Français au regard des dispositions de l'article 14 du code civil.

Dès lors, sur ce fondement, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un déni de justice à titre subsidiaire, la cour, confirmera, par substitution de motifs, l'ordonnance du juge de la mise en état entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il est équitable d'allouer à M. [S] [Z] [Y] une indemnité de procédure de 4.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme, en ses dispositions frappées d'appel, l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris entreprise,

Et y ajoutant,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum la société de droit étranger BGFI Holding Corporation SA et la société de droit étranger BGFIBANK RDC SA à payer à M. [S] [Z] [Y] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société de droit étranger BGFI Holding Corporation SA et la société de droit étranger BGFIBANK RDC SA aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELE CONSEILLER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 20/01972
Date de la décision : 29/10/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°20/01972 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-29;20.01972 ?
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