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27/10/2020 | FRANCE | N°18/08705

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 27 octobre 2020, 18/08705


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 27 OCTOBRE 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08705 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6CYA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 17/00249





APPELANTE



Madame [R] [T]

[Adresse 2]

[Localité

3]

Représentée par Me Marc-Robert HOFFMANN NABOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1364





INTIMÉE



SARL AXIUM IMMODONIA

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Samya BOUI...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 27 OCTOBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08705 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6CYA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 17/00249

APPELANTE

Madame [R] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Marc-Robert HOFFMANN NABOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1364

INTIMÉE

SARL AXIUM IMMODONIA

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne HARTMANN, Présidente de chambre

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre

Laurence DELARBRE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

La SARL Axium Immodonia, ci-après société Immodonia a engagé Madame [R] [T], née en 1984, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 janvier 2011, en qualité d'assistante, statut employé.

Par avenant au contrat de travail en date du 1er juillet 2011, Madame [T] a été promue gestionnaire de copropriété junior, statut cadre, soumise à un forfait jours de 218 jours pour une année. Puis, par avenant au contrat de travail en date du 1er avril 2015, elle est devenue gestionnaire de copropriété.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'immobilier.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Madame [T] s'élevait à la somme de 5.709,01 € ; l'employeur avançant pour sa part une rémunération de 4.741 €.

Par lettre recommandée datée du 2 mai 2016, Madame [T] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur visant en substance les manquements suivants :

- une surcharge de travail, la conduisant à accomplir des horaires importants l'empêchant de bénéficier des règles légales relatives aux durées minimales obligatoires de repos et aux durées maximales de travail, ce qui a compromis sa santé ;

- l'absence de règlement des heures supplémentaires et des repos compensateurs lui revenant ;

- un refus de lui communiquer les éléments lui permettant de vérifier que sa rémunération a été calculée conformément aux dispositions du contrat de travail ;

- un refus de lui payer l'intégralité de la rémunération variable lui revenant ;

- l'infraction de précompte commise par la société Immodonia et plus généralement l'absence de déclaration de Madame [T] au régime de retraite complémentaire obligatoire des cadres (AGIRC).

À cette date, Madame [T] avait une ancienneté de 5 ans et 4 mois.

La société Immodonia occupait à titre habituel moins de 11 salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Soutenant que la prise d'acte de la rupture doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, Madame [T] a saisi le 30 mai 2016 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement en date du 16 mai 2018 a statué comme suit :

- Déclare nulle la clause de non-concurrence ;

- Dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission ;

- Déboute Madame [T] du surplus de ses demandes ;

- Déboute la société Immodonia de ses demandes reconventionnelles ;

- Condamne Madame [T] aux dépens.

Par déclaration du 11 juillet 2018, Madame [T] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée à personne le 4 juillet 2018.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 24 septembre 2018, Madame [T] demande à la cour de :

- dire et juger Madame [T] recevable en ses demandes fins et prétentions ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 16 mai 2018 en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission ;

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 16 mai 2018 en ce qu'il a déclaré nulle la clause de non-concurrence ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 16 mai 2018 en ce qu'il débouté Madame [T] du surplus de ses demandes reconventionnelles ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 16 mai 2018 en ce qu'il a condamné Madame [T] aux dépens ;

en conséquence et statuant à nouveau :

- juger que la rémunération mensuelle moyenne de Madame [T] correspond à 5 .709,01€ ;

- juger que la prise d'acte de rupture de Madame [T] doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la Société Immodonia à régler les sommes suivantes à Madame [T] :

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 70.000,00 €

* indemnité légale de licenciement : 7.512,42 €

* indemnité compensatrice de préavis : 17.721,03 €

* congés payés afférents : 1.772,10 €

* dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat : 10.000,00 €

* rappel d'heures supplémentaires : 30.972,19 €

*congés payés afférents : 3.097,19 €

* rappel de salaire au titre des repos compensateurs : 4.054.38 €

* congés payés afférents : 405,43 €

* indemnité pour travail dissimulé : 35.442,06 €

* rappel de prime variable : 1.903,00 €

* congés payés afférents : 190 ,30 €

- juger la clause de non concurrence stipulée au contrat de Madame [T] est nulle ;

- condamner la société Immodonia à produire la totalité des tableaux récapitulatifs des vacations correspondant aux vacations réalisées en dehors des horaires de bureau sur les années 2014, 2015 et 2016 ;

- condamner la société Immodonia à remettre à Madame [T] les documents sociaux (Attestation Pôle emploi, Bulletins de salaire, Certificat de travail) rectifiés conformément à la décision à intervenir ;

- condamner la société Immodonia à fournir la preuve, sous une astreinte de 100 € par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir, la preuve du règlement de l'intégralité des cotisations sociales salariales et patronales dues en application du contrat de travail de Madame [T] ;

- condamner la société Immodonia à régler à Madame [T] 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

- condamner la société Immodonia aux entiers dépens, en ce compris des éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir ;

- débouter la société Immodonia de sa demande dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 24 décembre 2018, la SARL Immodonia demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

en tout état de cause :

- condamner Madame [T] à verser à la société Axium Immodonia la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er juillet 2020 et l'affaire fixée à l'audience de pladoirie du 8 septembre 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR:

Sur la demande en paiement des heures supplémentaires

Mme [T] pour infirmation du jugement déféré, soutient que la convention de forfait jours qui lui a été appliquée doit être déclarée nulle ainsi qu'il en a été jugé par la Cour de cassation s'agissant des dispositions relatives au forfait jours de la convention collective de l'immobilier, d'autant qu'au demeurant en sa qualité de gestionnaire de copropriété, elle relevait d'un forfait heure annualisé n'étant pas dirigeante et faute pour l'employeur d'avoir organisé dans la réalité un système permettant de contrôler l'amplitude de travail.

La société Axium Immodonia réplique que la convention de forfait est valable car elle répondait aux exigences légales applicables au moment où elle a été convenue et que l'invalidation des dispositions conventionnelles de forfait jours par la Cour de cassation est intervenue postérieurement à la rupture du contrat de travail. Elle ajoute qu'elle effectuait un contrôle des jours travaillés et des jours de repos, de sorte que le forfait annuel en jours est parfaitement valable et opposable à la salariée.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles. Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur. Enfin, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Il est de droit que les dispositions de l'article 9 de l'avenant n° 20 du 29 novembre 2000 relatif à l'ARTT, dans sa rédaction issue de l'avenant n° 20 bis du 6 novembre 2001 à la convention collective nationale de l'immobilier du 9 septembre 1988, qui, dans le cas de forfait en jours, se limitent à prévoir, s'agissant de la charge et de l'amplitude de travail du salarié concerné que l'employeur et l'intéressé définissent en début d'année, ou deux fois par an si nécessaire, le calendrier prévisionnel de l'aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l'année et établissent une fois par an un bilan de la charge de travail de l'année écoulée, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

Les règles relatives au forfait en jours sont d'ordre public et il incombe au juge de vérifier la régularité des conditions de recours à une telle convention.

En l'espèce, la nullité de la convention individuelle adossée à la convention collective de l'immobilier est encourue puisque que les conditions légales de conclusion ne sont pas réunies, ce qui préexistait nécessairement à la rupture du contrat de travail, de sorte qu'il importe peu que l'invalidation des dispositions de la convention soit intervenue postérieurement à celle-ci.

La cour observe en outre que si la société intimée fait valoir qu'elle effectuait un contrôle des jours travaillés et des jours de repos, elle n'en justifie pas.

Il en résulte que la convention de forfait en jours conclue avec Mme [T] à compter du 1er juillet 2011 est nulle, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués, de sorte que le décompte de la durée du travail doit être fait sur toute la période en litige selon les règles de droit commun.

***

Mme [T] réclame un rappel d'heures supplémentaires d'un montant de 30.972,19 euros majorés des congés payés afférents pour la période allant d'avril 2013 à janvier 2016.

La société intimée s'oppose à la demande en faisant valoir que l'appelante n'apporte pas un éclairage suffisant sur le calcul opéré en soulignant que le montant réclamé diffère de celui réclamé devant les premiers juges.

Aux termes de l'article L.3171-2 alinéa 1er du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Au soutien de sa demande, Mme [T] verse notamment aux débats les pièces suivantes :

- des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires effectuées en 2013, 2014, 2015 et 2016 (pièces 44,52,57,58) ;

- ses agendas 2013,2014,2015 et 2016 ;

- des PV d'assemblées générales de copropriétaires tenus le plus souvent à partir de 18 heures au cours des années 2013, 2014, 2015 et 2016.

Elle explique qu'il en résulte que ses journées de travail commençaient à 8 heures le matin et s'achevaient souvent vers 20 heures le soir, voire plus tard parfois lorsqu'elle animait des réunions de copropriétaires, estimant qu'il n'y a pas lieu de déduire les primes versées au cours de la relation de travail qui représentaient un intéressement au chiffre d'affaires.

Mme [T] produit ainsi des éléments précis permettant à l'employeur d'en débattre utilement.

La société intimée fait tout à la fois valoir que bon nombre d'heures supplémentaires ont été réglées à l'appelante par le biais des primes contractuelles et que les demandes de Mme [T] comportent des incohérences. Enfin, elle conteste le taux horaire appliqué par l'appelante.

Il est constant que le contrat de travail liant les parties dans son avenant du 1er avril 2012 prévoyait au profit de Mme [T] une participation au chiffre d'affaires sur les vacations facturées aux ensembles immobiliers en dehors des horaires d'ouverture du cabinet sur la base de 30% des honoraires facturés hors taxe, ainsi qu'une prime de 15% des honoraires annuels d'un immeuble en cas de participation de l'intéressée à la conclusion d'un mandat de syndic.

Il est toutefois de droit que les heures supplémentaires doivent être payées en tant que telles et que le versement de primes ne peut en tenir lieu de règlement, c'est donc en vain que l'employeur soutient que Mme [T] a été payée des heures supplémentaires qu'elle réclame par les primes précitées prévues à son contrat de travail.

C'est à juste titre en revanche que l'employeur relève que le taux horaire retenu par Mme [T] dans ses calculs était erroné et qu'il y avait lieu de tenir compte des taux horaires de base suivants, pratiqués sur les fiches de paye sans contestation, pour appliquer les majorations de 25% et de 50%:

-17,80 euros pour 2013,

-19,12 euros pour 2014,

-23,08 euros pour 2015,

-23,08 euros pour 2016.

La cour constate que la société intimée ne produit aucun élément de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par Mme [T].

La cour observe que les décomptes d'heures établis par la salariée ne sont pas contredits par l'attestation d'une autre salariée Mme [E] produite par l'employeur, qui rapporte qu'elle « co-voiturait » avec Mme [T] et qu'elles arrivaient plutôt vers 9 heures 15/9 heures 30 sauf en cas de réunions de chantiers tôt le matin, ce qui en réalité ressort des tableaux produits. La cour constate que les tickets de stationnement d'horodateurs produits par l'employeur mentionnant des horaires tardifs ne sont pas des tickets d'arrivée mais de fin de stationnement qui dès lors ne sont pas pertinents.

La cour observe en outre que Mme [T] a rectifié ses demandes par rapport à la première instance afin de tenir compte d'erreurs relevées notamment en ce qui concerne les jours RTT et qu' il ne saurait lui en être tenu rigueur.

Enfin la cour retient que la participation de Mme [T] aux assemblées générales de copropriétaires en soirée n'est pas contestée par l'employeur et qu'il en déduit lui-même dans ses écritures qu'elle établit les heures effectuées en dehors des heures de bureau dans la limite des PV produits (tout en contestant devoir ces sommes) et selon les calculs qu'il a lui-même effectués. La cour considère, ainsi que le fait observer l'employeur, que Mme [T] ne justifie pas des horaires pris en compte au-delà, notamment en ce qu'elle mentionne des soirées de vérifications de compte, les courriels épars produits à ce sujet étant insuffisants.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour retient que Mme [T] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées à hauteur des sommes suivantes :

- 2.115,97 euros en 2013,

- 5.528,44 euros en 2014,

- 14.153,76 euros en 2015,

- 781,83 euros en 2016.

Par infirmation du jugement déféré, Mme [T] peut prétendre à la somme de 22.580 euros majorée des congés payés à hauteur de 2.258 euros.

A la demande de Mme [T], il convient d'enjoindre à la société Immodonia de produire la totalité des tableaux récapitulatifs des vacations réalisées par Mme [T] en dehors des horaires de bureau pour les années 2014, 2015 et 2016.

Sur la demande d'indemnisation des repos compensateurs

Mme [T] sollicite une indemnisation des repos compensateurs pour les heures supplémentaires effectuées en 2014 et 2015 au-delà du seuil légal de 220 heures prévu par application de l'article L.3121-11 du code du travail. Elle chiffre son indemnisation à 50 % des heures effectuées au delà de ce contingent pour une somme totale de 4.054,38 euros outre les congés payés afférents.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement déféré qui a débouté l'appelante et contestant les heures supplémentaires réclamées, s'oppose à cette demande.

Les heures supplémentaires effectuées au delà du contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

La contrepartie obligatoire sous forme de repos est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés.

Au vu des heures supplémentaires retenues pour les années 2014 et 2015, la cour constate que Mme [T] n'a pas effectué d'heures au-delà du contingent légal et que c'est à bon droit qu'elle a été déboutée de cette demande de ce chef.

Sur le bien-fondé de la prise d'acte

Mme [T] soutient que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail était motivée par :

- une surcharge de travail, la conduisant à accomplir des horaires importants l'empêchant de bénéficier des règles légales relatives aux durées minimales obligatoires de repos et aux durées maximales de travail, ce qui a compromis sa santé et l'absence de règlement des heures supplémentaires et des repos compensateurs lui revenant ;

- un refus de lui communiquer les éléments lui permettant de vérifier que sa rémunération a été calculée conformément aux dispositions du contrat de travail et un refus de lui payer l'intégralité de la rémunération variable lui revenant ;

- l'infraction de précompte commise par la société Immodonia et plus généralement l'absence de déclaration de Madame [T] au régime de retraite complémentaire obligatoire des cadres (AGIRC).

La prise d'acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

Sur le manquement lié aux heures supplémentaires et à la surcharge de travail

Il a été jugé plus avant que Mme [T] a effectué des heures supplémentaires, liées notamment aux assemblées générales de copropriétaires organisées en début de soirée et parfois à des réunions de chantier organisées tôt le matin.

Elle affirme en outre sans être contredite qu'à la faveur de ses promotions, sa charge de travail a augmenté pour atteindre un porte-feuille de 46 immeubles gérés en 2015 (soit 11 de plus qu'en 2014, année au cours de laquelle elle avait déjà été chargée de 15 immeubles supplémentaires), toutefois la cour observe également que la société lui répond sur ce point sans plus être contredite qu'à compter du mois de janvier 2015, elle a bénéficié d'une assistante dédiée à temps complet pour la soutenir dans sa charge de travail.

La cour retient que le manquement lié au non-paiement des heures supplémentaires est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs et justifie la prise d'acte de la salariée, laquelle produit en conséquence les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur la demande de rappel de prime variable

Mme [T] soutient qu'au jour de la prise d'acte de rupture, la société Immodonia lui était redevable en application de l'avenant du 1er avril 2012, d'un rappel de participations au chiffre d'affaires d'un montant de 1.903 euros concernant une prime sur un mandat signé en avril 2014 avec l'immeuble 674 pour un montant de 6.000 euros HT, ainsi que l'intéressement de 30% sur les vacations de la Résidence [6] nature et de la [Adresse 5], réalisées en juillet 2015, selon les pièces 16bis et 17-3 produites .

La société intimée s'oppose à la demande en faisant observer que la salariée n'a jamais fait une telle demande avant la saisine du conseil de prud'hommes, que l'appelante ne justifie pas de sa demande de prime variable et qu'elle lui a toujours versé les primes dues.

Il est de droit que lorsque le calcul de la rémunération variable dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.

Il s'en déduit que c'est à l'employeur de prouver que les conditions d'octroi de la prime étaient réunies ou non. Il ne peut pas s'opposer au paiement d'une rémunération variable sans justifier des éléments de calcul et démontrer ainsi, le cas échéant, qu'elle n'est pas due.

Au constat que l'employeur ne s'explique pas sur les primes réclamées par Mme [T] puisqu'il se borne à justifier des primes versées, alors même qu'il détient les éléments pour les calculs, il convient par infirmation du jugement déféré de faire droit à la demande de 1.903 euros majorés de 190,30 euros au titre des congés payés y afférents.

Sur l'indemnisation de la rupture

La rupture du contrat de travail imputable à l'employeur ouvre droit pour le salarié aux indemnités prévues à ce titre.

En réintroduisant les heures supplémentaires accordées et le rappel de prime sur la période de référence allant de mai 2015 à avril 2016 ainsi que, la rémunération mensuelle moyenne de Mme [T] s'élève à la somme de 5.907,01 euros.

Mme [T] est fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis conventionnelle de trois mois de salaire, outre les congés payés afférents, soit un montant de 17.721,03 euros, majorés de 1.772,10 euros.

Mme [T] peut également prétendre à une indemnité légale de licenciement par application de l'article L.1234-9 du code du travail d'un montant de 7.512,42 euros, non contesté dans son quantum.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, du fait qu'il est justifié que dès le 20 juin 2016 elle a retrouvé un emploi à temps complet et des conséquences de la rupture à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à Mme [T] des dommages et intérêts d'un montant de 18.000 euros, en application de l'article L.1235-5 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité de résultat

L'article L.4121-1 du code du travail prévoit que l'employeur a l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.

Mme [T] réclame un montant de 10.000 euros de dommages-intérêts au motif que l'employeur a manqué à ses obligations en ne veillant pas au respect des règles relatives au temps de travail avec une incidence sur son état de santé et sa vie tant personnelle que professionnelle.

La société dénie tout manquement et conclut par confirmation du jugement déféré au débouté de la demande.

Mme [T] verse aux débats des certificats médicaux d'arrêt de travail du 29 janvier 2016 au 15 mai 2016, le dernier certificat du 14 avril 2016 prescrivant précisément un repos à la campagne et d'un suivi par le Dr [W], psychiatre, à compter du 26 janvier 2016 pour des troubles anxio-dépressifs en lien avec ses conditions de travail.

La cour évalue le préjudice subi par Mme [T] à une somme de 1.000 euros de dommages-intérêts .

Sur la demande au titre du travail dissimulé

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [T] sollicite une somme de 35.442,06 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Elle indique que le fait pour l'employeur de ne pas respecter les termes de l'accord collectif concernant l'application du forfait annuel en jours constitue en soi l'élément intentionnel de la dissimulation d'emploi salarié et qu'en outre celui-ci ne lui avait pas soumis un document récapitulatif lui permettant de consigner ses journées travaillées. Elle estime que ce faisant, l'employeur voulait dissimuler qu'il la contraignait à dépasser les durées maximales de travail et la privait de ses droits au repos minimum obligatoire.

La société réplique que le caractère intentionnel du travail dissimulé invoqué n'est pas établi.

Il résulte de l'article L. 8223-1 du code du travail que le salarié dont le travail a été dissimulé par l'employeur a droit en cas de rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié est notamment caractérisé par le fait pour l'employeur de mentionner intentionnellement sur les bulletins de paie, un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Il résulte du dossier que l'employeur lors de l'émission des bulletins de paie de Mme [T] se prévalait d'une convention de forfait-jours qui a été invalidée postérieurement, de sorte qu'il convient d'admettre que le fait de mentionner un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli au seul regard des heures supplémentaires réclamées par la salariée ne permet pas en l'état de caractériser l'intention de l'employeur de dissimuler une partie des heures de travail effectuées par l'intéressée. Le jugement déféré qui a débouté Mme [T] de ce chef de prétention sera confirmé.

Sur la nullité de la clause de non-concurrence

Madame [T] demande à la cour de juger que la clause de non-concurrence est nulle, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges, tandis que la partie intimée a conclu à la confirmation intégrale du jugement entrepris.

La cour constate qu'elle n'est saisie d'aucun moyen de droit tendant à critiquer la décision des premiers juges en sorte qu'elle sera confirmée.

Sur la demande concernant les cotisations salariales et patronales

Mme [T] sollicite la condamnation de la société Immodonia à lui fournir la preuve sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir, du règlement de l'intégralité des cotisations sociales salariales et patronales dues en application de son contrat de travail.

Elle soutient que l'employeur ne l'a pas affiliée au régime de retraite complémentaire des cadres à compter du 1er juillet 2011, date à laquelle elle est passée cadre et qu'il a précompté les cotisations salariales de son salaire sans les reverser à l'organisme concerné.

La société intimée s'est bornée à affirmer qu'elle avait parfaitement respecté les règles applicables en la matière.

L'affiliation à un régime complémentaire de retraite est une obligation de l'employeur.

Les cotisations retraite sont prélevées obligatoirement sur le salaire par l'employeur.

Celles-ci se composent d'une part salariale et d'une part patronale, elles sont calculées proportionnellement au salaire et versées directement par l'employeur aux organismes de retraite. S'il ressort des fiches de paye de Mme [T] qu'à compter du mois d'août 2011, l'employeur a prélevé des cotisations en tenant compte de son passage au statut cadre (pièce 72 société), il n'est pas justifié en l'état que ces cotisations ont été reversées à l'organisme concerné, de sorte qu'il convient d'enjoindre à la société intimée de justifier au besoin par une attestation dudit organisme, qu 'elle est à jour des versements des parts patronales et salariales des cotisations retraites concernant Mme [R] [T], dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt, sans qu'il soit opportun à ce stade de fixer une astreinte.

Sur la délivrance des documents sociaux

La société Immodonia devra remettre à Mme [R] [T] les documents sociaux rectifiés conformément au présent arrêt (attestation Pôle emploi,bulletin de salaire récapitulatif, certificat de travail) dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt.

Sur les autres dispositions

Partie perdante, la société Immodonia est condamnée aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point et à verser à Mme [T] une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

INFIRME de jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré la clause de non-concurrence nulle et en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire au titre des repos compensateurs et d'indemnité pour travail dissimulé.

Et statuant à nouveau:

JUGE que la prise d'acte de Mme [R] [T] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNE la société Axium Immodonia à payer à Mme [R] [T] les sommes suivantes:

- 18.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- 7.512,42 euros d'indemnité légale de licenciement.

- 17.721,03 euros d'indemnité compensatrice de préavis, majorée de 1.772,10 euros au titre des congés payés afférents.

- 22.580 euros à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires majorés de 2.258 euros au titre des congés payés.

-1.903 euros de rappel de prime variable majoré des congés payés afférents de 190,30 euros.

-1.000 euros de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

ORDONNE à la société Axium Immodonia de remettre à Mme [R] [T] les documents sociaux rectifiés conformément au présent arrêt (attestation Pôle emploi, bulletin de salaire récapitulatif, certificat de travail) dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt.

ENJOINT à la société Axium Immodonia de justifier au besoin par une attestation de l'organisme de retraite, qu'elle est à jour des versements des parts patronales et salariales des cotisations retraites concernant Mme [R] [T], dans un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt, sans qu'il soit opportun à ce stade de fixer une astreinte.

ENJOINT à la société Axium Immodonia de produire la totalité des tableaux récapitulatifs des vacations réalisées par Mme [R] [T] en dehors des horaires de bureau pour les années 2014, 2015 et 2016.

CONDAMNE la société Axium Immodonia à payer à Mme [R] [T] une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société Axium Immodonia aux dépens d'instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 18/08705
Date de la décision : 27/10/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°18/08705 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-27;18.08705 ?
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