RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2020
(n° 313 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02570 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBNMM
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 19 Décembre 2018 -Cour d'Appel de PARIS - RG n° 18/10169
APPELANTE
Association CESI agissant poursuites et diligences de son directeur général, Monsieur [Z] [C], domicilié ès qualités audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
Assistée par Me Jean-Gilles BARBAUD, avocat au barreau de PARIS,
INTIMEE
S.A.S. IMMOFFICE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et assistée par Me David BENAROCH, avocat au barreau de PARIS, toque : E0477
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre
Mme Carole CHEGARAY, Conseillère
Mme Edmée BONGRAND, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame CHEGARAY dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Lauranne VOLPI
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.
La société Immoffice, exerçant sous les enseignes Paris Club Commerce et l'Agence du 15, a une activité d'agence immobilière/ chasseur immobilier.
Le 13 octobre 2017, un mandat de recherche simple lui a été confié par l'association Cesi, organisme d'enseignement supérieur et de formation professionnelle, pour de nouveaux locaux en vue d'y installer son siège social.
L'association Cesi s'est positionnée sur des locaux qui lui ont été présentés par la société Immoffice situés à La Défense, tour P85.
Le 9 novembre 2017, une convention d'honoraires a été signée entre les parties portant sur une mission de négociation confiée par l'association Cesi à la société Immoffice dont l'objet est d'obtenir pour la signature du bail des conditions plus avantageuses que celles initialement avancées par l'association Cesi, notamment concernant le loyer, et ce moyennant un honoraire de résultat dû à la signature du bail ainsi négocié.
Cinq jours après la signature de la convention d'honoraires, la société Immoffice a indiqué qu'elle avait obtenu du bailleur, la société Icade, des remises à hauteur de 2 313 394,68 euros, principalement en franchise de loyers sur l'ensemble de la durée du bail.
Un bail commercial a été signé entre l'association Cesi et la société Icade le 22 décembre 2017.
Deux paiements ont été effectués au mois de janvier 2018 par l'association Cesi, l'un de 277 866 euros TTC pour le mandat de recherche (qui n'est pas l'objet du litige), l'autre de 600 000 euros TTC au titre des honoraires de négociation.
Par acte du 19 mars 2018, la société Immoffice a fait assigner en référé devant le tribunal de grande instance de Paris l'association Cesi pour avoir paiement de la somme de 788 036,81 euros correspondant au solde des honoraires de négociation, sa facture s'élevant à ce titre à la somme de 1 388 036,81 euros calculée en fonction des économies réalisées par l'association Cesi lors de la signature du bail grâce à son intermédiaire.
Par une ordonnance réputée contradictoire du 17 mai 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté la société Immoffice de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Immoffice aux dépens.
La société Immoffice a interjeté appel de cette décision.
Par un arrêt réputé contradictoire du 19 décembre 2018, la cour d'appel de Paris a :
- infirmé l'ordonnance du 17 mai 2018 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- condamné l'association Cesi à payer à la société Immoffice la somme de 788 036,81 euros affectée d'une pénalité égale au dernier taux de refinancement de la BCE, majoré de 10 points, calculée au prorata temporis sur les sommes restant dues, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2018,
- condamné l'association Cesi à payer à la société Immoffice la somme de 3 000 euros en application des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'association Cesi aux dépens de première instance et d'appel.
Aucun pourvoi n'a été formé contre cet arrêt.
Par acte du 22 janvier 2020, l'association Cesi a fait assigner la société Immoffice devant la cour d'appel de Paris, juridiction ayant rendu l'arrêt du 19 décembre 2018, sur le fondement des articles 488, 595 et 809 du code de procédure civile, afin de voir rapporter l'arrêt et, statuant à nouveau, de confirmer l'ordonnance de référé du 17 mai 2018 ayant rejeté les demandes de la société Immoffice.
Dans ses dernières conclusions du 10 août 2020, l'association Cesi demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 488, 595 et 809 du code de procédure civile,
- dire et juger recevable la demande de rapport de l'arrêt rendu le 19 décembre 2018,
- rapporter, et en tant que de besoin rétracter, l'arrêt rendu le 19 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris pôle 1 chambre 3 n° de RG 18/53245,
statuant à nouveau,
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 mai 2018,
- débouter la société Immoffice de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Immofice à verser à l'association Cesi la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Immoffice aux dépens de l'instance et autoriser Maître Bellichach à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'association Cesi fait valoir qu'elle s'est sentie abusée car les remises à hauteur de 2 313 394 consenties par la société Icade sont intervenues très rapidement après la signature de la convention d'honoraires de négociation et qu'il est manifeste que lorsque la société Immoffice a proposé la convention avec un honoraire de résultat de 30 à 50 %, celle-ci connaissait d'ores et déjà les possibilités de négociation importante du bailleur sur les locaux qui intéressaient l'association ; qu'il n'y avait donc aucun aléa contrairement à ce qu'elle avait mentionné dans la convention.
Elle indique qu'elle a fait part à la société Immoffice qu'elle ne signerait le bail, déclenchant le paiement des honoraires, que si ces honoraires étaient limités ; qu'après des négociations par téléphone avec la société Immoffice, un avenant a été établi ramenant les honoraires de la société Immoffice à la somme de 600 000 euros et qu'il s'agissait pour elle d'une condition déterminante de la signature effective du bail ; que la société Immoffice a émis une facture conforme à l'avenant d'un montant de 600 000 euros qu'elle a payée le 25 janvier 2018, puis qu'elle n'a plus entendu parler de cette dernière jusqu'au 20 novembre 2019 lors de l'exécution de l'arrêt du 19 décembre 2018.
L'association Cesi explique qu'elle ne s'est pas présentée devant les juridictions de première instance et d'appel puisque l'ensemble des actes de procédure et des mises en demeure qui lui ont été adressés ont toujours été récupérés par M. [U] [R], salarié de l'association responsable juridique en charge des dossiers immobiliers, lequel a détruit toutes les pièces afférentes à ce litige et d'une manière générale fait disparaître tout ce qui avait trait à la société Immoffice, l'association précisant que c'est par l'intermédiaire de celui-ci qu'elle était entrée en relation avec la société Immoffice. Elle justifie avoir procédé au licenciement pour faute lourde de ce salarié, déposé une plainte pénale contre lui pour abus de confiance et détournement de correspondances et contre X des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux, et également engagé une procédure au fond devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de faire juger que la convention d'honoraires a été surprise par dol et obtenir le remboursement de la somme de 600 000 euros.
Elle précise que c'est M. [R] qui a été chargé de faire signer l'avenant à la société Immoffice, lequel a indiqué à ses supérieurs hiérarchiques que l'avenant avait bien été signé et que tout était en ordre, ce qui a conduit l'association à conclure le bail le 22 décembre 2017. Elle invoque une collusion frauduleuse entre son salarié et la société Immoffice.
L'association Cesi expose qu'elle n'a découvert l'existence de la facture d'un montant de 1 388 036,81 euros TTC qu'après la signification du commandement de payer afin de saisie vente du 20 novembre 2019 et n'a mis à jour le stratagème mis en place pour l'empêcher de se défendre que postérieurement à l'arrêt du 19 décembre 2018, considérant que cette circonstance nouvelle justifie de rapporter l'arrêt en cause.
L'association Cesi relève encore que la société Immoffice n'a pas fait état de l'avenant modifiant la convention d'honoraires de négociation ni de l'existence de la facture de 600 000 euros acquittée que cette dernière a cachés à la cour puisqu'elle n'a fondé sa demande de condamnation que sur une facture de 1 388 036,81 euros dont l'association n'a jamais eu connaissance et qui ne correspond pas aux derniers accords passés. Elle considère qu'en l'absence de communication de ces éléments, l'arrêt du 19 décembre 2018 a été surpris par la fraude de la société Immoffice et que la révélation de ces faits postérieure à l'arrêt en cause justifie le recours à l'article 488 alinéa 2 du code de procédure civile pour qu'il soit rapporté ou, en tout état de cause, révisé sur le fondement de l'article 595 du même code.
Dans ses dernières conclusions du 9 septembre 2020, la société Immoffice demande à la cour de:
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les contrats liant les parties,
Vu l'article 9 du code de procédure civile,
Vu les articles 488, 595, et 809 du code de procédure civile,
Vu les articles 1103, 1104, 1231-1 et suivants du code civil,
- dire et juger irrecevable la demande de rapport de l'arrêt rendu le 19 décembre 2018 faute de démontrer la moindre fraude de la société Immoffice ni le moindre élément nouveau,
- confirmer le caractère définitif de l'arrêt rendu le 19 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris pôle 1 chambre 3 (RG n°18/53245),
- condamner l'association Cesi à payer à la société Immoffice la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner en tous les dépens dont distraction au profit de Me David Benaroch, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société Immoffice réplique que l'association Cesi n'apporte aucun élément susceptible de démontrer une quelconque fraude de la part de la société Immoffice et qu'il s'agit en l'occurrence de la simple application d'une convention contractuelle à laquelle l'association tente de se soustraire ; que rien n'établit une quelconque collusion entre M. [R] et la société Immoffice, et qu'en tout état de cause, elle ne peut être responsable des attitudes, comportements ou agissements du responsable juridique de l'association Cesi. A cet égard, la société Immoffice fait observer que selon le contrat de travail de M. [R], celui-ci exerce ses attributions sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par sa supérieure hiérarchique et qu'elle ne peut être tenue pour responsable d'une négligence ou dysfonctionnement interne à l'association CESI.
Elle soutient qu'elle n'a pas eu connaissance d'un avenant à la convention d'honoraires, qu'elle n'a jamais accepté de modifier ses honoraires et que l'avenant dont l'association fait état n'existe pas. Elle ajoute qu'il n'y a aucune circonstance suspecte dans la remise de loyers qu'elle a obtenue auprès du bailleur dans le cadre de sa mission de négociation et que les honoraires sollicités sont proportionnels à l'économie réalisée par l'association CESI, comme convenu entre les parties.
La société Immoffice conclut à l'irrecevabilité de la demande de rapport de l'arrêt du 19 décembre 2018 en l'absence de toute fraude pour obtenir le paiement d'une indemnité régulièrement contractualisée et de tout élément nouveau.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
Sur la demande de rapport de l'arrêt du 19 décembre 2018 :
L'association Cesi fonde sa demande de rapport, et en tant que de besoin de rétractation, sur les articles 488 alinéa 2 et 595 du code de procédure civile indistinctement.
L'article 488 du code de procédure civile dispose que 'l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.
Elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles'.
Aux termes de l'article 593 du code de procédure civile, 'le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit'.
L'article 595 du même code énonce que 'le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes' :
'1- S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue',
ce qui correspond à la cause expressément visée par l'association Cesi.
Il est constant au vu des articles 488 et 593 du code de procédure civile que la voie de recours spécialement prévue pour le référé par l'article 488 alinéa 2 écarte le recours en révision de l'article 593, lequel n'est pas ouvert contre les décisions de référé, susceptibles d'être rapportées ou modifiées en cas de circonstances nouvelles.
En conséquence, la demande de révision de l'association Cesi fondée sur l'article 595 du code de procédure civile ne saurait prospérer.
L'exercice de la voie de recours prévue par l'article 488 alinéa 2 du code de procédure civile est subordonné à des 'circonstances nouvelles'. Une circonstance peut être nouvelle au sens de l'article 488 soit parce que les faits rapportés sont postérieurs au prononcé de l'ordonnance, soit parce que les faits lui sont antérieurs mais n'ont été révélés à une partie qu'après ce prononcé.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement pour faute lourde de M. [R], salarié de l'association Cesi, en date du 3 décembre 2019 -licenciement non contesté devant le conseil de prud'hommes- que l'association n'a eu la révélation des agissements déloyaux de celui-ci, en charge du suivi des dossiers immobiliers de l'association, que lors de la remise par voie d'huissier le 20 novembre 2019 d'un commandement aux fins de saisie vente en exécution de l'arrêt du 19 décembre 2018, ces agissements consistant en la dissimulation délibérée de l'existence d'un contentieux l'opposant à la société Immoffice par la récupération de nombreuses mises en demeure et actes de procédure, y compris lorsqu'il se trouvait en congés ou en RTT, sans transmission à sa hiérarchie, dans une volonté manifeste de nuire à l'association Cesi, allant bien au-delà d'un simple dysfonctionnement interne à l'association, laquelle s'est trouvée dans l'impossibilité de prendre connaissance du procès qui lui était intenté et de défendre ses intérêts en justice.
Cette situation créée en fraude des droits de l'association lui est apparue postérieurement au prononcé de l'arrêt et constitue une circonstance nouvelle justifiant de rapporter l'arrêt du 19 décembre 2018.
Sur la demande de provision :
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de l'article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 (ancien article 809 alinéa 2 du même code) dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, à l'appui de sa demande de provision, la société Immoffice produit une facture n° 32018 datée du 9 janvier 2018 d'un montant de 1 388 036,81 euros TTC et fait état d'un règlement de 600 000 euros intervenu le 25 janvier 2018, laissant un solde dû de 788 036,81 euros.
L'association Cesi produit pour sa part une facture n° 26118 datée du 10 janvier 2018, soit du lendemain de la précédente, d'un montant de 600 000 euros TTC, pour la même prestation sans mentionner qu'il s'agirait d'un acompte, qu'elle rattache à l'avenant portant sur la réduction des honoraires de négociation qu'elle prétend avoir convenu avec la société Immoffice et dont elle communique un exemplaire signé par elle seule et des attestations y afférentes.
La coexistence de ces deux factures pour une même prestation, dans le contexte de révision des honoraires de la société Immoffice décrit par l'association Cesi et corroboré par quelques commencements de preuve, rend sérieusement contestable l'obligation à paiement de cette dernière au solde réclamé par la société Immofice.
En conséquence, il convient, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé et de confirmer l'ordonnance du 17 mai 2018 par substitution de motifs.
Sur les autres demandes :
La société Immoffice, qui succombe, supportera la charge des dépens et sera condamnée à verser à l'association Cesi la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Rapporte l'arrêt du 19 décembre 2018 rendu par cette cour,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur le montant de la provision sollicitée par la société Immoffice,
Confirme en conséquence l'ordonnance du 17 mai 2018,
Condamne la société Immoffice aux dépens, lesquels pourront être directement recouvrés par Me Bellichach, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Immoffice à payer à l'association Cesi la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,