La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/10/2020 | FRANCE | N°19/05669

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 20 octobre 2020, 19/05669


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 20 OCTOBRE 2020



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05669 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7QTY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Novembre 2018 rendu par le Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU - RG n° 17/00568 qui a rejeté la demande d'exequatur du jugement de divorce rendu le 19 octobre 2016 par le tribunal de [Localité 13] (A

lgérie)



APPELANT



Monsieur [L]-[Y] [X] né le [Date naissance 6] 1961 à [Localité 14] (Algérie)



[Adresse 2]

[Localité 12]



représenté par Me ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 20 OCTOBRE 2020

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05669 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7QTY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Novembre 2018 rendu par le Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU - RG n° 17/00568 qui a rejeté la demande d'exequatur du jugement de divorce rendu le 19 octobre 2016 par le tribunal de [Localité 13] (Algérie)

APPELANT

Monsieur [L]-[Y] [X] né le [Date naissance 6] 1961 à [Localité 14] (Algérie)

[Adresse 2]

[Localité 12]

représenté par Me Ahlem EL ACHHAB, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

INTIMES

Madame [U] [R] épouse [X] née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 13] (Algérie)

[Adresse 3]

[Localité 12]

représentée par Me Marie-Louise SERRA de la SCP BOUAZIZ - SERRA - AYALA - BONLIEU, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

bénéficie d'une AIDE JURIDICTIONNELLE TOTALE en date du 29 mai 2019 n°2019/023076 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle du TGI de Paris

LE MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de MADAME LE PROCUREUR GENERAL près la cour d'appel de Paris

[Adresse 8]

[Localité 11]

représenté à l'audience par Mme BOUCHET-GENTON, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre

M. François MELIN, conseiller

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DES MOTIFS

M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R] se sont mariés le [Date mariage 10] 1988 devant l'officier de l'état civil de Féraouin (Algérie).

Quatre enfants sont issus de cette union :

- [N] [X], né le [Date naissance 4] 1990 à [Localité 13] (Algérie),

- [J] [X], né le [Date naissance 9] 1995 à [Localité 13] (Algérie),

- [C] [X], née le [Date naissance 5] 2001 à [Localité 13] (Algérie),

- [E] [X], née le [Date naissance 7] 2003 à [Localité 13] (Algérie).

A la requête déposée le 18 mai 2016 par M. [L]-[Y] [X], par jugement du 19 octobre 2016, le tribunal de [Localité 13] (Algérie) a prononcé le divorce de M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R] « à la volonté unique de l'époux », condamné M. [L]-[Y] [X] à verser Mme [U] [R] différentes sommes, attribué la garde des deux filles mineures à leur mère et condamné M. [L]-[Y] [X] à assurer à Mme [U] [R] un domicile décent afin qu'elle puisse y exercer son droit de garde.

Saisi par requête déposée le 23 mai 2016 par Mme [U] [R], le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Fontainebleau s'est, par ordonnance de non-conciliation du 2 janvier 2017, déclaré compétent, et a notamment, attribué la jouissance à titre gratuit du domicile conjugal, dit que l'autorité parentale continuait à être exercée en commun par les deux parents, fixé la résidence des enfants chez la mère, organisé le droit de visite et d'hébergement du père une fin de semaine sur deux et la moitié des vacances, et fixé la contribution du père à l'entretien des trois enfants à charge à la somme de 900 euros. M. [L]-[Y] [X] a interjeté appel de ce cette décision.

Par acte en date du 27 juin 2017, M. [L]-[Y] [X] a assigné Mme [U] [R] devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, aux fins de voir prononcé l'exequatur du jugement du 19 octobre 2016 rendu par le tribunal de [Localité 13].

Par jugement du 21 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Fontainebleau a déclaré irrecevable l'avis communiqué par le ministère public le 18 juillet 2018, rejeté la demande d'exequatur du jugement de divorce rendu le 19 octobre 2016 par le tribunal de [Localité 13] (Algérie) formée par M. [L]-[Y] [X] et condamné M. [L]-[Y] [X] aux dépens.

M. [L]-[Y] [X] a interjeté appel de ce jugement une première fois le 13 mars 2019, en visant Mme [U] [R] comme intimée, puis une seconde fois le 25 mars 2019 en visant Mme [U] [R] et le ministère public.

Par ordonnance du 3 septembre 2019, le dossier RG19/06637 a été joint au dossier RG 19/05669.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 17 juin 2020, M. [L]-[Y] [X] demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de prononcer l'exequatur du jugement de divorce rendu par le tribunal de [Localité 13] (ALGERIE) en date du 19 octobre 2016 et sa transcription de la mention du divorce sur les actes d'état civil français de M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R], de condamner Mme [U] [R] aux dépens et à lui verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que les premiers juges ne pouvaient fonder leur décision sur l'article 509 du code civil, que la convention franco-algérienne prévoit que la juridiction dont émane la décision doit être compétente au regard des règles relatives aux conflits de compétence et que la juridiction algérienne, première saisie d'une demande en divorce, était compétente au regard de la résidence des époux qui était restée fixée en Algérie, indépendamment du domicile en France de la famille lié exclusivement à ses obligations professionnelles.

Par ailleurs, il fait valoir qu'il n'existe aucune atteinte à l'ordre public dès lors que le divorce en Algérie n'a pas été prononcé sur le fondement de l'article 49 du code de la famille, mais sur celui de l'article 48 correspondant à un divorce par consentement mutuel, le jugement rappelant d'ailleurs que l'épouse avait approuvé la demande de divorce. Il prétend également que l'épouse a, elle-même, notifié le jugement, perçu les dommages-intérêts et n'a jamais formé de recours à son encontre.

Enfin, il soutient qu'aucune fraude à la loi ne peut être retenue dès lors qu'il a saisi en premier la juridiction algérienne, que son épouse a été représentée et que le juge algérien était compétent au regard de la nationalité commune des époux.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 20 août 2020, Mme [U] [R] demande à la cour de confirmer le jugement du 21 novembre 2018 prononcé par le tribunal de grande instance de Fontainebleau en toutes ses dispositions, débouter M. [L]-[Y] [X] de sa demande d'exequatur du jugement de divorce rendu par le Tribunal de [Localité 13] (ALGERIE) le 19 octobre 2016, sous le numéro 16/00467 et le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

S'agissant de la compétence, elle fait valoir que la résidence de la famille était située en France et qu'elle n'a jamais reconnu le contraire devant le juge algérien. Elle met en doute la transcription de ses propos en soulignant que le juge algérien relève que la famille vit dans un appartement loué alors que le couple possède une maison pour laquelle il rembourse un prêt. Elle considère qu'en application de l'article 17 de la convention de la Haye du 19 octobre 2016, seule la juridiction française pouvait se déclarer compétente.

Elle soutient également que le jugement algérien porte atteinte à l'ordre public international dès lors que le divorce prononcé en Algérie s'apparente à une répudiation et que l'égalité des droits entre les époux est bafouée. Elle souligne qu'elle ne s'est jamais associée à la demande en divorce en Algérie, soulevant l'incompétence du tribunal et sollicitant des dommages-intérêts si l'époux persistait dans sa demande. Elle rappelle que seule une audience de non-conciliation est intervenue, preuve qu'il s'agissait de la procédure prévue à l'article 48 et non 49 du code de la famille algérien.

Enfin, elle prétend que M. [L]-[Y] [X] a saisi frauduleusement la juridiction algérienne, étant parfaitement informé préalablement de sa volonté de saisir les juridictions françaises afin d'obtenir une décision qui lui était favorable et qui est contraire à l'ordre public français international.

Par avis notifié le 23 octobre 2019, le ministère public a conclu à la confirmation du jugement. Il estime que les juridictions françaises étaient compétentes pour statuer sur le divorce de M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R] et que le divorce algérien correspond à une répudiation, contraire à l'ordre public français international.

MOTIFS

En application de l'article 3 de la convention franco-algérienne relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964, l'exequatur est accordé à la demande de toute partie intéressée, par l'autorité judiciaire compétente d'après la loi de l'État où il est requis.

La procédure de la demande en exequatur est régie par la loi de l'État dans lequel l'exécution est demandée.

Aux termes de l'article 1er de la Convention franco-algérienne les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de chacune des parties ont de plein droit, l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre État, si elles réunissent les conditions suivantes : 

« a. La décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'État où la décision doit être exécutée ;

b. les parties ont été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes, selon la loi de l'État où la décision a été rendue ;

c. la décision est, d'après la loi de l'État où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ;

d. la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'État où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet État. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet État et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée. »

Sur la compétence

Il est de jurisprudence constante que les règles de compétence prévues à l'article 1166 du code de procédure civile n'ont pas un caractère exclusif et que dès lors que la règle française de solution des conflits de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux.

Il n'est pas contesté que M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R] sont tous deux ressortissants algériens et que leurs quatre enfants sont nés en Algérie. M. [L]-[Y] [X] justifie également y être propriétaire d'une maison. Ces éléments constituent un rattachement caractérisé avec la juridiction algérienne.

M. [L]-[Y] [X] a saisi la juridiction algérienne le 18 mai 2016 alors que Mme [U] [R] a déposé sa requête devant le juge aux affaires du tribunal de grande instance de Fontainebleau le 23 mai 2016. Toutefois, il est établi que, le 11 mars 2016, le conseil de Mme [U] [R] avait adressé à M. [L]-[Y] [X], selon l'usage, le courrier préalable au dépôt de la requête en divorce l'invitant à communiquer le nom de son conseil. Il ressort en outre des termes mêmes de la requête que Mme [U] [R] l'avait signée le 14 avril 2016. En déposant une requête devant le juge algérien, alors qu'il était averti de la saisine imminente par son épouse du juge aux affaires familiales français, M. [L]-[Y] [X] a saisi frauduleusement la juridiction algérienne en vue d'obtenir un jugement de divorce s'apparentant à une répudiation.

Sur la violation de l'ordre public

Il ressort des termes du jugement algérien que le divorce a été prononcé « à la volonté unique de l'époux » et non par consentement mutuel comme le prétend l'appelant, la demande de compensation financière formulée par l'épouse ne modifiant pas le fondement du divorce.

Un tel jugement, fondé sur le droit pour le mari de mettre fin discrétionnairement au mariage, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction.

Or, il est établi que la résidence de la famille était en France, les époux ayant acquis une maison à [Adresse 15] en 2006 et y résidant encore en 2016 tels qu'en attestent les factures EDF et les taxes d'habitation et foncière ainsi que l'avis d'imposition pour l'année 2015.

Le jugement algérien ayant prononcé le divorce de M. [L]-[Y] [X] et Mme [U] [R] est donc contraire à l'ordre public international, dès lors que les époux étaient domiciliés en France. (1re Civ., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-16.102)

En conséquence, le jugement du 19 octobre 2016 rendu par le tribunal de [Localité 13] (Algérie) est inopposable en France et le jugement est confirmé.

M. [L]-[Y] [X] succombant à l'instance est condamné aux dépens et ne saurait prétendre à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement,

Déboute M. [L]-[Y] [X] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L]-[Y] [X] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 19/05669
Date de la décision : 20/10/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°19/05669 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-20;19.05669 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award