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20/10/2020 | FRANCE | N°18/07943

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 20 octobre 2020, 18/07943


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 20 OCTOBRE 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07943 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QU2



Décision déférée à la Cour : Ordonnance d'exéquatur rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 20 novembre 2017 qui a rendu exécutoire en France la sentence arbitrale rendue le 24 octobre 2017 à Port-Louis, Maurice (arbitrage MARC affaire n

° A16-8)



APPELANTE



Société FLASHBIRD LIMITED Société de droit étranger

prise en la personne de ses représentants légaux



Anex management servic...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 20 OCTOBRE 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07943 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QU2

Décision déférée à la Cour : Ordonnance d'exéquatur rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 20 novembre 2017 qui a rendu exécutoire en France la sentence arbitrale rendue le 24 octobre 2017 à Port-Louis, Maurice (arbitrage MARC affaire n° A16-8)

APPELANTE

Société FLASHBIRD LIMITED Société de droit étranger

prise en la personne de ses représentants légaux

Anex management services LTD,

[Adresse 3],

[Localité 4],

ILE MAURICE

représentée par Me Lucas DOMENACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1757

INTIMEE

SA COMPAGNIE DE SÉCURITÉ PRIVÉE ET INDUSTRIELLE - C.S.P.I

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

assistée de Me Bruno ROCA GRAU, avocat plaidant du barreau de Paris, toque : R168

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre

M. François MELIN, conseiller

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATÉ, greffière, lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Compagnie de sécurité privée et industrielle (ci- après désignée 'la société CSPI ') se présente comme une société française spécialisée dans la sûreté et la sécurité, notamment pour les aéroports auxquels elle propose des solutions de sécurisation des biens et des personnes.

La société Flashbird Limited (ci-dessous désignée « la société Flashbird »), dont la dirigeante est Mme [D] [Z], se présente comme une société de droit mauricien spécialisée dans le conseil et l'assistance à la négociation des contrats avec les Etats africains.

La société CSPI, avec le concours de M. [I], consultant suisse indépendant, expert en aéroports et aviation civile et actif sur le continent africain, a décidé de postuler à un « appel à Manifestation d'intérêts international » en vue d'assurer la gestion et l'exploitation des services de sûreté et de sécurité des aéroports internationaux de Madagascar.

Elle a été mise en contact par l'intermédiaire de M. [I] avec Mme [Z]. Après l'ouverture des plis des soumissionnaires le 13 juillet 2012, la société CSPI a conclu un premier contrat cadre de consultance en date du 30 juillet 2012 avec la société Flashbird, ainsi qu'un avenant n°1, afin que cette dernière l'assiste et la conseille dans les négociations contractuelles ouvertes avec le ministère des transports et l'aviation civile de Madagascar (ACM).

CSPI a conclu le 28 février 2013 avec l'ACM, sous tutelle du ministère des transports, un contrat de concession exclusive pour une durée de douze ans pour la mise aux normes de la sûreté aéroportuaire et sa gestion dans les huit aéroports internationaux de Madagascar.

A la suite de la signature de ce contrat, la société CSPI et la société Flashbird ont signé un second contrat cadre de consultance nº 0913/13 les 19 mars et 18 avril 2013, contenant en son article 14 une clause d'arbitrage, ainsi qu'un avenant n°1.

Des différends sont nés entre les parties, la société CSPI reprochant à la société Flashbird des inexécutions contractuelles et cette dernière reprochant à la société CSPI de ne pas régler les factures d'intéressement qu'elle avait émises. Une procédure a opposé les parties devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Evry puis la cour d'appel de Paris qui a condamné par arrêt du 29 mars 2016 la société CSPI à payer une provision sur les factures d'intéressement demeurées impayées. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a été rejeté le 22 novembre 2017.

Au cours de cette procédure, la société CSPI a introduit le 24 août 2016 une demande d'arbitrage devant le Centre d'arbitrage et de médiation (MARC) de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice (MCCI), pour voir prononcer l'annulation et subsidiairement la résolution du contrat cadre de consultance nº 0913/13 et aux fins d'obtenir le remboursement des sommes perçues par la société Flashbird au titre de ce contrat.

Dans sa réponse du 13 septembre 2016, la société Flashbird a contesté la compétence de l'institution arbitrale saisie pour trancher son différend avec la société CSPI, aux motifs que les parties avaient convenu de soumettre la résolution de leurs éventuels différends à la Cour d'arbitrage internationale de la Chambre internationale de commerce, indiquant qu'elle ne donnerait pas suite à cette demande d'arbitrage.

Le 24 octobre 2017, à Port-Louis, Maurice, le tribunal arbitral, composé d'un arbitre unique, M. [E] [G], a rendu sa sentence (sentence MARC affaire n° A16-8) aux termes de laquelle il :

« se déclare compétent pour trancher le litige, conformément au règlement d'arbitrage du MARC ;

constate que Flashbird Limited a manqué à ses obligations contractuelles mais uniquement relativement aux difficultés subies par la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL dans la collecte de la redevance, dans l'obtention de terrains, et dans l'obtention de visas ;

ordonne la résolution judiciaire du contrat cadre de consultance n°0913/13 en date des 10 mars et 18 avril 2013 ;

condamne Flashbird Limited à la restitution à la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL des sommes versées par la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle pour un montant de 15.000 USD et 80.000 euros, avec intérêts au taux légal de 5% en application de l'Article 1er de l'ordonnance n°62-016 du 10 août 1962 portant fixation du taux de l'intérêt légal et du taux maximum de l'intérêt conventionnel, réglementation des prêts et répression de l'usure (J.O.R.D.M. 1962, p. 1709) à compter de la saisine du Tribunal Arbitral, soit le 6 décembre 2016 ;

considère en outre que les inexécutions contractuelles de Flashbird Limited ont occasionné un préjudice à la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL de 24.000 euros ;

condamne Flashbird Limited au versement de dommages-intérêts au bénéfice de la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL de 24.000 euros ;

condamne Flashbird Limited à rembourser à la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL les frais et dépens engagés par la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL, soit pour les frais d'arbitrage un montant équivalent à 494.900 MUR et la somme de 29.000 euros au titre des frais de conseil de la Compagnie de Sécurité Privée et Industrielle SARL ;

toutes les autres demandes et prétentions sont rejetées. »

La société Flashbird a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la Cour suprême de Maurice qui l'a rejeté par un arrêt du 30 novembre 2018.

La sentence rendue le 24 octobre 2017 a été déclarée exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 20 novembre 2017. La société Flashbird a interjeté appel de cette ordonnance le 14 avril 2018. C'est la présente procédure.

Concomitamment à la procédure arbitrale qui s'est déroulée devant le Centre d'arbitrage et de médiation de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice, la société Flashbird a introduit le 6 juillet 2017 une demande d'arbitrage auprès de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (arbitrage CCI, Aff. n°22937/DDA), pour voir constater l'inexécution par la société CSPI de son engagement contractuel à lui régler l'intéressement prévu par le contrat ainsi que voir prononcer la résiliation judiciaire de ce contrat et la condamnation de celle-ci au paiement de dommages et intérêts. La CCI a désigné M. [S] [Y] en qualité d'arbitre unique.

Le tribunal arbitral a rendu le 24 septembre 2019 sa sentence arbitrale (sentence CCI) à l'île Maurice, condamnant la société CSPI au paiement notamment de la somme 1.657.893 USD à la société Flashbird au titre des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation contractuelle de paiement de l'intéressement pour obtention de la concession de gestion et exploitation de la sûreté sur les aéroports internationaux de Madagascar. Cette sentence a été déclarée exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 31 janvier 2020 et la société CSPI a interjeté appel de cette ordonnance le 28 février 2020. La chambre 5 -16 de la cour d'appel de Paris est saisie de cet appel.

La société CSPI a en outre engagé un recours en annulation contre cette sentence devant la Cour suprême de Maurice.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er avril 2020 dans la présente procédure, la société Flashbird demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance d'exéquatur rendue le 20 novembre 2017 par le président du tribunal de grande instance de Paris, en conséquence refuser d'ordonner de la sentence arbitrale, débouter la société CSPI de toutes ses demandes, dire que la sentence arbitrale est nulle en application de l'article 1520 du code de procédure civile, condamner la société CSPI aux dépens et à lui payer une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle soutient que la sentence MARC ne devrait pas être reconnue en France aux motifs que l'arbitre se serait déclaré à tort compétent, qu'il aurait été irrégulièrement nommé et qu'il aurait statué sans se conformer à la mission qui lui était confiée.

Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2020, la société CSPI demande à la cour de confirmer l'ordonnance d'exéquatur rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 20 novembre 2017 et de condamner la société Flashbird aux dépens avec distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile et à lui payer une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) :

La société Flashbird soutient que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent en violation des dispositions contractuelles.

Elle fait valoir que la commune intention des parties réside dans le choix du règlement d'arbitrage CCI, les parties n'ayant à aucun moment évoqué le choix d'une autre institution arbitrale, son choix pour un arbitrage CCI n'ayant pas été discuté par la société CSPI.

Elle soutient que le choix du Règlement d'arbitrage de la CCI résulte de la reproduction littérale de la clause type proposée par cette institution arbitrale, reprenant des détails orthographiques, adaptée seulement en raison de la signature d'un avenant concomitante à celle du contrat cadre.

Elle répond à l'intimée que les parties, qui ont établi et signé les contrats cadre respectivement le 30 juillet 2012 et les 19 mars et 18 avril 2013, ne pouvaient pas avoir choisi de faire trancher leurs éventuels différends par le MARC dont le règlement d'arbitrage n'est entré en vigueur que bien postérieurement, que la désignation expresse par les parties du droit malagasy, comme droit applicable au contrat, n'a aucune incidence sur la juridiction arbitrale compétente pour trancher le différend, que la mention faite au Règlement CCI n'est pas le fruit d'une erreur rédactionnelle, que le choix du siège de l'arbitrage est sans rapport avec la détermination de l'institution arbitrale compétente pour administrer le litige.

Elle prétend que le choix du Règlement d'arbitrage de la CCI ressort des écrits de la société CSPI du 17 juin 2017 adressé au tribunal arbitral constitué par le MARC qui constitue un aveu judiciaire en application de l'article 1383 du code civil.

Elle déduit du fait que les parties ont adhéré au Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, qu'il y a lieu de faire application de l'article 6.2 dudit Règlement et que les parties ont accepté qu'il soit administré par la Cour, cette règle selon laquelle le centre d'arbitrage est seul compétent pour faire application de son règlement d'arbitrage étant stipulée dans les règlements d'arbitrage respectifs des deux institutions d'arbitrage.

En réponse, la société CSPI fait valoir que la clause compromissoire du contrat cadre de 2013, qui doit être interprétée conformément aux principes du droit international, de bonne foi et de « l'effet utile », montre la volonté des parties d'avoir recours à un arbitrage de la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice. Elle relève à cet égard, comme le souligne la sentence MARC, que le premier alinéa de la clause compromissoire commence par se référer à la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice en reproduisant son lien hypertexte, et que ce n'est qu'au paragraphe suivant, qu'elle mentionne le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale.

Elle soutient que la référence à la CCI n'est clairement que le fruit d'une erreur rédactionnelle résultant de la confusion entre les deux modèles type de clause compromissoire contenus dans les règlements d'arbitrage de ces deux institutions, particulièrement semblables, cette similitude s'expliquant, selon le Règlement MARC, parce que « la Cour Permanente d'Arbitrage de la Chambre de MCCI a été créée d'après le modèle de la Cour Internationale d'Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), avec un règlement inspiré de celui de la CCI et de la loi type du CNUDCI sur l'arbitrage international ».

Elle réplique que la clause compromissoire n'est pas la reprise à l'identique de la clause d'arbitrage type de la CCI, compte tenu de ses premier et dernier paragraphes, que les clauses compromissoires contenues dans les projets d'accord échangés entre les parties avant signature du contrat cadre de 2012 ne démontrent aucunement une volonté des parties de soumettre leurs litiges à un arbitrage CCI, que la référence au fait que « Maurice possède une Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de Commerce et d'industrie » et la reproduction de son lien hypertexte, ne peuvent pas s'expliquer, par une préoccupation des rédacteurs d'identifier le choix de l'Ile Maurice comme lieu de l'arbitrage.

Elle ajoute qu'elle n'a jamais reconnu que le choix de parties était celui de l'arbitrage CCI dans son écrit du 17 juin 2017, qu'au contraire, la société Flashbird a reconnu ouvertement que les parties avaient choisi la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice qui obéissait au bon sens.

Le juge de l'exéquatur contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier l'existence, la portée et l'opposabilité de la convention d'arbitrage et d'en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres.

La clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, de sorte que l'existence et l'efficacité de la clause s'apprécient sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.

Il est de principe en droit international de l'arbitrage que l'interprétation des contrats consiste à rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. Cette recherche doit notamment s'inspirer du principe de l'effet utile qui présume que les parties ont entendu donner une portée effective aux stipulations qu'elles ont introduites dans leurs conventions. La clause compromissoire ne saurait donc s'entendre en un sens qui priverait d'efficacité l'intervention des arbitres.

La clause contenue dans le contrat cadre de consultance nº 0913/13 conclu les 19 mars et 18 avril 2013, figurant à l'article 14 « Loi applicable et règlement des litiges », est ainsi rédigée :

« Maurice possède une Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de commerce et d'industrie (http://www.jurisint.org/fr/ctr/75.html).

Tous différends découlant du présent Contrat Cadre ou en relation avec celui-ci, tel le cas des avenants, seront tranchés définitivement suivant le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce Règlement.

Le droit applicable sera le droit malagasy.

L'arbitrage se déroulera à [Localité 5], Maurice. »

La référence à deux institutions d'arbitrage différentes dans cette clause compromissoire, qui en son premier alinéa, indique que Maurice possède une Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de commerce et d'industrie, et qui dans son deuxième alinéa, soumet les différends entre les parties au Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, sans précision intrinsèque utile à la compréhension de cette double référence, nécessite de l'interpréter à la lumière des principes rappelés.

A titre liminaire, il convient de relever que même si les parties sont en désaccord sur l'interprétation de cette clause, aucune d'elles ne discute la volonté claire et commune exprimée de soumettre les litiges les opposant et découlant de ce contrat cadre à une instance arbitrale et de les soustraire aux juridictions étatiques. Cette volonté commune ressort également clairement des projets de contrat échangés entre les parties et du premier contrat cadre signé entre les parties le 30 juillet 2012, lesquels, malgré certaines modifications apportées dans leur rédaction, contenaient tous une clause d'arbitrage, ainsi que du comportement procédural des parties, chacune d'elles ayant initié une procédure d'arbitrage pour faire trancher au fond leur différend, en application de la clause contenue à l'article 14 du contrat cadre nº 0913/13.

L'ambiguïté de cette clause ne porte donc que sur le choix de l'institution d'arbitrage.

Dans sa sentence, le tribunal arbitral a considéré, se fondant sur le principe d'autonomie de la clause compromissoire, qu'il convenait d'accorder une primauté au droit mauricien, droit du siège de l'arbitrage. Pour fonder sa compétence, le tribunal arbitral a retenu essentiellement qu'à la lecture de la clause, il semblait que « les parties en rédigeant la Clause d'Arbitrage sont effectivement parties de l'hypothèse que le centre d'arbitrage de Maurice devait être compétent pour administrer l'arbitrage, allant même jusqu'à reproduire un lien hypertexte qui renvoie, on le suppose, à la page de ce qui était le prédécesseur du MARC », qu'il était plus logique et plus raisonnable de faire primer le premier alinéa sur le deuxième, de considérer que la mention « internationale » ait été substituée par erreur à la mention « et d'industrie » dans le deuxième alinéa et que le rattachement à un centre d'arbitrage physiquement localisé à Maurice est renforcé par la désignation du siège à Port-Louis, Maurice, que cette explication semble être la seule à donner un effet utile à la clause d'arbitrage.

Cependant, le premier alinéa de la clause se borne à énoncer l'existence d'une Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice, sans la désigner comme compétente pour connaître des différends entre les parties, alors qu'au contraire, il résulte du second alinéa l'obligation faite à la juridiction arbitrale saisie de trancher le litige suivant le 'Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale'.

Ainsi, le caractère impératif donné par les parties au recours au Règlement d'arbitrage de la CCI, conduit, pour donner un effet utile à la clause, à faire primer le deuxième alinéa sur le premier qui n'a qu'un caractère purement déclaratif, qui en lui-même ne contient aucune intention clairement exprimée des parties ni d'effet attributif de compétence à la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice. La mention d'un lien hypertexte, dont il n'est pas même établi qu'il renvoie à la page de cette institution, l'arbitre lui-même indiquant 'on le suppose' faute d'avoir pu y accéder (§ 156), est sans incidence dans la recherche de l'intention des parties et de l'effet utile de la clause.

En revanche, le choix fait par les parties de soumettre l'arbitrage au Règlement d'arbitrage de la CCI emporte celui d'introduire l'arbitrage devant la CCI qui est la seule institution à pouvoir administrer les arbitrages soumis à ce Règlement, en vertu de son article 1.2 (rédaction en vigueur à partir du 1er janvier 2012), excluant la possibilité de saisir la Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice.

En outre, l'interprétation de la clause en faveur de la volonté de recourir à un arbitrage sous l'égide de la CCI est confortée par la reproduction quasi-littérale dans le deuxième alinéa de l'article 14 des deux contrats cadre conclus successivement par les parties, de la clause-type proposée par la CCI ainsi rédigée : « Tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci seront tranchés définitivement suivant le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce Règlement ».

En comparaison, la clause-type proposée par le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice dans sa rédaction alors en vigueur était ainsi rédigée : « Tous différends découlant du présent contrat seront définitivement tranchés suivant le Règlement de Conciliation et d'Arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice par (un ou trois) arbitre(s) nommé(s) conformément à ce Règlement ».

Dans le premier contrat cadre, la clause compromissoire retranscrit fidèlement la clause CCI, sauf à préciser ' contrat cadre' au lieu de contrat. La seule différence dans le contrat cadre nº 0913/13 est justifiée par la prise en compte de la signature des avenants. Il s'en déduit que les parties ont souhaité volontairement se soumettre au Règlement d'arbitrage de la CCI et que les rédacteurs desdits contrats ont porté une attention particulière à la rédaction du deuxième alinéa de la clause compromissoire en l'adaptant, selon les contrats, pour tenir compte de la qualification donnée au contrat et de la signature des avenants.

Ainsi, l'explication donnée par la société CSPI, selon laquelle la référence à la Chambre de commerce internationale serait le fruit d'une erreur purement matérielle de rédaction aux termes de laquelle l'adjectif « internationale » aurait été substitué par erreur à la mention « et d'industrie » n'emporte pas la conviction. En effet, d'une part, à l'époque de la rédaction des contrats, le règlement d'arbitrage proposé par la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice, laquelle est connue sous l'acronyme de MCCI (Mauritius Chamber of Commerce and Industry), était intitulé 'Règlement de Conciliation et d'Arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice', dénomination très différente de celle figurant dans la clause compromissoire des deux contrats cadre se référant expressément au Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, d'autre part, ladite clause n'utilise pas l'acronyme CCI pour désigner la Chambre de commerce internationale. Sont ainsi exclus toute prétendue confusion de cet acronyme avec celui de la Chambre de commerce et d'industrie de Maurice et le simple oubli de changer la référence à la CCI dans la mention de la clause-type.

De la même façon, le choix de [Localité 5] comme siège de l'arbitrage, compte tenu de l'option ouverte par le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale et celui du choix du droit malagasy auquel échappe la clause compromissoire en raison de son autonomie, ne sont pas des éléments pertinents pouvant traduire la volonté des parties de désigner la juridiction arbitrale de Maurice.

Contrairement à ce que soutient encore la société CSPI, il résulte des termes des courriers réitérés de la société Flashbird, notamment de ceux des 13 septembre et 11 janvier 2017, que l'appelante a maintenu sa contestation de sa compétence de la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice, après avoir offert de compromettre sur le règlement d'arbitrage sous la condition sine qua non que le tribunal arbitral soit constitué de trois arbitres, demande qui a été rejetée. Il ne peut donc en être déduit que la société Flashbird aurait reconnu que les parties avaient convenu de soumettre la résolution de leurs éventuels différends à la Cour permanente d'arbitrage à la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice, conformément au Règlement de celle-ci.

Enfin, la clause compromissoire ne peut pas s'interpréter comme démontrant la volonté des parties de recourir à un arbitrage institutionnel tout en laissant au demandeur la faculté de choisir à laquelle des deux institutions arbitrales désignées dans la clause il souhaiterait voir soumettre sa demande d'arbitrage alors que le premier alinéa de la clause compromissoire n'attribue explicitement aucune compétence à la Cour permanente d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice et que le second alinéa oblige au contraire à trancher le litige entre les parties suivant le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale.

En conséquence, le tribunal arbitral saisi par la société CSPI s'est déclaré à tort compétent pour trancher le litige opposant cette dernière à la société Flashbird suivant le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie à Maurice.

L'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 20 novembre 2017 qui a rendu exécutoire en France la sentence arbitrale rendue le 24 octobre 2017 à Port-Louis, Maurice (arbitrage MARC affaire n° A16-8) doit être infirmée et la demande d'exéquatur de ladite sentence rejetée.

Est irrecevable devant la cour d'appel de Paris, saisie de l'appel de l'ordonnance qui a rendu exécutoire en France ladite sentence, la demande de la société Flashbird, figurant dans le dispositif de ses écritures, de dire que la sentence arbitrale est nulle en application de l'article 1520 du code de procédure civile.

Sur les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La société CSPI qui succombe à l'instance supportera les dépens et l'équité commande de la condamner à payer à la société Flashbird une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Infirme l'ordonnance d'exéquatur rendue le 20 novembre 2017 par le président du tribunal de grande instance de Paris.

Statuant à nouveau :

Rejette la demande de la société Compagnie de sécurité privée et industrielle d'exéquatur de la sentence du tribunal arbitral composé d'un arbitre unique, M. [E] [G], rendue en date du 24 octobre 2017 à Port-Louis, Maurice (MARC affaire n° A16-8).

Déclare irrecevable la demande de la société Flashbird Limited d'annulation de ladite sentence arbitrale en application de l'article 1520 du code de procédure civile.

Condamne la société Compagnie de sécurité privée et industrielle à payer à la société Flashbird Limited une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Compagnie de sécurité privée et industrielle aux dépens.

LA GREFFIÈRE,

LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/07943
Date de la décision : 20/10/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°18/07943 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-20;18.07943 ?
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