RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 09 Octobre 2020
(n° , 9pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/13758 ET RG 18/13895 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B64FF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Novembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 18/00168
APPELANT
Monsieur [Y] [O]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 6] ([Localité 6])
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Thibaud VIDAL, avocat au barreau de PARIS, toque : B0056 substitué par Me Joseph MEOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
CPAM 93 - SEINE SAINT DENIS ([Localité 4])
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Juillet 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Pascal PEDRON, Président de chambre
Mme Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Mme Bathilde CHEVALIER, conseillère
Greffier : M. Fabrice LOISEAU, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Pascal PEDRON, Président de chambre et par M Fabrice LOISEAU greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par M. [Y] [O] d'un jugement rendu le 06 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à la CPAM de Seine-Saint-Denis (la caisse)
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que le Dr [O] qui exerce la profession de médecin généraliste libéral à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis-) s'est vu adresser par la caisse le 19 décembre 2016 une « notification de prestations indues » par « Application des articles L 133-4 et R 133-9-1 du code de la sécurité sociale » à hauteur de 145 119,86 € à régler dans les 2 mois; qu'après avoir saisi en vain la commission de recours amiable de sa contestation, M. [O] a porté le 18 janvier 2018 le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, lequel par jugement du 06 novembre 2018 a :
-dit la procédure de contrôle et de recouvrement régulière,
-débouté M. [O] de ses demandes d'annulation de la notification du 19 décembre 2016 et de la décision de la commission de recours amiable,
-dit bien-fondé l'indu correspondant aux majorations facturées à tort à hauteur de 145 119,86 € pour la période du 17 février 2013 au 20 septembre 2016,
-a condamné M. [O] à payer à la caisse ladite somme,
-a condamné M. [O] à payer à la caisse la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [O] a interjeté appel le 07 décembre 2018 de ce jugement (dont il sollicitait notamment l'annulation) qui lui avait été notifié le 27 novembre 2018.
Par son « mémoire d'appelant» écrit soutenu oralement et déposé à l'audience par son conseil, M. [O] demande à la cour, au visa des articles 1353 du code civil, L. 114-10, L.133-4, L.221-1, L.224-7, L.243-7, L.243-9 et L.315-1, R.133-9-1, R.611-64, D.253-6, R.315-1-1, R.315-1-2, D.315-2 du code de la sécurité sociale, R.4127-102 du code de la santé publique, L.121-1, L.122-1, L.211-5, L.211-8 et L.221-2 du code des relations entre le public et l'administration, de :
-juger que la procédure de contrôle de son activité est irrégulière;
-juger que la notification d'indu litigieuse a été établie au terme d'une procédure irrégulière en ce qu'elle méconnait le principe du contradictoire et les droits de la défense;
-en conséquence, annuler la notification d'indu litigieuse ainsi que la décision de la commission de recours amiable, et rejeter les demandes reconventionnelles de la caisse,
-condamner la caisse à lui payer une somme d'un montant de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [O] fait valoir pour l'essentiel que :
-le principe du contradictoire et des droits de la défense résultant de la Charte du contrôle de l'activité des professionnels de santé par l'Assurance maladie a été violé par la caisse qui ne lui a pas notifié et fait connaître comme la charte l'impose en son article 6.1.1, préalablement à l'envoi de la notification d'indu, les anomalies prétendues au seul titre d'une « violation de l'article 14 de la NGAP » sans absolument aucun détail, ni aucune explication complémentaire ; il n'a donc pas été mis en mesure de présenter utilement ses observations.
-les agents de la CPAM et du service de contrôle médical ne justifient pas avoir été agréés et assermentés conformément à l'article L 114-10 du code de la sécurité sociale, obligation s'étendant à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution de prestations, et donc également aux simples contrôles sur pièce, et ce alors que ces agents ont accès à des informations sensibles.
-la notification d'indu est irrégulière comme insuffisamment motivée : la motivation stéréotypée, limitée à la « violation de l'article 14 de la NGAP » est manifestement insuffisante et ne permet pas au professionnel de santé de comprendre le motif de l'indu ; la lecture de la notification d'indu et du tableau récapitulatif ne permet pas de connaître la cause et la nature de l'indu.
-la charge de la preuve de l'indu et de la matérialité des griefs repose sur la caisse, laquelle ne peut se constituer de preuve à elle-même ; or la caisse, qui se réfère simplement à un tableau récapitulatif des anomalies constatées sans autres précisions, n'établit pas la preuve du paiement et de la date de paiement des actes dont elle réclame le remboursement, pas plus que celle de la matérialité des griefs.
-les facturations réalisées sont fondées.
-la caisse n'a en effet pas pris en compte les actes réalisés dans le cadre de la permanence des soins ; médecin généraliste et président de l'Association des Médecins de Garde qu'il a créée en 2006, il effectue des gardes dans le cadre de la permanence des soins, régulant les appels de l'association par l'intermédiaire d'un numéro Azur et effectuant alors des consultations dans le cadre de la permanence des soins, en dehors des horaires d'ouvertures habituels des cabinets du secteur ; il est donc fondé à facturer les majorations spécifiques « CRN » ou « CRD» prévues en cas d'intervention effectuée après régulation dans le cadre de la permanence des soins, alors que la facturation des actes durant cette période a été minorée puisqu'en lieu et place de majorations de nuit, il aurait dû facturer en consultations régulées la nuit qui se trouvent être plus élevées de 7,50 euros ; il a donc « sous côté» ses actes et la notification d'indu n'est donc pas fondée et ne pourra qu'être annulée. De plus, il demande l'application du principe de substitution des cotations les plus adaptées CRD ou CRS et ainsi de condamner la caisse à lui payer les actes effectués dans le cadre de la permanence des soins en appliquant la cotation afférente.
-les conditions de facturation de la majoration de nuit (C+N), les dimanches et jours fériés (C+F) prévues à l'article 14 de la NGAP comprennent une condition liée à l'urgence justifiée par l'état du patient et une condition liée à la temporalité ; la caisse ne conteste pas la matérialité et la temporalité des consultations effectuées ( la nuit, les dimanches ou les jours fériés ) ; quant à la condition d'ordre médical qui est bien remplie en l'espèce, la caisse ne peut pas soutenir que l'état du patient ne saurait justifier une urgence en se plaçant uniquement sur un plan statistique (en se référant au nombre important de patients qui le consulteraient la nuit ou les jours fériés et par le fait que l'activité constatée chez les autres confrères serait très différente) alors que celle-ci est nécessairement biaisée dès lors que son cabinet est identifié par les patients tout comme par les services locaux d'urgences comme participant à la prise en charge des cas urgents en dehors des horaires habituels des cabinets de ville ; de plus, une donnée statistique ne saurait constituer par elle-même le fondement d'une critique s'agissant du comportement d'un praticien quant à l'évaluation d'un caractère urgent découlant de l'état du patient.
-d'ailleurs, la justification médicale des actes réalisés ne relève pas d'un contrôle administratif, mais exclusivement d'un contrôle médical réalisé par le médecin-conseil dans le cadre de l'analyse d'activité médicale. La caisse a donc commis une erreur de droit en cherchant à régler sur le terrain du contentieux général le recouvrement de facturations qui ne peuvent être justifiées que médicalement ; la notification d'indu doit donc être annulée.
-la caisse indique se fonder sur ses relevés individuels d'activités et de prescription (RIAP) afin de pallier le fait qu'aucune analyse médicale de l'activité n'a été réalisée, et elle utilise les RIAP sans en restituer le contexte et mentionne des procédures qui sont sans lien avec le présent litige.
-la caisse créé un « délit statistique » alors que l'article 10 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 précise qu'«Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité » ; l'indu ne peut pas se fonder sur des données automatisées en les séparant complètement de la condition d'urgence qui renvoie à des aspects d'ordre médical alors que son cabinet s'inscrit dans un contexte local où les patients présentant un état urgent s'orientent ou sont orientés vers ledit cabinet.
-soumis au secret médical, il ne saurait produire pour chacun de ces patients des justificatifs d'ordre médical de nature à démontrer qu'ils sont venus le consulter dans le cadre d'une urgence et d'ailleurs, la juridiction tout comme la CPAM, est parfaitement incompétente pour évaluer le caractère médicalement fondé ou non de son appréciation.
-retenir la production par la CPAM de relevés statistiques comparatifs sur son activité conduit à renverser la charge de la preuve.
-deux jours avant l'audience devant le tribunal, la caisse a produit un tableau d'indu rectifié de 516 pages pour un montant rabaissé à 129 724,26 €, ce qui établit qu'elle reconnaît s'être trompée dans le calcul du prétendu indu, ainsi que le défaut de prise en compte des actes réalisés dans le cadre de la permanence de soins.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, la caisse demande à la cour, au visa des articles L 133-4 du code de la sécurité sociale et 14 de la NGAP, de :
-au principal confirmer le jugement déféré,
-au subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estimait le Dr [O] justifié à facturer des majorations au titre de la NGAP les jours où il était de garde au titre de la PDSA, condamner ce dernier à lui verser la somme de 129 724.26 € correspondant aux majorations facturées à tort déduction faites des actes déclarés au titre de la permanence des soins, avec intérêts au taux légal à compter de la notification d'indu du 19 décembre 2016 et confirmer le jugement s'agissant de la condamnation aux frais irrépétibles,
-en tout état de cause, condamner le Dr [O] à lui verser une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles,
faisant valoir en substance que :
-le principe du contradictoire invoqué et la Charte concernant le contrôle médical des articles L.315-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale ne sont pas applicables en l'espèce dans la mesure où l'indu résulte d'un contrôle administratif ; elle n'est pas tenue de faire procéder à un contrôle médical et n'était donc pas tenue de respecter les dispositions applicables en cas de contrôle par le service médical comme l'a rappelé la cour de cassation (Cass. Civ. 2ème 14/03/2019, n°18-10943).
-il ne peut pas non plus lui être reproché de ne pas justifier que les agents contrôleurs auraient été assermentés, dès lors qu' aucune enquête ni aucune audition n'a été réalisée, ce dont il résulte que la preuve de l'assermentation des agents est indifférente ; il n'y a pas eu d'actes positifs, ni d'investigations menés par des agents constatant des situations ou entendant des personnes.
-les pièces sur lesquelles est fondé l'indu correspondent à des déclarations non concordantes du praticien établies par le Dr [O] lui-même (ses télétransmissions qui ont entraîné le versement de prestations par la Caisse établi par l'attestation de l'Agent comptable ainsi que les tableaux de garde qu'il a remplis, validés et transmis à l'ARS); l'analyse des facturations réalisées par le Dr [O] et dont il a sollicité la prise en charge par la caisse permet en elle-même de justifier que les conditions de l'article 14 de la NGAP n'ont pas été respectées.
-en matière de recouvrement d'indu auprès d'un professionnel de santé, les seules dispositions applicables sont celles de l'article L.133-4 du Code de la Sécurité Sociale (Cass. Soc. 31/03/2003, n°0l-21470) à l'exclusion de celles concernant le contrôle médical ; dès lors, l'argumentation développée par le Dr [O] sur la prétendue irrégularité des opérations de contrôle apparaît en toute hypothèse inopérante.
-la notification d'indu du 19 décembre 2016 est parfaitement motivée et conforme aux préconisations de l'article R.133-9-1 du Code de la Sécurité Sociale ; elle précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées et permettait au Dr [O] de présenter utilement des observations ou contester la notification, ce qu'il a fait. C'est donc à tort que le Dr [O] invoque le caractère non-intelligible du tableau transmis pour en déduire un défaut de motivation, alors que tous les éléments lui ayant permis d'identifier les irrégularités de facturation résultent des télétransmissions qu'il a réalisées lui-même; la référence au non-respect des dispositions de l'article 14 de la NGAP était donc parfaitement suffisante.
-dans le cadre d'un système déclaratif et d'un contrôle a posteriori de la régularité des facturations dont le résultat peut révéler un indu qu'il appartiendra au professionnel de santé de rembourser, c'est toujours à ce dernier qui réclame le bénéfice de prestations de justifier du bien fondé de sa demande, étant précisé que le Dr [O] ne verse aucune pièce aux débats pour justifier du bien fondé des majorations facturées et perçues.
-l'indu notifié au Dr [O] relève bien de l'inobservation des règles de facturation prévues par l'article 14 de la NGAP qui fixe les conditions permettant la facturation des majorations de nuit et jour férié, et donc de la compétence des juridictions du contentieux général de la Sécurité Sociale.
-entre 1996 et 2014, le Dr [O] a fait l'objet de cinq procédures ordinales distinctes conduisant à des décisions d'interdiction temporaire d'exercer.
-l'analyse de l'activité du Dr [O] montre que la facturation des majorations de nuit et de jours fériés était réalisée, et ce contrairement aux conditions prévues à l'article 14 de la NGAP, de manière systématique et non pas exceptionnelle, et que l'urgence justifiée par l'état du malade n'était absolument pas établie ; au contraire, il ressort que la réception de la patientèle au cabinet la nuit et les jours fériés résulte de l'organisation propre au cabinet ouvert aux consultations à ce moment, en dehors de toute notion d'urgence. Ainsi, entre 2013 et 2016, ses facturations d'urgence vont de 64 % à 90,05% alors que la moyenne régionale était de 3,07 % à 4,20 %, facturation appliquée de manière automatique et systématique et non pas exceptionnelle, ce qui permet de douter de ce que l'urgence était justifiée par l'état du malade ; en effet, 90% des patients du Dr [O], qui est médecin généraliste libéral en cabinet de ville, ne peuvent vraisemblablement pas se trouver en situation d'urgence, ce dont il ne justifie par ailleurs pas ; par décision en date du 15 janvier 2015, le Dr [O] a d'ailleurs été condamné par la Chambre disciplinaire du Conseil de l'ordre des médecins à une interdiction d'exercer la médecine pendant deux ans pour divers motifs dont le non-respect de l'article 14 de la NGAP au regard d'un « taux exorbitant d'actes majorés constatés ne (pouvant) s'expliquer par l'urgence, mais par la convenance personnelle de certains assurés»
-le relevé des facturations réalisées par le Dr [O] révèle qu'il n'a pas réalisé les actes en question dans le cadre du service public de la permanence des soins Ambulatoires (PDSA) dont la régulation est réalisée exclusivement par l'appel au numéro « 15» .
-par ailleurs, le Dr [O] n'a pas facturé les consultations réalisées en appliquant le code majoration « CRN », « CRM », « CRD » ou « CRS» mais en appliquant les majorations classiques prévues par la NGAP ; opportunément, l'appelant invoque aujourd'hui en cause d'appel une erreur de sa part en faveur de la Caisse en affirmant qu'il aurait facturé les cotations classiques de la NGAP lors de ses gardes au titre de la permanence des soins au lieu des cotations spécifiques ; cependant, le croisement des tableaux de garde au titre de la permanence des soins et des facturations du Dr [O] montre que les majorations facturées n'étaient pas corrélées aux actes déclarés comme réalisés au titre de la permanence des soins ; l'appelant n'était en effet pas de garde tous les jours, toute la journée, mais quelques heures, quelques jours par mois seulement , alors qu'il a facturé de très nombreuses majorations de nuit et jours fériés les jours où il n'était pas de garde. De surcroît, l'appelant ne déclare réaliser que très peu d'actes dans le cadre de la permanence des soins mais, en revanche, facture de très nombreuses majorations de nuit et jours fériés, les jours où il est de garde comme ceux où il ne l'est pas ; à titre d'exemple, le 11 novembre 2015, le demandeur déclarait à l'ARS avoir réalisé trois actes au titre de la permanence des soins pendant ses huit heures de garde de 16h à minuit mais a facturé à la Caisse 56 actes majorés , soit une cadence de 8,57 patients de l'heure, donc environ 7 minutes par patients sur son temps de garde, sans aucun répit ni pose, ni perte de temps quelle qu'elle soit entre chaque patient ; on s'étonnera également que le Docteur [O], au titre de la permanence de soins ou non, soit confronté à 56 patients dans une seule et même journée dont l'état de santé de chacun relève d'une urgence médicale mais qui, pour autant, peuvent être soignés en 7 minutes, et ce alors que le praticien n'apporte pas plus d'éléments de réponse sur ces différents points qu'en première instance.
-si rien n'empêche le Dr [O] d'avoir des horaires d'ouverture de son cabinet extensifs, le soir après 20h, le samedi après-midi et le dimanche, cela relève du mode de fonctionnement du cabinet du médecin résultant d'un choix personnel de sa part mais certainement pas de l'état de santé des patients qu'il reçoit pendant ces plages horaires qui serait constitutif d'une urgence médicale.
-ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle a réalisé un tableau d'indu écartant les facturations réalisées les jours où l'appelant était de garde au titre de la permanence des soins.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs mémoire et conclusions écrits visés par le greffe à l'audience du 08 juillet 2020 qu'elles ont respectivement soutenus oralement.
SUR CE, LA COUR
Les instances enrôlées sous les numéros 18/13758 et 18/13895 étant issues d'un même appel interjeté par M. [O] à l'encontre d'un même jugement, il y a lieu d'en ordonner la jonction.
Sur la régularité de la procédure de contrôle et de la notification de l'indu
La caisse, suite à un contrôle administratif de facturation, a adressé au Dr [O] le 19 décembre 2016 un courrier de « notification de prestations indues » par « Application des articles L 133-4 et R 133-9-1 du code de la sécurité sociale » à hauteur de 145 119,86 € à régler dans les 2 mois précisant « il apparaît que nous vous avons réglé certaines prestations à tort. Vous trouverez joint en annexe le tableau récapitulatif reprenant pour chaque prestation concernée la nature, et la date des prestations et le motif et la date du paiement indu, le montant des sommes versées à tort et la somme due au total » (pièce n°1 de l'appelant) ; était joint en annexe de ce courrier un tableau de 557 pages (pièce n°21 de la caisse) listant parmi les prestations celles générant un indu au « motif d'anomalie : Non respect de l'article 14 de la nomenclature des actes professionnels ».
Dans le cadre d'un indu résultant d'un contrôle administratif de tarification ou de facturation réalisé en application des articles L 133-4 et R 133-9-1 du code de la sécurité sociale , les dispositions de la Charte du contrôle de l'activité des professionnels de santé par l'Assurance maladie, et notamment celles de son article 6.1.1, ne trouvent pas à s'appliquer. De telles dispositions ne sont en effet applicables que dans le cadre du contrôle médical des articles L.315-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale, contrôle médical que la caisse n'est par ailleurs pas tenue de mettre en 'uvre à l'occasion d'un contrôle administratif de facturation.
Le moyen d'irrégularité du contrôle tiré de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense résultant de la Charte du contrôle ne saurait donc prospérer.
A l'occasion du contrôle administratif de facturation, les agents de la caisse ont procédé uniquement en l'espèce à l'exploitation par analyse et recoupement des pièces émanant du Dr [O] (ses télétransmissions pour versement de prestations par la Caisse et ses tableaux de garde complétés) ; ils n'ont donc procédé à aucun acte de vérification ou d'enquête au sens de l'article L 114-10 du code de la sécurité sociale, invoqué par l'appelant, ne procédant notamment à aucune audition, transport ou constatation matérielle sur place. Lesdits agents n'avaient donc pas en l'espèce à être agréés et assermentés à l'occasion du contrôle administratif effectué en l'espèce, de sorte qu'il ne peut pas être reproché à la caisse de ne pas justifier que les agents contrôleurs ait été agréés et assermentés. Le moyen d'irrégularité du contrôle tiré de ce fait ne peut donc pas être accueilli.
Le tableau de 557 pages joint en annexe à la notification d'indu (pièce n°21 de la caisse) précise pour chaque dossier le numéro de sécurité sociale de l'assuré, les noms et prénoms des bénéficiaires des soins, la date de prescription, la date des soins, le code acte facturé en application de la NGAP, l'éventuel code complémentaire correspondant aux majorations facturées, le taux de remboursement, le montant remboursé, le montant de l'indu quand il en a été constaté un et le motif de l'anomalie, (en l'espèce « Non respect de l'article 14 de la nomenclature des actes professionnels », la date du règlement, le numéro de facture du Dr [O] correspondant, et le numéro de lot correspondant à la télétransmission, et ce avant de récapituler en dernière page le montant total de l'indu relevé, à savoir 145 119,86 €.
Dans ces conditions, la lecture de la notification d'indu et du tableau récapitulatif annexé permettait au Dr [O] de connaître précisément la cause, la nature et le montant des sommes réclamées au titre d'un non-respect des dispositions de l'article 14 de la NGAP, et de comprendre le motif de l'indu, et ce d'autant plus que les éléments figurant au tableau résultent des télétransmissions qu'il a réalisées lui-même.
Le moyen d'irrégularité de la procédure tiré de l'insuffisance de motivation sera donc écarté.
Sur le fond
L'article 14 de la NGAP applicable prévoit que: « Lorsque, en cas d'urgence justifiée par l'état du malade, les actes sont effectués la nuit ou le dimanche et jours fériés, ils donnent lieu, en plus des honoraires normaux et, le cas échéant, de l'indemnité de déplacement, à une majoration.
Sont considérés comme actes de nuit les actes effectués entre 20 heures et 8 heures, mais ces actes ne donnent lieu à majoration que si l'appel au praticien a été fait entre 19 heures et 7 heures.
A. Actes effectués par les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes
1. Visites du dimanche, de jours fériés légaux, visites de nuit, actes de coefficient inférieur à 15, forfait d'accouchement
À la valeur des lettres-clés V, VS et VNPSY et exceptionnellement C, CS et CNPSY, de même qu'à celles des actes K, KC, KMB, KE, Z, D, DC,CG; SP, SF d'un coefficient inférieur à 15 et au forfait d'accouchement, s'ajoute une majoration du dimanche ou une majoration de nuit. (...)».
Au regard du tableau produit par la caisse en pièce n° 21, il apparaît que celle-ci a retenu en indu plusieurs milliers de prestations facturées par le Dr [O] correspondant à des majorations de nuit ou de dimanche-jour férié (« N » et « F ») s'ajoutant comme ce dernier l'a indiqué lui-même à travers ses télétransmissions à la cotation « C » (consultation en cabinet).
Dans le cadre d'un système déclaratif et d'un contrôle a posteriori de la régularité des facturations, la caisse établit d'évidence par la seule analyse des télétransmissions du Dr [O] et de sa participation aux permanences des soins, retranscrite aux tableaux n°20 et 22 de la caisse, le constat de plusieurs milliers d'anomalies concernant plusieurs centaines de patients sur la période contrôlée (février 2013 à septembre 2016) et ce pour un montant en définitive de 129 724.26 € ; que ce seul constat, dès lors que la facturation de ces majorations (en complément de la lettre « C ») était réalisée par le Dr [O] de manière systématique et non pas exceptionnelle établit la violation des prescriptions de l'article 14 de la NGAP.
Il importe peu en la matière que :
-la caisse n'ait pas recouru à un contrôle médical réalisé par le médecin-conseil dès lors que le constat de l'ajout à un acte coté « C » de majorations de nuit ou de dimanche réalisé par le Dr [O] ne nécessite par lui-même aucune appréciation d'ordre médical.
-les télétransmissions du Dr [O] analysées dans le cadre du contrôle puissent s'inscrire dans un traitement informatisé dès lors que les éléments y figurant ne sont nullement des « données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité » au sens de l'article 10 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978.
-le Dr [O] ait fait le choix, d'ouvrir usuellement son cabinet de 10h00 à minuit du lundi au dimanche et d'y réaliser des consultations la nuit et les dimanches-jour fériés, dès lors que ce choix ne l'autorisait pas à majorer de façon « non exceptionnelle » les consultations réalisées en cotation « C ».
Par ailleurs le Dr [O] avance à hauteur d'appel que la caisse n'établit pas la preuve et la date du paiement des actes dont elle réclame le remboursement. Cependant, la caisse, soumise aux règles de la comptabilité publique, établit par sa pièce n°27 émanant de son agent comptable que le Dr [O] a bien reçu de la caisse, aux dates de règlement figurant pour chaque opération au tableau n°22 de la caisse, le paiement des sommes indues qu'il lui a facturées à travers les télétransmissions litigieuses. En effet, l'attestation signée le 21 juin 2018 (pièce n°27 de la caisse) par son agent comptable, Mme [K], agissant sous sa responsabilité personnelle établit le règlement au Dr [O] de la somme de 145 119,86 € au titre de majoration de nuits ou dimanches-jours fériés, entre le 1er octobre 2014 et le 23 septembre 2016, pour une période d'activité du 17 février 2013 au 20 septembre 2016; l'agent comptable certifie ainsi que ladite somme a été réglée au Dr [O] en conséquence des télétransmissions de ce dernier.
Le Dr [O] avance que la caisse n'a pas pris en compte les actes réalisés dans le cadre de la permanence des soins .
Les recoupements réalisés entre les télétransmissions du Dr [O] et tableaux de garde qu'il a remplis, signés avant validation par le Conseil de l'Ordre et transmission à l'ARS (Pièces n°15, 20 et 22 de la caisse) établissent que :
- les majorations litigieuses sollicitées et perçues par le Dr [O] l'ont été pour leur majeure partie (à savoir à hauteur de 129 724.26 €) pour des périodes où il n'était pas de garde.
-pour les périodes où il était de garde, le Dr [O] n'a déclaré à l'ARS réaliser que très peu d'actes dans le cadre de la permanence des soins mais a facturé de très nombreuses majorations de nuit et jours fériés, les exemples cités par la caisse issus de l'analyse comparative des documents devant à ce titre être retenus: le 6 septembre 2015, le Dr [O] déclarait à l'ARS avoir réalisé deux actes au cours de ses huit heures de garde entre 16h et minuit, mais a facturé à la Caisse 42 actes majorés ; le 21 février 2016, le Dr [O] déclarait à l'ARS avoir réalisé un acte au cours de ses huit heures de garde entre midi et 20h au titre de la permanence des soins et a facturé à la caisse 43 actes majorés réalisés ce même jour ; le 11 novembre 2015, il a déclaré à l'ARS avoir réalisé trois actes au titre de la permanence des soins pendant ses huit heures de garde de 16h à minuit et a facturé à la Caisse 56 actes majorés -Pièces n°15 et 20 de la caisse-.
Dans ces conditions, le Dr [O] a facturé volontairement et sciemment à la caisse, et ce dans le cadre d'un mécanisme uniforme et généralisé au long cours, des majorations de nuit/dimanche-jour férié en sus de consultations réalisées à son cabinet aux horaires d'ouverture qu'il avait lui-même fixés, sur la période contrôlée pour un montant qu'il a perçu de 129 724.26 € en violation des prescriptions de l'article 14 de la NGAP. Si la caisse sollicite également à titre principal que l'indu porte sur la somme complémentaire de 15 395,60 € ( 129 724.26 € + 15 395,60 € =145 119,86 €), il apparaît que les actes facturés et payés sur la période à hauteur de 15 395,60 € correspondent à des actes effectivement réalisés en « permanence de soins ambulatoire », de telle sorte que le Dr [O] était justifié à facturer des majorations au titre de la NGAP les jours où il était de garde au titre de la PDSA au regard (uniquement) desdits actes.
La demande de M. [O], laquelle n'est d'ailleurs pas reprise au dispositif récapitulant ses prétentions, en condamnation de la caisse à lui payer des actes effectués dans le cadre de la permanence des soins en appliquant des majorations spécifiques « CRN » ou « CRD» ne saurait aboutir dès lors qu'il n'y a volontairement pas recourues lors de ses télétransmissions, préférant lui-même les facturer dans le cadre d'un mécanisme irrégulier uniforme et généralisé au long cours au titre des seules majorations de nuit/dimanche-jour férié.
Le jugement déféré sera donc infirmé uniquement quant au montant de l'indu, étant précisé qu'aucune cause d'annulation du jugement n'est caractérisée par ailleurs.
M. [O] sera condamné à payer à la caisse une somme supplémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
ORDONNE la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 18/13758 et 18/13895
DECLARE l'appel recevable.
INFIRME le jugement déféré sur le montant de l'indu
ET statuant à nouveau de ce seul chef:
-Dit bien-fondé l'indu correspondant aux majorations facturées à tort à hauteur de
129 724.26 € pour la période du 17 février 2013 au 23 septembre 2016,
-Condamne M. [O] à payer à la CPAM de Seine-Saint-Denis la somme de
129 724.26 € au titre de l'indu.
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus.
DEBOUTE M. [O] de ses demandes.
CONDAMNE M. [O] à payer à la CPAM de Seine-Saint-Denis une somme de
2 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.
CONDAMNE M. [O] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président