RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 08 Octobre 2020
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/02378 - N° Portalis 35L7-V-B67-BVZWO
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 1309364
APPELANTE
SAS ISS LOGISTIQUE ET PRODUCTION
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Géraldine CHICAL, avocat au barreau de PARIS, toque : R026 substituée par Me Marine GIRAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : B0142
INTIMES
M. [G] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Xavier ROBIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0479
Syndicat SUD RAIL [Localité 9] SAINT-LAZARE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Xavier ROBIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0479
EPIC SNCF MOBILIT''S, venant aux droits de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANCAIS (SNCF)
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représenté par Me My-kim YANG PAYA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498 substitué par Me Corinne METZGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0768
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Juillet 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, et Monsieur François MELIN, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats, entendus en son rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre,
Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de Chambre,
Monsieur François MELIN, Conseiller.
Greffier, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE,
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [R] a travaillé à compter du 25 mai 1975, en qualité d'ouvrier pour le compte de plusieurs employeurs intervenant dans le cadre d'un marché conclu avec la SNCF pour effectuer des travaux de manutention et de nettoyage, au sein des différents établissements de cette dernière sur le site du [Localité 3] et notamment de l'Établissement industriel de maintenance de matériel (EIMM).
Dans ce cadre, son contrat de travail a été transféré à compter du 1er mai 2003 à la société ISS Logistique et Production. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait des fonctions d'ouvrier qualifié, coefficient 196 de la convention collective de la manutention ferroviaire.
La SNCF a mis fin à cette prestation de service le 30 novembre 2011. Par courrier recommandé du 12 avril 2012, la société ISS Logistique et Production a notifié à M. [R] son licenciement pour motif économique. Son contrat de travail a pris fin le 13 juin 2012.
Le 13 juin 2013, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir la condamnation conjointe et solidaire de la société ISS Logistique et Production et de la SNCF à lui verser une somme de 12000€ de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété.
Le syndicat SUD Rail [Localité 8] saint Lazare est intervenu volontairement à l'instance et a demandé la condamnation conjointe et solidaire des deux sociétés et le paiement de diverses sommes.
Par jugement en date du 3 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de Paris a :
-condamné solidairement la société ISS Logistique et Production et la SNCF à verser à M. [R]:
* 12.000€ à titre d'indemnisation du préjudice d'anxiété,
* 400€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté le syndicat SUD Rail de ses demandes,
-condamné solidairement la société ISS Logistique et Production et la SNCF aux dépens.
La société ISS Logistique et Production a régulièrement interjeté appel par déclaration du 25 février 2015 et la SNCF par déclaration du 5 mars 2015.
Par arrêt avant dire droit du 6 juin 2019, la cour a ordonné la réouverture des débats afin que le salarié justifie avec précision et chronologiquement des fonctions qu'il a occupées dans les différents établissements SNCF du site du [Localité 3] ; que la société ISS Logistique et production verse aux débats les pièces relatives aux mesures de surveillance médicale organisée, aux dispositifs de protection individuelle et collective mises à la disposition des salariés, à l'information délivrée quant aux précautions à prendre dans l'exécution des travaux réalisés et aux plans de prévention concertés avec l'entreprise utilisatrice.
Aux termes de ses écritures soutenues oralement à l'audience, la société ISS Logistique et Production demande à la cour de :
- A titre principal dire que les conditions ne sont pas remplies pour faire droit à la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété de M. [R],
-infirmer le jugement du 3 octobre 2014,
-rejeter les demandes de M. [R],
Subsidiairement,
-juger que la demande tirée du manquement à l'obligation de sécurité de résultat est irrecevable,
-infirmer le jugement et débouter M. [R] de ses demandes,
-condamner M. [R] à lui verser une indemnité de 1.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre infiniment subsidiaire, limiter la condamnation au prorata du temps d'exposition des salariés au sein de la société, soit 24,5% des condamnations prononcées.
-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le syndicat SUD Rail de ses demandes.
La société ISS Logistique et Production fait valoir que les conditions en matière de réparation du préjudice d'anxiété ne sont pas réunies, puisqu'elle n'est pas inscrite sur la liste établie par arrêté ministériel visé par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, condition indispensable rappelée par la jurisprudence, à la reconnaissance de ce préjudice spécifique.
Elle ajoute que des salariés dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste des établissements ACAATA et qui ont été mis à disposition d'une autre entreprise inscrite sur cette liste, ne peuvent pas plus demander réparation de leur préjudice d'anxiété à leur employeur non inscrit.
Subsidiairement, la société ISS appelante observe que si est désormais admise une indemnisation du préjudice d'anxiété du salarié en dehors du régime de l'ACAATA , fondée sur le droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, il appartient au salarié de justifier d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et d'un préjudice personnellement subi. Elle soutient à cet égard qu'elle ne peut être tenue, en application de l'article L 1224-2 du code du travail, des manquements à l'obligation de sécurité commis avant 2003 par les employeurs précédents de M. [R], dès lors que le transfert de son contrat de travail résulte d'un transfert de marché sans convention entre les deux employeurs successifs. Elle observe que M. [R] fait état essentiellement des conditions de travail dans les années 1970-1980 qui ne la concernent pas, qu'en revanche, concernant le nettoyage du local de désamiantage créé en 2000, seul local générant un risque lié à l'amiante, aucun manquement ne peut lui être reproché depuis 2003, puisque comme le montre le plan de prévention, le risque était identifié et un dispositif spécifique de protection mis en place, visant à assurer la sécurité du personnel, ce que confirment les propres pièces produites par le salarié lui-même. Elle ajoute que l'intimé ne peut lui reprocher de ne pas lui avoir remis l'attestation individuelle de protection d'exposition à l'amiante, alors qu'elle ne disposait pas des informations nécessaires et que le médecin du travail a refusé de remplir le document en raison du caractère confidentiel des informations.
L'appelante observe en plus que M. [R] ne justifie pas de l'étendue de son préjudice, produisant uniquement une attestation succincte de son épouse et estime qu'à tout le moins son indemnisation doit être effectuée en fonction du temps d'exposition au risque au sein de la société soit à compter du 1er mai 2003 au 13 octobre 2012, sans que puisse être prononcée une condamnation solidaire avec la SNCF.
Concernant l'action du syndicat SUD Rail, la société ISS Logistique et Production fait valoir que l'action des syndicats professionnels est recevable si le syndicat justifie d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent, conformément à l'article L 2132-3 du code du travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, dans la mesure où la notion d'anxiété est par essence subjective et que sa réparation constitue un droit exclusivement attaché à la personne qui se prétend victime.
Aux termes de ses écritures soutenues oralement à l'audience, SNCF Mobilités demande à la cour de :
-infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
A titre principal, ordonner sa mise hors de cause.
Subsidiairement,
-dire que sa responsabilité ne peut être engagée au titre du préjudice d'anxiété résultant d'une exposition à l'amiante,
-débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes.
A titre infiniment subsidiaire,
-limiter le montant de l'indemnisation à de plus justes proportions
-condamner solidairement M. [R] et le syndicat Sud Rail [Localité 8] Saint Lazare à lui verser une indemnité de 2000€ au titre des frais irrépétibles et rejeter leurs demandes sur ce point.
La SNCF fait valoir tout d'abord qu'en vertu de l'article L. 1411-1 du code du travail, seule la société ISS Logistique et Production, qui était l'employeur de M. [R], peut être attraite devant la juridiction prud'homale, qu'elle-même est tiers à la relation de travail, que la situation d'exposition à l'amiante dans l'un de ses sites ne peut établir un lien salarié avec l'intimé, ce que ce dernier admet puisqu'il désigne la société ISS comme son employeur et constitue un aveu judiciaire au sens de l'article 1383-2 du code civil. Elle en déduit qu'elle doit être mise hors de cause.
Subsidiairement, la SNCF soutient que les conditions ouvrant droit à réparation du préjudice d'anxiété ne sont pas réunies dans la mesure où tant la société ISS Logistique et Production que la société SNCF ne figurent pas sur la liste de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, et ne relèvent donc pas du régime de l'ACAATA, alors que l'indemnisation de ce préjudice ne peut être déconnectée de ce dispositif spécifique et ne peut donc être fondée sur le droit commun de l'obligation de sécurité de l'employeur ou sur le dispositif C3A propre aux seuls agents de la SNCF ce que n'est pas l'intimé. Par ailleurs, la SNCF fait observer que l'indemnisation recherchée sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil suppose que soient démontrée une faute, un préjudice certain seul réparable et un lien de causalité, qui ne sont pas établis en l'espèce par l'intimé.
En tout état de cause, la SNCF demande à la cour de limiter l'indemnisation accordée, notamment en tenant compte de la durée et de l'intensité de l'exposition et des sommes accordées par le fond d'indemnisation des victimes de l'amiante au titre de l'indemnisation du préjudice moral en cas de pathologies déclarées.
Concernant l'action du syndicat SUD Rail, la SNCF estime qu'aucun préjudice n'a été porté à l'intérêt collectif de la profession et qu'en tout état de cause, le syndicat ne rapporte aucunement la preuve de l'étendue de son préjudice.
Aux termes de leurs dernières écritures soutenues oralement à l'audience, M. [R] et le Syndicat Sud Rail [Localité 8] -St Lazare demandent à la cour de:
-rejeter les écritures de la société ISS Logistique et Productions transmises le 6 juillet 2020 par RPVA,
-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 3 octobre 2014 en ce qu'il a condamné conjointement la SNCF et la société ISS Logistique et Production à lui verser la somme de 12.000€ au titre du préjudice d'anxiété,
Subsidiairement,
-condamner conjointement et solidairement la SNCF et la société ISS Logistique et Production à leur verser 12.000€ à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité posée par l'article L 4121-1 du code du travail,
-condamner conjointement et solidairement la SNCF et la société ISS Logistique et Production à lui verser une somme de 2500€ au titre des frais irrépétibles et à verser au syndicat Sud Rail la somme de 250€ de dommages et intérêts outre 50€ de frais irrépétibles,
-assortir les condamnations de l'intérêt de droit à compter du jour de l'introduction de la demande, et 35€ par salarié au titre du remboursement du timbre fiscal.
M. [R] fait valoir en premier lieu qu' il balayait les autorails et ramassait les déchets générés par les travaux de découpage d'armoires électriques et de gaines de chauffage comme des éléments de tôle, exécutés par les agents de la SNCF, sans aucune protection, jusqu'en 1986, alors que ces pièces contenaient des fibres d'amiante, un plan de prévention ayant été mis en place uniquement en 2000. Il fait observer que les différents rapports de la médecine du travail de 2000 et 2007 comme les courriers de l'inspection du travail de 2007 permettent de considérer que l'ensemble des salariés a été exposé à ce produit et qu'à compter de 2000 date de construction du local de désamiantage, le nettoyage de cet espace a entraîné également une exposition. Il estime que ces éléments comme les attestations ou fiches d'exposition remises en fonction de la réglementation en vigueur et les attestations délivrées par ses collègues de travail démontrent une exposition pendant de longues années générant un risque important de développer une pathologie grave.
Il soutient que suite à cette exposition, il est suivi médicalement et connaît une appréhension quant à l'éventualité de développer une pathologie dont témoignent ses proches.
M. [R] observe que les arrêtés ministériels pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 prévoyant la cessation anticipée de travailleurs de l'amiante ne visent que des établissements relevant du secteur privé, alors que la SNCF a un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, ce qui explique le défaut d'inscription, que néanmoins dès le 1er octobre 2003, la SNCF a mis en place un dispositif, le C3A, afin de classer certains établissements « amiante », dont fait partie l'établissement du [Localité 3], permettant à ses salariés de bénéficier d'un système de départ anticipé de l'entreprise équivalent à celui de l'ACAATA.
Il ajoute que l'existence d'un préjudice d'anxiété personnellement subi par le salarié exposé a été reconnue par la jurisprudence la plus récente au bénéfice de salariés ayant travaillé dans un établissement non classé et n'ouvrant ainsi pas droit au bénéfice de l'ACAATA, sur le fondement de l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur.
Par ailleurs, M. [R] soutient qu'il est fondé à engager la responsabilité de SNCF Mobilités sur le fondement des différentes dispositions applicables aux entreprises utilisatrices pour contrôler l'empoussièrement des sites et mettre en place des mesures de protection des salariés et notamment le décret du 20 février 1992, relatif à l'établissement de plans de prévention et au contrôle de son respect par les entreprises utilisatrices, que le mode opératoire relatif au nettoyage du local de désamiantage n'a été établi qu'en 2004 et transmis à la société ISS. Il rappelle que la SNCF a mené une étude qui a mis en évidence qu'aucune mesure de précaution n'avait été mise en place pour la protection des agents vis-à-vis du risque d'amiante et qu'en tout état de cause la SNCF n'a pas établi de plan de prévention et n'a pas contrôlé le respect du décret 92-158 à l'égard des sociétés sous-traitantes, ce qui constitue une faute engageant sa responsabilité et qui a contribué à la réalisation de son préjudice.
Le syndicat SUD Raid fait valoir qu'il est fondé à intervenir à l'instance en application de l'article L. 2132-3 du code du travail puisque les manquements aux obligations de prévention imposées à la société ISS Logistique et Production et la SNCF lui ont causé un préjudice dans la mesure où il a été particulièrement actif afin que ces règles soient respectées.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux écritures soutenues oralement.
MOTIFS :
- Sur la demande de rejet des écritures de la société ISS Logistique et production:
Par application des articles 15 et 16, les parties doivent se faire connaître en temps utile les moyens de fait et de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense et le juge doit faire observer le principe de la contradiction.
En l'espèce, il apparaît que la société ISS Logistique et Production a communiqué le 6 juillet 2020 par le biais du RPVA des écritures au soutien de sa demande de rejet des prétentions de M. [R] en invoquant d'une part, le défaut de respect de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ainsi que l'absence d'inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA et d'autre part, les conditions de transfert du contrat de travail de l'intimé exclusives de la mise à sa charge des manquements des employeurs antérieurs du salarié. Toutefois, M. [R], qui ne conteste pas avoir bien été destinataire de ces conclusions ne démontre pas qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de répondre à cette argumentation, notamment à l'audience du 9 juillet, dès lors que la procédure est orale au regard de la date de la déclaration d'appel ( février 2015) et que ces arguments avaient été évoqués devant le premier juge. Dès lors, sa demande de rejet ne peut être accueillie.
-Sur la demande indemnitaire de M. [R] :
*A l'égard de la société ISS Logistique et Production:
Le préjudice d'anxiété invoqué par M. [R] qui correspond à la situation d'inquiétude permanente du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave provoquée par l'exposition à l'amiante est reconnu aux salariés ayant travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y était traitée de l'amiante ou des matériaux en contenant. Toutefois, le salarié peut également solliciter l'indemnisation de ce préjudice, en se fondant sur les règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur, telles que posées par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, dès lors qu'il justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre et inscrit sur une liste ouvrant droit à l'ACAATA.
En conséquence, la société ISS Logistique et Production ne peut utilement pour demander le rejet de la demande de M. [R], opposer le défaut d'inscription sur la liste des entreprises ouvrant droit à l'ACAATA.
En revanche, elle relève à juste titre que le transfert du contrat de travail de M. [R] en 2003 est intervenu dans le cadre d'une reprise d'un marché de prestation de services, conclu entre le précédent employeur de l'intimé et la SNCF, sans transfert démontré d'une entité économique autonome et en application des dispositions de la convention collective, ce que les parties ont confirmé à l'audience. Dans ces conditions, la substitution d'employeurs s'étant opérée sans convention entre eux et à défaut d'engagement en ce sens de la société ISS Logistique et Production, les dispositions de l'article L 1224-2 du code du travail qui prévoient que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'employeur à la date de la modification ne s'appliquent pas. En conséquence, la société ISS Logistique et Production ne peut être recherchée par M. [R] au titre de manquements à l' obligation d'assurer la protection de la santé des travailleurs antérieurs à son intervention effective sur le site en 2003. Les témoignages d'anciens collègues de travail décrivant avant cette date des conditions de travail dans un environnement contenant des fibres d'amiante, sans dispositif de protection ne peuvent lui être opposés.
Dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, applicable au litige, l'article L 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
des actions de prévention des risques professionnels,
des actions d'information et de formation,
la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L 4121-2 sous cette même rédaction définit les axes de prévention à mettre en oeuvre consistant notamment à éviter les risques ; les évaluer quand ils ne peuvent pas être évités : combattre les risques à la source ; adapter le travail à l'homme en ce qui concerne la conception des postes de travail et le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production ; prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle -donner les instructions appropriées.
M. [R] produit notamment aux débats une attestation d'exposition aux poussières d'amiante établie par le Docteur [C] médecin du travail de la société ISS Logistique et Production qui mentionne notamment que M. [R] a bénéficié d'examens médicaux dans le cadre de la surveillance médicale spéciale propre aux risques liés à l'amiante, avec des radiographies effectuées en 1984, 1993, 1995, 2000, 2002 et 2006. Le docteur [M] intervenant au sein de la SNCF, dans l'attestation d'exposition qu'elle a établie énonce des travaux sans mention de l'existence de mesures de protection. Elle indique avoir réalisé un suivi d'exposition à l'amiante le 12 février 2011, le 18 juin 2003, le 18 mai 2004, le 18 septembre 2006, le 15 octobre 2007, le 1er mars 2010 et le 28 mars 2011.
En revanche, il ne justifie pas à compter du transfert de son contrat de travail en 2003 à la société ISS Logistique et Production de l'exécution de travaux l'exposant aux fibres d'amiante dans des conditions générant un risque important de présenter une pathologie grave.
Il est vrai qu'il a été affecté au dépoussiérage du bâtiment A en mars 2006 (courrier du docteur [C] du 27 avril 2007) et qu'il est intervenu dans le local Amiante à compter de l'année 2001 (courrier de la Direction régionale SNCF de Nantes, du 30 janvier 2008). Toutefois, la société ISS Logistique et Production justifie que dans le cadre du marché de nettoyage obtenu en 2003, elle a établi un document unique d'analyse des risques professionnels le 2 janvier 2003 mis à jour en mars 2006, qui identifie, le local amiante comme seul générant des risques professionnels au titre de l'exposition à l'amiante. La fiche d'analyse spécifique à ce local du plan de prévention rappelle que la prestation concernait son nettoyage et l'évacuation des déchets au quotidien et prévoyait pour ce faire un équipement de protection individuelle consistant en une tenue complète jetable (masque, combinaison, chaussures et gants), ainsi qu'une formation et un suivi médical renforcé
Elle démontre également la mise en place d'un mode opératoire de nettoyage du local amiante, incluant les conditions dans lesquelles le salarié doit revêtir puis enlever sa tenue de protection et les modalités de traitement et de destruction de celle-ci. Ce mode opératoire a été validé et communiqué aux salariés comme en témoigne le procès-verbal du CHSCT de la SNCF du 9 décembre 2004 .
Dans ces conditions, aucun manquement à son obligation de sécurité ne peut être imputé à la société ISS Logistique et Production, de sorte que la demande de M. [R] au titre du préjudice d'anxiété ne peut être accueillie, le jugement sera réformé sur ce point.
*A l'égard de la SNCF Mobilités :
SNCF Mobilités relève à juste titre que l'article L 1411-1 du code du travail donne compétence à la juridiction prud'homale pour trancher les litiges individuels entre les salariés et les employeurs ou leurs représentants, compétence exclusive selon l'article L 1411-4. Il n'est pas discutable que M. [R] n'a jamais été lié à la SNCF par un contrat de travail. Son action en responsabilité contre cette dernière relevait de la compétence de droit commun du tribunal de grande instance de Paris devenu tribunal judiciaire. Toutefois, cette situation ne peut donner lieu à la mise hors de cause de SNCF Mobilités. En effet, en application de l'article 79 du code de procédure dans sa rédaction applicable au litige, antérieure au décret du 6 mai 2017, lorsque la cour d'appel (compétente en application de l'article 78 dès lors que le juge a retenu sa compétence et statué sur le fond, ce qui est le cas en l'espèce) infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la décision attaquée est susceptible d'appel dans l'ensemble de ses dispositions et si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente. En l'espèce, au regard du montant de la demande de M. [R], la décision est susceptible d'appel et la cour est juridiction d'appel du tribunal judiciaire de Paris, ex tribunal de grande instance dont relevait le litige, de sorte qu'il y a lieu de l'examiner, la SNCF Mobilités ayant conclu sur le fond
Dès lors que la SNCF Mobilités n'est pas liés à M. [R] par un contrat de travail, sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement de l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur définie par les articles L 4121-1 et 2 du code du travail.
Comme l'évoque la société appelante dans ses écritures, sa responsabilité peut en revanche être engagée sur le plan délictuel, sur le fondement de l'article 1382 et1383 devenu 1240 et 1241 du code civil, dès lors que sont établies des fautes ou négligences de sa part dans l'exécution des obligations mises à sa charge en qualité d'entreprise utilisatrice d'entreprises extérieures sur son site, à l'origine du préjudice allégué par M. [R].
Ce dernier produit aux débats plusieurs attestations d'anciens collègues comme d'agents SNCF ayant travaillé avec lui à compter de 1980 dans l'établissement de maintenance de matériel du site du [Localité 3], dont il résulte que les opérations de manutention et de nettoyage (balayage, et ramassage des déchets) étaient assurées dans les ateliers à la suite ou pendant des opérations effectuées par des agents SNCF sur des pièces et matériaux amiantés notamment d'autorails, libérant des fibres de ce produit, sans protection individuelle ou collective des salariés, qu'ils disposaient en outre d'un équipement pour balayer favorisant la dispersion des poussières et selon les indications de la SNCF elle-même dans un courrier du 5 janvier 1998, il apparaît que le mode de chauffage par catopulseur favorisait également la propagation des fibres.
Or, comme le relève M. [R], le décret 92-158 du 20 février 1992, ultérieurement codifié, et auparavant le décret du 77-1321 du 29 novembre 1977, relatif aux prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure, mettait à la charge de l'entreprise utilisatrice diverses obligations afin d'assurer la sécurité des salariés de l'entreprise extérieure.
L'entreprise utilisatrice devait en effet informer la société extérieure sur les risques d'affections professionnelles auxquelles pouvaient être exposés les salariés de l'autre entreprise afin que des mesures protectrices soient prises et sur ce point, il n'est pas sérieusement discuté par la SNCF que le danger de l'exposition à l'amiante était connu à l'époque où M. [R] intervenait dans ces conditions avant 2000. Devait également être réalisée une inspection commune des lieux avec désignation des zones de danger et en présence d'un risque d'interaction entre les activités des deux sociétés, ce qui est le cas en l'espèce, devait être établi un plan de prévention définissant les moyens de protection des salariés de l'entreprise extérieure dont l'entreprise utilisatrice devait vérifier l'application.
Si à compter de 2000 a été construit un local spécifique pour le désamiantage et si le marché conclu avec la société ISS Logistique et Production en janvier 2003 exigeait ce plan de prévention décrivant les mesures de protection et équipements effectivement fournis aux salariés, la SNCF Mobilités ne justifie pas pour la période antérieure, malgré la sommation de communiquer du salarié, de l'établissement d'un plan de prévention avec les employeurs antérieurs de M. [R], ni même de l'exigence d'un tel plan dans les marchés conclus avec ses prestataires, pas plus qu'elle ne démontre avoir vérifié la fourniture effective d'une information sur la nocivité de ce produit et d'équipements individuels ou collectifs de protection aux salariés des entreprises intervenant sur son site, alors que le décret de 1992 lui imposait de dénoncer à l'entreprise intervenante un danger grave concernant un salarié de cette dernière, même si elle estimait que la cause du danger ne lui était pas imputable, danger caractérisé par une exposition durable à des fibres d'amiante sans protection.
Il s'en déduit que les fautes et négligences imputables à la SNCF dans l'exécution de ses obligations en qualité d'entreprise utilisatrice ont contribué à l'exposition pendant plusieurs années de M. [R] à l'inhalation des poussières d'amiante, dont le danger n'est pas discuté, en ce qu'elle induit un risque de développer, même de nombreuses années après la fin de l'exposition, des pathologies très graves.
Elles ont par suite directement contribué au préjudice que constitue la situation d'anxiété personnellement subie par l'intimé, préjudice décrit par sa concubine, laquelle témoigne de l'inquiétude de l'intimé sur son état de santé même en présence d'infections bénignes et du fait du suivi médical régulier mis en place, situation réactivée par la dégradation de l'état de santé d'anciens collègues et qui affecte l'ensemble de la famille.
La SNCF Mobilités sera en conséquence déclarée responsable de ce préjudice et condamnée à lui verser une somme de 8 000 euros, le salarié ne produisant pas d'éléments de preuve à la hauteur de l'indemnité de 12000€ qu'il réclame. Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur la demande du syndicat Sud Rail Saint Lazare :
En application de l'article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
Le syndicat comme le montrent ses statuts est formé entre les travailleurs du secteur ferroviaire et des activités subordonnées et interdépendantes de la région [Localité 8] St Lazare. Peuvent y adhérer les salariés ou retraités travaillant dans le secteur ferroviaire sur ce secteur géographique et par assimilation, notamment les travailleurs de la sous-traitance. La nature du manquement relevé à l'encontre de la SNCF permet de caractériser un atteinte à l'intérêt collectif des salariés intervenant dans le secteur ferroviaire en sous-traitance et un préjudice qui sera indemnisé par l'allocation de la somme de 200€ de dommages et intérêts. Le jugement sera réformé en ce sens.
La SNCF Mobilités sera condamnée à verser à M. [R] une indemnité de 1000€ au titre des frais irrépétibles d'appel et au syndicat une indemnité de 200€ et à supporter les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire,
DÉBOUTE M. [R] de sa demande de rejet des écritures de la société ISS Logistique et Production ;
INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la SNCF Mobilités à verser à M. [R] une indemnité de 400€ au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE M. [R] de sa demande contre la société ISS Logistique et Production ;
DIT que l'action de M. [R] contre la SNCF Mobilités relève de la compétence du tribunal de grande instance de Paris devenu tribunal judiciaire de Paris;
Statuant sur la demande,en application de l'article 79 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 6 mai 2017,
DÉCLARE la SNCF Mobilités responsable du préjudice de M. [R];
LA CONDAMNE à lui verser une somme de 8 000 euros ;
CONDAMNE la SNCF Mobilités à verser au syndicat Sud Rail [Localité 8] Saint-Lazare une indemnité de 200€ de dommages et intérêts ;
CONDAMNE la SNCF Mobilités à verser à M. [R] 1000€ et au syndicat Sud Rail [Localité 8] Saint-Lazare 200€ d'indemnité de frais irrépétibles ;
CONDAMNE la SNCF Mobilités aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE