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23/09/2020 | FRANCE | N°19/22878

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 23 septembre 2020, 19/22878


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 3



ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2020



(n° 275 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/22878 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFJY



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Décembre 2019 -Président du TC de CRETEIL - RG n° 2019R00257



APPELANTE ET INTIMÉE A TITRE INCIDENT



Société DOCAPOSTE, prise en la personne de son représentant lé

gal domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

Assistée par Me Césa...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2020

(n° 275 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/22878 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFJY

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Décembre 2019 -Président du TC de CRETEIL - RG n° 2019R00257

APPELANTE ET INTIMÉE A TITRE INCIDENT

Société DOCAPOSTE, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

Assistée par Me César GHRENASSIA, substituant Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

INTIMÉE ET APPELANTE A TITRE INCIDENT

Société XAMANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dominique STUCKI de la SELARL C.V.S, avocat au barreau de PARIS, toque : L0076

Assistée par Me Dominique STUCKI de la SELARL C.V.S, avocat au barreau de PARIS, toque : L0076 et par Me Nicodéne KANHONOU

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Juillet 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Mme Christina DIAS DA SILVA, Conseillère

Mme Carole CHEGARAY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Christina DIAS DA SILVA, Conseillère dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Lauranne VOLPI

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La SAS Docapost, filiale de La Poste, qui commercialise a entrepris, en 2016 et 2017, des pourparlers avec la SAS Xamance, spécialiste de la gestion documentaire numérique en situation de concurrence de la société Docapost, et partenaire exclusif de la société Orange, en vue de l'acquisition de Xamance. Un audit de la société Xamance a été mis en 'uvre à partir de janvier 2017 par Docaposte et ses conseils avec une data room électronique.

Par lettre du 10 avril 2017, la société Docaposte a notifié à la société Xamance l'arrêt des négociations.

Le 14 juin 2018, Orange Pro a notifié à la société Xamance la résiliation du contrat de référencement professionnel. Le 13 décembre 2018, Orange Grand Public a notifié, à son tour, à Xamance la résiliation du contrat relatif à l'offre dédiée aux particuliers.

Faisant grief à la société Docapost de lui avoir succédé dans la relation d'affaires avec la société Orange en utilisant des informations stratégiques obtenues dans le cadre de négociations pour son rachat, la SAS Xamance a saisi, par requête, le président du tribunal de commerce de Créteil aux fins de voir commettre un huissier de justice ayant mission d'effectuer des constatations permettant de recueillir des éléments de preuve de la violation, par la société Docapost, de son obligation de loyauté.

Par ordonnance sur requête rendue le 15 mai 2019, modifiée par ordonnance rectificative du 19 juin 2019, le président du tribunal de commerce de Créteil a autorisé la société Xamance à faire pratiquer une mesure de constat dans les locaux de la société Docapost sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, dans le but de recueillir des éléments de preuve de faits d'agissements déloyaux en vue d'une éventuelle action en indemnisation, et désigné Me [T] [Z], huissier de justice.

Me [Z], accompagnée d'un expert en informatique, s'est rendue les 4 et 5 juillet 2019 dans les bureaux de la société Docaposte et a procédé à la copie et au stockage de très nombreux documents figurant sur les serveurs et messageries de cette société.

La société Docapost a sollicité la rétractation de cette ordonnance.

Par ordonnance contradictoire rendue le 4 décembre 2019- , le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil a :

- dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 15 mai 2019, modifiée par ordonnance rectificative du 19 juin 2019, ayant autorise la société Xamance à faire pratiquer une mesure de constat dans les locaux de la société Docapost sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

- par conséquent, ordonné la levée du séquestre des pièces saisies les 4 et 5 juillet 2019 ;

- autorisé Me [T] [Z] - IP Fon Young de la SELAS Proesing à communiquer sans délai à la société Xamance les pièces saisies telles qu'elles sont visées par son procès verbal de constat ;

- rejeté la demande de la société Docapost visant à la restitution immédiate, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, des documents saisis par Me [T] [Z] - IP Fon Young de la SELAS Proesing ;

- rejeté la demande reconventionnelle de la société Xamance visant à voir ordonner la poursuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire ;

- rejeté la demande reconventionnelle de la société Xamance visant à voir condamner la SAS Docapost à une amende civile d'un montant de 60.000 euros ;

- condamné la société Docapost à payer à la société Xamance la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté la demande formée à ce titre par la société Docapost ;

- condamné la société Docapost aux dépens ;

- rejeté toutes autres demandes ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- liquidé les dépens a recouvrer par le greffe à la somme de 60,67 euros (dont TVA 20 %).

Par déclaration du 11 décembre 2019, la société Docaposte a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions remises le 24 avril 2020, elle demande à la cour, sur le fondement des articles 145, 493 et 497 du code de procédure civile et L. 153-1 du code de commerce, de :

- juger qu'il n'existait pas de motif légitime pour la société Xamance pour solliciter une mesure

d'instruction in futurum ;

- juger qu'il n'existait pas de nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- juger que l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Créteil du 15 mai

2019 telle que modifiée par ordonnance rectificative du 19 juin 2019 et son exécution ont méconnu le secret des affaires ;

en conséquence,

- infirmer l'ordonnance rendue le 4 décembre 2019 par président du tribunal de commerce de Créteil en toutes ses dispositions objet du présent appel ;

- rétracter l'ordonnance rendue le 15 mai 2019 modifiée par ordonnance rectificative du 19 juin 2019 ;

- déclarer par voie de conséquence la nullité de tous les actes accomplis consécutivement, en particulier (i) les opérations de saisies s'étant déroulées les 4 et 5 juillet 2019 ainsi que (ii) le constat d'huissier, accomplis en exécution de l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de commerce de Créteil le 15 mai 2019 modifiée par ordonnance rectificative du 19 juin 2019 ;

- ordonner à la société Xamance de procéder à (i) la restitution immédiate à la société Docaposte de tous les documents recueillis et du constat d'huissier opéré en exécution de l'ordonnance, de (ii) justifier de n'en avoir réalisé ni conservé aucune copie, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;

sur l'appel incident de la société Xamance,

- juger que la société Docaposte n'a aucunement entravé le déroulement de la mission de l'huissier instrumentaire ;

- en conséquence, confirmer l'ordonnance rendue le 4 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Créteil en ce qu'elle a débouté la société Xamance de sa demande de poursuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire ;

en tout état de cause :

- condamner la société Xamance à verser à la société Docaposte la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir qu'il n'existait pas de motif légitime à la requête de Xamance, de sorte que l'ordonnance dont appel ayant dit n'y avoir lieu à rétractation doit être infirmée. Elle indique que la dérogation au principe du contradictoire n'était pas justifiée en ce qu'il n'y avait nul risque de déperdition de preuves, et que la mesure prononcée porte manifestement atteinte aux droits de Docaposte puisque de nombreux documents saisis sont protégés par le secret des affaires ;

Elle ajoute que la cour déboutera la société Xamance de sa demande formulée dans le cadre d'un appel incident, tendant à la poursuite des opérations conduites par l'huissier instrumentaire au siège social de Docaposte ; qu'en effet aucune poursuite des opérations ne peut légitimement être prononcées puisque la mission de l'huissier s'est déroulée dans la plus grande courtoisie, la société Docaposte n'ayant nullement entravé les opérations.

La société Xamance, appelante à titre incident, par conclusions remises le 16 mars 2020, demande à la cour, au visa des articles 145, 493 et suivants, 875 du code de procédure civile, L. 151-1 à L.151-9 et R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce, de :

- déclarer la société Docaposte mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

en conséquence :

- confirmer l'ordonnance du 4 décembre 2019 en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance du 15 mai 2019 modifiée par l'ordonnance du 19 juin 2019, ayant autorisé la SAS Xamance à faire pratiquer une mesure de constat dans les locaux de la SAS Docaposte sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

- ordonné la levée du séquestre des pièces saisies les 4 et 5 juillet 2019 ;

- autorisé Me [T] [Z]-IP Fon Young de la SELAS Proesing à communiquer sans délai à la SAS Xamance les pièces saisies telles qu'elles sont visées par son procès-verbal de constat ;

- rejeté la demande de la SAS Docaposte visant à la restitution immédiate, sous astreinte de 1.000,00 euros par jour de retard, des documents saisis par Me [T] [Z]-IP Fon Young de la SELAS Proesing ;

- réformer l'ordonnance du 4 décembre 2019 pour le surplus ;

statuant à nouveau,

- dire que la société Docaposte a entravé de manière significative le déroulement de la mission de l'huissier instrumentaire ;

- désigner en conséquence tel huissier de justice territorialement compétent qu'il lui plaira (l'huissier instrumentaire), ledit huissier instrumentaire pouvant se faire accompagner et assister de tout technicien notamment expert en informatique, de son choix, et se faire assister si besoin d'un serrurier et de la force publique avec pour mission de poursuivre l'intervention de la SELAS Proesing, huissiers de justice menée les 4 et 5 juillet 2019, conformément à l'ordonnance du 15 mai 2019 modifiée par l'ordonnance du 19 juin 2019 rendues par le président du tribunal de commerce de Créteil ;

en conséquence :

- autoriser l'huissier instrumentaire commis à se rendre dans les locaux de la société Docaposte, [Adresse 2], au besoin à l'aide du ou des techniciens choisis par lui, à poursuivre son intervention dans des conditions identiques à celles prévues par l'ordonnance du 15 mai 2019 modifiée par l'ordonnance du 19 juin 2019, durant un jour ouvré supplémentaire ;

- autoriser l'huissier Instrumentaire commis à collecter, par l'utilisation des mots clés figurant dans l'ordonnance du 15 mai 2019 telle que modifiée par l'ordonnance du 19 juin 2019,

toutes les données figurant sur les serveurs et autres supports de Docaposte, notamment les messageries professionnelles de M. [I] [Y] quelle que soit son adresse professionnelle au sein de Docaposte (notamment, [Courriel 5] ou [Courriel 5] ou [Courriel 5], etc...) ;

- autoriser l'huissier instrumentaire commis, dans l'hypothèse où l'accomplissement de sa mission serait impossible dans ce délai, à poursuivre son intervention le premier jour ouvré

suivant, afin d'effectuer toutes constatations utiles et se faire remettre copie informatique et/ou support écrit, imprimé ou autre ;

- confirmer en tant que de besoin que l'intervention de l'huissier instrumentaire serait réalisée conformément à l'ensemble des autres conditions et limites fixées par l'ordonnance du 15 mai 2019 modifiée par l'ordonnance du 19 juin 2019 rendues par le président du tribunal de commerce de Créteil ;

en tout état de cause,

- condamner la société Docaposte à payer à la société Xamance la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Docaposte aux entiers dépens de l'instance.

Elle fait valoir :

- que la demande de rétractation portant sur l'ordonnance du 15 mai 2019 modifiée par l'ordonnance rectificative du 19 juin 2019 est mal fondée et doit être rejetée puisque toutes les conditions requises par les articles 145 et 875 du code de procédure civile concernant la recevabilité des mesures d'instruction qui ont été sollicitées par Xamance sont réunies ;

- qu'en effet, la demande de mesure est formulée avant tout procès ;

- que les mesures sollicitées sont légalement admissibles en ce que les éléments ainsi recueillis sont strictement requis pour la démonstration des moyens de droit que la société Xamance fera valoir en justice dans ses actions contre la société Docaposte ;

- que le requérant justifie d'un intérêt légitime puisqu'il y a eu violation délibérée de la lettre d'intention signée par la société Docaposte le 8 décembre 2016 ainsi que violation de l'interdiction faite à la société Docaposte de conservation de transmission de données à d'autres entités du groupe La Poste  ;

- que les circonstances justifient de déroger au principe du contradictoire en vertu d'un risque accru de dissimulation ou d'altération des preuves par Docaposte/La Poste ;

- que les recherches ont été ciblées sur des termes précis, utiles et leur champ d'application est parfaitement proportionné à l'objectif de la mesure ordonnée par M. le président du tribunal de commerce de Créteil ;

Elle précise que les pièces saisies dans le cadre de la mesure d'instruction ne sont pas a priori protégées par le secret des affaires et que la société Docaposte ne prouve nullement que tel était le cas ; le secret des affaires ne constitue pas un motif général de rétractation mais peut seulement, lorsque certaines conditions sont respectées, conduire à l'aménagement de la mesure de mainlevée du séquestre ou de la remise de certaines pièces.

Elle ajoute que la procédure d'expertise 145 a été engagée par l'huissier instrumentaire mandaté par Xamance conformément aux termes de l'ordonnance rendue sur requête, mais s'est heurtée à un blocage partiel de Docaposte en dépit des termes clairs et non contestés de l'ordonnance 145.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Le juge de la rétractation doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire, les circonstances justifiant cette dérogation devant être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit, date à laquelle la cour se situe pour apprécier la validité de la saisine.

En l'espèce, la société Docaposte fait valoir que la société Xamance ne disposait d'aucun motif légitime de nature à justifier les mesures sollicitées et n'a justifié d'aucune circonstance exigeant une dérogation au principe de la contradiction.

Sur l'existence d'un motif légitime

La société Docaposte indique que la société Xamance ne disposait d'aucun motif légitime de nature à justifier les mesures sollicitées, les faits ayant été présentés par Xamance de manière fallacieuse et la prétendue responsabilité de Docaposte étant hypothétique.

Toutefois, il ressort de que la mesure d'instruction avait un objectif précisément circonscrit à la défense des intérêts de Xamance vis-à-vis de Docaposte.

Aussi la requête était fondée sur un motif légitime justifiant la mesure d'instruction ordonnée.

Sur la justification de la dérogation au principe du contradictoire

La requête déposée le 22 avril 2019 par la société Docaposte expose :

'Le 28 février 2019, Xamance a, par la voie de son avocat, adressé une mise en demeure à Orange Grand Public et une autre à Orange Pro interpellant ces anciens partenaires sur leur responsabilité au titre de leur complicité avec le groupe La Poste.

Il était donc fort probable que les services d'Orange aient alerté les interlocuteurs au sein de la division Digiposte sur le risque d'action judiciaire à l'encontre de Docaposte et La Poste; dans cette hypothèse, Docaposte et La Poste risquaient fort de tenter d'organiser leur mise hors de cause par tous moyens, notamment à travers la destruction de tous éléments sur Xamance (i) recueillis sur la data room électronique mise en place début 2017 lors des due diligence ou (ii) relatifs à des échanges entre Docaposte et La Poste ou Smart Panda sur la stratégie de Xamance ou sur sa situation contractuelle avec Orange.

En effet :

- toute détention à ce jour d'informations confidentielles sur Xamance par Docaposte ou La Poste serait constitutive d'une violation de la lettre d'intention du 8 décembre 2016 ainsi que de l'article L.151-4 du code de commerce sur le secret des affaires ; leur non destruction par Docaposte à compter de l'abandon du projet d'acquisition en mars 2017 engagera la responsabilité de Docaposte ;

- toute trace de transmission par Docaposte d'informations sur Xamance à des tiers à cette société, y compris la société La Poste (exploitant la marque Digiposte), la société Smart Panda (filiale de La Poste) engagerait également cette entreprise ;

- tout document interne au groupe La Poste faisant état d'une adaptation de la stratégie Digiposte suite à l'audit de Xamance traduira également un grave manquement aux obligations de Docaposte;

- enfin, tout contact pris par Docaposte avec Orange à compter de la signature de la lettre d'intention (8 décembre 2016) sera considéré comme une violation de l'article 6 de ce contrat. Compte tenu du risque déclaré par Xamance d'action judiciaire, il était donc fort probable que tout détenteur de tels éléments tenterait de les détruire dans les meilleurs délais. De façon générale, la nature du litige, les risques patents de déperdition de preuve et la nécessité d'agir avec surprise et avec efficacité sont les éléments clefs de justification qu'une mesure d'instruction soit décidée de manière non-contradictoire.

De façon particulière, le caractère non-contradictoire des mesures était d'autant plus justifié et nécessaire ici que la mesure d'instruction semble avoir fait l'objet d'entraves sous la forme d'un incident technique et d'une restriction d'accès à l'une des boites e-mail.

Il convient enfin de relever qu'a l'occasion d'une enquête intitulée « La Poste sous tension » diffusée par la chaîne de télévision France 2, dans le cadre de l'émission Envoyée Spécial du jeudi 12 septembre 2019, le comportement dissimulateur du groupe La Poste a été particulièrement souligné  (https://www.france.tv/france-2/envoye-special/1058963-envoye-special.html - minutes 17:12 à 18:00). En effet, dans le cadre de plusieurs contentieux, le Groupe La Poste aurait refusé de communiquer des données/informations en deux temps. Tout d'abord en refusant purement et simplement de communiquer les éléments. Puis, dans un second temps, faisant face à une décision de justice le contraignant à communiquer lesdits éléments, le Groupe La Poste aurait déclaré que lesdites informations étaient finalement ' perdues' (...)

Il y avait donc urgence à empêcher une dissimulation de preuve et Xamance était bien fondée à obtenir cette mesure de façon non contradictoire.'

Ces éléments explicitant le risque de déperdition des preuves, circonstanciés et se rapportant aux faits du dossier, étaient de nature à justifier le recours à une procédure non contradictoire.

En constatant que la requête visait des données informatiques, susceptibles d'être aisément détruites ou altérées, ce qui justifiait que la mesure ne soit pas prise contradictoirement eu égard au risque de destruction des documents si les intéressés étaient avertis de la mesure ordonnée, le premier juge en a exactement déduit que les circonstances établissant la nécessité de déroger au principe de la contradiction étaient établies.

Sur l'atteinte au secret des affaires

L'article L.151-1 du code de commerce, issu de la loi du 30 juillet 2018, dispose : 'Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.'

L'article R.153-3, alinéa 3, du même code prévoit : 'A peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :

1° la version confidentielle intégrale de cette pièce ;

2° une version non confidentielle ou un résumé ;

3° un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.

Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute

personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce.'

En l'espèce, la société Docaposte se borne à faire valoir :

- d'une part, que l'huissier en charge des opérations de saisies n'a fait aucune distinction entre les fichiers issus de la data room et les documents non issus de celle-ci ;

- d'autre part, que les opérations de saisies ont permis d'appréhender des éléments sur la base de seuls mots clés qui devaient originellement et conformément à l'ordonnance sur requête, être utilisés en association avec d'autres.

Toutefois, elle ne vise, parmi les pièces saisies, aucun document susceptible de relever du secret des affaires, ni n'a remis au juge des référés aucune pièce arguée de secrète comme le prescrit l'article R.153-3 précité ; par ailleurs, en tout état de cause, aux termes de l'article R.153-3, la saisie d'un document à caractère secret n'est pas susceptible de donner lieu à rétractation de l'ordonnance, mais voit son accès aménagé a posteriori à la demande de la partie saisie en cas d'atteinte réelle au secret des affaires. Il convient donc de rejeter ce moyen de rétractation.

En conséquence, la cour confirmera l'ordonnance entreprise.

Sur la demande de la société Xamance

La société Xamance demande, à titre incident, d'ordonner la poursuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire.

Il résulte toutefois de l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile que l'instance en rétractation d'une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en

l'absence de son adversaire, et que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Est donc irrecevable la demande tendant à ce que soit ordonnée la poursuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Dit irrecevable la demande de la société Xamance tendant à ce que soit ordonnée la poursuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire ;

Condamne la société Docaposte aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile ;

La condamne à payer à la société Xamance la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 19/22878
Date de la décision : 23/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°19/22878 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-23;19.22878 ?
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