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22/09/2020 | FRANCE | N°18/05610

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 22 septembre 2020, 18/05610


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05610 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5RO3



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 18 Octobre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/04211





APPELANT



Monsieur [P] [M]

[Adresse 1]

[Adresse 1]>
Représenté par Me Thomas GHIDINI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0115





INTIMÉE



UNION DES CAISSES NATIONALES DE SECURITE SOCIALE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par M...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05610 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5RO3

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 18 Octobre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/04211

APPELANT

Monsieur [P] [M]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Thomas GHIDINI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0115

INTIMÉE

UNION DES CAISSES NATIONALES DE SECURITE SOCIALE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Bertrand LOUBEYRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1930

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 juin 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne HARTMANN, présidente de chambre qui a présidé la formation

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre

Didier MALINOSKY, vice-président placé

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

L'Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale, ci après l'UCANSS, a engagé M. [P] [M], né en 1966, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 11 juillet 2005, en qualité d'infographiste, niveau 4, coefficient 230 au sein de la Direction de la communication (DIRCOM).

Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à la convention collective nationale du travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de Sécurité sociale.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [M] s'élève à la somme de 2.528,04 € (en janvier 2020).

En mars 2006, M. [M] a été désigné membre du CHSCT. Puis en mars 2008, il a été élu délégué du personnel et membre du Comité d'Entreprise tout en continuant son mandat au sein du CHSCT. En décembre 2014, M. [M] a été nommé délégué syndical par le syndicat SUD. En février 2016, M. [M] a perdu son mandat au sein du CHSCT.

Soutenant avoir fait l'objet d'une discrimination syndicale subsidiairement salariale et de harcèlement moral et demandant des indemnités afférentes, M. [M] a saisi, le 19 avril 2016, le conseil de prud'hommes de Paris lequel, par jugement du 26 janvier 2018 a statué comme suit :

- Déboute M. [P] [M] de ses demandes ;

- Déboute l'Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale - UCANSS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [P] [M] au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 20 avril 2018, M. [M] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 28 mars 2018.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 3 mars 2020, M. [M] demande à la cour de :

- Déclarer M. [M] recevable et bien fondé en son appel;

Y faisant droit

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [M] de l'intégralité de ses prétentions ;

Statuant à nouveau,

- Dire et juger M. [M] victime de discrimination syndicale de la part de l'UCANSS ;

en conséquence,

- Condamner l'UCANSS au paiement de la somme de 85.000 € à titre de dommages-intérêts à M. [M] en réparation du préjudice subi ;

- Fixer le coefficient de M. [M] au niveau 5B (285), et fixer ses points de compétence à 68 ;

A titre subsidiaire,
- Dire et juger que l'UCANSS a violé le principe «travail égal, salaire égal» au préjudice de M. [M] ;

en conséquence,

- Condamner l'UCANSS à la somme de 81.694,80 € à titre de dommages- intérêts ;

- A défaut, condamner l'UCANSS à la somme de 56.045 € à titre de dommages-intérêts ;

- fixer les points de compétence de M. [M] à 95 en tant qu'infographiste ;

En tout état de cause,

- Dire et juger que M. [M] a subi un préjudice moral au titre de la discrimination syndicale, et à défaut, de la violation du principe « travail égal, salaire égal » dont il est bien fondé à solliciter la réparation ;

en conséquence,

- Condamner l'UCANSS au paiement à M. [M] de la somme de 15.000 € ;

- Dire et juger M. [M] victime de harcèlement moral de la part de l'UCANSS ;

- A défaut, dire et juger que l'UCANSS a manqué à son obligation de sécurité s'agissant de M. [M] ;

En conséquence,

- Condamner l'UCANSS au paiement de la somme de 30.580 € à M. [M] à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

- Assortir les sommes à caractère de salaire des intérêts au taux légal, avec capitalisation par année entière (1154 du code civil), à compter de la saisine ;

- Condamner l'UCANSS au paiement de la somme de 8.000 € à M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 24 septembre 2018 l'Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale - UCANSS demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris ;

- Dire et juger non fondées les prétentions formulées par M. [M] ;

Y faisant droit

-Débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes ;

à titre incident :

- Condamner M. [M] au paiement à l'UCANSS, prise en la personne de son représentant légal, de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

Initialement, l'ordonnance de clôture était prévue au 25 mars 2020 et l'affaire fixée en audience de plaidoirie le 5 mai 2020.

En raison de la crise sanitaire, l'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 juin 2020 et l'audience de plaidoirie s'est tenue le 30 juin 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR:

Sur la discrimination syndicale

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de ses activités syndicales.

En vertu de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions qui précèdent, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En application des dispositions qui précèdent, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge du fond saisi d'un litige relatif à une discrimination a un devoir de vérification et de contrôle et lorsque celle-ci se manifeste par une différence d'évolution de carrière invoquée celle-ci doit être évaluée par une comparaison des situations avant/après l'acquisition du mandat et/ou entre salariés placés dans une situation identique.

La discrimination syndicale peut apparaître lorsque, à compter du moment où le salarié obtient son mandat syndical, il ne bénéficie plus de promotion, d'augmentation de salaire ou lorsque celles-ci sont moindres que celles des autres salariés placés dans une situation identique.

Pour infirmation du jugement déféré, et au soutien de ses prétentions, M. [M] affirme qu'il est victime depuis de nombreuses années d'une discrimination syndicale aboutissant à une absence de progression professionnelle sur la durée par rapport aux autres salariés de l'UCANSS et se manifestant :

- par la dissuasion qu'il suive un master en communication en 2011, puis la déclaration de la DRH qu'il quitte l'UCANSS après cette formation et l'absence d'enregistrement de son diplôme dans la base de données RH en 2016.

- par des embauches au sein de la DIRCOM, de 11 diplômés de 2012 à 2015 dont des profils sans expérience et le rejet de ses propres candidatures en raison d'un prétendu manque d'expérience lié à à son diplôme ;

- par l'exclusion de la dynamique générale d'évolution des niveaux (aucun passage de coefficient de 2005 à 2018 inclus) le faisant mécaniquement chuter au dernier niveau des salariés de l'UCANSS et l'absence de promotion pendant la même période,

-le tout en corrélation avec son activité syndicale depuis 2006 et avec des attributions de points différentes selon les appartenances syndicales.

Il s'appuie sur un courrier de la DRH relatif à son master en communication et sur un tableau comparatif de 11 salariés qui ont été embauchés sur des postes sur lesquels il avait aussi postulé sans succès et sur des données chiffrées tendant à établir que sa rémunération moyenne était inférieure à la moyenne de sa catégorie 4 et qu'il n'a bénéficié en 11 années d'aucune promotion.

Au vu de ces données, il y a donc lieu de considérer que M. [M], au sens de l'article L. 1134-1, présente des éléments laissant supposer qu'il a été victime d'une discrimination directe ou indirecte en raison de ses activités syndicales.

En retour, l'UCANSS conteste que M.[M] ait été dissuadé de suivre un master en communication. Sur ce point, la cour retient qu' il ressort du dossier de première part que le salarié a passé et validé son master dans le cadre de son CIF de février à octobre 2011. De seconde part, il était convenu que ce diplôme ne s'inscrivait pas dans un cursus validé par l'employeur et que celui-ci en cas d'obtention ne déboucherait pas nécessairement sur un changement de poste de l'UCANSS (pièce 3, salarié) sans qu'il puisse en être déduit une volonté délibérée de l'employeur de le décourager, ni aucune intention maligne du fait que son diplôme n'apparaisse pas dans son dossier puisqu'il en a été tenu compte lorsqu'il a fait acte de candidatures sur les postes ouverts par la suite.

La cour observe que M. [M] qui ne cesse de soutenir qu'il n'avait pas une rémunération en rapport avec ses diplômes, perd en réalité de vue qu'il est resté infographiste et qu'il n'a pas eu à mettre en oeuvre le diplôme ainsi obtenu.

A cet égard, s'agissant des recrutements en communication à l'UCANSS entre 2012 et 2013, l'employeur justifie que ceux-ci sont intervenus, soit à un niveau de compétence supérieur à celui de M. [M], soit dans un processus professionnel validé par l'entreprise, soit encore avec un prérequis d'expérience dont il ne bénéficiait pas, étant observé que l'appelant, contre toute attente, et sans doute à tort, a refusé pour des motifs de rémunération et de classification, la proposition d'assurer l'intérim d'une partie des attributions de Mme [X], chargée de communication, qui aurait pu lui conférer une expérience ou tout du moins lui permettre de faire ses preuves. La cour relève en outre que l'inspecteur du travail dans son courrier du 7 janvier 2014 précisait sur ce point qu'au vu des documents en rapport avec cette procédure de recrutement qui lui avaient été soumis « les réponses de l'employeur ne permettent pas de conclure, à une volonté manifeste de l'employeur d'écarter M.[M] de ce poste pour des raisons discriminatoires ». (pièce 12, salarié).

M. [M] ne peut en outre soutenir qu'il n'a durant la période allant entre 2009 et 2014 bénéficié d'aucune évolution puisqu'il est établi qu'à l'instar de M. [U], infographiste, niveau 4 coefficient 230 tout comme lui en 2005, seul salarié placé dans une situation proche auquel il peut être utilement comparé, sauf que ce dernier a été embauché en octobre 1996 en tant qu'employé d'édition, il a changé de coefficient en mars 2011 et en mai 2012.

En revanche, l'employeur ne s'explique pas sur l'absence d'attribution de points de compétence pendant cette même période alors que son binôme M. [U] en a obtenus notamment en juillet 2012 et qu'à compter de juillet 2013, il a même été promu au niveau 5A.

En effet, faute de produire sur la période précitée, les entretiens d'évaluation professionnelle des intéressés de nature à justifier de la qualité moyenne des travaux de M. [M] dénoncée par l'employeur dans ses écritures et rapportée à l'inspecteur du travail tandis qu'il se félicite de l'esprit d'initiative de M. [U], la cour n'est pas en mesure de vérifier le bien-fondé de la non-attribution de points de compétence et l'absence de promotion et que celles-ci sont bien en lien avec ses aptitudes professionnelles.

L'UCANSS ne peut se borner à s'appuyer sur un comparatif des compétences des deux salariés établi en octobre 2013 par la supérieure hiérachique de M. [M], Mme [F] arrivée au service en juin 2013, qui n'est étayé par aucun élément tangible ou de dossiers précis ayant donné lieu à reprise, hormis des courriels épars, et qui relève dès lors ainsi que l'a souligné l'inspecteur du travail en l'absence de toute justification, de considérations subjectives. La cour relève à cet égard qu'il ressort des pièces versées au dossier que les infographistes étaient amenés à se remplacer l'un l'autre ou à prendre la suite d'un travail et que M. [I], responsable de la communication métier (pièce 108, salarié) atteste à ce sujet avoir été satisfait de M. [M] comme des autres infographistes, rejoint en cela par les déclarations de certains salariés de la DIRCOM à l'inspecteur du travail selon lesquels le travail de M. [M] était dénigré et qu'il n'y avait pas de différence dans la qualité de travail des différents infographistes. (pièces 17, salarié).

De surcroît, les explications de l'employeur qui tente de démontrer que la rémunération moyenne de M.[M] était conforme à celle des salariés de niveau 4 en contrat à durée indéterminée à l'UCANSS ou d'un organisme de sécurité sociale et que l'écart minime qui peut être relevé est nécessairement dû aux points d'expérience obtenus par les salariés embauchés de plus longue date que l'appelant, ne sont pas convaincantes ou de nature à justifier la situation dénoncée. Le fait que les délégués du personnel n'ont pas exercé leur droit d'alerte pour exiger une enquête sur la discrimination dénoncée n'est pas en soi de nature à faire considérer que celle-ci n'existait pas. L'employeur ne peut en outre valablement se retrancher derrière le fait que l'inspecteur du travail n'ait pas donné suite aux explications qu'il lui a adressées par courrier du 13 juillet 2016(pièce 52-1 UCANSS) puisqu'en réalité il n'a lui-même pas fourni l'ensemble des éléments qui lui étaient réclamés caractérisant l'évolution professionnelle de M. [M] par rapport aux salariés placés dans une situation comparable, soit en l'espèce M. [U] et notamment les entretiens d'évaluation professionnelle.

L'UCANSS n'établit donc pas que la stagnation de la carrière professionnelle de M. [M] qui n'a été promu au niveau 5A qu'en 2019 est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes la discrimination syndicale alléguée est donc établie.

M. [M] réclame à titre d'indemnisation intégrale de son préjudice une somme de 85.000 euros en retenant non l'évolution salariale de M. [U] auquel il doit être comparé mais sur un parcours moyen de promotion tous les 5 ans à l'UCANSS allégué pour estimer, sans aucun justificatif à l'appui, qu'il aurait dû obtenir une promotion 5A en 2010 et 5B en 2015 et sur une moyenne de rémunération annuelle complète intégrant des points de compétence auxquels en l'état il ne peut prétendre.

En l'état des données du dossier, il y a lieu d'indemniser le préjudice subi à raison de la discrimination syndicale subie par M. [M] en lui allouant, à défaut de démonstration d'un préjudice plus ample, la somme de 20.000 €, au paiement de laquelle l'UCANSS sera condamnée.

M. [M] sera débouté du surplus de ses prétentions et notamment de sa demande de fixation au coefficient 5B et aux points de compétence à 68.

Sur la demande d'indemnité pour préjudice moral en lien avec sa discrimination syndicale

M.[M] réclame une somme de 15.000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral en lien avec sa discrimination syndicale en soulignant qu'il s'est engagé depuis 2006 dans différents mandats syndicaux en présentant des qualités et un professionnalisme reconnus. Il fait valoir qu'il a subi un préjudice dans sa vie sociale tenant aux difficultés financières auxquelles il a été confronté. Ce faisant M. [M] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà indemnisé plus avant. Il sera débouté de sa demande de ce chef.

Sur le harcèlement moral

En application de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, doit en assurer l'effectivité en application des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail.

Au soutien de ses prétentions relatifs au harcèlement moral dont il estime avoir été victime, M. [M] invoque :

- un dénigrement de son travail et une déqualification organisée par l'astreinte à des travaux répétitifs, monotones et sans expertise et le retrait de travaux de conception,

- le déni des interventions des représentants du personnel et de l'inspecteur du travail et l'acharnement de la direction à ne rien régler.

- la mise en oeuvre d'une stratégie d'épuisement et de l'absurde consistant à le renvoyer de responsable en responsable, dans le rejet de ses candidatures et le poussant à refuser un poste provisoire de Mme [X].

-l'envoi de lettres les veilles de week end et les reproches infondés.(pièce 8 courrier du 13 septembre 2013).

Il précise que depuis 2012, sa santé a connu une évolution préjudiciable directement en lien avec le harcèlement subi et justifiant des arrêts de travail en 2012 mais aussi en 2013 dont deux clairement en lien avec sa situation professionnelle selon ses médecins traitants eux-mêmes avec une orientation par le médecin du travail vers un suivi par une cellule spécialisée « consultation, souffrance et travail » de l'UMIF FNATH de 2013 à 2016.

Il s'appuie sur les constatations et interrogations restées sans réponse de l'inspecteur du travail en date du 24 décembre 2014, après qu'il ait participé notamment à la réunion du CHSCT du 9 décembre 2014, au cours de laquelle ont été évoquées après la visite des locaux, les conditions de travail au sein de la DIRCOM tant de façon collective qu'individuelle et le concernant plus particulièrement. L'inspecteur du travail relève ainsi que les salariés de la DIRCOM lui ont confié que le travail de M. [M] est dénigré par la direction et qu'ils ne percevaient pas de différences dans la qualité de travail entre les infographistes pouvant justifier les différences de rémunération existantes. L'inspecteur du travail poursuit en outre s'agissant de la diversification des tâches, qu'elle est une conséquence de l'obligation de fourniture du travail en rapport avec la fonction du salarié et qu'elle ne peut être une récompense de la perception de l'investissement du salarié au travail.

M.[M] produit des courriels justifiant qu'il lui était demandé d'effectuer des travaux se réduisant à des copiés/collés (pièces 63 et suivants) et un courrier de la direction daté du 13 septembre 2013 après un rendez-vous avec le service des ressources humaines dans le cadre d'une contestation salariale, aux termes duquel lui ont été reprochés la qualité de certaines productions, des refus de certains travaux, des remarques négatives sur les travaux qui lui sont confiés et qui entraient dans ses attributions (pièce8, salarié). Il souligne alors qu'il est en situation discriminatoire que l'employeur n'a pas hésité à lui confier la réalisation d'un document intitulé « Réussir ensemble » le plaçant dans une situation schizophrénique (pièce 16, salarié).

La cour retient de cette chronologie et de ces données circonstanciées que M. [M] établit la matérialité des faits précis et concordants à l'appui d'un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble ces faits permettent de présumer un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur réplique à juste titre que la proposition de l'intérim partiel à M. [M] du poste de chargé de communication de Mme [X] au coefficient 5A était loyale même si l'appelant réclamait le coefficient 6 de l'intéressée alors même qu'il ne devait assumer qu'une partie de ses attributions et qu'il contestait le fait qu'à l'issue du remplacement, il retrouverait son coefficient 4. La cour retient dès lors que rien ne permet de considérer que l'employeur a ainsi contraint M. [M] à refuser le poste provisoire.

La société intimée répond également que le titre du rapport interne intitulé « Réussir ensemble » à destination de l'ensemble du personnel de l'UCANSS, n'a pas été choisi en fonction de la personne de M.[M] et qu'il ne peut à la fois soutenir la déqualification qu'il subirait et qu'il ferait le même travail que M. [U] également infographiste.

Ce faisant l'employeur ne justifie pas des travaux de conception confiés à M.[M] pour lesquels il se serait montré insuffisant et ne produit aucune preuve de ses limites que ce soit par comparaison avec les travaux confiés à M. [U] ou par des témoignages de ses supérieurs contraires aux propos rapportés par les salariés de la DIRCOM auprès de l'inspecteur du travail.

De surcroît, les reproches liés à la qualité de certaines de ses productions ou à ses refus de certains travaux ne sont pas établis. La cour retient également que l'employeur n'a de façon générale pas répondu aux interpellations des inspecteurs du travail qui se sont succédés et que le médecin du travail a, même si M. [M] était déclaré apte à son poste, orienté celui-ci dès le 12 septembre 2013 vers une consultation spécialisée en souffrance au travail. (pièce 79, salarié).

La cour déduit de ce qui précède que l'employeur n'établit pas que les décisions prises à l'égard de M. [M] étaient justifiées par des éléments étrangers à tout harcèlement moral, lequel est par conséquent établi. Le préjudice ainsi subi par M. [M] sera justement évalué à la somme de 2.000 euros de dommages-intérêts.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

M. [M] soutient que la dégradation de son état de santé était directement liée à la dégradation de ses conditions de travail à l'UCANSS ajoutant que la réorganisation de la DIRCOM entre 2012 et 2013 n'a pas été menée telle que celle-ci avait été préconisée et avait engendré divers incidents aboutissant à des arrêts de travail de plusieurs agents, à un licenciement, à une démission de l'adjoint du directeur de la communication, à plusieurs questions DP en lien avec la DIRCOM, à un signalement à l'inspecteur du travail.

L'UCANNSS conteste quant à elle tout manque de réactivité en la matière, invoquant avoir associé le CE à 13 reprises sur des projets d'amélioration des conditions de travail, avoir négocié et conclu un protocole d'accord sur la santé, la sécurité et les conditions de travail puis avoir installé une commission paritaire pour la mise en oeuvre de la politique en découlant (pièce 32 intimée), avoir favorisé l'intervention du psychologue du travail suite aux réclamations de M. [M] et à celles relatives à la réorganisation de la DIRCOM.

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée.

Il ressort des pièces produites par M [M] que malgré les nombreuses alertes qu'il a adressées à ses reponsables hiérarchiques et son recours à l'inspecteur du travail,il n'a pas été entendu en temps utile dans ses doléances.

Le manquement de la société à ses obligations de sécurité et de prévention est donc avéré et il sera alloué à M. [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à ce titre.

Sur le cours des intérêts

La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2.

Sur les autres dispositions

Partie perdante l 'UCANSS est condamnée aux dépens d'instance et d'appel; le jugement déféré étant infirmé sur ce point et à verser la somme de 2.500 euros à M. [M] par application de l'article 700 du code de procédure civile, elle-même étant déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [P] [M] de sa demande d'indemnité pour préjudice moral résultant de la discrimination syndicale subie.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés:

CONDAMNE l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) à payer à M. [P] [M] les sommes suivantes:

-20.000 euros à titre d'indemnité pour discrimination syndicale.

-2.000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

-1.500 euros de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

DÉBOUTE M. [P] [M] du surplus de ses prétentions.

RAPPELLE que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2.

CONDAMNE l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) à payer à M. [P] [M] la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) aux entiers dépens d''instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 18/05610
Date de la décision : 22/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°18/05610 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-22;18.05610 ?
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