La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2020 | FRANCE | N°18/05412

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 22 septembre 2020, 18/05412


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05412 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QMF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 16/03460





APPELANTE



Madame [C] [N]

[Adresse 1]

[Localit

é 4]

Représentée par Me Mikaël KLEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0469





INTIMÉE



SAS SIEMENS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Soazig PRÉTESEILLE-TAILLARDAT,...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05412 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QMF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 16/03460

APPELANTE

Madame [C] [N]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Mikaël KLEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0469

INTIMÉE

SAS SIEMENS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Soazig PRÉTESEILLE-TAILLARDAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Juin 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre,

Didier MALINOSKY, Vice-président de chambre,

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [C] [N], née en 1963, a été engagée par la société Siemens Transportation System devenue Siemens SAS selon un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 6 février 2008, avec un statut cadre.

En dernier lieu, elle exerçait les fonctions de Responsables de Lots SNCF Pièces détachées au sein de l'Unité Services Clients (Business Unit Customer Services) pour le département Pièces Détachées et Logistiques (Spare Part et Logistics) de la Division Mobility.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la métallurgie.

Au dernier état, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [N] s'élevait à la somme de 6.710 euros.

Le 13 février 2015, la société Siemens a initié un processus d'information et de consultation de ses institutions représentatives du personnel dans le cadre d'un projet de réorganisation de la Division Mobility pour sauvegarder sa compétitivité, projet devant aboutir à la suppression de 114 postes et à la modification de 23 contrats de travail.

Un accord collectif majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l'emploi et aux modalités de mise en 'uvre des licenciements a été signé par la société et les organisations syndicales représentatives le 5 juin 2015, puis validé par la Direccte le 27 juillet 2015.

Par courrier en date du 29 juillet 2015, la société Siemens a proposé à Mme [N] la modification de son contrat de travail pour motif économique consistant en un transfert de son poste vers [Localité 8] où les activités du Département Pièces Détachées et Logistique allaient être affectées.

Le 22 septembre 2015, Madame [N] a refusé la modification de son contrat de travail.

La société Siemens a proposé 9 offres de reclassement à Mme [N] qui ont toutes été refusées par cette dernière par courrier du 5 février 2016.

Mme [N] a ensuite été licenciée pour motif économique et impossibilité de reclassement par lettre datée du 19 mai 2016.

Mme [N] a adhéré au congé de reclassement par courrier du 24 mai 2016 par lequel elle a également fait valoir sa priorité de réembauchage.

À la date du licenciement, Mme [N] avait une ancienneté de 8 ans et 3 mois.

La société Siemens occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités qui en découlent mais aussi pour violation de la priorité de réembauche et harcèlement moral, outre des rappels de salaires, Mme [C] [N] a saisi, le 15 mars 2018, le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 15 mars 2018 a statué comme suit:

- DEBOUTE Mme [N] [C] de l'ensemble de ses demandes

-DEBOUTE la société Siemens de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

-CONDAMNE Mme [N] , partie demanderesse qui succombe aux entiers dépens.

Par déclaration du 13 avril 2018, Mme [N] a frappé d'appel cette décision.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 25 mars 2020, Mme [N] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu le 15 mars 2018 par la Section Encadrement du conseil de prud'hommes de Bobigny en ce qu'il a débouté la société Siemens de sa demande au titre de l'article 700 du code de Procédure civile ;

- Infirmer le jugement rendu le 15 mars 2018 pour le surplus ;

- Constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu le 19 mai 2016 ;

- Fixer le salaire mensuel moyen de Mme [N] à la somme de 6.710 € bruts ;

En conséquence,

- Condamner la société Siemens à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

* 100.650 € nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 33.550 € nets à titre de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauche ;

* 50.000 € nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

* 2.348,50 € bruts à titre de rappels de salaire du fait des erreurs intervenues dans le calcul du point de départ du congé de reclassement ;

* 234 € bruts de congés payés afférents ;

* 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Assortir les condamnations des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes;

- Ordonner à la société Siemens de remettre à Mme [N] les documents sociaux conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 500 € par jour de retard et par document à compter du dixième jour suivant la notification du jugement à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- Condamner la société Siemens aux dépens.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 24 mars 2020, la société Siemens demande à la cour de :

A titre principal

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 15 mars 2018 en ce qu'il a débouté Mme [N] de l'ensemble des demandes et l'a condamné aux entiers dépens;

A titre incident

- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 15 mars 2018 en ce qu'il a débouté la société Siemens de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner Mme [N] à verser à la société Siemens France la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance.

A titre subsidiaire,

Si par l'impossible la Cour décidait de réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Bobigny du 15 mars 2018 et considérait le licenciement de Mme [N] sans cause réelle et sérieuse,

- Juger que le maximum de l'indemnité qu'elle pourrait percevoir est de 49.673 €, équivalent à 8 mois de salaire brut.

- Juger qu'il n'y a pas lieu de lui attribuer ce plafond, eu égard aux sommes qu'elle a pu percevoir dans le cadre du PSE et notamment du bénéfice du congé de reclassement pendant une durée de 21 mois.

- Constater que Mme [N] a perçu 36.322 € indus en prolongation de neuf mois de son congé de reclassement auquel elle n'était pas éligible.

Par conséquent,

- Réduire le montant de sa demande et effectuer la compensation avec les sommes qu'elle a perçues indûment.

En tout état de cause :

- Condamner Mme [N] à verser à la société Siemens France la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Mme [N] aux entiers dépens.

Initialement, l'ordonnance de clôture était prévue le 25 mars 2020 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie le 05 mai 2020.

En raison de la crise sanitaire, l'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 juin 2020 et l'audience de plaidoirie s'est tenue le 30 juin 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR:

Sur la rupture du contrat

Mme [N] conteste le motif économique de son licenciement.

La lettre de licenciement de Mme [N] est motivée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe Siemens sur le secteur d'activité transports après « plusieurs exercices marqués par des pertes sur des projets très importants et des résultats décevants de la Division Mobility qui n'a atteint que le bas de la fourchette d'objectifs de marge ce qui compromet les investissements nécessaires à la compétitivité des solutions Siemens Mobility » et en raison de la diminution entre 2011 et 2014 du chiffre d'affaires et du résultat de Mobility France rendant sa réorganisation indispensable.

Selon les dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations.

Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des transformations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi et non seulement pour en améliorer la rentabilité.

La cour rappelle que la signature de l'accord concernant le PSE qui ne portait que sur les mesures d'accompagnement ne vaut pas acceptation de la réorganisation ou validation par les organisations syndicales du motif économique présenté par la société Siemens.

Il ressort du dossier que :

- le Groupe Siemens est composé de 9 divisions segmentées par technologies/ secteur d'activité et une entitié dédiée au financement, chaque division étant présente dans les différentes zones commerciales réparties dans le monde.

-la Division Mobility France au sein de laquelle travaillait Mme [N] propose une gamme complète de produits solutions et services destinés à la mobilité des voyageurs et des marchandises par rail et par route déployant toute la gamme de matériels roulants et ferrovières, les équipements d'alimentation et de stockage pour lignes de bus, l' aide à la conduite de métros, les systèmes de signalisation et de contrôle pour le transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, des solutions d'électrification pour le trafic ferroviaire et routier et la réalisation de projets clés en main sur le marché français et sur les zones géographiques dans lesquelles elle intervient en tant que maison mère.

-la Business Unit Customer Services (Services Clients) est organisée en quatre départements dont le Department Spare et Logistic (Pièces détachées et Logistics) auquel était affectée Mme [N], lequel était présent sur deux sites à [Localité 8] et [Localité 6].

Sur un plan économique, le dossier remis au comité d'établissement de la société Mobility France aux fins de réorganisation de la société (pièce 3, société) fait état des éléments suivants:

-le marché mondial a considérablement évolué, alors que l'Europe a été longtemps la part dominante du marché avec les pays nord et sud-américains et que celui-ci était jusque- là dominé par les acteurs européens, ont émergé de nouveaux concurrents particulièrement en Asie avec l'arrivée de Bombardier, Mitsubishi et Hitachi dont les chiffres d'affaires sont aujourd'hui supérieurs à l'activité des acteurs ferroviaires européens et américains et qui cherchent désormais à conquérir des parts de marchés à l'export créant une nouvelle donne concurrentielle notamment pour Siemens.

- depuis 2013, les résultats de la Division Mobility France se sont fortement dégradés puisque le chiffre d'affaires a diminué de 49% et le résultat de 64%, à l'origine de cette dégradation étant la chute de l'activité traditionnelle du VAL (métro sur pneus) et la perte de contrats majeurs au profit de Bombardier (Sao Paulo, Dubaï et Shanghai) et Mitsubishi (Macao, Tampa et Orlando) voire même d'Alstom ([Localité 6] 1) tandis que Siemens n'a remporté que le marché de [Localité 7] B mais aussi le ralentissement de l'activité des automatismes restée cantonnée à des projets européens et américains tandis que l'essentiel de la croissance se réalisait en Asie à des prix plus compétitifs.

La société Siemens affirme que la Business Unit Customer Services directement adossée aux différentes activités de la division Mobility était directement affectée par le recul enregistré puisqu'elle a pour activité la maintenance des produits et solutions des autres business unit.

Elle ajoute en outre que les prévisions de commandes pour la part transports urbains ayant évolué à la baisse de 83% entre 2014 et 2019 ce qui a justifié qu'elle initie un processus de réorganisation de ses activités mobility en vue de sauvegarder sa compétitivité et de recentrer les activités d'atelier et de logistique de [Localité 6] et de [Localité 5] à [Localité 8].

Toutefois, ainsi que le fait observer Mme [N] avec pertinence, l'employeur ne démontre par aucun document extérieur comptable, financier ou bancaire la menace sur sa compétitivité qu'il invoque à l'appui de son licenciement, se contentant de procéder par affirmations dans les documents précités établis à destination des représentants du personnel pour justifier de son projet de réorganisation.

A cet égard, la cour relève que la diminution du chiffre d'affaires ou du résultat de Mobility France, ainsi que la baisse du carnet de commandes VAL et son impact sur les perspectives de la business Unit Customer Services ne sont en effet pas autrement établis.

De surcroît, la cour observe que les données relatives au carnet de commandes, chiffres d'affaires, résultats et frais généraux de Mobility France en page 23 et 24 du Livre II du projet de réorganisation de la société dans le dossier à destination du comité d'entreprise de Mobility France remis à la cour en annexe 3, ont été occultées pour des raisons de confidentialité, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'apprécier la pertinence de la conclusion qui en est tirée page 24 précitée selon laquelle « L'activité de Mobility France doit donc se redresser pour assurer sa pérennité et participer à la sauvegarde de la compétitivité de la division Mobility Monde ».

En l'état des données produites au dossier, la cour n'est pas en mesure de vérifier la perte de marché du VAL alors même que selon l'appelante qui s'appuie sur le rapport du cabinet d'expert-comptable Syndex (pièce 12, salariée) dans sa mission d'assistance au CCE de la SAS Siemens dans le cadre du PSE de Siemens Mobility, d'autres opportunités commerciales sont apparues au cours de l'année 2015 (ligne B de [Localité 7] et ligne A du métro de [Localité 8]) ou ont émergé pour l'exercice 2017 mais ont été exclues des prévisions de Siemens afin de diminuer fictivement ses perspectives d'investissement et que le plan stratégique d'UT VAL de la société Siemens en juillet 2014 prévoyait une très forte croissance du résultat ( rapport Syndex précité page 137).

La cour retient également que la société Siemens ne conteste pas que les résultats négatifs dénoncés ne concernent que les objectifs de marge alors que les performances économiques de la division Mobility, selon le rapport Syndex précité, étaient conformes aux objectifs du groupe.

Cette situation est en outre corroborée par le fait que le groupe Siemens a en réalité présenté d'excellents résultats pour l'année 2015 ce qui a concerné également la BU Mobility France puisqu'il ressort de la communication de M. [G] [K] de la direction Mobility France que les très bonnes performances enregistrées ont permis de dépasser les objectifs fixés et le versement d'une enveloppe globale de 1 860.890 euros au titre de l'intéressement sur les résultats 2015 aux collaborateurs Mobility France. (pièce 14 salariée)

Il s'en déduit que la société Siemens n'établit pas que l'objectif poursuivi dans le cadre de la réorganisation tendait à sauvegarder sa compétitivité à l'égard de ses principaux concurrents Mitsubishi et Alsthom, de sorte que par infirmation du jugement déféré, la cour retient que le licenciement pour motif économique de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mme [N] se prévalant d'un salaire moyen de 6.710 euros incluant la part variable de sa rémunération, réclame une indemnité de 100.650 euros en réparation de son préjudice soit l'équivalent de 15 mois de salaire en faisant valoir que malgré ses recherches, (elle évoque plus de 200 candidatures en 2018), elle n'a pas retrouvé d'emploi hormis une mission de courte durée dans le cadre d'un portage salarial en mars 2020, précisant que le nouveau barème des indemnités prud'homales ne lui est pas applicable en considération de la date de son licenciement.

La société Siemens relève que Mme [N] a tardé à s'inscrire à Pôle emploi en soulignant qu'elle a bénéficié d'un congé de reclassement particulièrement long de 21 mois, durant lequel elle a perçu 65% de sa rémunération. Aussi, elle demande à la cour de fixer un montant raisonnable d'indemnité par référence aux barèmes existants.

Il est constant que les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, issues du décret 2017-1387 du 22 septembre 2017, sont applicables aux licenciements prononcés à compter du 23 septembre 2017 et que Mme [N] a été licenciée en date du 19 mai 2016.

Compte-tenu de son ancienneté, des circonstances de la rupture et des conséquences de celle-ci telles qu'elles ressortent du dossier, la cour par infirmation du jugement déféré est en mesure d'évaluer son préjudice à un montant de 41.000 euros de dommages-intérêts.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur le harcèlement moral

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions et pour infirmation du jugement déféré qui l'a déboutée de sa demande de ce chef, Mme [N] soutient que l'employeur a eu à son encontre des agissements graves et répétés constitutifs d'un harcèlement moral ayant contribué à la dégradation de son état de santé. Elle dénonce à ce titre que:

- le poste transféré à [Localité 8] n'était pas le sien mais que sous couvert d'une modification de poste pour motif économique l'employeur a cherché à modifier son poste la conduisant à refuser la proposition d'affectation ainsi qu' elle l'a dénoncé par lettre du 22 septembre 2015.

- la mutation lui a été proposée dans un délai bref afin qu'elle n'accepte pas le poste;

- il a été tenté de la rétrograder sur un poste de logisticien;

- ses affaires personnelles et professionnelles ont le 10 février 2016 été entreposées dans des cartons sans qu'elle soit prévenue;

- son solde de tout compte et sa rémunération variable pour 2016 lui ont été payés avec retard;

- l'employeur malgré ses nombreuses alertes n'a pas réagi.

Elle soutient que sa santé physique et mentale a été profondément affectée par la dégradation de ses conditions de travail.

La cour retient de ces données circonstanciées que Mme [N] établit la matérialité des faits précis et concordants à l'appui d'un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble ces faits permettent de présumer un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur répond de façon pertinente que rien ne permet d'affirmer que le poste de Mme [N] n'a pas été transféré à [Localité 8] comme elle le soutient en faisant la distinction entre le poste de responsable pièces détachées SNCF et de responsable lots SNCF, puisque sous réserve de la différence de sémantique relevée, il n'est pas contesté que l'ensemble du département auquel elle appartenait a été transféré à [Localité 8], sans qu'aucune précipitation ne soit démontrée et que son refus était également motivé par des impératifs familiaux l'empêchant d'accepter une mutation hors de la zone géographique dans laquelle elle travaillait jusque-là.

S'agissant de la tentative de rétrogradation dénoncée, c'est à juste titre que l'employeur rappelle qu'il était tenu d'une obligation de reclassement puisque selon l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure. Il ne peut donc être reproché à la société Siemens d'avoir proposé à Mme [N] un poste de logisticien basé à [Localité 5], lequel à supposer qu'il soit de catégorie inférieure, était assorti des mêmes conditions de rémunération fixe et variable, qu'elle a été parfaitement en droit de refuser, sans qu'il puisse être retenu ni une tentative de rétrogradation ni un harcèlement moral.

Concernant les irrégularités de le gestion paie, la société Siemens oppose sans être contredite que Mme [N] a en effet été remplie de ses droits en ce qui concerne la rémunération variable de l'année 2016 en janvier 2017, conformément aux usages au sein de l'entreprise et la cour retient que rien ne permet de retenir que le règlement avec un retard relatif du solde de tout compte procèderait d'une volonté délibérée et ne serait intervenu qu'après intervention de l'inspection du travail.

En revanche, la société Siemens ne s'explique pas de façon convaincante, faute de justifier des aménagements de l'espace de travail invoqués, sur le fait que les affaires de Mme [N] aient été en février 2016 entreposées dans un carton en son absence sans qu'elle en soit avertie au préalable, ni qu'elle n'aurait pas été la seule concernée.

Toutefois,il est admis qu' un fait unique ne peut à lui seul constituer un harcèlement moral qui doit procéder de faits répétés.

En conséquence, il convient par confirmation du jugement déféré, de retenir que les décisions de l'employeur à l'exception de la gestion des affaires personnelles de Mme [N] étaient étrangères à tout harcèlement moral et qu'elle a été déboutée à juste titre de ses demandes de ce chef.

Sur la demande concernant la violation de la priorité de réembauche

Mme [N] soutient, pour infirmation du jugement déféré que l'employeur n'a pas respecté son obligation relative à la priorité de réembauchage, qu'en effet elle n'a eu de cesse d'alerter la société intimée sur la diffusion d'offres d'emploi correspondant à son profil et à ses qualifications sans qu'ils ne lui soient proposés.

La société Siemens réplique qu'elle n'a aucunement violé la priorité de réembauche de Mme [N] en précisant que si les postes évoqués ne lui ont pas été proposés c'est en raison de l'inadéquation entre ses compétences et son expérience et celles requises pour ces emplois.

L'article L. 1233-45 du code du travail dispose :

"Le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de la rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.

Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification ...".

Aux termes de l'article L. 1235-13 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, en cas de non-respect de la priorité de réembauche prévue à l'article L.1233-45, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à deux mois de salaire.

Il est admis que la priorité de réembauchage ne s'applique que lorsque l'employeur procède à des embauches et que l'emploi disponible doit être compatible avec la qualification du salarié.

En cas de litige, c'est à l'employeur de justifier qu'il n'y avait pas lieu de proposer une priorité de réembauche à un salarié qui l'avait sollicitée, en d'autres termes il ne respecte pas la priorité de réembauchage s'il ne propose pas des emplois disponibles dont il n'est pas établi qu'ils sont incompatibles avec la qualification du salarié licencié.

Il appartient au juge d'apprécier si les emplois disponibles sont compatibles avec la qualification du salarié.

La cour rappelle que Mme [N] a été successivement entre 2008 et 2016, responsable commerciale et de pilotage d'offres concernant des contrats d'après-vente ferrovière puis responsable commerciale régionale France Est au sein du département des ventes France, puis responsable d'offres avant d'exercer les fonctions de responsable de lots SNCF.(pièces 2,3et 4 salariée).

Mme [N] justifie avoir dès le 10 juin 2016 écrit à la société Siemens, à la suite de la publication d'un poste de responsable commercial / offre mobility (référence 229334) le 8 juin 2016, et postulé sur celui-ci en s'étonnant qu'il ne lui ait pas été proposé dans le cadre de sa priorité de réembauche.

Les raisons du refus opposé à Mme [N] par courrier de la DRH du 24 juin 2016 lui indiquant que ce poste n'était pas compatible avec sa qualification, car ce poste aurait été redimensionné pour réunir la fonction de commerciale et celle de responsable d'offre n'apparaissent toutefois pas convaincantes.

En effet, il a été rappelé plus haut que Mme [N] a occupé entre 2008 et 2011 un poste de responsable commerciale et pilotage d'offres et rien au dossier ne permet d'affirmer que le poste ouvert concernait des appels d'offres pour la construction de métro comme affirmé par l'employeur dans ses écritures alors que la salariée n'avait jusque-là négocié que des petits contrats pour des pièces détachées SNCF. Il n'est pas établi en outre que Mme [N] n'aurait pas eu les compétences techniques nécessaires, ce qu'elle a au demeurant contesté dans son courrier du 1er juillet 2016, d'autant qu'il ressort du profil de poste produit en pièce 10 (salariée) qu'il était exigé une expérience significative en tant que responsable de département ou de projet ou comme responsable commercial dans le secteur ferroviaire, ce que l'appelante présentait incontestablement.

De le même façon, c'est de façon peu pertinente que la société Siemens a opposé à Mme [N] son refus de mobilité au motif notamment que le poste ouvert supposait de nombreux déplacements à l'international alors que Mme [N] n'est pas contredite quand elle affirme en avoir régulièrement effectués dans son précédent poste, faisant valoir à juste titre qu'aucun amalgame ne pouvait être fait avec son refus de mobilité impliquant un changement de résidence familiale.

S'agissant de l'ouverture du poste chef de projet senior équipements ferroviaires sur lequel Mme [N] a postulé par courrier du 7 octobre 2016, sans que celui-ci ne lui ait été proposé, la cour relève qu'il lui a été opposé l'exigence de prérequis de management antérieurs qui ne figurent toutefois pas sur le profil du poste concerné mais aussi et sans aucun justificatif, le fait qu'elle n'aurait pas démontré sur les différents postes occupés précédemment avoir les compétences pour la conduite d'une équipe.

S'agissant pour finir du poste de responsable d'offre systèmes d'automatisme, la société Siemens n'est pas convaincante au vu du profil du poste produit qui préconise une expérience significative dans le domaine des projets ou offres dans le secteur ferroviaire, lorsqu'elle se borne à affirmer que celui-ci nécessitait des compétences très différentes que Mme [N] ne présentait pas.

La cour déduit de ce qui précède que la société Siemens n'a pas respecté la priorité de réembauchage à laquelle elle était tenue à l'égard de Mme [N] dont le préjudice sera évalué par infirmation du jugement déféré, à la somme de 13.420 euros.

Sur la demande de rappel de salaire

Mme [N] réclame un rappel de salaire pour la période allant du 23 mai au 30 mai 2016 en faisant valoir que son congé de reclassement a débuté le 1er juin 2016 et non le 21 mai 2016 comme retenu à tort par l'employeur

.

La société Siemens n'a pas conclu sur ce point.

Le PSE de la SAS Siemens prévoit dans son article II. 2, qu'en cas d'accepation expresse, le congé de reclassement débute au neuvième jour suivant la notification du licenciement.

C'est à tort que l'employeur a par conséquent retenu la date du 21 mai 2016 comme point de départ du congé de reclassement alors même que le licenciement daté du 19 mai 2016 a été notifié selon Mme [N] le 23 mai 2016.

Par infirmation du jugement déféré, Mme [N] est en droit de prétendre à la somme réclamée de 2.348,50 euros à titre de rappel de salaire pour la période précitée, majorée des congés payés à raison de 234 euros.

Sur la production des documents sociaux

La société Siemens SAS devra délivrer à Mme [N] un bulletin de paie récapitulatif des sommes de nature salariale allouées ainsi qu'une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision sans que la mesure d'astreinte soit justifiée en l'état.

Sur les autres dispositions

Partie perdante, la SAS Siemens sera condamnée aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point, ainsi qu'à verser à Mme [N] une somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, elle-même étant déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme [C] [N] de sa demande relative à un harcèlement moral.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

JUGE que le licenciement économique de Mme [C] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

CONDAMNE la SAS Siemens à payer à Mme [C] [N] les sommes suivantes:

- 41.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- 13.420 euros à titre d'indemnité pour violation de priorité de réembauche.

- 2.348,50 euros à titre de rappel de salaire pour la période allant du 23 mai au 31 mai 2016, majorée des congés payés afférents de 234,85 euros.

-3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

ORDONNE le remboursement à Pôle emploi par la Siemens des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [C] [N] dans la limite de six mois d'indemnité.

ORDONNE à la SAS Siemens de délivrer à Mme [C] [N] un bulletin de paie récapitulatif des sommes de nature salariale allouées ainsi qu'une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de ladite décision.

DÉBOUTE la SAS Siemens de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SAS Siemens aux dépens d'instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 18/05412
Date de la décision : 22/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°18/05412 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-22;18.05412 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award