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17/09/2020 | FRANCE | N°19/12001

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 17 septembre 2020, 19/12001


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 17 Septembre 2020

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/12001 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBCIB



Décision déférée à la Cour : Jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de PARIS le 16 Juin 2011 sous le RG n° 10/2628 ; infirmé partiellement par la chambre 6/9 de la Cour d'appel de PARIS le 08 Novembre 2017 sous le RG n° 16/2669 lui-même partiellement cassé par la Cou

r de cassation dans son arrêt n° 1096 F-D rendu le 03 Juillet 2019, ayant renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de PAR...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 17 Septembre 2020

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/12001 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBCIB

Décision déférée à la Cour : Jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de PARIS le 16 Juin 2011 sous le RG n° 10/2628 ; infirmé partiellement par la chambre 6/9 de la Cour d'appel de PARIS le 08 Novembre 2017 sous le RG n° 16/2669 lui-même partiellement cassé par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1096 F-D rendu le 03 Juillet 2019, ayant renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de PARIS autrement composée.

APPELANT

Monsieur [Y] [E]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069 substituée par Me Thibaut DE SAINT SERNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525

INTIMEE

SAS EFESO CONSULTING FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 substitué par Me Nicolas SAUVAGE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2240

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Juin 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, et Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre, chargées du rapport.

Ces magistrats, entendus en leur rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de Chambre,

Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre,

Monsieur François MELIN, Conseiller.

Greffier : Madame Lucile MOEGLIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Selon contrat de travail à durée indéterminée du 4 avril 2008, M. [E] a été engagé en qualité de vice président cadre dirigeant par la société Efeso Consulting France, les relations contractuelles étant soumises à la convention collective nationale Syntec.

Le 23 février 2010, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société pour modification unilatérale de celui-ci sans son accord préalable et harcèlement moral et obtenir diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

M. [E] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 16 avril 2010 en vue d'un éventuel licenciement qui lui a été notifié le 28 avril 2010 pour faute grave.

Par jugement en date du 16 juin 2011, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes ainsi que la société de sa demande reconventionnelle et a condamné le salarié aux dépens.

Par arrêt en date du 8 novembre 2017, la cour d'appel de Paris a :

- dit n'y avoir lieu à péremption d'instance,

- infirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes de rappels de rémunération variable pour les années 2008 et 2009 et d'heures supplémentaires, ainsi que la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Efeso Consulting France,

- prononcé la nullité du licenciement pour faute grave,

- ordonné la réintégration de M. [E] au sein de la société,

- condamné la société Efeso Consulting France à payer à M. [E] les sommes suivantes :

* 449 125 € au titre de la rémunération sur la période du 28 avril 2010 jusqu'à l'arrêt, sauf à parfaire en déduisant les revenus de remplacement perçus par le salarié en 2017 avec intérêts au taux légal partant du 25 février 2010, avec capitalisation,

* 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour retenir la nullité du licenciement, la cour a jugé que dans la lettre de licenciement, la société faisait référence à la saisine par le salarié de la juridiction prudhommale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, que cela constituait une mesure de rétorsion à son action en justice portant atteinte à une liberté fondamentale garantie par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et donnant droit au paiement des rémunérations dues entre la date de notification du licenciement illicite de M. [E] et celle de sa réintégration effective, déduction à faire des revenus de remplacement éventuellement perçus sur cette même période.

Le 4 décembre 2017, M. [E] a été réintégré au sein des effectifs de la société Efeso Consulting France et le 29 décembre 2017, le salarié a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt d'appel.

Par arrêt du 3 juillet 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 8 novembre 2017 seulement en ce qu'il a limité à la somme de 449 125 € la condamnation de la société Efeso Consulting France au titre de la rémunération revenant au salarié entre la période du 28 avril 2010 et le 8 novembre 2017 et en ce qu'il a dit y avoir lieu à déduire des sommes à revenir au salarié les revenus de remplacement perçus par lui au cours de l'année 2017 et a renvoyé les parties, où elles se trouvaient avant ledit arrêt, devant la cour d'appel autrement composée.

Pour statuer ainsi, la cour de cassation a jugé que la cour d'appel avait violé les textes en ordonnant, après avoir prononcé la nullité du licenciement, que soient déduites du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et celle du prononcé de l'arrêt, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement sur cette période alors que le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

Le 23 juillet 2019, M. [E] a saisi la cour d'appel de Paris.

Par exploit du 23 octobre 2019, un huissier de justice mandaté par la société Efeso Consulting France a signifié à M. [E] l'arrêt du la Cour de cassation et lui a remis un commandement de payer la somme de 527 437,32 € ainsi qu'un courrier précisant que la signification de cet arrêt, faite ce jour, et les effets de l'indivisibilité susvisée, mettaient fin ce jour à son contrat de travail, ajoutant qu'il ne faisait plus partie des effectifs de la société depuis 13h, ce jour. Par la suite, la société a fait pratiquer une saisie-attribution ainsi que des saisies sur ses valeurs mobilières et ses droits d'associés.

Le 9 juin 2020, le juge de l'exécution a jugé que le dispositif de l'arrêt de la Cour de cassation portait uniquement sur la limitation de la créance de rappels de salaires, sans remettre en cause la nullité du licenciement, ni la réintégration de M. [E] et l'existence d'une créance de 445. 129 €.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Selon ses dernières conclusions du 11 juin 2020 soutenues oralement, M. [E] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :

Avant tout défense au fond,

- juger régulière la déclaration de saisine sur renvoi après cassation du salarié régularisée en date du 23 juillet 2019 et en tout état de cause, qu'elle n'a pas causé grief à la société et dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité,

- juger recevables l'acte introductif d'appel, les deux procédures distribuées sous les RG n°19/08445 et 19/ 12011 ayant fait l'objet d'une jonction suivant ordonnance du 20 février 2020,

- dire n'y avoir lieu à prononcer la radiation de l'affaire,

- dire et juger les conclusions du salarié recevables,

Sur le fond,

- fixer sa rémunération mensuelle à la somme de 17. 500 €,

- juger qu'il n'y a lieu que soient déduites du rappel de salaires dû entre la date du licenciement (28 avril 2010) et celle du prononcé de l'arrêt (8 novembre 2017), les sommes perçues par M. [E] à titre de revenus de remplacement sur cette période,

- condamner en conséquence la société au paiement de la somme de 1. 575.000 € dont à déduire la somme de 449 125 € déjà perçue en exécution de l'arrêt de la cour d'appel confirmée par la cour de cassation,

- juger que le courrier du 23 octobre 2019 envoyé par la société au salarié vaut licenciement et que ce dernier est illicite en ce qu'il est intervenu en violation d'une décision de justice,

- ordonner en conséquence la réintégration du salarié au poste de vice-président au sein de la société dans un délai d'un mois, à compter de la notification de la décision à venir, sous peine d'une astreinte de 1 000 € par jour de retard,

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* 17 500 € par mois du 23 octobre 2019 à la date de sa réintégration effective, les intérêts de retard courant à compter du 8 novembre 2017 et la capitalisation de ces derniers,

* 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur l'absence de déduction des revenus de remplacement, M. [E] soutient que sa rémunération de base avait été fixée à 120 000 € annuels et que lui étaient versés une prime annuelle de 30 000 € ainsi qu'un bonus commercial selon le chiffre d'affaires de la société. Il fait valoir que cette rémunération variable faisait partie intégrante de sa rémunération contractuelle et qu'il est fondé à demander son intégration dans la moyenne prise en compte par la cour d'appel de Paris pour calculer le complément de la somme qui lui est due en exécution de l'arrêt rendu par la Cour de cassation

En outre, M. [E] fait observer que la nullité du licenciement prononcé par arrêt du 28 avril 2010 a acquis l'autorité définitivement de la chose jugée au motif que la Cour de cassation a confirmé sur ce point l'arrêt rendu de la cour d'appel.

Le salarié ajoute que l'interprétation de l'arrêt de la Cour de cassation par la société d'Efeso Consulting France conduisant à affirmer que la cassation partielle de l'arrêt d'appel doit s'étendre à la nullité du licenciement est un non-sens juridique contraire aux articles 624 et 625 du Code de procédure civile puisque l'arrêt de la Cour de cassation n'a pas pour conséquence de casser l'arrêt d'appel sur la nullité du licenciement notifié le 28 avril 2010, mais au contraire, de le confirmer compte tenu du rejet du pourvoi incident de l'employeur. Ainsi, l'appelant soutient que le courrier reçu le 23 octobre 2019 vaut second licenciement mais que ce dernier est illicite, d'une part en ce qu'il viole l'exécution de l'arrêt d'appel et d'autre part en ce qu'il contrevient de façon flagrante à l'arrêt rendu par la Cour de cassation.

Par ailleurs, M. [E] soutient qu'il n'y a aucune nullité pour vice de forme de la déclaration de saisine sur renvoi après cassation puisque d'une part, une nouvelle déclaration de saisine sur renvoi après cassation ainsi que des conclusions ont été régularisées les 26 novembre 2019 et 18 décembre 2019 avec l'adresse exacte de son domicile, purgeant ainsi le vice de forme, et que d'autre part que la société Efeso Consulting France ne rapporte la preuve d'aucun grief.

Selon ses dernières conclusions du 25 juin 2020 soutenues oralement, la société Efeso Consulting France demande à la cour de :

Avant toute défense au fond,

- prononcer l'irrecevabilité de l'acte réintroductif, pour défaut d'intérêt à faire appel, l'affaire 19/08445 étant en cours et l'appel non déclaré caduc,

A titre subsidiaire,

- prononcer la radiation de l'affaire en raison du défaut de restitution des sommes payées en exécution de l'arrêt d'appel cassé,

A titre très subsidiaire,

- juger inconventionnel le premier arrêt d'appel et rejugeant l'affaire, confirmer le jugement de première instance en tout point,

A titre très très subsidiaire,

- juger bien-fondé le licenciement pour faute grave,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger la réintégration du salarié impossible,

- condamner la société elle-même au paiement de douze mois de salaire à titre de dommages et intérêts , soit 120. 000 € bruts soit 97. 000 € nets, avec compensation avec la somme de 518.488, 45 € déjà versée en exécution du premier arrêt d'appel et ordonner le remboursement de la différence par le salarié, augmentée des intérêts légaux depuis le 23 octobre 2019,

A titre très très infiniment subsidiaire,

- ordonner l'imputation des revenus de remplacement sur les revenus évincés, net pour net,

En tout état de cause,

- limiter les revenus évincés à la période du 28 avril 2010 au 23 juin 2013,

- prendre en compte les revenus de remplacement, à déduire ou non, pour leur montant net et sur la même période,

- fixer le point de départ du calcul des intérêts légaux à chaque échéance devenue exigible à compter du 13 juillet 2017, puis mois par mois jusqu'à la réintégration fin novembre 2017,

- condamner reconventionnellement le salarié au paiement de la somme de 5. 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Sur l'irrecevabilité de la présente procédure, la société intimée soutient que l'instance RG n°19/12001 est irrecevable aux motif que l'affaire RG n°19/08445 était toujours en cours et non déclarée caduque lorsque cette seconde a été déposée, que selon l'adage appel sur appel ne vaut.

A titre subsidiaire, la société fait valoir que la radiation de l'affaire n°19/12001 doit être prononcée puisque M. [E] n'a pas respecté son obligation de restitution de la somme de 518. 488, 45 € avant de saisir la cour de renvoi en date du 23 juillet 2019.

A titre très subsidiaire, à l'appui de sa demande d'inconventionnalité du premier arrêt d'appel, la société relève l'insuffisante motivation et la violation du principe de sécurité juridique aux motifs que les juges d'appel ont estimé que l'action en résiliation était l'un des motifs du licenciement du salarié sans avoir examiné le motif principal du licenciement.

A titre très très subsidiaire, à l'appui du bien-fondé du licenciement pour faute grave du salarié, la société soutient que la cassation s'étendait au-delà de la seule question de l'évaluation de l'indemnisation puisque la cassation visait tout le chef de dispositif de l'arrêt d'appel et que l'étendue de la cassation s'apprécie au regard du contenu du moyen entraînant cassation mais aussi que le licenciement ne pouvait être annulé pour violation d'une liberté fondamentale puisque avant le 24 septembre 2017, il n'y avait aucun texte du droit français faisant de la violation d'une liberté fondamentale un cas de nullité du licenciement. L'intimée ajoute que la réintégradation de M. [E] était impossible et, qu'à défaut, aucun texte n'exclut la déduction des revenus de remplacement lorsque le licenciement est nul pour violation d'une liberté fondamentale, que la non déduction des revenus de remplacement aboutirait à une violation du principe de la réparation intégrale du préjudice et donne à la condamnation un caractère punitif et équivaudrait pour les juges civils à prononcer une sanction pénale et prohibée.

Sur le calcul de l'indemnisation, la société Efeso Consulting France fait valoir que d'une part, seul le salaire annuel fixe de base de M. [E] de 120 000 € bruts doit être pris en compte pour l'indemnisation due en cas d'annulation de son licenciement et de sa réintégradation puisque la prime exceptionnelle de 30 000 € bruts n'a jamais été perçue par le salarié qui n'a jamais rempli aucun des critères contractuellement définis pour son attribution; d'autre part, que le point de départ du calcul des intérêts légaux, pour les salaires dus antérieurement, doit être fixé au 13 juillet 2017 puis au 31 août 2017, 31 octobre 2017 pour les salaires des mois concernés.

Concernant l'irrecevabilité des nouvelles prétentions formées par M. [E], la société Efeso Consulting France invoque l'application du décret du 20 mai 2016 et la fin du principe de l'unicité de l'instance. Elle se fonde également sur un courrier adressé par l'appelant à la cour et conclut également à l'illégalité de ces demandes. Elle fait valoir qu'elle a exécuté de bonne foi l'arrêt de la Cour de cassation en replaçant les parties dans l'état antérieur à la cour d'appel, soutenant qu'elle a rompu le contrat de travail par l'effet de la loi, qu'il s'agissait d'une rupture et non d'un licenciement dont la procédure était irrégulière. Elle précise enfin s'opposer à la demande de réintégration, qui faute de disposition légale ne peut être ordonnée, précisant qu'elle est matériellement impossible en 2020 de même qu'en 2017. Elle ajoute que la demande de paiement des salaires évincés ne peut être que rejetée.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

MOTIFS DE LA DECISION

 

Sur l'irrecevabilité de la présente procédure et subsidiairement sur la radiation de l'affaire du rôle de la cour

A titre principal, la société Efeso Consulting France soulève l'irrecevabilité de l'acte d'appel réintroduisant la procédure enregistrée sous le n°19/12001 au motif qu'une précédente saisine, enregistrée sous le n° 19/8445, était en cours. Elle cite un arrêt de la Cour de cassation ayant jugé irrecevable un second appel alors qu'un précédent appel avait été formé et n'avait pas été déclaré caduc.

Après l'arrêt de la Cour de cassation, M. [E] a saisi la cour d'appel de renvoi le 23 juillet 2019 et précise avoir procédé à une nouvelle saisine de la cour d'appel au motif que dans ses premières conclusions notifiées le 25 novembre 2019, la société Efeso Consulting France avait sollicité la nullité de la déclaration de saisine en raison du caractère erroné du domicile mentionné par le salarié, ce dont atteste l'examen des écritures de la société.

Aucune caducité ne saurait être encourue, la saisine de la cour d'appel étant intervenue le 5 août 2011 de sorte que l'affaire doit se voir appliquer la procédure orale.

En l'espèce, les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 20 février 2020 de sorte qu'au jour de l'audience ne demeure qu'une seule affaire et qu'il n'y a dès lors pas lieu de se prononcer sur l'irrecevabilité soulevée par la société.

Subsidiairement, la société Efeso Consulting France sollicite la radiation de l'affaire au motif que M. [E] n'a pas restitué les sommes reçues et vise divers articles dont l'article 526 du code de procédure civile. Toutefois, sa lecture de l'arrêt de la Cour de cassation est erronée. Contrairement à ce qu'elle soutient, l'arrêt de la cour d'appel n'a pas été cassé au motif que la société a été condamnée à payer la somme de 449 125 € mais seulement en ce que sa condamnation au profit du salarié a été limitée à 449 125 € au titre de la rémunération revenant à ce dernier entre le 28 avril 2010 et le 8 novembre 2017 et en ce que la cour a dit y avoir lieu à déduire des sommes à revenir à M. [E] les revenus de remplacement perçus par lui au cours de l'année 2017.

Il s'en déduit que M. [E] ne peut être contraint de rembourser la somme de 449 125 € qui constitue, au regard de la décision de la Cour de cassation, la somme qui est tout état de cause acquise au salarié. En conséquence, la demande de radiation de l'affaire est rejetée.

Sur la demande formée par la société Efeso Consulting France à titre très subsidiaire tendant à l'inconventionnalité de l'arrêt de la cour d'appel du 8 novembre 2017

La cour d'appel de renvoi n'est pas juge de l'arrêt de la cour d'appel rendu le 8 novembre 2017 de sorte qu'elle ne peut pas se prononcer sur cette demande.

Sur la demande formée par la société Efeso Consulting France à titre très très subsidiaire tendant au bien-fondé du licenciement et subsidiairement l'impossibilité de réintégrer le salarié

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 novembre 2017 n'a été cassé que sur un point, la déduction opérée à tort par la cour au titre des revenus de remplacement des sommes devant revenir à M. [E]. La Cour de cassation a en effet jugé que le second moyen du pourvoi incident formé par la société Efeso Consulting France relatif à la nullité du licenciement et à la réintégration du salarié n'était pas fondé. Dès lors, la nullité du licenciement et la réintégration du salarié sont définitives de sorte que ces demandes sont irrecevables devant la cour d'appel de renvoi.

Sur le montant des sommes devant revenir à M. [E]

Il est constant qu'en cas de nullité du licenciement pour atteinte à une liberté constitutionnellement garantie, en l'occurrence le droit de faire trancher en justice un différend l'opposant à son employeur, ne doivent pas être déduites du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et celle du prononcé de l'arrêt, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement sur cette période. En effet, le salarié, qui demande sa réintégration, a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

En conséquence, la demande formée par la société Efeso Consulting France tendant à voir déduire les revenus de remplacement des sommes devant revenir au salarié est rejetée, son préjudice devant être intégralement indemnisé.

La demande formée par la société Efeso Consulting France tendant à limiter les revenus évincés à la période du 28 avril 2010 au 23 juin 2013 est également rejetée, le salarié n'ayant été réintégré que le 8 novembre 2017. Dès lors, la période prise en considération est donc celle du 28 avril 2010, date du licenciement, et le 8 novembre 2017, cette période ayant été définitivement fixée par la Cour de cassation dans son arrêt.

M. [E] fait ainsi valoir que sa rémunération annuelle fixe s'élevait à 150 000 € comprenant une rémunération de base de 120 000 €, une prime annuelle de 30 000 € et un bonus commercial.

Dans son arrêt du 8 novembre 2017, la cour d'appel, pour déterminer l'assiette devant servir au calcul de l'indemnisation, a retenu que seule la rémunération de base devait être prise en considération, soit 120 000 € bruts annuels. Or, M. [E] n'a pas formé de pourvoi sur ce point de sorte que ce point est définitivement tranché.

Dès lors, la somme due par la société Efeso Consulting France au titre des revenus de remplacement s'élève à 900 000 € bruts, soit 120 000 € bruts du 28 avril 2010 au 8 novembre 2017, dont à déduire la somme de 449 125 € déjà versée par l'employeur.

Concernant la demande formée par la société Efeso Consulting France tendant à voir dire que la somme versée à M. [E], au motif qu'elle présente un caractère indemnitaire, doit être calculée en net et non en brut, il est constant qu'en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable en la cause, la somme allouée au salarié, dont le licenciement a été annulé, correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, est versée à l'occasion du travail et entre dans l'assiette des cotisations sociales.

Dès lors, cette demande est rejetée.

S'agissant de la fixation du point de départ des intérêts légaux, la cour d'appel de Paris a fixé leur point de départ au 25 février 2010 et la société Efeso Consulting France ne justifie pas avoir formé de pourvoi incident sur ce point de sorte que la décision est définitive.

Sur l'irrecevabilité soulevée par la société Efeso Consulting France au sujet des demandes formées par M. [E] dans ses conclusions additionnelles

Au soutien de l'irrecevabilité des demandes nouvelles formées par M. [E], la société Efeso Consulting France ne peut pas invoquer l'application du décret n°2016-660 du 20 mai 2016, la procédure ayant été initiée par le salarié le 23 février 2010.

En effet, au regard de la date de saisine du conseil des prud'hommes, soit le 23 février 2010, est applicable l'article R1452-6 du contrat de travail, en sa rédaction alors en vigueur, disposant que toutes les demandes dérivant du même contrat de travail doivent faire l'objet d'une seule instance, à peine d'irrecevabilité, à moins que le fondement des prétentions ne soit né postérieurement à la saisine du Conseil de Prud'hommes.

Dès lors, la demande formée par M. [E] tendant à voir juger le caractère illégal du licenciement survenu le 23 octobre 2019 après sa réintégration est recevable.

Par exploit d'huissier du 23 octobre 2019, la société Efeso Consulting France a signifié à M. [E] l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2019 avec commandement de payer aux fins de saisie-vente à concurrence de la somme de 527 437,32 € ainsi qu'un courrier recommandé du même jour.

Dans ce courrier, la société Efeso Consulting France évoque la signification effectuée par l'huissier et précise qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, que dans le cas particulier, le chef de dispositif cassé visait ensemble la nullité du licenciement, la réintégration et le paiement des condamnations financières et que la cassation les a donc nécessairement affectés. Elle ajoute que la cassation remet les parties dans l'état antérieur à l'arrêt d'appel et qu'avant cet arrêt, M. [E] n'était plus salarié depuis 2010 et n'avait pas été réintégré. Elle en déduit que la signification de l'arrêt et les effets de l'indivisibilité mettent fin de droit à son contrat de travail et qu'il ne fait plus partie des effectifs depuis 13 heures ce jour. Elle l'informe également qu'elle va lui adresser son solde de tout compte et une attestation Pôle emploi mentionnant comme motif de fin du contrat, l'exécution de l'arrêt du 3 juillet 2019. Elle lui demande enfin de restituer ses outils de travail, ordinateur et téléphone mobile.

Dans ce courrier, la société Efeso Consulting France a clairement exprimé sa volonté de mettre fin au contrat de travail de M. [E].

Dans ses écritures, M. [E] évoque à la fois l'illicéité de ce licenciement et sa nullité au motif qu'il viole deux décisions de justice, l'arrêt de la cour d'appel en l'absence de réintégration véritable dans son poste, et l'arrêt de la Cour de cassation en ce que le pourvoi incident de la société a été rejeté s'agissant de la nullité du licenciement et de la réintégration du salarié.

Il est constant que licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur, est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, et ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration, au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

En l'espèce, l'analyse de l'arrêt de la Cour de cassation, sur laquelle se fonde la société pour décider de la rupture du contrat de travail, est erronée quant aux effets de la cassation partielle. La Cour de cassation a en effet jugé que le second moyen du pourvoi incident formé par la société Efeso Consulting France relatif à la nullité du licenciement et à la réintégration du salarié n'était pas fondé. Dès lors, la nullité du licenciement et la réintégration du salarié sont définitives et les parties n'ont été remises dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé que sur le point ayant fait l'objet de la cassation, à savoir la déduction opérée à tort au titre des revenus de remplacement s'agissant des revenus évincés du salarié.

Au regard de la clarté de la Cour de cassation, la société Efeso Consulting France ne pouvait pas se méprendre sur le sens de celui-ci. L'exécution de cet arrêt rendu dans le cadre d'une action en justice engagée par le salarié fait présumer l'existence d'un rapport de causalité entre cette rupture abusive et l'action en justice, présomption qu'il appartient à l'employeur de renverser en démontrant que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice par le salarié de son droit d'agir en justice, ce qu'il ne fait pas en l'espèce.

Compte tenu de l'atteinte à une liberté fondamentale, M. [E] est donc en droit de prétendre, ainsi que le prévoit l'article L. 1235-3-1 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige, à sa réintégration dans son emploi au sein de la société Efeso Consulting France ainsi qu'au paiement par cette dernière des revenus qu'il aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à sa réintégration. S'agissant de cette dernière, l'employeur se contente de préciser que la réintégration est matériellement impossible en 2020 et ne peut être ordonnée sans toutefois invoquer de moyen, ni produire aucune pièce.

Pour la fixation d'un salaire de base, M. [E] demande à la cour de prendre en considération la somme de 17 500 € bruts.

Le contrat de travail mentionne une rémunération brute annuelle de 120 000 € et une prime annuelle de 30 000 € dont le versement était conditionnée pour la première année d'exercice à l'apport d'un client dénommé '[K]' pour 10 000 € et la formalisation du 'Toolkit PLM' pour le solde. Les parties ont précisé que les modalités de décomposition et d'obtention de cette prime seraient être revues les années suivantes. Il s'en déduit qu'il incombait à l'employeur de fixer au salarié des objectifs pour lui permettre de prétendre à cette prime et qu'il ne démontre pas avoir satisfait à cette obligation de sorte qu'il en est redevable.

M. [E] demande également à la cour d'intégrer un bonus commercial. Il se fonde sur une proposition de M. [D] transmise par courriel du 31 janvier 2008 relative à l'attribution d'un bonus commercial de 40 à 60 K€ pour un million de chiffre d'affaires vendu. Par courriel du 4 février 2008, M. [E] a manifesté son accord aux conditions générales proposées. Toutefois, cette proposition n'a pas été reprise dans le contrat de travail, signé plusieurs mois plus tard, et qui ne fait pas état de négociations antérieures, ni d'aucune observation de la part de l'appelant lors de la signature ou immédiatement après celle-ci. Le salarié ne peut pas invoquer le versement d'un bonus en juin 2009 alors que le bulletin de paie mentionne uniquement le versement d'une prime exceptionnelle, ce qui diffère du bonus évoqué en janvier 2018 préalablement à la signature du contrat de travail.

Dès lors, ce bonus ne peut être intégré à la rémunération annuelle brute qu'il y a lieu de fixer à 150 000 €, ce qui correspond à un salaire mensuel brut de 12 500 € dont la société est redevable à l'égard de M. [E] à compter du 23 octobre 2019 jusqu'à sa réintégration effective, avec intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2020, date de notification des conclusions mentionnant cette demande, et à chaque échéance mensuelle.

Sur la demande formée par la société Efeso Consulting France en compensation des plusieurs sommes

Si la société Efeso Consulting France forme une demande de compensation entre une somme de 120 000 € bruts ou 97. 000 € nets dont elle précise dans le dispositif de ses écritures qu'il s'agit de dommages et intérêts, et la somme de 518.488, 45 € déjà versée en exécution du premier arrêt d'appel, à charge pour M. [E] de rembourser la différence, elle ne fournit aucune explication étant précisé qu'aux termes de l'arrêt de la Cour de cassation, la somme minimale due au salarié s'élevait à 445 129 € outre les intérêts au taux légal. Il s'en déduit que la société Efeso Consulting France ne peut pas prétendre au remboursement cette somme dont elle est redevable et qu'elle a déjà versée.

 

PAR CES MOTIFS

                       

 La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

     

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Efeso Consulting France de même que la demande de radiation de l'affaire ;

Et statuant dans les limites de la cassation,

      

INFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de M. [E] au titre des revenus évincés à la suite de la nullité de son licenciement ;

           

Et statuant à nouveau,

 CONDAMNE la société Efeso Consulting France à payer à M. [E] la somme de 900 000 € bruts avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2010 dont à déduire la somme de 449 125 € déjà versée ;

DÉCLARE recevable les demandes formées par M. [E] ;

JUGE que la rupture intervenue le 23 octobre 2019 s'analyse en un licenciement;

PRONONCE la nullité du licenciement notifié le 23 octobre 2019 par la société Efeso Consulting France à M. [E] ;

ORDONNE la réintégration de M. [E] au sein de la société Efeso Consulting France dans le délai de trois mois à compter du présent arrêt et sous astreinte de 1000 € par jour, une fois le délai imparti épuisé ;

CONDAMNE la société Efeso Consulting France à payer à M. [E] la somme de 12 500 € bruts par mois à compter du 23 octobre 2019 jusqu'à sa réintégration effective et avec intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2020 et à l'échéance de chaque mois;

REJETTE les autres demandes formées par la société Efeso Consulting France;

CONDAMNE la société Efeso Consulting France à payer à M. [E] la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Efeso Consulting France au paiement des dépens de première instance et d'appel.

           

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/12001
Date de la décision : 17/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°19/12001 : Ordonne l'expulsion au fond en accordant des délais de paiement et/ou des délais pour l'évacuation des locaux


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-17;19.12001 ?
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