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10/09/2020 | FRANCE | N°19/05006

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 10 septembre 2020, 19/05006


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05006 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OZ7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Février 2019 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2016L00679





APPELANTS :



Monsieur [G] [N] , en sa qualité de représentant de la

société GB Métallurgie dont le siège social est sis [Adresse 1]), immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 329 035 679

[Adresse 5]

[Localité 6]

représenté par Me Jean-bap...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05006 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OZ7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Février 2019 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2016L00679

APPELANTS :

Monsieur [G] [N] , en sa qualité de représentant de la société GB Métallurgie dont le siège social est sis [Adresse 1]), immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 329 035 679

[Adresse 5]

[Localité 6]

représenté par Me Jean-baptiste BENVENUTI de la SELARL WIZE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1421

INTIMÉS :

Maître [X] [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société G.B. METALLURGIE, désigné à ces fonctions par jugement du TC de Créteil en date du 19 février 2014

[Adresse 3]

[Localité 7]

représenté par Me Bernard VATIER de l'AARPI VATIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R280

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 2]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

    En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Mars 2020, en audience publique, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre, Madame Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre et Madame Isabelle ROHART, Conseillère.

    Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Michèle PICARD, Présidente de chambre

Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre

Mme Isabelle ROHART, Conseillère

           Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Hanane AKARKACH

MINISTÈRE PUBLIC :

représenté lors des débats par Madame Anne SARZIER, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame FOULON, Greffière présente lors du prononcé.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

Par jugement du 13 mars 2013, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SAS G.B. Métallurgie (GBM) fabriquant et distributeur d'outils professionnels, sur déclaration de cessation des paiements en fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 29 novembre 2012.

Par un jugement distinct du même jour, le même tribunal ouvrait une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de sa société mère et associée unique de GBM, la société RBMH.

Sur la demande du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire de la société GBM, un technicien a été désigné par le juge commissaire afin d'analyser la comptabilité de la société GBM et plus particulièrement les flux de trésorerie avec la société mère.

Par jugement du 8 janvier 2014, le tribunal a arrêté un plan de cession des éléments corporels et incorporels de la sociétée GBM à la société KELI France pour un montant de 25 000 €, puis le 19 février 2014, la liquidation judiciaire de la société GMB a été prononcée, maître [Y] étant désigné liquidateur judiciaire.

Enfin, par un jugement rendu le 27 septembre 2017 désormais définitif, le tribunal a reporté la date de cessation des paiements de la société GBM au 1er octobre 2012.

Saisi par le liquidateur judiciaire d'une action tendant au prononcé de sanctions patrimoniale et personnelle à l'encontre de M. [N], dirigeant de la société GBM, le tribunal de commerce de Créteil par un jugement rendu le 27 février 2019 a rejeté la demande tendant à voir écarter des débats le rapport déposé par M. [F], rejeté la demande de sanction patrimoniale, prononcé à l'encontre de M. [N] une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix années avec exécution provisoire et fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la procédure collective.

Le tribunal a principalement retenu que M. [N], dirigeant de droit à l'exception de la période entre le mois d'octobre 2011 et le mois de juillet 2012 avait effectivement assuré de façon continue la gestion de l'entreprise entre ces deux dates, qu'il avait certes tardé plusieurs mois avant de déclarer l'état de cessation des paiements de l'entreprise mais qu'il n'était pas démontré que ce retard était délibéré et motivé par la protection d'un intérêt personnel, que le liquidateur judiciaire n'établissait pas que les charges d'exploitation comptabilisées à partir du mois de juin 2011 ne correspondaient pas à la réalité ou qu'elles relevaient d'une faute de gestion ; il a retenu en revanche que le dirigeant n'avait pu présenté l'ensemble des documents comptables imposés par le règlement (grand-livre, journal).

Il a considéré comme non établi le lien contributif entre les fautes de gestion dénoncées et l'insuffisance d'actif et a relevé que M. [N] avait par ailleurs été condamné à supporter plusieurs dettes bancaires de la société GBM, jugeant néanmoins que le défaut de comptabilité complète justifiait une sanction personnelle.

Le 5 mars 2019, M. [N] a relevé appel de cette décision.

Par déclarations des 8 et 11 mars 2019, maître [Y] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BGM a également relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions remises le 2 avril 2019, il demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande de contribution à l'insuffisance d'actif, d'ordonner la jonction des procédures enregistrés sous les numéros RG 19-5348, RG 19-5006 et RG 19-5393, de rejeter les demandes de M. [N], de condamner celui-ci à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société GBM qui s'élève à 4 012 933,52 € et de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Rappelant l'organigramme du groupe RBMH au sein duquel les six filiales de la société holding, RBMH étaient liées à celle-ci par une convention de trésorerie et une convention de prestation de services, le liquidateur judiciaire expose l'historique des mandats de gestion assumés par M. [N] au sein de la société GBM et relate que désigné en qualité de mandataire ad hoc le 27 décembre 2012, maître [W] a rapidement constaté que l'entreprise n'était pas en mesure de payer les parts salariales des cotisations sociales échues.

Il souligne l'importance de l'insuffisance d'actif et relève que M. [N] a assuré la direction de l'entreprise de manière ininterrompue même au cours des quelques mois pendant lesquels son frère a été nommé président, soit du 14 octobre 2011 au 3 juillet 2012.

Rappelant que l'expertise ordonnée au visa de l'article L 621-9 alinéa 2 du code de commerce n'est pas soumise aux dispositions du code de procédure civile , il relève que le rapport d'expertise de M. [F] que M. [N] a pu largement commenté, a révélé d'importantes anomalies dans les comptes, telles une diminution très importante des stocks sans augmentation corrélative du chiffre d'affaires en 2012 pesant fortement sur la marge brute, une augmentation anormale des salaires versés à des membres de la famille [N] et l'imputation de charges locatives indues, et des mouvements injustifiés du compte courant de la société RBMH qui regroupait en réalité tous les flux entre les sociétés du groupe.

Il soutient que le retard de déclaration de l'état de cessation des paiements imputable au dirigeant a conduit à une aggravation du passif de 894 683 € tandis que l'actif de l'entreprise diminuait et que les découverts bancaires s'aggravaient.

Il souligne que la réalité objective des fautes de gestion suffit à justifier une sanction patrimoniale indépendamment des intentions du dirigeant.

Le liquidateur judiciaire fait valoir que le seul défaut de comptabilité fiable et complète justifie le prononcé d'une mesure de faillite personnelle et ajoute à titre subsidiaire que le retard de déclaration de l'état de cessation des paiements suffit à justifier une mesure d'interdiction de gérer.

Par des conclusions remises le 18 juin 2019, M. [N] demande à la cour de rejeter les demandes de maître [Y] ès qualités, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de prononcer une sanction patrimoniale, subsidiairement de prononcer une sanction d'un montant symbolique, d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle, de dire n'y avoir lieu à une telle sanction ou subsidiairement d'en réduire la durée, enfin de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à son bénéfice.

L'intimé relate que les associés et animateurs de la société GBM créée en 1983, messieurs [G] et [M] [N] sont entrés en contact en 2007 avec messieurs [U], [H] et messieurs [A], [E] et [V] [I] pour constituer la société holding RBMH qui a pris des intérêts et participations dans plusieurs sociétés de construction et dans la société GBM.

Il indique que des dissensions entre lui-même et messieurs [I] ont conduit à modifier la gouvernance des sociétés du groupe tandis que lui-même recherchait des investisseurs institutionnels et obtenait que la société CDC Entreprises souscrive la totalité d'un emprunt obligataire de 4,5 millions d'euros le 29 juillet 2011 après avoir procédé à un audit approfondi de la comptabilité des sociétés du groupe.

Il relate que messieurs [A] et [E] [I] ont alors souhaité se désengager de la société PRMPP, filiale de la société RBMH et que des malversations sont apparues tenant à des détournements de clientèle ou de fonds, justifiant une mesure d'expertise dont les conclusions ont motivé une plainte contre messieurs [I] ; dans le même temps, M.[P] [I] démissionnait de ses fonctions de direction au sein d'une autre société du groupe, la société GBE, ces changements dans les deux sociétés les plus rentables du groupe fragilisant l'ensemble.

Indiquant avoir été le dirigeant de droit de la société GBM du 29 décembre 2000 au 1er septembre 2011 puis à compter du 23 octobre 2012, M. [N] conteste en revanche avoir été le dirigeant de fait de l'entreprise entre le mois de septembre 2011 et le mois d'octobre 2012 période pendant laquelle la direction de l'entreprise a été assurée par son frère, M. [O] [N] ; il dénie toute portée probante aux éléments de fait avancés par le liquidateur judiciaire afin de caractériser une gestion de fait.

M. [N] conteste la validité et l'opposabilité du rapport d'expertise déposé par M. [F] et soutient que ce rapport doit être exclu des débats. Il relève que cette expertise a été menée alors que le dirigeant des sociétés GBM et RBMH n'était plus en mesure de fournir les pièces utiles à la mission de l'expert et que les dirigeants de la société GBM n'ont pas été interrogés par l'expert qui a mené sa mission de façon non contradictoire. Il soutient à cet égard, sous le visa de l'article R 662-1 du code de commerce, que les règles du code de procédure civile s'appliquent à la désignation d'un technicien par le juge commissaire sur le fondement de l'article L 621-9 du code de commerce et qu'un débat contradictoire a posteriori ne saurait satisfaire le principe d'égalité des armes entre les parties. Il souligne en particulier que les pièces visées dans le rapport n'y sont pas annexées de sorte qu'il ne peut défendre utilement sur les conclusions de l'expert et relève que ce rapport d'expertise est le seul fondement des poursuites. Il critique la méthode de sélection adoptée par l'expert auquel il appartenait de procéder à un audit complet des comptes des entreprises.

Rappelant qu'une simple négligence ne peut donner lieu à sanction patrimoniale et que le prononcé d'une sanction personnelle suppose une intention délibérée dans la commission de fautes de gestion, M. [N] renvoie à la motivation du jugement dont appel et souligne qu'il n'a eu de cesse de limiter les conséquences dommageables pour les tiers des malversations imputables à messieurs [I]. Il souligne l'initiative prise pour obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc, sa pleine collaboration avec les mandataires de justice et fait valoir qu'il est redevenu dirigeant de droit de la société GBM 22 jours après que celle-ci s'était trouvée en état de cessation des paiements, les mandataires ad hoc successifs ne relevant pas une ancienneté de cet état incompatible avec leur mandat. Il indique qu'il a été procédé à la déclaration de l'état de cessation des paiements deux semaines après l'information fournie par le mandataire ad hoc et relève qu'il n'avait pas qualité pour ce faire sous la présidence de son frère.

M. [N] conteste avoir abusivement poursuivi une activité déficitaire dans un intérêt personnel avant que l'état de cessation des paiements ne soit avéré, en rappelant le caractère cumulatif des éléments constitutifs de cette faute de gestion dont la preuve incombe au liquidateur judiciaire. Il fait valoir que seul l'exercice clos au 31 décembre 2012 a été déficitaire, pendant lequel le dirigeant était M. [O] [M] [N] et il précise n'avoir perçu aucune rémunération au titre de son mandat de dirigeant et n'avoir tiré aucun profit personnel de la poursuite de l'activité de la société GBM.

Il note que le liquidateur judiciaire ne fournit devant la cour aucun élément de nature à établir que la société GBM a supporté des charges excessives ou indues résultant de fautes de gestion, ce que le tribunal de commerce a écarté.

Il fustige l'absence de preuve d'un accroissement du passif à compter du 1er octobre 2012 et d'un lien corrélatif direct avec le défaut de présentation d'une comptabilité complète et régulière qui lui est reproché ou toute autre faute de gestion qui pourrait être retenue à son encontre.

Monsieur [N] soutient enfin que les termes du rapport de M. [F] ne suffisent pas à établir que la comptabilité de l'entreprise était incomplète, l'expert n'ayant pu accéder aux documents archivés dont ni le mandataire ad hoc ni le mandataire judiciaire en son temps n'ont dénoncé l'absence. Il s'étonne que l'expert n'ait pu disposer de la liasse fiscale de l'exercice 2011 qui avait été déposée au greffe du tribunal de commerce et qu'il verse aux débats et note que les premiers juges à la suite du liquidateur judiciaire ont transformé des interrogations formulées par l'expert en irrégularités comptables sans motivation circonstanciée.

A titre subsidiaire, M. [N] en appelle à la mansuétude de la cour en dénonçant le caractère disproportionné de la sanction personnelle prononcée par le tribunal.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens.

Par écrit du 6 septembre 2019 communiqué aux parties le 9 septembre 2019, le ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour s'agissant de la sanction pécuniaire et invite la cour à réformer le jugement sur la sanction personnelle et à prononcer une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans.

L'instruction de l'affaire a été close le 16 janvier 2020.

MOTIFS

Il est constant que peuvent être tenus de contribuer à l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire et sont passibles d'une sanction personnelle les personnes physiques, dirigeantes de droit ou de fait de la personne morale concernée.

Il ressort des pièces versées aux débats que M. [G] [N] a été le dirigeant de droit de la société GBM jusqu'au 1er septembre 2011 date à laquelle il a démissionné de sa fonction de président et a été remplacé par M. [O] [N] et que le 3 juillet 2012 M. [O] [N] a démissionné à son tour de la fonction de président et y a été remplacé par M. [G] [N].

Indépendamment de la publication de ces modifications qui n'a d'incidence que sur l'information des tiers, les décisions prises par l'assemblée générale des associés à ces dates s'imposent aux intéressés de sorte que M. [G] [N] a été le dirigeant de droit de la société GBM jusqu'au 1er septembre 2011 et à compter du 3 juillet 2012.

Si entre ces deux dates, M. [O] [N] a été le dirigeant de droit de la société GBM et a perçu en sa qualité de président une rémunération mensuelle net de 10 000 €, il est établi que M. [G] [N], par ailleurs président de la société holding RBMH est demeuré effectivement impliqué dans la direction de l'entreprise : le 8 décembre 2011, il signait un ordre de virement à la société HSBC sous l'intitulé '[G] [N] Direction financière, les 2 et 13 janvier 2012 il procédait à des paiements par chèque sur les comptes de la société GBM dans les livres du CIC et de la Banque populaire, les 19 janvier et 19 avril 2012 il signait des ordres de virement à la Banque Palatine pour le compte de GBM sans mentionner aucune qualité ; en outre, les courriers émanant tant des banques que du fournisseur SANEF pendant la même période montrent qu'il était identifié comme le dirigeant de la société GBM et seul interlocuteur de ces partenaires.

M. [G] [N] ne se prévaut d'aucun contrat de travail ni d'aucun mandat spécial qui pourrait expliquer les différentes diligences précitées qui relèvent habituellement du dirigeant de l'entreprise.

En outre, il est significatif de relever que même si la requête aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc a été formalisée le 3 octobre 2012 par M. [O] [N] en qualité de président pour ce qui concerne la société GBM - alors même qu'il avait démissionné de cette fonction le 3 juillet 2012 - l'acte a été effectivement signé par M. [G] [N] se prévalant d'un pouvoir qui n'apparaît pas avoir été formalisé.

Dans ces circonstances, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a retenu que M. [G] [N] avait été dirigeant de fait de la société GBM du 1er septembre 2011 au 3 juillet 2012 et dirigeant de droit au-delà de cette date.

Sur la portée du rapport déposé par M. [F]

Il convient de constater que dans le dispositif de ses dernières conclusions qui seul saisit la cour, M. [N] ne présente aucune prétention relative à la régularité ou à l'opposabilité du rapport déposé par M. [F].

La discussion élevée par M. [N] sur les conditions dans lesquelles le technicien a procédé à ses opérations ne peut donc porter que sur la force probante des constatations faites et avis émis par ce technicien.

Désigné par le juge-commissaire en application de l'article L 621-9 du code de commerce, le technicien n'était pas soumis aux dispositions du code de procédure civile dans la mise en oeuvre de sa mission de sorte que les griefs émis relativement à ces dispositions sont inopérantes.

Par ailleurs, si M. [N] dénonce le fait de n'avoir pas été sollicité par le technicien au cours de ses opérations, il faut rappeler que l'ordonnance commettant ce dernier s'inscrivait dans les prérogatives du juge commissaire ayant pour objet le déroulement rapide de la procédure collective et la protection des intérêts en présence. Or, le dirigeant, à titre personnel n'est pas partie à la procédure collective de sorte qu'il ne peut reprocher au technicien de n'avoir pas satisfait le principe de contradiction ou tout autre principe directeur du procès.

En revanche, dès lors qu'il est opposé à une personne qui n'était pas partie à la procédure au sein de laquelle il a été sollicité, le rapport du technicien constitue dans le cadre de la présente instance un simple élément de fait qui doit être corroboré par le liquidateur judiciaire dans l'établissement de la preuve qui lui incombe.

Sur l'action fondée sur l'article L 651-2 du code de commerce

En application de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

En l'espèce, il est constant que le passif déclaré et vérifié de la société GBM s'élève à la somme de 4 064 824 € tandis que l'actif réalisé est de 51 890 €.

L'insuffisance d'actif s'établit donc à 4 012 933,52 € pour une société qui réalisait jusqu'en 2011 un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 6 millions d'euros pour un résultat d'exploitation annuel de l'ordre de 240 000 €.

Il ressort des éléments du dossier que la société GBM, société familiale constituée en 1983, dirigée par M. [G] [N] depuis 2002 a fait l'objet d'un développement et d'une gestion exempts de toute critique jusqu'en 2011 date à laquelle un emprunt obligataire de 4,5 millions d'euros émis par la société holding a été entièrement souscrit par la BPI ; les comptes de l'exercice arrêté au 30 juin 2011 ont été approuvés sans réserves par le commissaire aux comptes et il n'est fait état par le liquidateur judiciaire d'aucune anomalie comptable ou manquement du dirigeant jusqu'à cette date.

Alors que les membres de la famille [N] s'étaient rapprochés en 2007 de partenaires impliqués dans des activités de construction complémentaires de l'activité de vente d'outillage, pour structurer le 'groupe' RBMH composé de six filiales de la société holding RBMH dont la société GBM, des dissensions sont apparues entre les partenaires au cours de l'année 2011 entraînant en 2012 une dégradation rapide et importante de l'activité de plusieurs des filiales de la société RBMH holding.

L'état du passif et les déclarations de créances versés aux débats par le liquidateur judiciaire montrent que le passif bancaire qui représente une part très significative du passif vérifié correspond à des impayés à compter du dernier trimestre 2012, que le passif social est né au terme du deuxième trimestre 2012 de même qu'un certain nombre de créances fournisseurs.

Dans ce contexte, il est reproché à M. [N] d'avoir tardé à déclarer l'état de cessation des paiements de la société GBM et d'avoir tenu une comptabilité incomplète ou insincère.

Alors que l'état de cessation des paiements, initialement fixé au 29 novembre 2012, a été définitivement fixé au 1er octobre 2012, M. [G] [N] n'a déclaré cet état que le 5 mars 2013. Un retard de déclaration est donc avéré.

Le liquidateur judiciaire s'appuie par ailleurs sur le seul rapport établi par M. [F], technicien désigné par le juge commissaire pour soutenir que M. [N] n'a pas tenu une comptabilité complète et sincère de la société GBM.

Si le technicien mentionne qu'il n'a pas reçu de la société d'archivage détentrice de la comptabilité de la société GBM certains documents (grands livres et journaux pour l'exercice clos au 30 juin 2011 et 31 décembre 2012) ni aucuns documents relatifs à l'exercice 2013, il indique aussi avoir reçu les liasses fiscales et les balances comptables des exercices clos les 30 juin 2011, 31 décembre 2011 et 31 décembre 2012, le grand-livre et les journaux comptables pour l'exercice clos le 31 décembre 2011 (exercice de six mois), l'ensemble des factures d'achats et ventes, des relevés bancaires et avis d'opérations bancaires et des documents fiscaux pour la période 2011 à 2013.

Or, M. [F] précise qu'à partir de la liste des archives comptables correspondant à un total de 68 conteneurs d'archives, il a procédé à une sélection de 18 conteneurs dont il a sollicité la transmission.

Alors qu'il n'est donc pas exclu que le technicien n'ait pas pris connaissance de l'ensemble des documents comptables existants et relatifs à sa mission, la nature des documents qu'il a effectivement examinés rend peu probable le défaut d'établissement des documents manquants; M. [N] indique sans être contrarié qu'aucun document comptable complémentaire ne lui a jamais été demandé ; en outre, à défaut de produire, les annexes du rapport de M. [F], le liquidateur judiciaire ne permet pas à la cour d'apprécier l'incomplétude de la comptabilité dont il se prévaut.

En conséquence, le grief relatif à la tenue d'une comptabilité incomplète ne saurait être retenu à l'encontre de M. [N].

M. [F] a mis en exergue certaines anomalies dans les documents comptables examinés au titre de l'exercice 2012 et portant sur une forte baisse du compte de stocks de marchandises alors que le chiffre d'affaires réalisé est en baisse de 4%, sur l'existence d'un compte courant regroupant toutes les sociétés du groupe RBMH et montrant un débit d'intérêts (10 152 €) inexpliqué, sur une augmentation très importante (69 %) des charges de personnel à effectif constant.

Au-delà de l'identification de rémunérations plus importantes versées à certains membres de la famille [N] (autres que M. [G] [N]), le technicien a indiqué qu'il ne disposait pas des éléments nécessaires pour expliquer ces anomalies et le liquidateur judiciaire ne fournit aucun élément de fait permettant de retenir que les écritures comptables concernées sont irrégulières. Au contraire, s'agissant des stocks, M. [N] produit un inventaire établi au 20 novembre 2012 qui aurait pu être utilement exploité.

Dans ces circonstances, il n'est pas avéré que M. [N] ait tenu une comptabilité insincère ou fausse.

Il résulte de ce qui précède que la seule faute de gestion imputable à M. [N] est le retard apporté à la déclaration de l'état de cessation des paiements dans les circonstances indiquées ci-dessus.

Si les déclarations de créances mettent en lumière que ce retard a contribué à augmenter le passif de toutes les dettes nées entre le 15 novembre 2012 et le 5 mars 2013, il faut observer que dans le même temps les emprunts bancaires étaient honorés, diminuant d'autant le passif exigible.

Par ailleurs, M. [N] justifie, ainsi que le relève le ministère public, qu'il a été appelé à prendre en charge personnellement deux dettes de la société RBMH holding de 156 000€ chacune au titre d'engagements de caution, que la vente d'un immeuble lui appartenant a été ordonnée judiciairement pour paiement d'une dette bancaire de 315 000 €, qu'un bail d'habitation à lui consenti a été résilié pour défaut de paiement des loyers.

Dans ces circonstances et au regard de la durée de la période de gestion exempte de toute critique, de l'origine et du caractère récent des difficultés, il convient de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande de sanction pécuniaire présentée à l'encontre de M. [N].

Sur l'action aux fins de sanction personnelle

En application de l'article L 653-8 du code de commerce, une interdiction de gérer peut être prononcée à l'encontre de tout dirigeant qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En l'espèce, il ressort des motifs qui précèdent que M. [N] n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société GBM dans le délai de 45 jours de sa survenance.

Il ressort du rapport de fin de mission remis par maître [W], mandataire ad hoc le 4 mars 2013 que les déclarations du dirigeant révélaient clairement que les disponibilités de l'entreprise étaient quasi nulles et que même l'obtention par le mandataire ad hoc d'une ligne de financement Dailly de 150 000 € n'avait pas permis d'acquitter les pré-comptes retenus sur les salaires des 23 salariés.

Le dirigeant ne pouvait davantage ignorer l'augmentation de plus de 100 % des dettes fiscales et sociales de l'entreprise au cours de l'exercice 2012 et l'impossibilité manifeste d'y faire face compte tenu notamment des graves difficultés rencontrées simultanément par la société Holding.

C'est donc en toutes connaissance que le dirigeant a tardé à solliciter l'ouverture d'une procédure collective, préférant temporiser en demandant la désignation d'un mandataire ad hoc alors même que l'entreprise se trouvait déjà en état de cessation des paiements.

M. [N] ne saurait à cet égard se prévaloir utilement du délai avec lequel le mandataire ad hoc a effectivement pu mettre en oeuvre sa mission après remplacement du premier mandataire désigné, et a fait son rapport en mentionnant que les membres de la famille [N] avaient 'enfin' admis que l'entreprise relevait d'une procédure collective.

Dès lors que le retard conscient de déclaration de l'état de cessation des paiements ne peut donner lieu à une mesure de faillite personnelle, le jugement dont appel est réformé sur ce chef.

En revanche, les éléments qui précèdent justifient qu'une mesure d'interdiction de gérer soit prononcée à l'encontre de M. [N] pour une période de cinq années en tenant compte à la fois de l'investissement de celui-ci pendant de nombreuses années dans le développement de l'entreprise et des conséquences dommageables de la faute ainsi commise.

Succombant partiellement dans ses prétentions, chaque partie conserve la charge des dépens qu'elle a exposés.

L'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement ,

CONFIRME le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [G] [N] une mesure de faillite personnelle ;

statuant à nouveau sur la seule demande de sanction personnelle,

PRONONCE à l'encontre de M. [G] [N] une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de cinq ans ;

y ajoutant,

LAISSE à chaque partie la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant la cour.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 19/05006
Date de la décision : 10/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I9, arrêt n°19/05006 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-10;19.05006 ?
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