Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 9 JUILLET 2020
(no 16, 43 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 18/28497 - No Portalis 35L7-V-B7C-B66V4
Décision déférée à la Cour : décision de l'Autorité des marchés financiers no 11 du 24 octobre 2018
DEMANDEUR AU RECOURS :
M. A
né le XXXXXX
de nationalité XXXXX
demeurant [Adresse 1]
Élisant domicile au cabinet de la SELARL GUIZARD et ASSOCIÉS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Laurent GUIZARD, de la SELARL GUIZARD et ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
Assisté de Me Géraldine ROCH, et de Me Sarah POISSON, de la SELAS ERNST et YOUNG, avocats au barreau des HAUTS-DE-SEINE
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de son président
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Mme [V] [M], dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
? M. Philippe MOLLARD, président de chambre, président
? Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre
? Mme Sylvie TRÉARD, conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au parquet général
ARRÊT :
? contradictoire
? rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
? signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, en l'empêchement du président Philippe MOLLARD et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Vu la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 11 du 24 octobre 2018 ;
Vu la déclaration de recours en annulation et en réformation formé par M. A, déposée au greffe de la Cour le 27 décembre 2018 et enregistrée sous le no RG 18/28497 ;
Vu les observations écrites déposées au greffe de la Cour par M. A les 11 janvier et 5 septembre 2019 ;
Vu les observations écrites déposées au greffe de la Cour par l'Autorité des marchés financiers le 6 mai 2019 ;
Le ministère public ayant reçu toutes les pièces de la procédure ;
Après avoir entendu en leurs observations orales, à l'audience publique du 10 octobre 2019, les conseils de M. A, ainsi que l'Autorité des marchés financiers, le requérant ayant eu la parole en dernier et été mis en mesure de répliquer ;
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SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE4
MOTIVATION6
I. SUR LA PROCÉDURE6
A. Sur le moyen pris de la violation du secret des sources journalistiques 6
B. Sur le moyen pris de l'absence d'audition de M. A au cours de l'enquête13
C. Sur le moyen pris de l'irrégularité des auditions de MM. C, B, F et D par les agents de la FCA14
D. Sur le moyen pris de l'irrégularité de la notification des griefs18
II. SUR LA MATÉRIALITÉ DES FAITS REPROCHÉS À M. A20
A. Sur la détention par M. A de l'information dont la communication lui est reprochée21
B. Sur la communication par M. A de l'information en cause23
1. Sur la communication de l'information à M. B le 8 juin 2011
23
2. Sur la communication de l'information à M. C le 8 juin 2011
26
3. Sur la communication de l'information à M. C le 12 juin 2012
27
III. SUR LA NÉCESSITÉ D'INTERROGER LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION À TITRE PRÉJUDICIEL31
A. Sur la notion d'information privilégiée31
B. Sur l'articulation et l'interprétation des articles 10 et 21 du règlement MAR36
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FAITS ET PROCÉDURE
1.M. A, aujourd'hui retraité, a exercé pendant de nombreuses années l'activité de journaliste dans plusieurs quotidiens britanniques, d'abord, au « Financial Times » (pendant dix-neuf ans), ensuite au « Times » (pendant deux ans) et, enfin, au « Daily Mail » (pendant vingt-sept ans). Dans le cadre de son activité au « Daily Mail », où il écrivait régulièrement des articles intitulés « Rapport de marché », consistant à relayer des rumeurs de marché, il a été l'auteur de deux articles concernant des titres admis à la négociation sur le compartiment A. d'Euronext. Ces deux articles ont fait l'objet d'une publication sur le site internet du « Daily Mail », appelé le « Mail Online ».
2.Le premier article, qui a été publié sur le « Mail Online » le 8 juin 2011, à 21h41 (heure de Londres), était intitulé « Rapport de marché : les actions Hermès reviennent à la mode ». Cet article évoquait une possible offre de la société LVMH sur les titres Hermès à un prix de 350 euros par action, soit une prime de 86 % par rapport au cours de la clôture du jour, lequel s'était établi à 187,80 euros. Il s'en est suivi, le lendemain de sa publication sur le « Mail Online », une augmentation du cours de 0,64 % dès l'ouverture, puis de 4,55 % en cours de séance.
3.Le second article, qui a été publié sur le « Mail Online » le 12 juin 2012, à 23h18 (heure de Londres), était intitulé « Rapport de marché : les rumeurs sur le pétrole attisent le marché ». Cet article indiquait que les titres Maurel et Prom pourraient bientôt faire l'objet d'une offre aux alentours de 19 euros par action, soit une prime de 80 % par rapport au dernier cours, lequel se situait à 10,50 euros. Il s'en est suivi, le lendemain de sa publication sur le « Mail Online », une augmentation du cours de 17,69 % à la clôture. Le 14 juin 2012, la société Maurel et Prom a démenti cette rumeur.
4.Il a été constaté que, peu avant la publication de ces deux articles sur le « Mail Online », des ordres à l'achat ont été passés sur les titres Hermès et Maurel et Prom.
5.Des similitudes ayant été relevées entre ces opérations et les ordres intervenus sur le marché du titre Arkéma peu avant la publication, sur un blog du site internet du quotidien britannique « The Financial Times », d'un article rapportant des rumeurs de marché concernant la société Arkéma, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après l' « AMF ») a décidé d'étendre, le 15 novembre 2013, au marché du titre et à l'information financière de la société Maurel et Prom et, le 21 janvier 2014, au marché du titre Hermès, l'enquête qu'il avait ouverte, le 1er juin 2012, sur le marché du titre et l'information financière de la société Arkéma.
6.Les investigations entreprises ont révélé que plusieurs résidents britanniques, dont MM. B, E, F, G et H, avaient réalisé, à partir du territoire britannique, des opérations à l'achat, au moyen de contrats sur la différence ou de paris sur l'évolution des cours, peu de temps avant la publication des articles précités sur le « Mail Online », puis avaient dénoué leurs positions une fois la publication intervenue.
7.Dans ce contexte, l'AMF a sollicité, à plusieurs reprises, pour les besoins de l'enquête, l'assistance de son homologue britannique, la « Financial Conduct Authority » (ci-après la « FCA »), en faisant référence aux dispositions prévues en matière de coopération internationale par :
? d'une part, l'article 16 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) ;
? d'autre part, plusieurs accords multilatéraux (« Multilateral Memorandum of Understanding », ci-après les « MMoU ») portant sur la coopération, l'échange d'informations et la régulation, adoptés en janvier 1999, en mai 2002 et en 2014, dans le cadre, respectivement, de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs Mobilières (en anglais la « International Organization of Securities Commissions », ci-après l' « IOSCO »), du Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (en anglais le « Committee of European Securities Regulators », ci-après le « CESR »), ou de l'Autorité européenne des marchés financiers, ayant succédé à ce dernier (en anglais la « European Securities and Markets Authority », ci-après l' « ESMA »), qui a succédé au CESR, et dont l'AMF (à la suite de la Commission des opérations de bourse) et la FCA (à la suite de la « Financial Services Authority ») sont signataires.
8.Le 23 février 2016, en application de l'article 144-2-1 du règlement général de l'AMF (ci-après le « RGAMF »), la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à MM. B, C, H, E, F et G, ainsi qu'à M. A, des lettres les informant, d'une part, des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs et, d'autre part, de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations dans un certain délai. Tous les destinataires de ces lettres ont adressé des observations en réponse, dont M. A, par lettre reçue le 3 mai 2016.
9.Le rapport d'enquête, établi par la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF, a été déposé le 5 juillet 2016. Au vu de ce rapport, une commission spécialisée du Collège de l'AMF a décidé, le 19 juillet 2016, de notifier des griefs à l'ensemble des personnes en cause, notamment à M. A.
10.Aux termes de la notification des griefs qui a été adressée à ce dernier, par lettre du 7 décembre 2016, il lui a été reproché quatre manquements, consistant à avoir communiqué à MM. C et B, une information privilégiée portant sur la publication prochaine, sur le « Mail Online », des deux articles relayant des rumeurs de dépôt d'offres publiques sur les titres Hermès et Maurel et Prom, et ce en violation des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF.
11.MM. C et B ont également fait l'objet d'une notification des griefs. S'agissant de M. C, il lui a été reproché d'avoir, à son tour, communiqué ces informations à M. F, lequel a été également mis en cause pour avoir utilisé ces informations en effectuant des opérations sur des contrats financiers liés aux titres Hermès et Maurel et Prom. S'agissant de M. B, il lui a été reproché, notamment, d'avoir lui-même utilisé ces informations.
12.En réponse à la notification des griefs qui lui a été adressée, M. A a déposé des observations écrites le 3 juillet 2017.
13.Le rapporteur, désigné par le président de la Commission des sanctions de l'AMF (ci-après la « Commission des sanctions »), a déposé son rapport le 21 juin 2018, après avoir convoqué les mis en cause pour une audition et entendu certains d'entre eux, notamment, M. A, le 23 février 2018, lequel n'a pas présenté d'observations en réponse au rapport.
14.Les mis en cause ont été convoqués à la séance de la Commission des sanctions qui s'est tenue le 14 septembre 2018.
15.Par décision no 11 du 24 octobre 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des sanctions a, notamment, retenu que trois des quatre manquements reprochés à M. A étaient établis, a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 40 000 euros, et ordonné la publication de sa décision. Plus précisément, après avoir considéré qu'une information portant sur la publication prochaine d'un article de presse relayant une rumeur de marché était susceptible de constituer une information privilégiée, la Commission des sanctions a estimé que les informations en cause, portant sur la prochaine publication sur le « Mail Online » d'articles rapportant des rumeurs sur des opérations concernant respectivement les titres Hermès et Maurel et Prom, remplissaient les conditions de qualification d'une information privilégiée. Elle a ensuite retenu que M. A avait communiqué l'information privilégiée concernant le titre Hermès, à MM. C et B, et celle concernant le titre Maurel et Prom, uniquement à M. C.
16.S'agissant des autres personnes en cause, la Commission des sanctions a retenu qu'une partie des manquements qui leur étaient reprochés était établie et a prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires allant de 20 000 à 150 000 euros.
17.Seul M. A a formé contre cette décision un recours en annulation ou en réformation.
18.Aux termes de l'exposé des moyens et du mémoire en réplique, déposés au greffe le 11 janvier et le 5 septembre 2019, il demande en substance à la Cour :
? à titre principal, de constater in limine litis que la procédure d'enquête et de poursuite est entachée d'irrégularité et, en conséquence, d'annuler la décision attaquée ;
? à titre subsidiaire, de réformer cette décision, en ce qu'elle a écarté l'application de l'article 21 du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et, 2004/72/CE de la Commission (ci-après le « règlement MAR »), et, en conséquence, de mettre hors de cause M. A et de dire n'y avoir lieu à le sanctionner ;
? à titre encore plus subsidiaire, de la réformer en ce qu'elle a retenu que les manquements reprochés à M. A étaient établis et, en conséquence, de le mettre hors de cause et de dire n'y avoir lieu à le sanctionner ;
? à titre infiniment subsidiaire, de réformer la décision attaquée sur le montant de la sanction prononcée et, en conséquence, de réduire ce montant ;
? en toute hypothèse, d'ordonner « l'anonymisation » de la décision de sanction et de l'arrêt à intervenir et de condamner l'AMF au paiement de la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
19.Dans ses observations du 6 mai 2019, l'AMF invite la Cour à rejeter le recours.
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* *
MOTIVATION
I. SUR LA PROCÉDURE
A. Sur le moyen pris de la violation du secret des sources journalistiques
20.M. A soutient que l'enquête a violé le secret des sources journalistiques du fait de l'obtention, du versement au dossier et de l'exploitation de ses relevés téléphoniques, lesquels retraçaient, pendant la période du 4 juillet 2007 au 14 juin 2013, l'ensemble de ses communications entrantes et sortantes, ce qui incluait des éléments permettant d'identifier ses sources (ci-après le « fichier litigieux »). Après avoir rappelé les conditions restrictives dans lesquelles, eu égard aux exigences découlant de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH ») et du droit interne (d'ordre constitutionnel ou législatif), une atteinte au secret des sources journalistiques peut être regardée comme n'étant pas illicite, il fait valoir qu'il incombait à l'AMF de démontrer que ces conditions étaient remplies en l'espèce. À cet égard, il estime que l'AMF s'est abstenue de caractériser l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public et d'établir en quoi les éléments sollicités auprès de la FCA étaient nécessaires et proportionnés au but légitime qu'elle aurait préalablement identifié. Il considère qu'en tout état de cause une enquête portant sur un prétendu manquement boursier ne pourrait être qualifiée d'impératif prépondérant d'intérêt public justifiant qu'il soit porté atteinte au secret des sources journalistiques.
21.M. A soutient que cette violation du secret des sources journalistiques est imputable à l'AMF, non seulement pour avoir été à l'origine de la transmission du fichier litigieux effectuée par la FCA, ce fichier ayant été transmis en exécution d'une demande d'assistance de l'AMF, rédigée dans des termes larges, sans limitation ou exclusion tenant à sa qualité de journaliste, mais aussi, pour avoir versé au dossier et exploité ce fichier, dont elle ne pouvait ignorer le caractère sensible, tout comme le caractère illicite de son traitement. Il en déduit que l'AMF a participé à l'administration d'une preuve obtenue illicitement, c'est-à-dire en violation du secret des sources journalistiques.
22.Il en tire la conséquence que cette violation du secret des sources journalistiques entraîne la nullité de la procédure d'enquête et de sanction, y compris des poursuites, et, partant, de la décision attaquée. Sur ce point, il conteste les motifs de cette décision selon lesquels, « [e]n tout état de cause, figurent également au dossier les données de connexion de MM. C et B, qui font notamment apparaître les échanges entre ces derniers et M. A, de sorte que l'exploitation des documents critiqués n'est pas utile pour apprécier la caractérisation des manquements reprochés à M. A » (page 7 in fine).
23.À l'appui de cette contestation, M. A fait valoir que ce n'est qu'à partir du moment où le fichier litigieux, transmis par la FCA en septembre 2014, a été exploité qu'un lien a pu être établi, de manière fortuite, entre lui et MM. C et B et que l'enquête s'est orientée vers les manquements qui lui ont été finalement reprochés, ce qui a notamment conduit l'AMF à demander à la FCA la communication des relevés téléphoniques de MM. C et B. Estimant que ces demandes reposent sur l'exploitation du fichier litigieux, il en déduit qu'elles sont entachées de la même irrégularité, de sorte que, contrairement à ce qui a été relevé par la Commission des sanctions, les éléments obtenus par l'AMF, en réponse à ces demandes, ne peuvent valablement fonder, en tout état de cause, la caractérisation des manquements reprochés.
24.L'AMF fait valoir qu'elle n'est pas à l'origine de la collecte des données figurant dans le fichier litigieux, cette opération ayant été réalisée par la FCA antérieurement à la demande d'assistance que celle-ci lui a adressée. De même, elle conteste être à l'origine de la transmission du fichier litigieux, qu'elle n'avait pas spécifiquement demandé et qui lui a été remis spontanément par la FCA. Elle en déduit que la Commission des sanctions a estimé à juste titre, dans la décision attaquée, que « M. A ne peut (?) utilement faire grief à l'AMF de ne pas démontrer en quoi le recueil des données en cause et leur communication par la FCA étaient justifiés par un impératif prépondérant d'intérêt public et proportionnés au but légitime poursuivi » (page 7).
25.Par ailleurs, elle soutient que ni les poursuites engagées contre M. A, ni la décision attaquée ne se fondent sur l'exploitation du fichier litigieux.
26.S'agissant des poursuites, l'AMF conteste, tout d'abord, la critique portant sur la présence au dossier du fichier litigieux. Elle fait valoir que, s'il est loisible aux enquêteurs, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 19 décembre 2006, pourvoi no 05-18.919), de procéder à une sélection des pièces du dossier finalement soumis à la Commission des sanctions afin, notamment, d'écarter les éléments sans lien avec les faits examinés, ceux-ci ne sauraient, en revanche, décider arbitrairement, de leur propre chef, de laisser de côté certaines pièces qui se rattachent directement à leurs investigations, la personne mise en cause pouvant leur reprocher de la priver ainsi de la possibilité d'exercer utilement ses droits de la défense.
27.En outre, l'AMF fait valoir que les enquêteurs ont entrepris, dès le début de la procédure, de rechercher s'il existait des liens entre, d'une part, les personnes intervenues sur les titres Hermès, Maurel et Prom et Arkema, ou des personnes en relation avec elles, et, d'autre part, des journalistes, dont M. A, ce dernier étant l'auteur de deux des trois articles en cause. Elle précise que cette piste de recherche s'est confirmée, en ce qui concerne M. C, dès le 11 février 2014, à la réception d'enregistrements de conversations téléphoniques entre lui et M. D, ces enregistrements suggérant l'existence de liens entre M. C et un journaliste. L'AMF en déduit que, contrairement à ce que prétend M. A, les poursuites engagées à son encontre ne reposent pas sur les informations contenues dans le fichier litigieux. Elle relève d'ailleurs que la notification des griefs qui lui a été adressée ne contient aucune référence à ce fichier.
28.S'agissant de la décision attaquée, l'AMF fait valoir que celle-ci n'est pas davantage fondée sur le fichier litigieux et rappelle que la Commission des sanctions a précisé, dans cette décision, que les données de connexion de MM. C et B, en ce qu'elles font apparaître les échanges entre ceux-ci et M. A, rendent inutile l'exploitation du fichier litigieux pour apprécier la caractérisation des manquements qui lui sont reprochés.
***
Sur quoi, la Cour :
29.L'article 10 de la CSDH dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. ».
30.Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (voir, notamment, arrêts du 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, req. no 17488/90, § 39 ; du 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg, req. no 51772/99, § 46 ; du 27 novembre 2007, Tillack c. Belgique, req. no 20477/05, § 53 à 55 ; du 15 décembre 2009, Financial Times Ltd et autres c. Royaume-Uni, req. no 821/03, § 59 et 60 ; du 12 avril 2012, Martin et autres c. France, req. no 30002/08, § 58 à 61, et du 5 octobre 2017, Becker c. Norvège, req. no 21272/12, § 59, 60 et 83) que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, que les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière et que la protection du secret des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse, de sorte qu'une restriction en la matière ne saurait se concilier avec l'article 10 de la CSDH que si elle se justifie par un impératif prépondérant d'intérêt général, ce qui implique qu'elle soit non seulement prévue par la loi et poursuive l'un des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de cet article, mais également nécessaire dans une société démocratique, c'est-à-dire qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et soit proportionnée au but légitime poursuivi.
31.Ces exigences découlant de l'article 10 de la CSDH ont été introduites en droit interne par l'article 1er de la loi no 2010-1 du 4 janvier 2010, relative à la protection du secret des sources des journalistes, qui a inséré dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un nouvel article 2, dont les alinéas 1er et 3 disposent :
« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public.
[?]
Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. [?] ».
32.En l'espèce, la direction des enquêtes de l'AMF a, le 14 août 2014, sollicité l'assistance de son homologue britannique, en faisant référence aux dispositions prévues en matière de coopération internationale par l'article 16 de la directive 2003/6 et les MMoU de l'IOSCO et de l'ESMA, afin d'obtenir, notamment, la communication de « tout élément détenu par la FCA, portant sur les cinq dernières années, qui révéleraient l'existence de liens (sociaux, financiers etc.) entre M. A et M. K ou l'un de ses clients » (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier intitulé « requêtes directes FCA » ).
33.En réponse à cette demande, la FCA a, le 22 septembre 2014, transmis à l'AMF un cd -rom contenant un fichier intitulé « AMF-[M. A] comms data 20140904 », retraçant les communications téléphoniques passées et reçues par M. A entre le 4 juillet 2007 et le 14 juin 2013 et précisant les horaires et la durée de ces communications, ainsi que le numéro de téléphone et l'identité de ses correspondants (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier intitulé « requêtes directes FCA », fichier joint à réponse DISC-1).
34.Il est constant que ce fichier, qui porte sur les communications téléphoniques d'un journaliste pendant plusieurs années, était susceptible de contenir des informations permettant d'identifier ses sources et de relever à ce titre du régime de protection des sources journalistiques.
35.L'AMF ayant reçu ce fichier de la FCA, dont elle n'avait pas spécialement sollicité la communication, ni a fortiori la constitution, dans sa demande d'assistance du 14 août 2014, mais qu'elle a versé au dossier, il lui revenait de vérifier au préalable que l'accès aux informations qu'il contenait et leur éventuelle utilisation par elle n'étaient pas susceptibles de porter une atteinte injustifiée ou disproportionnée, et partant illicite, au secret des sources journalistiques au regard des exigences découlant des articles 10 de la CSDH et 2 de la loi sur la liberté de la presse.
36.Cette vérification préalable s'imposait dans la mesure où, d'une part, l'AMF n'avait pas estimé utile d'attirer l'attention de la FCA, dans sa demande du 14 août 2014, sur le fait que cette demande ne visait pas à obtenir des informations sur des sources journalistes, alors qu'elle avait pris le soin d'insérer cette précision dans sa précédente demande du 16 janvier 2014 et, d'autre part, l'intitulé du fichier transmis par la FCA (« AMF-[M. A] comms data 20140904 ») était de nature à faire naître un doute raisonnable sur son contenu et partant sur le risque que celui-ci comprenne des informations sur les sources journalistiques de M. A.
37.Il revenait à l'AMF d'en tirer toutes les conséquences utiles, notamment, en se rapprochant de la FCA, dans le cadre de leur coopération mutuelle, afin d'obtenir des éclaircissements sur le contenu du ficher litigieux et lui faire part de toute difficulté susceptible d'en résulter au regard du secret des sources journalistiques, tel que protégé, notamment, par l'article 10 de la CSDH, applicable en France comme au Royaume-Uni.
38.Cette vérification préalable aurait dû conduire l'AMF à ne pas verser au dossier le fichier litigieux et à justifier de cette diligence par une mention figurant au dossier. En effet, si la prévention des abus de marché et la défense de l'intégrité de celui-ci en vue de préserver la confiance des investisseurs, peuvent être rattachés au but légitime de la défense de l'ordre ? ici l'ordre public économique ? au sens de l'article 10, paragraphe 2, de la CSDH, et partant justifier, dans certaines circonstances, une atteinte au secret des sources journalistiques dans le cadre d'une enquête diligentée par l'AMF, en l'espèce, l'atteinte en cause est allée au-delà de ce qui était nécessaire pour poursuivre ce but légitime, de sorte qu'elle n'est pas justifiée par un impératif prépondérant d'intérêt public ou général.
39.Il en va ainsi en raison, notamment, d'une part, de l'étendue du fichier litigieux, ce dernier retraçant l'ensemble des communications entrantes et sortantes d'un journaliste pendant cinq ans, permettant ainsi d'identifier ses sources pendant une longue période, et, d'autre part, de l'existence d'autres moyens d'investigation disponibles et utiles, à ce stade de l'enquête, pour rechercher l'existence d'éventuels abus de marché et identifier leurs auteurs.
40.Il s'ensuit que le versement au dossier du fichier litigieux est entaché d'irrégularité. Dès lors, ce fichier ne peut servir d'élément de preuve pour établir la matérialité des faits en cause.
41.Toutefois, cette irrégularité n'affecte pas l'intégralité de la procédure, d'enquête et de sanction, et partant la décision attaquée.
42.En effet, la décision attaquée n'est pas fondée sur le contenu de ce fichier et l'existence de contacts entre, d'une part, M. A et, d'autre part, MM. C et B résulte d'autres éléments du dossier, notamment, comme le précise cette décision, des données de connexion de MM. C et B.
43.À cet égard, contrairement à ce que prétend M. A, il résulte des pièces de la procédure que les demandes de transmission des données de connexion de MM. C et B, adressées par l'AMF à la FCA respectivement le 26 mai et le 23 juin 2015, ne reposent pas sur l'exploitation du fichier litigieux, reçu par l'AMF le 22 septembre 2014, mais découlent d'autres éléments de l'enquête.
44.En effet, dès le début de l'enquête, les enquêteurs se sont attachés à rechercher s'il existait des liens entre, d'une part, les personnes intervenues sur les titres en cause (Hermès, Maurel et Prom et Arkema), ou des personnes en relation avec elles et, d'autre part, des journalistes, dont M. A, ce dernier étant l'auteur de deux des trois articles en cause (sur les titres Hermès et Maurel et Prom).
45.En premier lieu, s'agissant de M. C, il convient de relever que, dès le 11 février 2014, les enquêteurs disposaient d'éléments les conduisant à s'interroger sur l'existence de liens entre celui-ci et M. A. Ce constat résulte des enregistrements de conversations téléphoniques entre MM. C et D, qui ont été transmis le 11 février 2014, par la FCA à l'AMF, accompagnés de leur retranscription (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2014-02-11 fichiers joints à réponse », pièce « Trading and Intel Held Maurel et Prom »).
46.En effet, parmi les échanges enregistrés figurent deux conversations intervenues le 12 juin 2012, aux termes desquels M. C indiquait à M. D, en début d'après-midi, « je vais appeler le scribouillard, hier il n'avait aucun sujet sur lequel écrire », puis, toujours au cours de l'après-midi, « il travaille sur une valeur française qui s'appelle Maurel, j'essaye de trouver son code. ça cote environ 10,50 euros ».
47.Ces échanges ayant eu lieu le 12 juin 2012, soit le jour même de la publication, à 23h18, sur le « Mail Online », de l'article de M. A faisant état d'une rumeur d'opération financière concernant Maurel et Prom, les enquêteurs ne pouvaient manquer de s'interroger sur l'identité de la personne désignée par le surnom de « scribouillard » et se demander si cette personne n'était pas en réalité M. A.
48.Ces échanges accréditaient donc déjà, dès le 11 février 2014, soit avant la réception du fichier litigieux (le 22 septembre 2014), la piste d'un circuit possible de transmission d'informations entre MM. C et A sur le sujet ou la teneur d'articles émanant de ce journaliste, et ce en amont de leur publication.
49.Cette piste s'est confirmée lors de la transmission par la FCA à l'AMF, le 27 novembre 2014, de la retranscription des communications téléphoniques intervenues entre MM. C et D, sur une période plus étendue que celle couverte par la précédente retranscription, à savoir de janvier à juin 2012 (annexe 4-1, du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », pièce dénommée « Arkema-Proactive disclosure [M. C]-[M. D] calls Jan to Jul 2012 », sous rubrique intitulée « 2014-11-27 envoi de données sur [MM. C et D] », et pièce dénommée « 2015 01 22 Calls requested [M. D]-[M. C] (annexe) »).
50.Il en résulte que M. C était régulièrement en contact avec une personne dénommée soit « il », soit « mon type », soit « le scribouillard », et que cette personne pouvait être amenée à l'informer du sujet ou du contenu de ses articles avant leur publication. Il en résulte également que M. C était régulièrement en contact avec une personne dénommée « M. A ».
51.Poursuivant leurs investigations sur les liens entre M. C et différents protagonistes, les enquêteurs ont cherché à connaître plus précisément les liens entre celui-ci et M. F, ce dernier ayant été identifié comme étant intervenu sur les titres Hermès et Maurel et Prom, juste avant la publication des articles écrits par M. A. L'enquête a révélé que MM. C et F ont travaillé dans la même entreprise en tant que courtier, mais les auditions dont ils ont fait l'objet à plusieurs reprises, en janvier et début mai 2015, n'ont pas permis, en raison de leurs déclarations divergentes, de déterminer la réalité et l'étendue de leurs relations depuis leur départ respectif de cette entreprise, en particulier quant à la fréquence de leurs échanges téléphoniques, M. C ayant indiqué être en contact avec M. F environ trois fois par semaine, ce qui a été démenti par ce dernier.
52.En outre, lors de sa première audition par les enquêteurs, le 27 janvier 2015, M. C a précisé que la personne désignée sous l'appellation de « scribouillard » était bien M. A (annexe 1 du rapport d'enquête, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA, traduction des auditions en français », pièce « [M. C] (27 janvier 2015) », pages 31, 32 et 47). Il a également fait état du déroulement et de la teneur habituelle de leurs échanges téléphoniques en indiquant qu'il appelait M. A après avoir pris connaissance d'une rumeur de marché, pour savoir si ce dernier avait entendu la même rumeur de marché et qu'à cette occasion son interlocuteur lui indiquait s'il allait « publier » un article sur la valeur en question (même pièce, pages 32 à 42).
53.C'est dans ce contexte que les enquêteurs ont demandé à la FCA, le 26 mai 2015, la transmission des données de connexion de M. C, ainsi que celles de M. F, afin, notamment, de vérifier si les contacts allégués par le premier et contestés par le second lors de leurs auditions respectives ont existé ou non (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », pièce dénommée « 2015.05.26. Contacts [M. F] -[M. C] »).
54.Il résulte ainsi de la chronologie de l'enquête que la demande de transmission des données de connexion de M. C ne repose pas sur l'exploitation du fichier litigieux, mais découle d'autres éléments recueillis par les enquêteurs, dont certains étaient à leur disposition dès le 11 février 2014, c'est-à-dire avant même la réception du fichier litigieux. En effet, ces éléments étaient de nature à étayer l'hypothèse selon laquelle M. C aurait joué un rôle d'intermédiaire entre MM. A et F, dans le cadre d'un circuit possible de transmission d'informations. De tels éléments ne pouvaient que conduire les enquêteurs à cibler et approfondir leurs recherches sur le rôle de M. C, au moyen de la demande de transmission des données de connexion de celui-ci.
55.Au surplus, force est de constater que cette demande de transmission de données de connexion ne fait aucune référence au fichier litigieux, ni expressément, ni implicitement (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier intitulé « requêtes directes FCA », pièce dénommée « 2015.05.26. Contacts [M. F] -[M. C] »). Seules y sont mentionnées les informations concernant, premièrement, l'intervention de M. F sur les titres Hermès et Maurel et Prom, juste avant la publication des articles rédigés par M. A, deuxièmement, l'origine professionnelle des relations entre MM. C et F et, troisièmement, les résultats de leurs auditions respectives.
56.En second lieu, s'agissant de M. B, la demande de transmission de ses données de connexion, adressée par l'AMF à la FCA le 23 juin 2015, ne repose pas non plus sur l'exploitation du fichier litigieux.
57.En effet, les premières investigations entreprises ayant permis d'identifier MM. B et E comme étant intervenus sur les titres en cause, juste avant la publication des articles écrits par M. A, les enquêteurs ont, dès le 16 janvier 2014, demandé à la FCA des éléments sur l'existence d'éventuels liens entre, d'une part, une liste de journalistes, parmi lesquels figurait M. A et, d'autre part, les bénéficiaires des opérations sur les titres en cause, dont MM. B et E faisaient partie. Par la même occasion, les enquêteurs ont demandé à la FCA des éléments sur de possibles liens, en particulier financiers, entre MM. B et E (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes », pièce « 2014-01-16 Demandes de renseignements journalistes »).
58.Poursuivant leurs investigations sur d'éventuels liens entre ces différents protagonistes, les enquêteurs ont décidé d'auditionner plusieurs personnes, dont la première a été M. E. Lors de son audition, intervenue dès le 22 avril 2014, celui-ci a déclaré qu'en tant que courtier, il avait eu comme client M. B et qu'il continuait à discuter avec lui de temps en temps sur ce qui se passait sur les marchés financiers. Il a également déclaré avoir rencontré l'un des fils de M. A par l'intermédiaire d'une personne avec laquelle il avait travaillé dans le passé (page 44 du rapport d'enquête et annexe 1, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA, traduction des auditions en français », pièce « [M. E] (22 avril 2014) »). Une autre personne identifiée comme étant intervenue sur les titres en cause a été auditionnée, à savoir M. I : lors de son audition, le 26 janvier 2015, celui-ci a déclaré être un ami de longue date de M. B et l'avoir associé à son activité de vente de vêtements (page 42 du rapport d'enquête et annexe 1, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA, traduction des auditions en français », pièce « [M. I] (26 janvier 2015) »).
59.M. B a été à son tour auditionné quelques jours plus tard, le 29 janvier 2015 (pages 41 et 42 du rapport d'enquête et annexe 1, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA, traduction des auditions en français », pièce « [M. B] (29 janvier 2015) »). À cette occasion, il a confirmé les informations recueillies lors des auditions de MM. E et I sur leurs relations mutuelles et a déclaré connaître M. A depuis plusieurs années, ce dernier ayant l'habitude de l'appeler au téléphone pour lui demander des informations sur le marché boursier.
60.C'est dans ce contexte que les enquêteurs ont demandé à la FCA, le 23 juin 2015, la transmission des données de connexion de M. B, ainsi que celles de M. I, afin de déterminer plus précisément les liens entre les divers protagonistes, et « peut-être avec les journalistes », ce qui renvoie aux journalistes nommément désignés dans la demande d'assistance de l'AMF du 16 janvier 2014, précitée, parmi lesquels figurait M. A (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », pièce dénommée « 2015 06 23 FCA Telephone [M.B] - [M. I] »)
61.Il résulte ainsi de la chronologie de l'enquête que la demande de transmission des données de connexion de M. B ne repose pas sur l'exploitation du fichier litigieux, mais découle d'autres éléments recueillis par les enquêteurs, dont certains étaient à leur disposition dès le 16 janvier et le 22 avril 2014, c'est-à-dire avant même la réception du fichier litigieux. En effet, ces éléments étaient de nature à étayer l'hypothèse selon laquelle M. B aurait joué un rôle d'intermédiaire entre, d'un côté, M. A et, de l'autre, MM. E ou I, dans le cadre d'un circuit possible de transmission d'informations. De tels éléments ne pouvaient que conduire les enquêteurs à cibler et approfondir leurs recherches sur le rôle de M. B, au moyen de la demande de transmission des données de connexion de celui-ci.
62.Au surplus, force est de constater que cette demande de transmission des données de connexion ne comporte aucune référence au fichier litigieux (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », pièce dénommée « 2015 06 23 FCA Telephone [M.B] - [M. I] »). Il y est seulement mentionné que cette demande s'inscrit dans le prolongement des informations déjà recueillies concernant MM. B et I, notamment lors de leurs auditions.
63.Il résulte de l'ensemble de ces développements que les demandes de transmission des données de connexion de MM. C et B ne reposant pas sur l'exploitation du fichier litigieux, les éléments obtenus par l'AMF en réponse à ces demandes pouvaient être valablement utilisés par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, pour caractériser l'existence de contacts entre, d'une part, M. A et, d'autre part, MM. C et B.
64.Dès lors, c'est en vain que M. A soutient que l'irrégularité du versement au dossier du fichier litigieux, au regard du secret des sources journalistiques, affecte la régularité de l'intégralité de la procédure d'enquête et de sanction, et partant de la décision attaquée.
65.Il s'ensuit que ce moyen d'annulation est rejeté.
B. Sur le moyen pris de l'absence d'audition de M. A au cours de l'enquête
66.M. A fait valoir que l'AMF a contourné les règles applicables aux auditions et, par conséquent, porté atteinte au principe de loyauté de l'enquête et aux droits de la défense, en lui faisant remettre, par l'intermédiaire de la FCA, un questionnaire dépourvu de toute mention de la possibilité de se faire assister d'un avocat, et en exploitant les réponses qui y ont été apportées, au lieu de procéder, comme pour les autres mis en cause, à son audition au cours de l'enquête, ce qui aurait nécessité son information, par la convocation préalable, de la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un avocat durant l'audition, conformément à la règle prévue à l'article R. 621-34 du code monétaire et financier et aux exigences découlant de la CSDH.
67.L'AMF conclut au rejet du moyen en reprenant en substance la motivation de la décision attaquée par laquelle la Commission des sanctions avait rejeté la même critique.
68.Tout d'abord, elle rappelle que, selon une jurisprudence bien établie (notamment, CA Paris, 15 décembre 2016, RG no 16/05249, et Com., 14 novembre 2018, pourvoi no 17-12.980), la régularité des actes accomplis, dans le cadre d'une demande d'assistance, par un homologue étranger s'apprécie, selon l'article 9 du MMoU de janvier 1999 de l'IOSCO, au regard des règles de procédure de l'autorité requise, sauf décision contraire des autorités concernées (requise et requérante). L'AMF en déduit qu'en l'absence de décision contraire sur ce point entre l'AMF et la FCA, toutes deux signataires de ce MMoU, la régularité des actes accomplis par la seconde dans le cadre des demandes d'assistance de la première s'apprécie au regard des règles de procédure applicables au Royaume-Uni et non de celles du code monétaire et financier.
69.En outre, elle fait valoir que la décision du Conseil d'État du 12 juin 2013 (req. no 359245), dont se prévaut M. A pour soutenir l'application des exigences de la CSDH aux demandes d'assistance émanant de l'AMF, nonobstant leur exécution à l'étranger, ne revêt pas le sens et la portée que celui-ci lui prête et qu'il résulte d'ailleurs d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, comme de la Cour d'appel de Paris, que l'article 6 de la CSDH ne s'applique, en tant que tel, qu'à compter de la notification des griefs, et non au stade préalable de l'enquête.
70.Enfin, l'AMF fait valoir que les enquêteurs déterminent librement la nature et l'étendue de leurs investigations, notamment les auditions auxquelles il convient de procéder, et que M. A a été finalement entendu par le rapporteur, à un stade ultérieur de la procédure, et a été mis en mesure de présenter oralement ses observations lors de la séance de la commission des sanctions.
***
Sur quoi, la Cour :
71.Aux termes de l'article R. 621-34 du code monétaire et financier, « [l]es enquêteurs (?) peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations », auquel cas la convocation informe la personne concernée de son droit de se faire assister du conseil de son choix. Il en va de même, selon cet article, « [l]orsque les enquêteurs (?) souhaitent entendre l'intéressé par un système de visioconférence ou d'audioconférence ».
72.Il résulte de cette disposition que l'audition de toute personne, que ce soit en sa présence ou à distance, constitue non pas un droit, mais une simple faculté dont l'usage relève de l'appréciation des enquêteurs, en fonction de l'utilité que cet acte est susceptible de présenter pour l'enquête, notamment à la lumière des éléments déjà recueillis au cours de celle-ci.
73.En outre, il convient de rappeler que si, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la Commission des sanctions doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la CSDH, les exigences découlant de cet article s'appliquent uniquement à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs, et non à la phase préalable de l'enquête (voir, notamment, CA Paris, 15 décembre 2016, RG no 16/05249, Com., 14 novembre 2018, pourvoi no 17-12.980, CE., 12 juin 2013, req. no 359245, précités, et CE., 6 novembre 2019, req. no 414659).
74.Il s'ensuit que le choix des enquêteurs consistant à ne pas auditionner M. A, mais à lui soumettre un questionnaire par l'intermédiaire de la FCA, en vue de recueillir ses réponses écrites, ne constitue pas une méconnaissance du principe de loyauté de l'enquête ni des droits de la défense, tels que garantis par l'article 6 CSDH.
75.Au surplus, s'il est constant que, selon la jurisprudence précitée, les enquêtes réalisées par les agents de l'AMF, ou par toute personne habilitée par elle, doivent se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés, il n'est pas établi en l'espèce que ce choix des enquêteurs ait porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense de M. A.
76.En effet, après avoir librement répondu à ce questionnaire, M. A, sur les conseils de son avocat, loin de contester l'usage par l'AMF des réponses qu'il y a apporté, s'est au contraire prévalu de celles-ci à plusieurs reprises, s'agissant d'informations sur l'origine et la nature de ses relations avec MM. C et B.
77.C'est ce qui résulte des observations écrites envoyées par son conseil en réponse, d'une part, à la lettre circonstanciée (paragraphes 14 et 25 des observations reçues par l'AMF le 3 mai 2016, figurant à l'annexe 11-4 du rapport d'enquête) et, d'autre part, à la notification des griefs (paragraphes 21 et 36 des observations reçues par l'AMF le 4 juillet 2017, chemise 64, cotes D 5196 à D 5340).
78.Ces informations en réponse au questionnaire, dont M. A s'est prévalu dans ses observations écrites successives, ont d'ailleurs été intégralement confirmées par lui lors de son audition, le 23 avril 2018, par le rapporteur désigné par la Commission des sanctions (chemise 95, cotes D5603 à D5615), étant précisé que cette audition a été réalisée en présence de son conseil et d'un interprète, de sorte qu'il était parfaitement informé de ses droits.
79.Il s'ensuit que M. A est mal fondé à soutenir que son absence d'audition par les enquêteurs et l'usage de ses réponses au questionnaire en cause ont porté atteinte au principe de loyauté de l'enquête et aux droits de la défense.
80.Ce moyen d'annulation est donc rejeté.
C. Sur le moyen pris de l'irrégularité des auditions de MM. C, B, F et D par les agents de la FCA
81.M. A fait valoir que les auditions de MM. C, B, F et D diligentées par les agents de la FCA, pour le compte des enquêteurs de l'AMF, sont entachées d'irrégularités et qu'il est lui-même recevable à soulever ces irrégularités. Il en tire la conséquence que ces irrégularités entraînent la nullité de la procédure d'enquête et de sanction et, partant de la décision attaquée, ou a minima la nullité des auditions en cause.
82.En premier lieu, s'agissant de la recevabilité de cette contestation, M. A soutient avoir qualité pour se prévaloir des irrégularités en cause, contrairement à ce qui a été retenu dans la décision attaquée, la Commission des sanctions ayant estimé que M. A n'était pas concerné par les violations alléguées, celles-ci ayant trait aux droits d'autres personnes, dont un tiers à la procédure. Sur ce point, il invoque un arrêt de la chambre criminelle de Cour de cassation (arrêt du 20 juin 2018, pourvoi no 17-86.657, Bull. no 116), selon lequel une personne est recevable à soulever l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure à laquelle elle n'est pas partie mais qui ont été versés à la procédure suivie contre elle lorsque celle-ci fait valoir que les pièces versées sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies. M. A déduit de cette jurisprudence qu'une personne est a fortiori recevable à se prévaloir de l'irrégularité d'actes réalisés dans la cadre de la procédure à laquelle elle est partie, dès lors que, par construction, ces actes sont présents dans la procédure suivie contre elle. Il en tire la conséquence qu'il est recevable à soulever l'irrégularité des auditions de MM. C, B, F et D par les agents de la FCA.
83.S'agissant plus spécifiquement de l'audition de M. C, M. A précise avoir été nommément visé par les questions posées par les agents de la FCA et par les réponses qui y ont été apportées lors de cette audition, de sorte que celle-ci le concerne.
84.Dans son mémoire en réplique, il ajoute qu'en tout état de cause, un tiers à un acte de procédure a toujours qualité à agir lorsqu'il soutient que l'irrégularité de la mesure qu'il conteste procède du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal, ce qui serait le cas en l'espèce, les auditions en cause ayant été menées, selon lui, en dépit du principe de loyauté de l'enquête. Il fait valoir que ce principe de recevabilité découle de plusieurs arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation (voir, notamment, Crim. 15 décembre 2015, pourvoi no 15-82.013, Bull. no 289, 7 juin 2016, pourvoi no 15-87.755, Bull. no 174, 12 juillet 2016, pourvoi no 16-81.198, et 20 décembre 2017, pourvoi no 17-82.435, Bull. no 298).
85.En second lieu, s'agissant de la contestation en elle-même, M. A soutient que les auditions en cause ont méconnu, d'une part, le droit de se taire, tel que garanti par l'article 6 de la CSDH, et, d'autre part, le principe de loyauté de l'enquête.
86.Sur le premier point, il fait valoir que la Commission des sanctions a déjà admis que le droit de se taire est applicable dès la phase d'enquête et cite en ce sens deux décisions du 24 novembre 2011 (SAN-2012-02) et du 7 décembre 2016 (SAN-2016-15). Il précise qu'en l'espèce, la FCA, qui était mandatée par l'AMF, a dissuadé les personnes auditionnées d'exercer leur droit de se taire, en les informant, avant de commencer leur audition, qu'elles étaient tenues de répondre à toutes les questions posées, sous peine d'encourir une peine d'emprisonnement ou d'amende pour outrage à la Cour en cas de manquement sans excuses raisonnables aux obligations prévues par le « Financial Services and Market Act 2000 » (FISMA).
87.Sur le second point, M. A expose que les agents de FCA ont indiqué à titre liminaire aux personnes auditionnées les éléments suivants : « les réponses que vous apporterez lors de cette audition pourront servir de preuve dans toute procédure, mais pas de manière générale dans des procédures engagées en vue du prononcé à votre encontre d'une sanction pour abus de marché et dans des procédures pénales où vous seriez accusé d'autres infractions que celles prévues au point 3 de l'article 174 de la FISMA portant sur la fourniture de fausses informations ou d'informations trompeuses ».
88.Il en déduit que les auditions en cause ont été menées au mépris du principe de loyauté dès lors que des promesses ont été formulées lors de ces auditions et que plusieurs des personnes auditionnées (MM. C, B et F) ont été condamnées par la Commission des sanctions en dépit de ces promesses.
89.À l'appui de cette thèse, il se prévaut d'une décision de la Commission des sanctions, rendue le 25 avril 2019 (SAN-2019-05), dans une affaire ayant donné lieu à des auditions de la FCA, menées dans des conditions comparables. Il rappelle que, dans cette affaire, la Commission des sanctions a retenu que les personnes auditionnées avaient, en application du droit applicable à la FCA, été contraintes de répondre aux questions posées sous peine de sanctions pénales et avaient obtenu la garantie que leurs propos ne pourraient être utilisés à titre d'éléments de preuve dans le cadre de poursuites pour abus de marché. Il souligne que la Commission des sanctions en a déduit qu'il n'était pas possible d'utiliser ces auditions dès lors qu'il était reproché aux personnes auditionnées d'avoir communiqué à des tiers une information privilégiée, s'agissant d'un manquement relevant de la catégorie d'abus de marché. Il précise les conséquences que celle-ci en a tiré, à savoir, notamment, le retrait du dossier des enregistrements et de la retranscription des auditions en cause et la « cancellation » des parties du rapport d'enquête reproduisant une partie des déclarations faites devant les agents de la FCA par l'une des personnes en cause.
90.Sur la recevabilité de la contestation, l'AMF oppose à la jurisprudence invoquée par M. A, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 mars 2017 (pourvoi no 16-84.853), qui a approuvé une décision par laquelle une chambre de l'instruction avait écarté la contestation d'un demandeur en nullité, prise de l'irrégularité d'écoutes téléphoniques, au motif que celui-ci ne pouvait se faire un grief du non-respect de certaines dispositions du code de procédure pénale dès lors que ces écoutes ne le concernaient pas. L'AMF ajoute que le raisonnement suivi dans l'arrêt de la chambre criminelle du 20 juin 2018, invoqué par M. A, n'est pas transposable à l'espèce, les conditions dans lesquelles ont été réalisées les auditions en cause n'étant pas susceptibles d'avoir une incidence sur la régularité de la procédure engagée contre lui, dès lors que ni la notification des griefs qui lui a été adressée, ni la section du rapport le concernant n'ont fait référence aux procès-verbaux de ces auditions, étant relevé, au surplus, que l'une des personnes auditionnée (M. D) n'a pas été poursuivie devant la Commission des sanctions.
91.En tout état de cause, dans l'hypothèse où la contestation du demandeur au recours serait jugée recevable, l'AMF conclut à son mal fondé.
92.S'agissant de la première partie de la contestation concernant le droit de se taire, elle fait valoir que, selon une jurisprudence bien établie du Conseil d'État (notamment, décision du 20 janvier 2016, req. no 374950) et de la Cour d'appel de Paris (notamment, arrêt du 15 décembre 2016, no RG 16/05249), l'article 6 de la CSDH, dont M. A invoque la violation, n'est pas applicable au stade de l'enquête au cours de laquelle ont été réalisées les auditions en cause.
93.S'agissant de la seconde partie de la contestation concernant le principe de loyauté de l'enquête, l'AMF fait valoir que l'indication liminaire aux auditions, selon laquelle les réponses apportées par les personnes auditionnées ne pourront servir de preuve dans des procédures introduites en vue du prononcé d'une sanction à leur encontre pour abus de marché, ne porte que sur l'utilisation des déclarations des intéressés à leur encontre et ne peut être interprétée comme un engagement de l'AMF, pris par l'intermédiaire du FCA, de renoncer à poursuivre celles-ci pour abus de marché.
***
Sur quoi, la Cour :
94.La régularité des auditions de MM. C, B, F et D par les agents de la FCA est contestée au regard, d'une part, du droit de se taire, tel que garanti par l'article 6 de la CSDH, et, d'autre part, du principe de loyauté de l'enquête, lesquels sont applicables en France comme au Royaume-Uni. Le moyen s'articulant autour de ces deux critiques, il y a lieu de les examiner successivement, en abordant d'abord la question de leur recevabilité puis, le cas échéant, celles de leur bien-fondé et de leur éventuelle incidence sur l'ensemble de la procédure.
95.En premier lieu, sur la critique prise de la violation du droit de se taire, tel que garanti par l'article 6 de la CSDH, il convient de rappeler que, comme la Cour européenne des droits de l'homme l'a précisé (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1996, Saunders c. Royaume-Uni, req. no 19187/91, § 68), ce droit, ainsi que celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination, le second étant une composante du premier, ont pour raison d'être la protection de l'accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, ce qui implique que, dans une affaire pénale, l'accusation fonde son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé. Il en découle que le droit de se taire, tel que garanti par la CSDH, constitue un droit propre à la personne auditionnée, l'objectif poursuivi étant d'éviter que celle-ci, sous la contrainte, ne contribue à sa propre incrimination. Il s'ensuit que la méconnaissance de ce droit ne peut être utilement invoquée que par la personne auditionnée, directement concernée, et non par un tiers à l'audition.
96.Par conséquent, en l'espèce, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que M. A n'avait pas qualité pour se prévaloir du droit de se taire en vue de remettre en cause la régularité des auditions de MM. C, B, F et D. Contrairement à ce que suggère M. A dans son mémoire en réplique, la circonstance que celui-ci soit nommément visé par les questions posées par les agents de la FCA, lors des auditions de M. C, et par les réponses apportées par ce dernier, ne suffit pas à lui conférer qualité pour contester, sur ce fondement, la régularité des auditions de M. C, pas plus que celle de MM. F, B et D. M. A est donc irrecevable à critiquer les auditions en cause sur le fondement du droit de se taire.
97.Au demeurant, il convient de rappeler que, si, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la Commission des sanctions doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale, au sens l'article 6 de la CSDH, il n'en demeure pas moins que les exigences découlant de cet article, dont le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, s'appliquent uniquement à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs, et non à la phase préalable de l'enquête, au cours de laquelle ont été réalisées les auditions en cause. Ce principe, qui résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1996, Saunders c. Royaume-Uni, précité, § 67 et 71), a donné lieu à une jurisprudence nationale bien établie (voir, notamment, CA Paris, 15 décembre 2016, RG no 16/05249, et CE., 12 juin 2013, req. no 349185, no359245 et no 359477, et 20 janvier 2016, no 374950).
98.Au surplus, force est de constater que les retranscriptions des deux premières auditions de M. F par les agents de la FCA, du 26 janvier et 17 juin 2015, ne comportent pas l'indication liminaire selon laquelle celui-ci est tenu de répondre à toutes les questions qui lui sont posées, sous peine d'être sanctionné pour outrage à la Cour (annexe 1.9 et 1.18 du rapport d'enquête).
99.En second lieu, sur la critique prise de la méconnaissance du principe de loyauté de l'enquête, M. A soutient que les déclarations faites par M. C, B, F et D, lors de leurs auditions par les agents de la FCA, ont été recueillies au moyen d'un procédé déloyal, ayant consisté à promettre aux personnes auditionnées que leurs déclarations ne pourraient pas être utilisées contre eux à titre d'élément de preuve dans le cadre de procédures pour abus de marché, alors que celles-ci ont finalement été sanctionnées par l'AMF pour de tels faits.
100.M. A se bornant à invoquer un manquement au principe de loyauté, en tant que principe directeur dans la conduite d'une procédure d'enquête à laquelle il est partie, indépendamment de la critique prise de la violation du droit de se taire, qui constitue un droit propre à la personne auditionnée, il a qualité pour se prévaloir de ce manquement. Cette solution s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle il est fait référence dans le mémoire en réplique (voir, notamment, Crim., 15 décembre 2015, pourvoi no 15-82.013, Bull. no 289, 7 juin 2016, pourvoi no 15-87.755, Bull. no 174, 12 juillet 2016, pourvoi no 16-81.198, et 20 décembre 2017, pourvoi no 17-82.435, Bull. no 298).
101.S'agissant de la seconde audition de M. C, en date du 7 mai 2015, et des auditions de MM. B, F et D, M. A ne démontre pas en quoi celles-ci porteraient atteinte à ses intérêts ou lui feraient grief, faute d'avancer quelque argument que ce soit en ce sens. En l'absence de précision sur ce point, la critique à leur égard ne saurait prospérer.
102.Au demeurant, il résulte des retranscriptions de ces auditions que certaines d'entre elles ne comportent pas l'indication liminaire critiquée. C'est le cas des retranscriptions des deux premières auditions de M. F, du 26 janvier et 7 mai 2015 (annexes 1. 9 et 1.18 du rapport d'enquête), et de la seconde audition de M. C, du 7 mai 2015 (annexe 1. 17 du rapport d'enquête). La critique est donc, en tout état de cause, inopérante à leur égard comme manquant en fait. Il en va de même pour l'audition de M. D. En effet, si la retranscription de son audition comporte l'indication liminaire en cause (annexe 1. 12 du rapport d'enquête), force est de constater que, comme le relève l'AMF, cette personne n'a été ni poursuivie ni a fortiori sanctionnée par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, pour abus de marché. M. A ne saurait donc contester cette audition en raison de la prétendue contrariété entre l'indication liminaire en cause et les suites de la procédure concernant cette personne.
103.En revanche, s'agissant de la première audition de M. C, en date du 27 janvier 2015, M. A fait exactement valoir que le rapport du rapporteur (page 46, al. 2) et la décision attaquée (page 18, al. 4) se fondent, à charge contre lui, sur les déclarations de M. C précisant que la personne qu'il surnommait le « scribouillard », lors de ses conversations téléphoniques avec M. D, était M. A. Cet élément a effectivement été retenu contre M. A, entre autres éléments de preuve, pour établir la transmission par celui-ci à M. C de l'information portant sur la publication prochaine, sur le « Mail Online », des deux articles relayant des rumeurs de dépôt d'offres publiques sur les titres Hermès et Maurel et Prom. Il s'ensuit que M. A est recevable à contester ladite audition de M. C.
104.M. A suggère que l'AMF, par l'intermédiaire de la FCA, aurait, par l'indication liminaire critiquée, promis à M. C qu'il ne serait pas sanctionné pour abus de marché. C'est ce qui ressort de l'exposé de ses moyens (§131), M. A faisant valoir que plusieurs personnes auditionnées, dont M. C, ont été sanctionnées par l'AMF en dépit des promesses formulées au cours de leur audition.
105.Or, cette interprétation n'est pas fondée, dès lors que l'indication liminaire en cause se borne à préciser que les déclarations recueillies en cours d'audition ne pourraient pas être retenues à l'encontre de la personne auditionnée dans le cadre d'une procédure pour abus de marché, ce qui n'exclut pas toute possibilité de condamnation de celle-ci de ce chef, sur la base d'autres éléments que ceux ainsi recueillis.
106.Il s'ensuit que la circonstance que M. C ait été sanctionné pour manquement à l'obligation d'abstention de communication d'une information privilégiée, ce qui constitue une forme d'abus de marché, ne saurait avoir pour effet de conférer à sa première audition au cours de l'enquête un caractère déloyal.
107.Au demeurant, il résulte de la décision attaquée que la Commission des sanctions ne s'est nullement fondée sur cette audition pour sanctionner M. C. En effet, s'agissant du premier manquement reproché à M. C, concernant le titre Hermès, la décision attaquée (pages 19 et 20) ne fait aucune mention de cette audition et, bien plus, ce manquement a été écarté, de sorte que celui-ci n'a pas été sanctionné de ce chef. Quant au second manquement reproché à M. C, concernant le titre Maurel et Prom, s'il a effectivement été retenu comme établi et a donné lieu au prononcé d'une sanction à son encontre, force est de constater que la décision attaquée (page 27) ne s'est pas fondée sur l'audition en cause, mais sur d'autres éléments, notamment, sur ses relevés téléphoniques, ainsi que sur ceux de M. F.
108.Il s'ensuit que M. A est mal fondé à invoquer une méconnaissance du principe de loyauté qui résulterait de la prétendue contrariété entre les propos liminaires des enquêteurs lors de la première audition de M. C et l'issue de la procédure engagée contre lui.
109.Il convient donc de rejeter ce moyen.
D. Sur le moyen pris de l'irrégularité de la notification des griefs
110.M. A soutient que la notification des griefs qui lui a été adressée le 7 décembre 2016, aurait dû viser l'article 21 du règlement MAR, lequel était entré en application le 3 juillet 2016, et non l'article 622-1 du RGAMF, qui était applicable à la date des faits, mais avait été abrogé en septembre 2016, à la suite de l'entrée en application du règlement MAR. M. A fait valoir que l'article 21 du règlement MAR a introduit un régime plus favorable aux journalistes en matière de divulgation d'informations privilégiées, la caractérisation de ce manquement étant subordonnée à la réunion de conditions supplémentaires, ce qui justifie son application rétroactive « in mitius ». Ces éléments nécessaires à la caractérisation du manquement reproché ne figurant pas dans la notification des griefs, il soutient que celle-ci est irrégulière et que cette irrégularité emporte la nullité de la procédure de sanction subséquente et, partant, de la décision attaquée.
111.L'AMF ne conteste pas l'applicabilité rétroactive « in mitius » de l'article 21 du règlement MAR, mais rappelle qu'il résulte de l'article 6 de la CSDH, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que la personne mise en cause doit être informée, d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle, c'est-à-dire de la matérialité des faits qui lui sont reprochés et de leur qualification juridique, afin de disposer d'éléments suffisants pour comprendre pleinement les charges portées contre elle en vue de préparer convenablement sa défense. L'AMF en déduit qu'en l'espèce la notification des griefs était suffisamment précise dans la mesure où elle détaillait les faits reprochés à M. A et indiquait la qualification envisagée.
***
Sur quoi, la Cour :
112.L'article 21 du règlement MAR, intitulé « Divulgation ou diffusion d'informations dans les médias », dispose :
« Aux fins de l'article 10, de l'article 12, paragraphe 1, point c), et de l'article 20, lorsque des informations sont divulguées ou diffusées et lorsque les recommandations sont produites ou diffusées à des fins journalistiques ou aux fins d'autres formes d'expression dans les médias, cette divulgation ou cette diffusion d'informations est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que :
a)les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci ne tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en question ; ou
b)la divulgation ou la diffusion n'ait lieu dans l'intention d'induire le marché en erreur quant à l'offre, à la demande ou au cours d'instruments financiers. »
113.Les articles 10, 12 et 20 du règlement MAR, visés par cet article, sont intitulés, respectivement, « Divulgation illicite d'informations privilégiées », « Manipulations de marché » et « Recommandations d'investissement et statistiques ».
114.Le considérant 77 du règlement MAR, qui éclaire le sens et la portée de son article 21, indique :
« Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après dénommée « charte »). En conséquence, le présent règlement devrait être interprété et appliqué conformément à ces droits et principes. En particulier, lorsque le présent règlement fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans d'autres médias, ainsi qu'aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu'elles sont garanties dans l'Union et dans les États membres et consacrées par l'article 11 de la charte et par d'autres dispositions pertinentes. ».
115.Il est constant que l'article 21 du règlement MAR institue un régime spécifique, destiné à concilier la lutte contre les abus de marché avec les exigences découlant de la liberté de la presse. En effet, ce régime tend à restreindre la caractérisation de différents types de manquements d'abus de marché, notamment la divulgation illicite d'informations privilégiées lorsque la divulgation en cause intervient à des fins journalistiques. Aucun régime spécifique n'ayant été prévu auparavant pour la divulgation illicite d'informations privilégiées, il s'agit là d'une nouveauté, introduite par le règlement MAR.
116.Il s'ensuit que, comme l'a exactement retenu la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (pages 12 et 13), l'article 21 du règlement MAR contient des dispositions moins sévères que celles en vigueur à la date des faits, issues de la directive 2003/6, de sorte que cet article 21 a vocation à s'appliquer en l'espèce de manière rétroactive.
117.Il est également constant que la notification des griefs adressée à M. A (chemise 14, cotes D4667 à 4681), qui présentait de manière détaillée la matérialité des faits qui lui étaient reprochés et indiquait précisément la qualification envisagée de ces faits, à savoir le manquement à l'abstention de transmission d'une information privilégiée, ne faisait pas référence à cet article 21 du règlement MAR.
118.Néanmoins, il résulte des pièces de la procédure que cette absence de référence à l'article 21 du règlement MAR, dans la notification des griefs, n'a pas empêché M. A de préparer convenablement sa défense, avec l'assistance de son conseil, et de présenter, en conséquence, des observations sur les faits qui lui étaient reprochés, notamment à la lumière de cet article. C'est ce qui ressort des observations écrites de l'intéressé, en réponse à la notification des griefs qui lui a été adressée, ces observations comprenant (chemise 64, cotes D5196 à D5340, pages 19 à 23) des développements substantiels sur le régime spécifique applicable aux journalistes, pour, premièrement, soutenir l'application rétroactive « in mitius » de l'article 21 du règlement MAR, deuxièmement, en déduire l'irrégularité de la notification des griefs et, troisièmement, exposer les conséquences à tirer, dans les circonstances de l'espèce, de l'application de cet article, en l'absence alléguée de démonstration de la réunion des conditions supplémentaires de caractérisation du manquement reproché.
119.Il s'ensuit que, nonobstant l'absence de référence à l'article 21 du règlement MAR qui était rétroactivement applicable, la notification des griefs adressée à M. A était suffisamment précise pour les besoins de sa défense.
120.Le moyen est donc rejeté.
II. SUR LA MATÉRIALITÉ DES FAITS REPROCHÉS À M. A
121.M. A soutient :
? tout d'abord, que les manquements en cause doivent d'emblée être écartés, compte tenu du régime spécifique prévu à l'article 21 du règlement MAR ;
? ensuite, que l'information portant sur la publication prochaine d'un article de presse ne saurait être qualifiée de privilégiée ;
? enfin, que la matérialité des faits n'est pas établie.
122.Il convient d'examiner, en premier lieu, le moyen portant sur la matérialité des faits, avant d'examiner, le cas échéant, le moyen relatif à la qualification d'information privilégiée, puis, si nécessaire, celui concernant l'article 21 du règlement MAR, ces deux autres moyens soulevant des questions susceptibles de justifier un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la « Cour de justice ») pour obtenir son éclairage sur l'interprétation de certaines dispositions du droit de l'Union, dans l'hypothèse où la matérialité des faits serait préalablement établie.
A. Sur la détention par M. A de l'information dont la communication lui est reprochée
123.M. A fait valoir qu'il n'avait pas autorité pour décider de la publication de ses rapports de marché, non seulement par le « Daily Mail », ceux-ci, une fois écrits, étant soumis à l'analyse de quatre équipes de la rédaction, mais aussi et encore moins, sur le « Mail Online », s'agissant d'une entité distincte de l'organe de presse au sein duquel il travaillait. Il indique que, n'étant pas impliqué dans la sélection des rapports de marché destinés à être publiés dans le « Daily Mail », en vue de leur publication préalable sur le « Mail Online », il ne pouvait anticiper leur publication en ligne au moment où il lui est reproché d'avoir communiqué l'information portant sur cette publication. Il ajoute qu'il pouvait d'autant moins le faire qu'à ce moment-là, il n'avait pas encore pris de décision sur le contenu de ses rapports de marché, qu'il prenait seulement vers 16h30, ni procédé à leur rédaction, qu'il commençait vers 17h et achevait vers 18h.
124.L'AMF rappelle que la Commission des sanctions a, dans la décision attaquée (page 15, § 1 et 3), retenu que « les rapports de marché de M. A étaient systématiquement publiés dans l'édition papier du Daily Mail et sur le site internet du Mail Online » et estimé que l'expertise de M. A étant reconnue par ses supérieurs hiérarchiques, il était peu probable que ces derniers décident de modifier leur contenu, a fortiori de supprimer la nouvelle y occupant une place centrale, telle que celle concernant les titres Hermès ou Maurel et Prom.
***
Sur quoi, la Cour :
125.À titre liminaire, il convient de rappeler qu'à défaut de preuves directes, difficiles, voire impossibles, à réunir eu égard au caractère nécessairement secret et volontairement dissimulé des éléments constitutifs d'un manquement d'initié, la détention, la communication et l'utilisation de l'information susceptible d'être privilégiée peuvent être établies par un faisceau d'indices graves, précis et concordants, dont il résulte que seule cette détention permet d'expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé.
126.En l'espèce, il n'est pas contesté que, comme l'explique M. A, la décision finale de publier ses rapports de marché dans le « Daily Mail », comme sur le « Mail Online », ne lui appartenait pas.
127.Toutefois, il résulte de ses propres déclarations devant le rapporteur (cote D 5608) que les rapports de marché constituaient une rubrique récurrente du « Daily Mail », qu'ils étaient publiés les jours d'ouverture des marchés londoniens (du mardi au samedi) et qu'il n'avait pas souvenir qu'un rapport de marché qu'il avait écrit n'ait pas été publié dans le « Daily Mail ».
128.En outre, il ressort d'un extrait du site internet du « Mail Online » (annexe 5 du rapport du rapporteur) qu'entre début février et mi-mars 2010, les rapports de marché de M. A étaient régulièrement publiés les jours d'ouverture des marchés londoniens, entre deux et quatre fois par semaine, parfois à raison de deux articles le même jour, à l'exception d'une semaine au cours de laquelle il n'est fait état d'aucune publication de rapport de marché sur le « Mail Online », mais où il est mentionné la publication de trois rapports de marché dans le « Daily Mail » sous la signature d'un autre journaliste que M. A. Il en ressort également qu'au jour de la consultation de ce site (le 6 mars 2018), M. A était identifié comme étant l'auteur de huit cent quarante-huit rapports de marché publiés sur le « Mail Online ».
129.Si ces éléments ne permettent pas d'affirmer que les rapports de marché de M. A étaient systématiquement publiés sur le « Mail Online », faute de connaître le nombre d'articles qu'il avait initialement rédigés, il en ressort néanmoins que de telles publications en ligne étaient si fréquentes qu'elles pouvaient être raisonnablement escomptées, en particulier par M. A. En effet, compte tenu de son expérience de journaliste au sein du « Daily Mail », où il a travaillé pendant vingt-sept ans, il ne pouvait ignorer cette situation.
130.Cette même expérience donnait à M. A l'assurance que ses rapports de marché intitulés « Les actions Hermès reviennent à la mode » et « Les rumeurs sur le pétrole attisent le marché » avaient de fortes chances d'être publiés sur le « Mail Online ».
131.En effet, comme l'a relevé à juste titre la Commission des sanctions (décision attaquée, page 16, §2), il résulte notamment des articles communiqués par M. A que, depuis la déclaration de franchissement de seuil publiée par la société LVMH le 21 décembre 2010, le marché anticipait que cette dernière chercherait à court ou moyen terme à augmenter sa participation au capital de la société Hermès et que ces spéculations, à l'origine d'une augmentation constante des volumes échangés et du cours du titre Hermès depuis le début de l'année 2011, ont été alimentées au cours de la période précédant les faits par plusieurs articles (publiés entre le 11 mai et le 7 juin 2011) qui faisaient état des bons résultats de la société Hermès et de l'éventuelle poursuite par le groupe LVMH de ses acquisitions de titres, allant jusqu'à évoquer une possible prise de contrôle lente de la société Hermès par LVMH. Ces articles ont été publiés dans le « Financial Times », l' « Evening Standard », le « City AM », ainsi que par l'agence Reuters (annexes 2 à 6 des observations de M. A sur la notification des griefs, chemise 64).
132.Dans le contexte du marché de l'époque, le rapport de marché de M. A du 8 juin 2011, qui faisait état d'une dizaine de rumeurs concernant des entreprises intervenant dans divers secteurs, mais qui, vu l'intitulé de l'article, réservait une place centrale à celle concernant Hermès, avait de fortes chances d'être publié sur le « Mail Online », d'autant que cet article, contrairement à ceux publiés auparavant sur le titre Hermès (qui viennent d'être évoqués), précisait la nature de l'opération projetée et le prix auquel celle-ci était envisagée, à savoir 350 euros par action Hermès, soit environ 86 % de plus par rapport au dernier cours coté, qui s'était établi à 187,50 euros, ce qui renforçait l'intérêt d'une publication sur le « Mail Online ».
133.De même, comme l'a relevé à juste titre la Commission des sanctions (décision attaquée, page 25, §1 et 2), le rapport de marché de M. A du 12 juin 2012 rappelait que la société Maurel et Prom avait déjà été approchée à plusieurs reprises par différents acteurs de l'industrie gazière et pétrolière, sans que les protagonistes ne soient parvenus à un accord, et mentionnait qu'elle faisait l'objet de marques d'intérêt de la part de Royal Dutch Shell. Cet article s'inscrivait ainsi dans le prolongement de deux autres articles publiés plus tôt dans la journée (dans le « Guardian » et le « Financial Times »), qui évoquaient, dans des termes proches, un possible intérêt de la société Royal Dutch Shell pour la société Maurel et Prom, et insistaient sur le fait que l'action du groupe Shell avait clôturé à la hausse et que la réussite d'une opération de rapprochement supposerait le paiement par ce dernier d'une prime importante par rapport au cours de la bourse. De plus, cet article précisait, contrairement à ceux publiés peu de temps auparavant, que l'offre concernant Maurel et Prom pourrait intervenir au prix de 19 euros par action, soit environ 80 % de plus par rapport au dernier cours coté qui se situait à 10,50 euros, ce qui renforçait l'intérêt d'une publication sur le « Mail Online ».
134.Dans ce contexte, le rapport de marché de M. A du 12 juin 2012 , qui faisait état d'une quinzaine de rumeurs concernant des entreprises intervenant dans divers secteurs, mais qui, vu l'intitulé de l'article, réservait une place centrale à celle concernant Maurel et Prom, avait également de fortes chances d'être publié sur le « Mail Online ».
135.Il s'ensuit que, dès qu'il avait pris la décision de relayer ces rumeurs sur les titres Hermès et Maurel et Prom dans ses rapports de marché, M. A était en mesure, avant même de commencer leur rédaction, de prévoir, avec un haut degré de certitude, qu'ils seraient publiés sur le « Mail Online ».
136.En outre, contrairement à ce qu'il prétend, M. A a pris cette décision avant 16h30, tant le 8 juin 2011 que le 12 juin 2012.
137.En effet, le 8 juin 2011, à 15h06, lors de sa première communication téléphonique avec M. B, M. A avait déjà pris sa décision d'écrire sur les rumeurs concernant Hermès, ainsi qu'il ressort nécessairement de la célérité avec laquelle M. B, immédiatement après cette communication, a contacté son courtier afin de se positionner à l'achat sur des contrats financiers liés au titre Hermès, situation plus amplement décrite aux paragraphes 151, 152 et 155 du présent arrêt.
138.De même, le 12 juin 2012, à 15h36, lors de sa communication avec M. C, M. A avait déjà pris sa décision d'écrire sur les rumeurs concernant Maurel et Prom, dès lors que, comme cela sera expliqué ultérieurement au paragraphe 186 du présent arrêt, ce dernier a rapporté à M. D, au cours d'une conversation ayant eu lieu quelques minutes plus tard (à 15h45), que M. A « travaille sur une valeur française qui s'appelle Maurel ».
139.Il s'ensuit que M. A était en mesure d'anticiper la publication sur le « Mail Online » de ses rapports de marché concernant Hermès et Maurel et Prom, le 8 juin 2011, à 15h06, et le 12 juin 2012, à 15h36, soit lors des communications au cours desquelles il lui est reproché d'avoir transmis l'information portant sur cette prochaine publication.
140.Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissant sans équivoque que M. A était détenteur de l'information portant sur la prochaine publication sur le « Mail Online » de son rapport de marché du 8 juin 2011 concernant Hermès, à 15h06 au plus tard, et de celui du 12 juin 2012 concernant Maurel et Prom, à 15h36 au plus tard.
B. Sur la communication par M. A de l'information en cause
141.Il y a lieu d'examiner successivement :
? premièrement, si M. A a communiqué à M. B, le 8 juin 2011, l'information portant sur la prochaine publication en ligne de son rapport de marché concernant la société Hermès ;
? deuxièmement, s'il a communiqué cette même information, le même jour, à M. C ;
? troisièmement, s'il a communiqué à M. C, le 12 juin 2012, l'information portant sur la prochaine publication en ligne de son rapport de marché sur la société Maurel et Prom.
1. Sur la communication de l'information à M. B le 8 juin 2011
142.M. A fait valoir que l'existence de contacts téléphoniques réguliers avec M. B, notamment en 2011, ne saurait constituer un indice de la prétendue communication de l'information en cause, non seulement en l'absence d'enregistrement du contenu de ces communications, mais aussi en raison de la nature de leurs relations, celui-ci étant à l'époque l'une de ses nombreuses sources, de sorte que ces contacts téléphoniques s'inscrivaient dans le cadre de l'exercice normal de son activité de journaliste.
143.Il soutient qu'il en va de même en ce qui concerne les trois appels téléphoniques que lui a passés M. B dans l'après-midi du 8 juin 2011 et les interventions parallèles de celui-ci sur le marché.
144.À cet égard, M. A estime surprenant que la Commission des sanctions ait utilisé les interventions effectuées par M. B comme un indice de transmission de l'information en cause par lui-même, alors que des interventions similaires effectuées par M. F (le même jour, sur le titre Hermès) ou par M. B (le 12 juin 2012, sur le titre Maurel et Prom) ont pu avoir lieu sans que ces derniers ne détiennent l'information, ce qui a justifié la mise hors de cause de M. C pour les faits reprochés de transmission de l'information à M. F le 8 juin 2011, ainsi que sa propre mise hors de cause pour les faits reprochés de transmission de l'information à M. B le 12 juin 2012.
145.Il ajoute que, s'il avait informé M. B de la publication à venir de son article lors de la première communication, à 15h06, aucune thèse crédible ne saurait expliquer les raisons pour lesquelles celui-ci aurait eu besoin de le rappeler à deux reprises après sa première intervention sur le marché. M. A avance que M. B, lors de son premier appel, lui a transmis une fausse rumeur relative au titre Hermès et qu'entendant spéculer sur la propagation de cette rumeur au moyen de la publication d'un article de presse la relayant, il l'a rappelé au fur et à mesure qu'il prenait des positions sur le titre Hermès, afin d'augmenter la probabilité d'une telle publication.
146.L'AMF fait valoir que la circonstance que M. B ait pris l'initiative des appels ou qu'il soit l'une des sources de M. A n'exclut pas qu'un échange d'informations ait eu lieu au cours de leurs communications téléphoniques du 8 juin 2011 et que cet échange ait pu porter sur la publication à venir de l'article concernant Hermès.
147.Elle ajoute que cette circonstance ne rend pas équivoque l'indice résultant de la chronologie des événements, qui démontre, d'une part, la célérité avec laquelle M. B a contacté son courtier en vue de se positionner à l'achat sur des instruments financiers liés au titre Hermès, juste après s'être entretenu avec M. A et, d'autre part, l'existence d'interventions parallèles de deux de ses proches.
***
Sur ce, la Cour :
148.Il est constant que MM. A et B se connaissaient depuis longtemps (vingt-cinq ans environ) et qu'ils étaient régulièrement en contact par téléphone. Il existe donc entre eux un circuit plausible de transmission d'informations, ce qui constitue un premier indice.
149.Un deuxième indice résulte des relevés téléphoniques de M. B (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2015 06 26 Envoi de données téléphoniques », pièce « [M.B]-call trafic 20150625 kc »).
150.En effet, y figurent notamment trois communications entre MM. B et A dans l'après-midi du 8 juin 2011, avant la publication de l'article concernant Hermès sur le « Mail Online », laquelle est intervenue le même jour à 21h41 (heure de Londres). Ces communications sont intervenues plus précisément à 15h06 (pendant 4 minutes et 5 secondes), 15h38 (pendant 1 minute et 31 secondes), et 16h26 (pendant 34 secondes).
151.Le contenu de ces communications n'a pas été enregistré, mais il est constant que la première communication, dont la durée est sensiblement supérieure aux deux autres, a été quasi immédiatement suivie, à 15h16 (soit 5 minutes et 5 secondes plus tard), d'un appel de M. B à son courtier (la société Spreadex), qui a été renouvelé quelques minutes plus tard, à 15h29, juste avant que M. B ne rappelle M. A à 15h38, puis son courtier à 15h54 (pour la troisième fois), et de nouveau M. A, à 16h26 (pour la troisième fois).
152.Il est également constant que les appels passés par M. B à son courtier avaient pour objectif de se positionner à l'achat sur des contrats financiers liés au titre Hermès, de tels ordres d'achat ayant été exécutés par la société Spreadex pour le compte de M. B à 15h31, soit quasi immédiatement après le deuxième appel passé à son courtier et, à 15h54, soit simultanément à son troisième et dernier appel à celui-ci, et ce pour des opérations d'achat à hauteur respectivement de 439 et 1339 équivalent titres, lesquelles ont été dénouées dès le lendemain.
153.En outre, il n'est pas contesté que, le même jour, M. B a contacté deux autres personnes, l'une dès 15h42 (M. I), soit juste après le deuxième appel passé à M. A, l'autre à 16h10 (M. J), soit juste après son troisième et dernier appel à son courtier, et que M. I et J ont également réalisé des opérations sur des instruments financiers liés au titre Hermès, dans la foulée de ces contacts avec M. B (à 16h10 et 16h25).
154.La circonstance que les communications téléphoniques entre MM. A et B n'émanent pas du premier mais du second et que ce dernier constitue l'une de ses sources habituelles ne permet pas d'exclure que les informations échangées à cette occasion ont notamment porté sur la prochaine publication de l'article concernant la société Hermès.
155.Surtout, la chronologie des événements démontre la particulière célérité avec laquelle M. B, immédiatement après le premier appel passé à M. A, a pris attache avec son courtier, afin de se positionner à l'achat sur des contrats financiers liés au titre Hermès. De même, c'est aussitôt après les deuxième et troisième appels à M. A que M. B a contacté des proches, qui ont à leur tour réalisé dans la foulée les mêmes opérations.
156.Entre le premier appel de M. B à M. A et le dernier achat de titres Hermès par M. B ou ses proches, il s'est écoulé à peine plus d'une heure.
157.Il se déduit de ces éléments que seule la communication par M. A à M. B du sujet de l'article qui allait être publié le jour même sur le « Mail Online » est de nature à expliquer les interventions subséquentes de M. B et de ses proches sur les contrats liés au titre Hermès.
158.L'explication alternative de M. A n'est, quant à elle, pas plausible pour les raisons suivantes.
159.À ce stade, quand bien même ce serait M. B qui, lors de son premier appel téléphonique, a porté à la connaissance de M. A la rumeur sur la société Hermès ou lui a fourni des éléments lui permettant d'en vérifier la crédibilité, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause le constat que M. A lui a révélé que cette rumeur, sur laquelle ils échangeaient, ferait l'objet de l'article publié ce jour-là sur le « Mail Online », cette révélation étant la seule propre à expliquer les ordres d'achat passés immédiatement après.
160.Quant aux deux derniers appels de M. B, force est de constater qu'ils interviennent après le premier achat lié au titre Hermès, lequel a immédiatement suivi le premier appel, circonstance suffisante pour en conclure que l'information en cause a été communiquée à M. B dès le premier appel. Au demeurant, à supposer que, comme le prétend M. A, les deux derniers appels passés par M. B avaient pour seul objectif d'augmenter la probabilité de la publication de son rapport de marché concernant la société Hermès ? ce qui apparaît d'ailleurs en contradiction avec son affirmation qu'il n'avait aucune influence sur la décision finale de publier ?, cette circonstance importe peu dès lors que, même dans cette hypothèse, l'information sur la publication de l'article était au centre des échanges entre MM. A et B.
161.Contrairement à ce que suggère M. A, cette situation n'est pas comparable à celle ayant donné lieu à sa mise hors de cause pour les faits de transmission à M. B de l'information portant sur la publication prochaine son rapport de marché concernant la société Maurel et Prom. En effet, il ressort de la décision attaquée (page 28, § 2) que cette mise hors de cause est essentiellement fondée sur le constat que les relevés téléphoniques de M. B ne font apparaître aucun contact avec M. A le jour des faits reprochés (12 juin 2012), ce qui n'est pas le cas, comme cela vient d'être exposé, pour les faits du 8 juin 2011, trois contacts étant établis. C'est donc en vain que M. A conteste la prise en compte des opérations réalisées par M. B le 8 juin 2011, en se prévalant du fait que celles réalisées par ce dernier le 12 juin 2012 n'ont pas été retenues comme des éléments à charge contre lui.
162.Il en va de même pour la mise hors de cause de M. C pour les faits reprochés de transmission de l'information en cause à M. F le 8 juin 2011, qui est également fondée sur l'absence de preuves d'échanges téléphoniques entre eux ce jour-là, ainsi que sur les explications données par M. F pour justifier son intervention sur le marché, qu'il a attribuée à la lecture d'un article de presse paru la veille (le 7 juin) et dont il a produit une copie imprimée le lendemain (le 8 juin) (décision attaquée, pages 19 et 20).
163.Il s'ensuit qu'en l'espèce, il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants, établissant sans équivoque, que M. A a communiqué à M. B, dans l'après-midi du 8 juin 2011, l'information en cause.
2. Sur la communication de l'information à M. C le 8 juin 2011
164.M. A rappelle que l'existence de contacts téléphoniques réguliers avec M. C, notamment en 2011, ne saurait constituer un indice de la prétendue communication de l'information en cause, non seulement en l'absence d'enregistrement du contenu de ces communications, mais aussi en raison de la nature de leurs relations, celui-ci étant à l'époque, comme M. B, l'une de ses nombreuses sources, de sorte que ces contacts téléphoniques s'inscrivaient dans le cadre de l'exercice normal de son activité de journaliste.
165.Il fait valoir que, dès lors que MM. C et F ont été mis hors de cause par la Commission des sanctions, pour respectivement, la communication de l'information portant sur la prochaine publication sur le « Mail Online » de son article concernant le titre Hermès et l'utilisation de cette information, rien ne justifie qu'il soit considéré comme ayant préalablement communiqué cette information à M. C, d'autant que ce dernier n'est pas intervenu sur le titre Hermès.
166.L'AMF rappelle que la circonstance que M. C, comme M. B, a pris l'initiative d'appeler M. A le 8 juin 2011 et qu'il constitue, comme M. B, l'une de ses sources, n'exclut pas qu'un échange d'informations ait eu lieu lors de cette communication et que celui-ci ait pu porter sur la publication à venir de l'article de M. A concernant Hermès.
167.Elle fait valoir que M. C, par des déclarations sur lesquelles il n'est pas revenu par la suite, a identifié M. A comme étant la personne à laquelle il faisait référence lors de ses conversations avec M. D, et a également déclaré qu'au cours de sa conversation du 8 juin 2011 avec M. A ce dernier avait évoqué le contenu son rapport de marché en amont de sa publication.
***
Sur quoi, la Cour :
168.Il est constant que MM. A et C se connaissaient depuis plusieurs années et qu'ils étaient régulièrement en contact par téléphone. Il existe donc entre eux un circuit plausible de transmission d'informations, ce qui constitue un premier indice.
169.Un deuxième indice résulte des relevés téléphoniques de M. C (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2015.06.09. Envoi des données sur [M. F] », pièce « Copy of [M. F]-[M. C] data »). Y figure notamment un appel de M. C à M. A le 8 juin 2011, à 15h43 (pendant 2mn 53s).
170.La teneur de cette communication n'a pas été enregistrée, mais M. C a déclaré, lors de son audition par le rapporteur (chemise 93, cote D5590), que M. A lui avait parlé du contenu de son article concernant le titre Hermès. Cette déclaration de M. C est corroborée par l'ensemble de ses explications, à la fois devant les enquêteurs et le rapporteur, sur la structuration générale de ses échanges avec MM. A, F et D (voir paragraphes 182 à 184 du présent arrêt).
171.Pour autant, un doute subsiste sur le point de savoir si, lors de cette communication téléphonique du 8 juin 2011, M. A s'est borné à discuter avec M. C de la rumeur concernant la société Hermès ou lui a également indiqué que cette rumeur serait le sujet de l'article publié ce jour-là.
172.En effet, contrairement à ce qui était le cas dans la situation précédente concernant M. B, cette communication téléphonique entre MM. A et C n'a été suivie d'aucune intervention de ce dernier sur le marché du titre Hermès. En outre, comme l'a rappelé à juste titre M. A, s'il est constant que M. F a procédé à des interventions sur le marché du titre Hermès, celui-ci a néanmoins été mis hors de cause par la Commission des sanctions (décision attaquée, page 20) pour les faits d'utilisation de l'information en cause, qui lui étaient reprochés, de même que M. C a été mis hors de cause pour les faits de communication préalable de cette information à M. F.
173.Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les indices relevés ne suffisent pas à établir, sans équivoque, que, le 8 juin 2012, le premier a communiqué au second l'information en cause.
174.Il convient donc de mettre hors de cause M. A de ce chef.
3. Sur la communication de l'information à M. C le 12 juin 2012
175.M. A fait valoir que l'enregistrement des conversations téléphoniques ayant eu lieu entre MM. C et D le 12 juin 2012 ne saurait être exploité pour reconstituer fictivement le contenu de la communication téléphonique intervenue ce même jour entre lui et M. C. A cet égard, il conteste la chronologie de ces différentes communications pour remettre en cause l'analyse selon laquelle il serait la personne à laquelle M. C faisait référence lors de ces conversations avec M. D, d'autant qu'il n'était pas le seul journaliste à avoir écrit ce jour-là sur le titre Maurel et Prom.
176.Il soutient que les opérations effectuées par M. F, le même jour, sur le titre Maurel et Prom ne pouvaient pas s'expliquer, en raison de sa qualité de professionnel de la finance et de ses habitudes d'investissement, par la prétendue détention par celui-ci de l'information portant sur la prochaine publication de son article sur Maurel et Prom, information qui lui aurait été préalablement communiquée par M. C. Il avance l'explication selon laquelle MM. C et F avaient parfaitement pu, au cours des deux communications intervenues entre eux en amont des ordres d'achat identifiés, discuter de la rumeur colportée par M. C auprès de M. A.
177.L'AMF rappelle que M. C a identifié M. A comme étant la personne à laquelle il faisait référence dans ses conversations téléphoniques avec M. D et apporte des précisions sur les horaires de celles ayant eu lieu le 12 juin 2012. Elle rappelle également la célérité avec laquelle M. F a contacté son courtier après s'être entretenu avec M. C.
***
Sur quoi, la Cour :
178.Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 168 du présent arrêt, il est constant que MM. A et C se connaissaient depuis plusieurs années et qu'ils étaient régulièrement en contact par téléphone. Il existe donc entre eux un circuit plausible de transmission d'informations, ce qui constitue un premier indice.
179.Un deuxième indice résulte des relevés téléphoniques de M. C (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2015.06.09. Envoi des données sur [M. F] », pièce « Copy of [M. F]-[M. C] data »). Y figure notamment une communication entre celui-ci et M. A dans l'après-midi du 12 juin 2012, à 15h36 (pendant 1mn 45s).
180.La teneur de cette communication n'a pas été enregistrée, mais, lors de son audition par le rapporteur (chemise 93, cote D5590), M. C a fait, au sujet de l'article concernant le titre Maurel et Prom, les mêmes déclarations que celles déjà indiquées au sujet de l'article concernant le titre Hermès : M. A lui avait parlé du contenu de cet article.
181.Certes, M. C a ensuite indiqué, au cours de cette même audition, sur interpellation de son conseil, ne plus se rappeler de la personne qui lui avait parlé de cet article avant sa publication. Mais, il a par la suite, toujours pendant la même audition, déclaré qu'il était possible qu'il ait à son tour parlé du contenu de l'article en cause à MM. F et/ou D. Aussi est-ce à juste titre que la Commission des sanctions a, dans la décision attaquée (page 18, § 9), interprété cette dernière déclaration comme confirmant implicitement sa déclaration initiale selon laquelle M. A lui avait préalablement parlé du contenu de son article.
182.Cette déclaration de M. C est corroborée par l'ensemble de ses explications, à la fois devant les enquêteurs et le rapporteur, sur la structuration générale de ses échanges avec MM. A, F et D.
183.En effet, lors de sa première audition à Londres, le 27 janvier 2015 (page 54 du rapport d'enquête et annexe 1, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA, retranscription des auditions en anglais » et « traduction en français ») :
? l'enquêteur conduisant l'audition a résumé dans les termes suivants la structure générale des échanges, ce qui a été immédiatement confirmé par M. C : « M. F appelle M. C, j'ai un bon tuyau, O.K., vous raccrochez, M. C appelle M. A, t'as entendu parler de cette rumeur: oui ou non ? oui/non/intéressant, oui j'en ai entendu parler, puis vous rappelez M. F plus tard dans la journée et lui dites achète-moi des actions et il va y avoir quelque chose dans le Daily Mail, ou... » (page 32 en version française) ;
? en réponse à la question de l'enquêteur « Par expérience, lorsque vous appeliez M. A, la plupart du temps, il avait entendu parler de la rumeur en question ou non ? », M. C a répondu « La plupart du temps il disait : "J'ai entendu parler de la rumeur ; j'étais sur le point d'écrire là-dessus". » (page 33 en version française) ;
? en réponse à deux autres questions, M. C a confirmé que lorsqu'il appelait M. A, ce dernier lui indiquait qu'il avait entendu parler de la rumeur ou qu'il n'en avait pas entendu parler et qu'il se pouvait qu'il « publie » là-dessus ou non (pages 34 et 35 en version française) ;
? en réponse à d'autres questions, M. C a confirmé qu'il rappelait M. F après avoir appelé M. A pour lui indiquer que ce dernier allait écrire un article relayant la rumeur dont lui avait parlé son interlocuteur (page 42 en version française) et a précisé qu'il lui arrivait aussi de rappeler M. D pour lui transmettre la même information, lorsque ce dernier lui demandait s'il avait entendu parler de la même rumeur (page 39 en version française).
184.Dans le même sens, lors de son audition par le rapporteur (chemise 93, cotes D5589 et D5590), M. C a déclaré :
? qu'au cours de ses conversations avec M. A, il lui faisait d'abord part des rumeurs dont M. F l'avait informé dans la matinée et M. A lui indiquait ensuite s'il avait entendu ou pas ces mêmes rumeurs et pouvait mentionner qu'il avait l'intention de « publier » un article à leur sujet ;
? qu'à la suite de ces conversations avec M. A, il rappelait M. F pour lui faire part de ce que M. A venait de lui dire et appelait aussi (généralement mais pas systématiquement) M. D pour discuter des rumeurs évoquées avec M. A.
185.L'exactitude de la déclaration de M. C sur la teneur de sa conversation avec M. A le 12 juin 2012 est également confirmée par la retranscription de l'enregistrement des conversations intervenues le 12 juin 2012 entre MM. C et D (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2014-02-11 fichiers joints à réponse », pièce dénommée « Trading and Intel Held Maurel et Prom »).
186.En effet, il résulte de la retranscription de ces enregistrements (en version anglaise originale et en version traduite en français) que deux conversations ont eu lieu dans l'après-midi du 12 juin 2012, aux termes desquelles M. C a dit à M. D :
? lors de la première conversation, « je vais appeler le scribouillard, hier il n'avait aucun sujet sur lequel écrire » et,
? lors de la seconde conversation, « Il travaille sur une valeur française qui s'appelle Maurel, j'essaye de trouver son code. Ça cote environ 10,50 euros (?) Peut-être une offre de Shell ».
187.L'intitulé des fichiers d'enregistrement de ces deux conversations indique que la première est intervenue à 14H01 et la seconde à 14h45. Par ailleurs, l'intitulé du dernier fichier d'enregistrement des conversations téléphoniques tenues par M. D le 12 juin 2012 indique que la conversation enregistrée par ce fichier a eu lieu à 15h22.
188.Toutefois, il résulte des explications données par le rapporteur dans son rapport (cote D5805), et reprises dans les observations de l'AMF, que les enquêteurs ont horodaté cet enregistrement en « Universal time coordinated » (ci-après « UTC »), ce qui correspond à une heure de moins que l'heure anglaise d'été applicable. C'est ce que confirme le tableau de retranscription des conversations enregistrées : il y est précisé que l'heure des appels figurant dans la colonne « B » sont indiqués en « UCT » (ci-après , ce qui vise en réalité l'horaire désigné par la formule « UTC » (annexe 4-1 du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », rubrique « 2014-02-11 fichiers joints à réponse », pièce « Trading and Intel Held Maurel et Prom »).
189.Dès lors, ainsi que l'a à juste titre retenu la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (page 26), la première conversation entre MM. C et D a eu lieu à 15H01 et la seconde à 15h45 (heure de Londres). De même, la dernière conversation enregistrée de M. D a eu lieu à 16h22 (toujours heure de Londres).
190.Lors de leur première conversation, à 15h01, M. C a annoncé à M. D qu'il allait appeler « le scribouillard », ce qui correspond, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 52 du présent arrêt, au surnom que M. C a spontanément déclaré employer pour désigner M. A [annexe 1 du rapport d'enquête, sous-dossier « PV Audition », rubrique « FCA , traduction des auditions en français », pièce « [M. C] (27 janvier 2015) », pages 31, 32 et 47] et qu'il a d'ailleurs employé à plusieurs reprises dans de précédentes conversations, dont il sera fait état au paragraphe 200 du présent arrêt. En ajoutant qu' « hier, il n'avait aucun sujet sur lequel écrire », M. C a donné implicitement la raison de son appel : la recherche auprès de M. A d'une information sur un projet d'article à sa signature et à paraître prochainement.
191.Il résulte des relevés téléphoniques de M. C que ce dernier a appelé M. A à 15h36, soit exactement entre ses deux conversations avec M. D.
192.Lors de la seconde conversation entre MM. C et D, à 15h45, la premier a informé le second que son correspondant travaillait sur une valeur française dénommé « Maurel ».
193.La chronologie de ces échanges et le contenu des conversations entre MM. C et D ne laissent aucun doute quant au fait que, lors de l'appel de M. C à M. A, le 12 juin 2012, ce dernier l'a informé que l'article qu'il avait décidé d'écrire ce jour là porterait sur la rumeur relative au titre Maurel et Prom.
194.Il importe peu que ce soit M. C qui ait appelé M. A, dès lors que ce dernier était libre de ne pas lui révéler le sujet de l'article qui allait être publié le jour même sur le « Mail Online ». Il est pareillement indifférent que M. C ait pu être l'une des sources d'informations habituelles de M. A, puisqu'il résulte de l'enregistrement de la seconde conversation entre MM. C et D qu'en l'espèce, c'est M. A qui a informé M. C, et non l'inverse.
195.Au surplus, il est constant que la seconde conversation ayant eu lieu entre MM. C et D le 12 juin 2012, à 15h45, juste après l'appel passé par M. C à M. A à 15h36, a été immédiatement suivie d'une communication entre MM. C et F, intervenue à 15h46, à la suite de laquelle ce dernier a immédiatement appelé, à 15h49 et 15h56, les sociétés Spreadex et IG Markets, à l'effet d'initier des opérations sur des contrats financiers liés au titre Maurel et Prom (pour son compte personnel et celui de son père), lesquelles ont été dénouées dès le lendemain.
196.La chronologie de ces échanges et des opérations effectuées par M. F, un proche de M. C, le tout ayant été réalisé dans un laps de temps d'à peine vingt minutes, conforte, s'il en est besoin, la force des indices résultant, premièrement, de l'existence d'un circuit plausible de transmission d'informations entre MM. A et C, deuxièmement, des déclarations de M. C, troisièmement, de l'enregistrement des conversations téléphoniques ayant eu lieu entre MM. C et D le 12 juin 2012, en amont de la publication de l'article de presse de M. A concernant le titre Maurel et Prom.
197.C'est en vain que M. A soutient que les opérations effectuées par M. F peuvent avoir une autre explication, en avançant que MM. C et F avaient parfaitement pu, au cours de leurs conversations ayant eu lieu ce jour-là, à 12h46 et 15h46, en amont des ordres d'achat passés par le second, discuter de la rumeur colportée par M. C auprès de M. A. En effet, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 194 du présent arrêt, il est établi que ce n'est pas M. C qui a informé M. A de la rumeur concernant le titre Maurel et Prom, mais l'inverse.
198.Comme l'a retenu à juste titre la Commission des sanctions (page 27 de la décision attaquée), seule la détention par M. F de l'information portant sur le sujet de l'article qui allait être publié ce jour-là sur le « Mail Online », information préalablement transmise par M. C, permet d'expliquer les opérations effectuées par celui-ci, le 12 juin 2012, sur le marché du titre Maurel et Prom, en amont de la publication de cet article.
199.En outre, force est de constater que les conversations du 12 juin 2012 entre MM. C et D s'inscrivent dans le prolongement d'autres conversations intervenues entre eux entre le 16 février et le 6 juin 2012 (annexe 4-1, du rapport d'enquête, sous-dossier « requêtes directes FCA », pièce dénommée « Arkema-Proactive disclosure [M. C]-[M. D] calls Jan to Jul 2012 », sous rubrique intitulée « 2014-11-27 envoi de données sur MM. C et D »), soit peu de temps avant le 12 juin 2012.
200.Il résulte de la retranscription de ces enregistrements, en version anglaise originale et en version traduite en français, que le premier a dit au second :
? le 16 février 2012 : « Il a deux infos ; Sainsbury, une offre des Qataris de nouveau à 5 livres sterling et l'autre info c'est IMPS, une offre de Japan Tobacco (?). Je ne sais pas quelle info il va mettre en premier » ;
? le 12 mars 2012 : « Dans une seconde, j'appelle le scribouillard (...) » ;
? le 10 avril 2012 : « Mon type vient de me dire qu'il pourrait bientôt avoir une info sur les USA. Ça pourrait être la même que celle de ton type, mais il ne sait pas encore. De toute façon, il va titrer sur BLINKX, ça va être négatif ; il a une autre info sur BskyB, mais ça sera dans le corps de l'article » ;
? le 16 avril 2012 : « L'autre info sur laquelle travaille le scribouillard, c'est moneysupermarcket.com (...) » ;
? le 2 mai 2012 : « Bon, il travaille sur deux infos (?) Il va parler de ça en premier (...) » ;
? le 11 mai 2012 : « Je vais appeler le scribouillard dans une minute et te rappeler s'il a quelque chose d'intéressant sur lequel il va parler » ;
? le 6 juin 2012 : « Il n'est pas chez lui aujourd'hui. Donc je ne peux pas te dire ce qu'il va y avoir dans les journaux ».
201.Ces conversations entre MM. C et D, également enregistrées selon un horodatage en « UTC », sont intervenues dans un temps proche de celui des communications ayant eu lieu ces jours-là entre MM. C et A.
202.Il résulte de la chronologie de ces échanges et de la teneur de ces conversations que M. A ne se bornait pas à informer M. C des sujets sur lesquels il avait décidé d'écrire, mais lui indiquait également si tel ou tel sujet occupait ou non la première place dans son article.
203.En outre, il ressort de la conversation enregistrée le 6 juin 2012, soit quelques jours avant la date des faits reprochés à M. A, que, lorsque M. C ne parvenait pas à joindre ce dernier au téléphone, il n'était pas en mesure d'indiquer à M. D ce qui allait être publié à sa signature dans les journaux. Cet indice est particulièrement fort, car il démontre que les échanges entre MM. C et A permettaient au premier d'apprendre du second le sujet, voire le contenu, de l'article du jour. Cette conversation du 6 juin 2012 entre MM. C et D conforte l'analyse qui a été faite ci-dessus, selon laquelle, le 12 juin suivant, M. C a appris de M. A que l'article à sa signature qui allait être publié le jour même sur le « Mail Online » porterait sur la rumeur concernant le titre Maurel et Prom.
204.Dès lors, il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants, établissant sans équivoque que M. A a communiqué à M. C, le 12 juin 2012, l'information en cause.
III. SUR LA NÉCESSITÉ D'INTERROGER LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION À TITRE PRÉJUDICIEL
A. Sur la notion d'information privilégiée
205.M. A conteste la qualification d'information privilégiée d'une information portant sur la publication prochaine d'un article de presse relayant des rumeurs de marché.
206.En premier lieu, il fait valoir que cette qualification est incompatible avec la notion d'initié secondaire, au sens de l'article 622-2, alinéa 2, du RGAMF, faute de démontrer que MM. B et C, qualifiés d'initiés secondaires dans la décision attaquée, avaient un quelconque lien avec l'émetteur des titres concernés ou avec l'organe de presse ayant assuré la publication de ses articles et, partant, savaient ou auraient du savoir que l'information en cause constituait une information privilégiée.
207.En deuxième lieu, il considère que cette qualification est incompatible avec la nature de la profession de journaliste financier. À cet égard, il rappelle qu'il est au c?ur de l'activité de journaliste financier de recueillir des rumeurs de marché pour identifier des sujets potentiels d'actualité et d'en discuter tant avec des sources qu'avec de multiples personnes au sein de l'équipe de rédaction, dans l'optique de la rédaction éventuelle d'un article. Il estime que la qualification litigieuse revient à considérer que tout journaliste financier, du simple fait qu'il a vocation à publier des articles relatifs aux marchés, génère de manière systématique des informations privilégiées, nonobstant l'absence de tout lien avec l'émetteur concerné, ce qui aboutit, selon lui, à transformer la presse financière en « fabriquant d'informations privilégiées » et les rédactions en « cercles d'initiés ». Il relève que cette qualification tend à mettre sur le même plan l'activité des journalistes financiers et celle de professionnels fortement exposés aux informations privilégiées (émetteurs, bureaux d'analyse financière, sociétés de gestion de portefeuilles, prestataires réalisant des sondages de marché etc), lesquels sont à ce titre régulés par l'AMF et soumis à de strictes obligations en matière de détection et de gestion de la circulation des informations privilégiées (en interne et en externe).
208.En troisième lieu, M. A fait valoir qu'une publication ne peut constituer une information privilégiée si son contenu ne fait état d'aucune information de cette nature. Sur ce point, il explique que la publication d'une information n'est pas autonome de l'information elle-même, mais constitue uniquement l'acte par lequel l'information cesse d'être privilégiée pour devenir publique. Il se prévaut en ce sens d'un arrêt du Conseil d'État du 30 janvier 2019 (no 412789) ayant retenu qu'un analyste financier avait manqué à l'obligation d'abstention d'utilisation d'une information privilégiée en utilisant, en amont de leur publication, des recommandations d'investissement émises par le bureau d'analyse dont il était salarié, cette jurisprudence étant fondée sur une analyse du contenu de la publication en cause, à savoir des recommandations émises pour la première fois ou modifiant celles précédemment émises. Il estime qu'en l'espèce, le contenu des articles en cause ne répond pas à l'exigence du caractère précis de l'information, car ces articles se bornent à faire état de simples rumeurs de marché. À cet égard, il rappelle qu'il est généralement admis qu'une rumeur ne peut constituer une information privilégiée en raison de son imprécision quant à son origine, cette imprécision induisant un doute sur son authenticité, même si la publication de celle-ci est susceptible d'intéresser le marché et d'avoir un effet sur le cours du titre de l'émetteur.
209.En quatrième lieu, et à titre surabondant, M. A fait valoir qu'en l'espèce, indépendamment du contenu des articles en cause, l'information portant sur leur publication prochaine n'était ni précise, en l'absence de visibilité sur ce qui allait être publié, ni de nature à impacter le cours des titres concernés, en l'absence d'éléments de nature à démontrer sa notoriété particulière en tant journaliste financier, notamment dans les secteurs concernés par les valeurs en cause (luxe et pétrole), ainsi que celle du « Mail Online », cet organe de presse ne bénéficiant pas de la même autorité que celle du « Financial Times ».
210.L'AMF fait valoir que, comme l'a relevé la décision attaquée (page 14), « l'article 621-1 du [RGAMF] ne prévoit aucune restriction quant à la nature, au contenu ou à l'origine des informations pouvant être qualifiées de privilégiées, dont il n'exige pas qu'elles émanent d'un émetteur, mais seulement qu'elles le concernent, directement ou indirectement, et soient précises, non publiques et susceptibles d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ». Elle rappelle que l'arrêt du Conseil d'État, précité, confirme qu'une information exogène à un émetteur (émanant d'un bureau d'analyse financière) peut constituer une information privilégiée.
211.En outre, elle estime qu'en l'espèce, dès l'après-midi, la publication prochaine des articles de M. A sur le « Mail Online » était susceptible de se produire (publication dans la soirée), de sorte que l'information relative à cette publication, dont le contenu était en outre suffisamment précis (en raison de l'évocation du prix des possibles offres d'achat) pour qu'il soit possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cette publication sur le cours des titres en cause, a revêtu un caractère précis dès l'après-midi, au moment de la communication de cette information.
212.Enfin, elle relève qu'en l'espèce, la publication antérieure, dans d'autres journaux, d'articles évoquant des projets d'opérations concernant les titres Hermès et Maurel et Prom n'a pas conféré un caractère public à l'information selon laquelle le « Mail Online » allait prochainement publier des rapports de marché à la signature de M. A relatant l'existence d'une rumeur d'offre sur ces titres et à un certain prix, mais a confirmé la crédibilité de ces rapports de marché, qui résultait déjà de sa notoriété en tant que journaliste financier, de sorte que l'information portant sur leur prochaine publication était susceptible d'être utilisée par un investisseur raisonnable pariant sur le fait que cette rumeur se concrétiserait ou, à tout le moins, que le cours des titres concernés s'ajusterait à la hausse une fois ces articles publiés.
***
Sur quoi, la Cour :
213.L'article 621-1 du RGAMF disposait, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :
« Une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement. ».
214.Ces dispositions assuraient la transposition de l'article 1er, point 1), alinéa 1er, de la directive 2003/6, tel que précisé par l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, lesquels ont été repris par l'article 7, paragraphes 1, sous a), 2 et 4, du règlement MAR.
215.Ces dispositions du RGAMF ont été abrogées à la suite de l'entrée en vigueur du règlement MAR.
216.En l'espèce, il appartient à la Cour de déterminer si l'information portant sur la prochaine publication d'un article de presse relayant une rumeur de marché est susceptible de constituer une information privilégiée, au sens de l'article 621-1 du RGAMF.
217.Cet article assurant la transposition de l'article 1er, point 1), alinéa 1er, de la directive 2003/6, tel que précisé par l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/124, il convient de l'interpréter conformément auxdites dispositions de ces directives.
218.Dans deux arrêts du 28 juin 2012, [I] (C-19/11, point 25) et du 11 mars 2015, [F] (C-628/13, point 24), la Cour de justice a rappelé que la définition de la notion d'information privilégiée résultant de l'article 1er, point 1), alinéa 1er, de la directive 2003/6 comprend quatre éléments essentiels, qui s'appliquent de manière cumulative :
? premièrement, il s'agit d'une information à caractère précis ;
? deuxièmement, cette information n'a pas été rendue publique ;
? troisièmement, elle concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs instruments financiers ou leurs émetteurs ;
? quatrièmement, elle serait susceptible, si elle était rendue publique, d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.
219.En l'espèce, il n'est pas contesté au stade du recours exercé devant la présente Cour que les informations en cause répondent au deuxième élément. En effet, la publication prochaine des articles de M. A sur des rumeurs concernant les sociétés Hermès et Maurel et Prom n'avait pas été annoncée avant la réalisation de celle-ci. De même, le marché n'a eu connaissance du contenu de ces articles qu'au moment de leur publication, étant précisé que, comme l'a relevé à juste titre la Commission des sanctions dans la décision attaquée (pages 15 et 24), la publication antérieure de plusieurs articles évoquant une possible montée de LVMH au capital d'Hermès ou une possible préparation d'une opération de rachat de Maurel et Prom n'a pas conféré un caractère public à l'information selon laquelle le « Mail Online » allait prochainement publier, le 8 juin 2011 et le 12 juin 2012, deux articles de M. A faisant respectivement état d'une rumeur d'offre de LVMH sur les titres Hermès au prix de 350 euros et d'une rumeur d'offre sur les titres Maurel et Prom au prix de 19 euros.
220.Il est également constant que les informations en cause répondent au troisième élément. En effet, ces informations portent sur la prochaine publication d'un article de presse relayant une rumeur de marché sur une opération concernant respectivement les sociétés Hermès et Maurel et Prom. Dès lors, ces informations concernent, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers.
221.Quant au quatrième élément , l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124 le définit comme étant « une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d'investissement ».
222.En lien avec ces dispositions, le considérant 1 de ladite directive indique :
« Les investisseurs raisonnables fondent leurs décisions d'investissement sur les informations dont ils disposent déjà ("informations disponibles ex ante"). En conséquence, la question de savoir si un investisseur raisonnable serait susceptible, au moment de prendre une décision d'investissement, de tenir compte d'une information donnée doit être appréciée sur la base des informations disponibles ex ante. Cette appréciation doit prendre en considération l'impact anticipé de l'information en question compte tenu de l'ensemble de l'activité de l'émetteur concerné, de la fiabilité de la source d'information et de toutes autres variables de marché susceptibles d'exercer en l'occurrence une influence sur l'instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié ».
223.La Cour de justice a précisé, dans l'arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck (C-45/08, point 69), que, « conformément à la finalité de la directive 2003/6, cette aptitude à influer de manière sensible sur les cours doit s'apprécier, a priori, à la lumière du contenu de l'information en cause et du contexte dans lequel elle s'inscrit » et qu' « il n'est donc pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d'examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte ». Dans ses conclusions dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt (points 96 et 97), l'avocat général [K] a estimé que, s'il convient « d'établir a priori qu'une information est susceptible d'influencer le cours », pour autant « l'importance d'une variation de cours après qu'une information (...) a été rendue publique peut être un indice de la sensibilité et du potentiel de cette information ».
224.En l'espèce, comme l'a à juste titre relevé la Commission des sanctions (pages 16 et 25 de la décision attaquée), les informations en cause, qui portaient sur la prochaine publication des articles de M. A relayant des rumeurs d'offres sur les titres Hermès et Maurel et Prom à un prix nettement plus élevé que le cours de clôture de la veille, s'inscrivaient dans le prolongement de la publication récente d'articles de presse, notamment dans le « Financial Times », évoquant, les uns, une possible montée du groupe LVMH au capital de la société Hermès, ce qui alimentait les spéculations existantes, depuis la déclaration de franchissement de seuil publiée par LVMH le 21 décembre 2010, sur une possible augmentation à court ou moyen terme d'une augmentation de la participation du groupe LVMH au capital de la société Hermès, les autres, une possible préparation d'une opération de rachat de la société Maurel et Prom.
225.Dans ce contexte, les informations en cause étaient susceptibles d'être utilisées par un investisseur raisonnable comme faisant partie des fondements de ses décisions d'investissement sur les titres Hermès et Maurel et Prom.
226.D'ailleurs, force est de constater que ces titres ont connu une importante variation de cours après la publication des articles de M. A (une prime d'environ 86 % pour le titre Hermès et d'environ 80 % pour le titre Maurel et Prom). Cet élément « ex post » confirme que les informations en cause répondent « ex ante » au quatrième élément constitutif d'une information privilégiée.
227.Il convient encore de déterminer si ces informations sont susceptibles de répondre au premier élément, tenant au caractère précis de l'information.
228.À cet égard, il résulte de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 qu'une information est réputée à caractère précis lorsqu'elle satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes :
? d'une part, cette information doit faire « mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira » ;
? d'autre part, cette information doit être « suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des titres des instruments financiers concernés ou d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ».
229.En l'espèce, les informations en cause sont relatives, d'une part, à la prochaine publication (le 8 juin 2011) sur le « Mail Online » d'un article de M. A relayant une rumeur concernant le titre Hermès et, d'autre part, à la prochaine publication (le 12 juin 2012) sur le même site internet d'un article du même journaliste relayant une rumeur concernant le titre Maurel et Prom.
230.En tant qu'elles font mention d'un événement ? la publication prochaine d'un article de presse ? dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, ces informations satisfont à la première condition exigée à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 pour pouvoir être qualifiées de précises.
231.En revanche, la question se pose de savoir si elles satisfont à la seconde condition.
232.La réponse à cette question nécessite de déterminer si, pour que l'information portant sur la publication à venir d'un article de presse soit suffisamment précise, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, le contenu de l'article doit lui-même être suffisamment précis, au sens de la même disposition.
233.Dans l'arrêt [F], précité (point 31), la Cour de justice a précisé le sens et la portée de cette seconde condition en retenant que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 implique que « l'information soit suffisamment concrète ou spécifique pour pouvoir constituer une base permettant d'évaluer si l'ensemble des circonstances ou l'événement qui en est l'objet est susceptible d'avoir un effet sur les cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte », de sorte que cet article « n'exclut de la notion d'information privilégiée que des informations vagues ou générales, qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés. ».
234.Or, la rumeur semble, par nature, relever de la catégorie des « informations vagues ou générales, qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés ».
235.Dans ses conclusions dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt [I], précité, l'avocat général [G] faisait d'ailleurs valoir qu' « [u]ne information ne sera pas précise dès lors qu'un événement doit être jugé impossible ou improbable selon un critère de rationalité, le caractère raisonnable en cause faisant défaut, parce qu'il serait resté, par exemple, au niveau de la simple rumeur ou serait tellement peu spécifique qu'il ne serait pas possible d'en tirer des conséquences quant à l'évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur sont liés » (souligné par la Cour).
236.La question se pose donc de savoir si le fait qu'un article de presse, dont la publication prochaine constitue l'information en cause, consiste à relayer une rumeur de marché, exclut, par nature, que cette information puisse être une information privilégiée, ou si, à l'inverse, une telle qualification est envisageable selon les circonstances.
237.À cet égard, compte tenu des particularités de la présente affaire, la Cour se demande si la circonstance que l'article de presse relayant une rumeur de marché mentionne le prix d'une possible offre publique d'achat a une incidence sur l'appréciation du caractère précis de l'information en cause.
238.Elle s'interroge également sur le point de savoir si la notoriété du journaliste ayant signé l'article ou la réputation de l'organe de presse ayant assuré la publication de cet article, sont de nature à influer sur la réponse à la question.
239.Enfin, dès lors que les titres Hermès et Maurel et Prom ont connu une importante variation de cours après la publication des articles de M. A, la Cour se demande si, lorsqu'il est avéré qu'un article de presse relayant une rumeur de marché a effectivement eu, « ex post », un effet sensible sur le cours du titre objet de cette rumeur, il convient d'en tenir compte pour apprécier si l'information portant sur la publication prochaine de l'article satisfait à l'exigence de précision.
240.La Cour de justice n'ayant pas eu l'occasion de se prononcer sur l'ensemble de ces questions, qui sont déterminantes pour l'issue du litige, il convient de procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation des articles 1er, paragraphe 1, alinéa 1er, de la directive 2003/6 et 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, selon les termes figurant dans le dispositif du présent arrêt.
B. Sur l'articulation et l'interprétation des articles 10 et 21 du règlement MAR
241.Les développements qui suivent ne sont présentés que pour le cas où la Cour de justice répondrait aux questions susvisées qu'une information telle que celle en cause est susceptible de répondre à l'exigence de précision requise.
242.M. A conteste l'analyse suivie par la Commission des sanctions pour écarter l'application de l'article 21 du règlement MAR, analyse selon laquelle, si la discussion entre M. A et MM. C et B, identifiés comme étant ses sources, sur la rumeur de dépôt d'une offre à un certain prix avait pour seule finalité la diffusion au public de cette rumeur, de sorte qu'elle revêtait « des fins journalistiques » au sens dudit article, il n'en allait pas de même de la transmission, destinée à ces sources seules, et non au public, de l'information privilégiée de la publication à venir, sur le « Mail Online », d'un rapport de marché faisant état de cette rumeur (pages 19, alinéa 2, et 22, alinéa 2, de la décision attaquée).
243.Au soutien de l'application de l'article 21 du règlement MAR à son profit, M. A se prévaut, en premier lieu, de la jurisprudence de la Cour de justice interprétant l'article 9 de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation, selon laquelle il convient d'interpréter largement la notion de traitement de données à caractère personnel « aux seules fins de journalisme », au sens de cet article (CJUE, arrêts du 16 décembre 2008, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, C-73/07, points 56 et 61, et du 14 février 2019, Buivids, C-345/17, points 51 et 53). Il relève que les conversations téléphoniques au cours desquelles il aurait informé ses sources de la publication prochaine de ses articles se sont tenues dans le cadre de son activité de journaliste.
244.En deuxième lieu, M. A fait valoir qu'en cantonnant l'application de l'article 21 du règlement MAR à la seule hypothèse où l'information en cause a vocation à être publiée, l'AMF en vient, non seulement à nier le rôle essentiel des sources dans l'exercice des activités journalistiques, mais, plus généralement, à réduire la fonction de journaliste à ses publications en méconnaissant ainsi les nombreuses étapes préalables et nécessaires à la parution d'un article (identification de sujets, recoupements, documentation, rédaction, etc.), et ce que cet article soit finalement publié ou non.
245.En troisième lieu, il soutient que l'interprétation de l'article 21 du règlement MAR retenue dans la décision attaquée revient à nier l'existence du régime de faveur consenti aux journalistes à titre dérogatoire, en se bornant à faire application du régime de droit commun prévu à l'article 10 de ce règlement. Il explique que cet article 10 énonce un principe général de licéité de la communication d'une information privilégiée lorsque celle-ci intervient « dans le cadre normal de l'exercice d'un travail, d'une profession ou de fonctions » et que cette condition a été interprétée strictement par la Cour de justice comme impliquant, non seulement, l'existence d'un lien étroit entre la communication et l'exercice de la profession ou des fonctions, mais aussi, le caractère strictement nécessaire et proportionné du premier vis-à-vis du second (CJUE, arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang, C-384/02, points 31 et 34). Il déduit de cette jurisprudence qu'en l'espèce, l'interprétation de l'article 21 du règlement MAR retenue par la décision attaquée, en ce qu'elle implique d'apprécier si la communication en cause était nécessaire à l'information du public par le journaliste, revient à appliquer le régime de droit commun, au lieu du régime spécifique et dérogatoire applicable aux journalistes.
246.Par ailleurs, M. A rappelle qu'il est constant que ni lui, ni toute personne qui lui serait étroitement liée n'ont tiré le moindre profit des transmissions d'informations alléguées et qu'aucune intention d'induire le marché erreur, quant à l'offre, la demande ou le cours des titres concernés n'est susceptible de lui être reprochée. Il en tire la conséquence que la situation litigieuse ne relève pas des exceptions au régime spécifique applicable aux journalistes, figurant à l'article 21 du règlement MAR.
247.En outre, il rappelle que ce régime spécifique implique que les manquements en cause soient analysés à la lumière des règles et garanties issues de la liberté de la presse et du droit anglais applicable aux journalistes. Il soutient qu'aucune violation des règles régissant la profession de journaliste ne pouvant lui être imputée, l'article 13 du code de conduite de l'Independant Press Standards Organization (qui est le régulateur indépendant de la presse au Royaume-Uni, auquel était affilié le « Daily Mail » à la date des faits, ci-après l'« IPSO »), invoqué par l'AMF, se limitant à interdire au journaliste de transmettre, avant leur publication, des informations financières reçues par eux, et non le choix d'un sujet d'article, qui, par définition, ne constitue pas une information reçue d'un tiers, mais émane du journaliste, M. A en conclut qu'il y a lieu de le mettre hors de cause.
248.En réponse, l'AMF fait valoir que le recueil par M. A des informations en possession de ses sources (MM. C et B) n'exigeait pas que celui-ci leur confirme qu'il allait mentionner les rumeurs en cause dans ses articles. Dès lors, la divulgation de cette information par celui-ci à ses sources, c'est-à-dire à des tiers et non au public, bien qu'elle ait eu lieu dans le cadre de son activité de journaliste, n'est pas intervenue « à des fins journalistiques » au sens de l'article 21 du règlement MAR, de sorte que ce dernier n'est pas applicable en l'espèce.
249.À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où cette divulgation serait intervenue « à des fins journalistiques », l'AMF fait valoir que l'article 21 du règlement MAR n'exige pas que la caractérisation d'un manquement soit subordonnée à la méconnaissance d'une règle professionnelle, mais se borne à prévoir des modalités spécifiques d'appréciation de ce manquement, devant tenir compte, selon le libellé de cet article, « des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste ».
250.Elle précise qu'en l'espèce, le code de conduite de l'IPSO indique, en son article 13, intitulé « Journalisme financier », dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, que « même lorsque la loi ne l'interdit pas, les journalistes ne doivent pas utiliser à leur profit les informations financières qu'ils reçoivent avant leur diffusion au public, ni transmettre ces informations à d'autres ». Elle fait valoir que ces dispositions, outre celles de l'article 11 de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 10 de la CSDH, illustrent le devoir des journalistes de ne pas outrepasser certaines limites tenant notamment à la nécessité d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles. Elle soutient que retenir le caractère illicite de la divulgation des informations en cause ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression. Elle en tire la conséquence que, même en faisant application de l'article 21 du règlement MAR, cette diffusion caractérise un manquement à l'obligation d'abstention prévue aux articles 622-1 et 622-2 du RGAMF.
***
Sur quoi, la Cour :
251.Comme cela a déjà été indiqué, il est reproché à M. A, aux termes de la notification des griefs qui lui a été adressée, d'avoir manqué à l'obligation d'abstention de transmission d'une information privilégiée, en violation des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF.
252.L'article 622-1 du RGAMF disposait, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :
« Toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient (?). Elle doit également s'abstenir de (?) communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée (...) ».
253.Cet article assurait la transposition des dispositions de l'article 2, paragraphe 1, alinéa 1er, de la directive 2003/6, lesquelles figurent désormais, en substance, à l'article 10, paragraphe 1, du règlement MAR.
254.L'article 622-2 du RGAMF disposait, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :
« Les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1o Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ;
2o Sa participation dans le capital de l'émetteur ;
3o Son accès à l'information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l'exécution d'une opération financière ;
4o Ses activités susceptibles d'être qualifiées de crimes ou de délits.
Ces obligations d'abstention s'appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ».
255.Cet article assurait la transposition des dispositions des articles 2, paragraphe 1, et 4 de la directive 2003/6, lesquelles figurent désormais à l'article 8, paragraphe 4, du règlement MAR.
256.L'article 10 du règlement MAR, intitulé « Divulgation illicite d'informations privilégiées », énonce, en son paragraphe 1 :
« Aux fins du présent règlement, une divulgation illicite d'informations privilégiées se produit lorsqu'une personne est en possession d'une information privilégiée et divulgue cette information à une autre personne, sauf lorsque cette divulgation a lieu dans le cadre normal de l'exercice d'un travail, d'une profession ou de fonctions.
Le présent paragraphe s'applique à toute personne physique ou morale dans les situations ou les circonstances visées à l'article 8, paragraphe 4. » (souligné par la Cour).
257.L'article 8 du règlement MAR, intitulé « Opérations d'initiés », auquel renvoie l'article 10, paragraphe 1, précité, précise, en son paragraphe 4 :
« Le présent article s'applique à toute personne qui possède une information privilégiée en raison du fait que cette personne :
a) est membre des organes d'administration, de gestion ou de surveillance de l'émetteur (?) ;
b) détient une participation dans le capital de l'émetteur (?) ;
c) a accès aux informations en raison de l'exercice de tâches résultant d'un emploi, d'une profession ou de fonctions ; ou
d) participe à des activités criminelles.
Le présent article s'applique également à toute personne qui possède une information privilégiée dans des circonstances autres que celles visées au premier alinéa lorsque cette personne savait ou devait savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ». (souligné par la Cour).
258.La divulgation illicite d'informations privilégiées, au sens de l'article 10, paragraphe 1, précité, est interdite par l'article 14, sous c), du règlement MAR qui dispose : « Une personne ne doit pas (?) divulguer illicitement des informations privilégiées. »
259.L'article 21 du règlement MAR, intitulé « Divulgation ou diffusion d'informations dans les médias », énonce :
« Aux fins de l'article 10, de l'article 12, paragraphe 1, point c), et de l'article 20, (?) lorsque des informations sont divulguées ou diffusées et lorsque les recommandations sont produites ou diffusées à des fins journalistiques ou aux fins d'autres formes d'expression dans les médias, cette divulgation ou cette diffusion d'informations est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que :
a)les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci ne tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en question ; ou
b)la divulgation ou la diffusion n'ait lieu dans l'intention d'induire le marché en erreur quant à l'offre, à la demande ou au cours d'instruments financiers. ». (souligné par la Cour).
260.Il est constant que l'article 21 du règlement MAR institue un régime spécifique, destiné à concilier la lutte contre les abus de marchés avec les exigences découlant de la liberté de la presse.
261.En l'espèce, il est également constant que M. A était journaliste à la date des faits et que la situation litigieuse ne relève pas des cas d'exclusion prévus à l'article 21 sous a) et b) du règlement MAR.
262.En effet, il n'est pas établi ni même allégué :
? que M. A ou que des personnes étroitement liées à lui auraient tiré directement ou indirectement un avantage ou des bénéfices de la divulgation en cause (cas prévu sous a) ;
? que M. A ait eu l'intention, par cette divulgation, d'induire le marché en erreur quant à l'offre, à la demande ou au cours d'instruments financiers (cas prévu sous b).
263.Il s'ensuit que, à supposer que les informations en cause aient été divulguées « à des fins journalistiques », l'article 21 du règlement MAR est susceptible de recevoir application en l'espèce.
264.La Cour s'interroge, en premier lieu, sur l'interprétation qu'il convient de donner à la notion de divulgation « à des fins journalistiques » au sens de cet article. Plus précisément, la Cour se demande si la divulgation par un journaliste, à l'une de ses sources habituelles, d'une information portant sur la prochaine publication d'un article à sa signature relayant une rumeur de marché est susceptible d'être réalisée « à des fins journalistiques » au sens de l'article 21 du règlement MAR.
265.Dans son arrêt Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, précité (points 56 et 61), la Cour de justice a précisé le sens de la formule similaire (« aux seules fins de journalisme ») figurant à l'article 9 de la directive 95/46. Elle a retenu que doivent être considérées comme exercées « aux seules fins de journalisme » des activités ayant pour seule finalité la divulgation au public d'informations, d'opinions ou d'idées. Cette définition a été reprise dans l'arrêt Buivids, précité (point 53).
266.Dans les arrêts précités, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia (points 52 à 56) et Buivids (point 50, 51, 63 et 64), la Cour de justice, qui est partie du constat que l'article 9 de la directive 95/46 vise à concilier deux droits fondamentaux, à savoir, d'une part, la protection de la vie privée et, d'autre part, la liberté d'expression, a jugé qu'afin de tenir compte de l'importance que revêt la liberté d'expression dans toute société démocratique, il convient d'interpréter les notions y afférentes, dont celle de journalisme, de manière large, tout en précisant que, pour obtenir une pondération équilibrée entre ces deux droits fondamentaux, la protection du droit fondamental à la vie privée exige que les dérogations et restrictions à la protection des données personnelles prévues, notamment, à l'article 9 de la directive 95/46 doivent s'opérer dans les limites du strict nécessaire.
267.Or, l'article 21 du règlement MAR vise, de la même manière, à concilier un objectif d'intérêt général et un droit fondamental, à savoir, d'une part, l'objectif consistant à lutter contre les abus de marché afin d'assurer l'intégrité des marchés financiers de l'Union et de renforcer la confiance des investisseurs dans ces marchés (voir, en ce sens, sur la finalité de la directive 2003/6, notamment, arrêts précités, Spector Group et Van Raemdonck, point 47, et [F], point 21) et, d'autre part, la liberté fondamentale d'expression, dont la liberté de la presse est une composante.
268.À la lumière de ces développements, la Cour se demande si la finalité de l'article 21 du règlement MAR et l'importance que revêt la liberté de la presse dans toute société démocratique n'implique pas de retenir une interprétation large de la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens dudit article.
269.À cet égard, la Cour s'interroge sur le point de savoir si la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens de l'article 21 du règlement MAR, revêt la même portée que la notion de diffusion d'informations émanant de « journalistes agissant dans le cadre de leur profession », au sens de l'article 1er, point 2, sous c), de la directive 2003/6, nonobstant la différence de terminologie entre ces deux articles.
270.En effet, cet article avait institué un régime spécifique, également destiné à concilier la lutte contre les abus de marchés avec les exigences découlant de la liberté de la presse, tout en le réservant uniquement à certains comportements de manipulation de marché, à savoir la diffusion d'informations donnant ou susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers, y compris le fait de répandre des rumeurs ou de diffuser des informations fausses ou trompeuses.
271.Eu égard à la finalité commune de l'article 1er, point 2, sous c), de la directive 2003/6 et de l'article 21 du règlement MAR, la Cour s'interroge sur le point de savoir s'il suffit que la divulgation d'une information privilégiée ait lieu dans le cadre de l'activité de journaliste pour retenir que celle-ci est intervenue « à des fins journalistiques », au sens de l'article 21 du règlement MAR.
272.En outre, la Cour se demande si l'interprétation de la notion de divulgation « à des fins journalistiques » dépend, notamment, du point de savoir si le journaliste ayant signé l'article relayant une rumeur de marché a été ou non informé de cette rumeur par l'une de ses sources habituelles ou si la divulgation par ce journaliste de l'information portant sur la publication prochaine de son article était ou non utile pour obtenir de cette source des éclaircissements sur la crédibilité de ladite rumeur.
273.La Cour de justice n'ayant jamais eu l'occasion de se prononcer sur l'interprétation de la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens de l'article 21 du règlement MAR, il convient de la saisir d'une question préjudicielle sur ce point, selon les termes figurant au dispositif du présent arrêt.
274.En deuxième lieu, la Cour s'interroge sur l'articulation entre les articles 21 et 10, paragraphe 1, du règlement MAR.
275.En effet, il résulte du libellé de l'article 21 que le régime spécial qu'il établit l'est « [a]ux fins de l'article 10 » du règlement MAR. Cette référence expresse à l'article 10, précité, laisse penser que l'article 21 a pour objet, non pas d'y déroger, comme le prétend M. A, mais de préciser les critères d'appréciation du caractère licite ou illicite de la divulgation d'une information privilégiée « à des fins journalistiques », dans le cadre du régime général défini à l'article 10, qui, quant à lui, s'applique quelle que soit la finalité de la divulgation.
276.Toutefois, cette interprétation ne s'impose pas avec la force de l'évidence et la Cour de justice n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur l'articulation entre ces deux dispositions.
277.Il convient donc de la saisir d'une question préjudicielle sur ce point, selon les termes figurant au dispositif du présent arrêt.
278.En troisième lieu, à supposer que l'article 21 ne déroge pas à l'article 10 du règlement MAR, de sorte que celui-ci serait en tout état de cause applicable au litige, la Cour s'interroge sur l'interprétation qu'il convient d'en retenir.
279.Si la Cour de justice n'a pas encore interprété cet article, elle a interprété l'article 3 de la directive 89/592/CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant la coordination des réglementations relatives aux opérations d'initiés, directive aujourd'hui abrogée. Or, cet article, qui a été repris presque à l'identique à l'article 3 de la directive 2003/6, a à son tour été repris presque à l'identique par l'article 10 du règlement MAR en ce qu'il pose un principe d'interdiction de la communication d'une information privilégiée à un tiers tout en assortissant ce principe d'une exception dans l'hypothèse où cette communication a lieu « dans le cadre normal de l'exercice (?) [d'un] travail, (?) [d'une] profession ou (?) [de] fonctions ».
280.Par son arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang, précité (points 31 et 34), la Cour de justice, procédant à une interprétation stricte de cette exception, a précisé que l'application de celle-ci est subordonnée à la caractérisation d'un lien étroit entre, d'une part, la communication de l'information privilégiée en cause et, d'autre part, l'exercice du travail, de la profession ou des fonctions de son auteur, ce qui implique que cette communication n'est justifiée que si elle est strictement nécessaire à l'exercice de ce travail, de cette profession ou de ces fonctions, et respectueuse du principe de proportionnalité. Dans ce même arrêt (points 39 et 40), la Cour de justice a également précisé que cette exception doit être appréciée en tenant compte des particularités du droit national applicable et qu'en l'absence d'harmonisation sur ce qui relève du cadre normal de l'exercice d'un travail, d'une profession ou de fonctions, cette appréciation dépend, dans une large mesure, des règles régissant ces questions dans les différents systèmes juridiques nationaux, la circonstance que la communication en cause soit autorisée par l'ordre juridique national applicable n'excluant toutefois pas l'obligation de satisfaire aux conditions de nécessité et de proportionnalité déjà exposées.
281.L'article 21 du règlement MAR, dont les dispositions sont énoncées « [a]ux fins de l'article 10 », semble s'inscrire dans cette logique d'une appréciation dépendant, dans une large mesure, des règles applicables dans les Etats membres, ces règles ayant vocation à déterminer ce qui relève du cadre normal de l'exercice d'un travail, d'une profession ou de fonctions. En faisant référence aux « règles régissant la liberté de la presse » et aux « règles ou codes régissant la profession de journaliste », l'article 21 semble ainsi décliner ou affiner, en particulier pour les journalistes, les critères d'appréciation dégagés par la Cour de justice dans l'arrêt Grøngaard et Bang, précité, pour déterminer si la communication d'une information privilégiée à un tiers est susceptible de relever de l'exception posée par l'article 3 de la directive 89/592 (et reprise en substance par l'article 3 de la directive 2003/6 puis par l'article 10 du règlement MAR).
282.Il serait utile que la Cour de justice précise si l'interprétation de l'article 3 de la directive 89/592 retenue dans son arrêt Grøngaard et Bang, précité, doit être transposée à l'interprétation de l'article 10 du règlement MAR, de sorte que la divulgation d'une information privilégiée ne peut avoir lieu « dans le cadre normal de l'exercice de la profession » de journaliste que si elle est strictement nécessaire à l'exercice de cette profession et respectueuse du principe de proportionnalité.
283.Cette précision serait utile en l'espèce, car, contrairement à ce que suggère l'AMF, il ne fait aucun doute qu'en divulguant les informations en cause, M. A n'a pas méconnu l'article 13 de l'IPSO.
284.En effet, cet article, intitulé « Journalisme financier », dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, indique :
« Même lorsque la loi ne l'interdit pas, les journalistes ne doivent pas utiliser à leur profit les informations financières qu'ils reçoivent avant leur diffusion au public, ni transmettre ces informations à d'autres. »
285.Comme l'explique à juste titre M. A, cet article se limite à interdire au journaliste financier de transmettre, avant leur publication, des informations financières reçues par eux, et non le choix d'un sujet d'article à sa signature, lequel, par définition, ne constitue pas une information reçue d'un tiers, mais émane de lui-même. Il en va également ainsi de l'information portant sur la publication prochaine d'un article à sa signature sur ce sujet.
286.En outre, il n'est pas démontré que M. A aurait outrepassé les limites de la liberté de la presse, telle que garantie par les articles 10 de la CSDH et 11 de la Charte, en communiquant à MM. B et C les informations en cause.
287.La Cour de justice n'ayant pas encore eu l'occasion de se prononcer sur l'interprétation de l'article 10 du règlement MAR, il y a lieu de l'interroger sur ce point, selon les termes figurant au dispositif du présent arrêt.
***
PAR CES MOTIFS
REJETTE les moyens de procédure soulevés par M. A contre la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 11 du 24 octobre 2018 ;
Sur le fond,
DIT que la preuve n'est pas rapportée que M. A a, le 8 juin 2011, transmis à M. C l'information portant sur la publication prochaine sur le « Mail Online » de son rapport de marché sur le titre Hermès ;
DIT que M. A était détenteur, au plus tard le 8 juin 2011 à 15 h 06, de l'information portant sur la publication prochaine sur le « Mail Online » de son rapport de marché sur le titre Hermès et l'a transmise, ces mêmes jour et heure, à M. B ;
DIT que M. A était détenteur, au plus tard le 12 juin à 15 h 36, de l'information portant sur la publication prochaine sur le « Mail Online » de son rapport de marché sur le titre Maurel et Prom, et l'a transmise, ces mêmes jour et heure, à M. C ;
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
« 1) En premier lieu,
a) L'article 1er, point 1), alinéa 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché), combiné à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doit-il être interprété en ce sens qu'une information portant sur la prochaine publication d'un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d'instrument financier est susceptible de répondre à l'exigence de précision requise par ces articles pour la qualification d'une information privilégiée ?
b) La circonstance que l'article de presse, dont la publication prochaine constitue l'information en cause, mentionne ? à titre de rumeur de marché ? le prix d'une offre publique d'achat a-t-elle une incidence sur l'appréciation du caractère précis de l'information en cause ?
c) La notoriété du journaliste ayant signé l'article, la réputation de l'organe de presse en ayant assuré la publication, et l'influence effectivement sensible (« ex post ») de cette publication sur le cours des titres auxquels celle-ci se rapporte sont-ils des éléments pertinents aux fins d'apprécier le caractère précis de l'information en cause ?
2) En deuxième lieu, en cas de réponse qu'une information telle que celle en cause est susceptible de satisfaire à l'exigence de précision requise :
a) L'article 21 du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et, 2004/72/CE de la Commission, doit-il être interprété en ce sens qu'est réalisée « à des fins journalistiques » la divulgation par un journaliste, à l'une de ses sources habituelles, d'une information portant sur la prochaine publication d'un article à sa signature relayant une rumeur de marché ?
b) La réponse à cette question dépend-elle notamment du point de savoir si le journaliste a été ou non informé de la rumeur de marché par cette source ou si la divulgation de l'information sur la publication prochaine de l'article était ou non utile pour obtenir de cette source des éclaircissements sur la crédibilité de la rumeur ?
3) En troisième lieu, les articles 10 et 21 du règlement no (UE) 596/2014 doivent-ils être interprétés en ce sens que, même lorsqu'une information privilégiée est divulguée par un journaliste « à des fins journalistiques », au sens de l'article 21, le caractère licite ou illicite de la divulgation nécessite d'apprécier si elle a été faite « dans le cadre normal de l'exercice [? de la] profession [de journaliste] », au sens de l'article 10 ?
4) En quatrième lieu, l'article 10 du règlement (UE) no 596/2014 doit-il être interprété en ce sens que, pour avoir lieu dans le cadre normal de l'exercice de la profession de journaliste, la divulgation d'une information privilégiée doit être strictement nécessaire à l'exercice de cette profession et respectueuse du principe de proportionnalité ? »
SURSOIT à statuer pour le surplus jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
RÉSERVE les dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,
Agnès MAITREPIERRE