La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/2020 | FRANCE | N°17/11230

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 09 juillet 2020, 17/11230


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 09 JUILLET 2020



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11230 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3OZL



Décision déférée à la cour : jugement du 10 mai 2017 -tribunal de commerce de Paris - RG n° 2014026340





APPELANTES



SOCIÉTÉ EL RONTO HOLDINGS LIMITED, société de droit chypriote

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 5] CHYPRE

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL Cabinet SEVELLEC, ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 09 JUILLET 2020

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11230 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3OZL

Décision déférée à la cour : jugement du 10 mai 2017 -tribunal de commerce de Paris - RG n° 2014026340

APPELANTES

SOCIÉTÉ EL RONTO HOLDINGS LIMITED, société de droit chypriote

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 5] CHYPRE

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL Cabinet SEVELLEC, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

Ayant pour avocat plaidant Me Philippe VEBER, avocat au barreau de LYON

SOCIÉTÉ CHPOLATECHAGRO, société de droit ukrainien

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 6] (UKRAINE)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL Cabinet SEVELLEC, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

Ayant pour avocat plaidant Me Philippe VEBER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE

SA [Localité 3] SEMENCES

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 3]

N° SIRET : 846 050 052

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Karl HEPP DE SEVELINGES de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Ayant pour avocat plaidant Me Bertrand BARRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : T04

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Février 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente

Mme Christine SOUDRY, conseillère

Mme Camille LIGNIERES, conseillère, chargée du rapport

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente et par Mme Hortense VITELA-GASPAR, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La société El Ronto Holdings Limited (dite El Ronto) est une société holding, de droit chypriote, qui s'occupe de la production de semences en Ukraine.

La société [Localité 3] Semences (dite [Localité 3]) est une société qui a pour activité la recherche, le développement et la mise sur le marché de diverses semences agricoles destinées aux industriels et aux distributeurs. Elle exploite principalement deux marques, « [Localité 3] » et « Codisem ».

Par un contrat de distribution exclusive du 6 février 2013, la société [Localité 3] a confié pour une durée de 10 ans à la société El Ronto, la distribution exclusive de la gamme des semences de marque « Codisem » sur le Territoire défini suivant : Ukraine, Russie, Kazakhstan, Géorgie et Biélorussie.

Par deux contrats de production dits « Codisem » et « [Localité 3] » conclus le 11 avril 2013, la société [Localité 3] a concédé à la société El Ronto la production exclusive pour une durée de 10 ans sur le Territoire, des semences de marque Codisem, ainsi que la production exclusive pour une durée de 3 ans sur le Territoire, des semences de générique « [Localité 3] » .

La production effective des semences pour la CEI (Communauté des Etats Indépendants, composée des anciennes républiques soviétiques) est réalisée par des sociétés de droit ukrainien, notamment la société Chpolatechagro.

Des différends sont nés et ont persisté entre les sociétés El Ronto et [Localité 3] dès la conclusion des contrats et ont abouti à la résiliation des contrats par la société [Localité 3].

Par exploit du 24 avril 2014, la société El Ronto a fait assigner la société [Localité 3] devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement de dommages et intérêts pour résiliation abusive.

La société Chpolatechagro est intervenue volontairement aux côtés de la société El Ronto, en cours de procédure.

Par jugement rendu le 10 mai 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

-pris acte de l'intervention volontaire de la société Chpolatechagro ;

-débouté la société El Ronto Holdings Limited et la société Chpolatechagro de l'ensemble de leurs demandes formulées à titre principal ou en tout état de cause ;

-condamné la société El Ronto Holdings Limited à verser à la société [Localité 3] Semences la somme de 1.270.000 euros au titre de royalties ;

-condamné la société El Ronto Holdings Limited à verser à la société [Localité 3] Semences la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-débouté la société [Localité 3] Semences de ses autres demandes reconventionnelles ;

-ordonné l'exécution provisoire ;

-débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

-condamné la société El Ronto Holdings Limited aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.

Par déclaration en date du 7 juin 2017, la société El Ronto Holdings Limited et la société Chpolatechagro ont interjeté un appel partiel de ce jugement, limité :

-aux dispositions relatives au rejet des demandes formulées par les sociétés El Ronto Holdings Limited et Chpolatechagro ;

-à la condamnation de la société El Ronto Holdings Limited à verser à la société [Localité 3] Semences la somme de 1.270.000 euros au titre de royalties, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

-à la condamnation de la société El Ronto Holdings Limited à verser à la société [Localité 3] Semences la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-à la condamnation de la société El Ronto Holdings Limited aux dépens.

Par conclusions notifiées par RPVA le 3 novembre 2017, la société [Localité 3] Semences a soulevé un incident devant le conseiller de la mise en état tendant à la radiation de la procédure au motif que les appelantes ne justifiaient pas de l'exécution du jugement entrepris.

Par conclusions d'incident en date du 29 novembre 2017, la société El Ronto et la société Chpolatechagro ont soulevé l'irrecevabilité des conclusions de la société [Localité 3] Semences, soutenant que cette dernière avait notifié ses premières conclusions tardivement, soit postérieurement au délai de deux mois expirant le 23 octobre 2017.

Par ordonnance sur incident rendue le 22 février 2018, le conseiller de la mise en état a :

-déclaré irrecevable la demande de radiation de la société [Localité 3], comme tardive pour avoir été formée après l'expiration du délai qui lui était imparti par l'article 909 dans sa version applicable au 3-11-2017 ;

-rejeté le surplus des demandes ;

-réservé les dépens.

Dans ses dernières conclusions sur le fond notifiées par RPVA le 22 décembre 2017, la société El Ronto Holdings et la société Chpolatechagro, appelantes, demandent à la cour de :

Vu l'article 23 du règlement CE n° 44/2001et l'article 3 du règlement CE n°593/2008,

Vu les articles 1134, 1147 et 1149 du code civil,

Vu les articles L442-6, I, 5° et L420 -2 al 2 du code de commerce,

Vu les articles 328 et suivants du code de procédure civile,

Vu les contrats de production exclusives signés entre les parties le 11 avril 2013,

Vu le contrat de distribution exclusive signé entre les parties le 6 février 2013,

Vu la jurisprudence et les pièces communiquées aux débats,

Statuant dans les limites de l'appel, il est demandé à la cour d'appel de réformer le jugement du 10 mai 2017 en ce qu'il a :

' condamné El Ronto à verser à la société [Localité 3] Semences la somme de 1.270.000 euros au titre des royalties,

' rejeté les demandes formulées par les sociétés El Ronto et Chpolatechagro,

' condamné El Ronto à verser à [Localité 3] Semences la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

En conséquence,

-dire et juger la société El Ronto recevable dans toutes ses demandes ;

-dire et juger que la société [Localité 3] Semences n'a pas respecté les stipulations contractuelles de forme prévues en cas de résiliation anticipée des trois contrats à durée déterminée ;

-dire et juger que la société [Localité 3] Semences a, dans des conditions déloyales et avec mauvaise foi, procédé à la rupture unilatérale des trois contrats à durée déterminée ;

En tout état de cause,

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a violé ses engagements contractuels ;

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a résilié abusivement les contrats, la règle des 80 % n'étant pas une cause de résiliation ;

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a résilié abusivement les contrats alors que les contrats sont affectés d'un déséquilibre significatif par la règle unilatérale des 80 %. ;

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a résilié abusivement les contrats dans des conditions déloyales ayant renoncé à la règle qu'elle invoque au soutien des résiliations ;

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a résilié abusivement les contrats dans des conditions déloyales ayant renoncé à la règle des 80 % qu'elle invoque au soutien des résiliations ;

- dire et juger que la société [Localité 3] Semences a résilié abusivement les contrats dans le cadre d'une rupture brutale ;

- dire et juger que la résiliation des deux contrats de production et du contrat de distribution est fautive et abusive ;

- dire et juger que la résiliation fautive des deux contrats de production et du contrat de distribution est aggravée par la dépendance économique de la société El Ronto.

En conséquence,

-condamner la société [Localité 3] Semences à réparer les dommages subis par la société El Ronto du fait de la rupture abusive des trois contrats à durée déterminée sur la base des marges qu'elle aurait perçues durant la période contractuellement prévues aux contrats ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société El Ronto une somme de 38 794 693,29 euros au titre du dommage subi en raison de la rupture abusive contrat de production Codisem ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société El Ronto une somme de 3 182 440,00 euros au titre du dommage subi en raison de la rupture abusive contrat de production [Localité 3] Semences ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société El Ronto une somme de 24 486 149,88 euros au titre du dommage subi en raison de la rupture abusive contrat de distribution Codisem ;

Au besoin,

-désigner tel expert au choix du tribunal aux fins d'examiner les documents comptables et de solliciter son avis afin de déterminer le préjudice subi ;

En tout état de cause,

-débouter [Localité 3] Semences de toutes ses demandes comme non justifiées et non fondées, notamment sur la demande au titre des royalties ;

-dire et juger que la société [Localité 3] Semences a violé l'article L442-6, I, 5 du code de commerce en rompant brutalement et sans préavis toute relation commerciales avec la société El Ronto ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société El Ronto une somme établie à 8.622.424 euros équivalent à12 mois de préavis qui auraient dû, au minimum, lui être accordés afin qu'elle puisse réorganiser son activité et trouver un ou plusieurs autres fournisseurs pour poursuivre son activité de production ;

-constater l'intervention volontaire de la société Chpolatekagro ;

A supposer que le préjudice subit ne le soit pas par la société El Ronto au titre des contrats de production,

Sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société Chpolatekagro une somme de 38.794.693,29 euros au titre du dommage subi en raison de la rupture abusive contrat de production Codisem ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société Chpolatekagro une somme de 3.182.440,00 euros au titre du dommage subi en raison de la rupture abusive contrat de production [Localité 3] Semences ;

Cette créance indemnitaire sera diminuée du montant de la somme de 1.925.319 euros au titre de la compensation dans le dossier opposant la société Chpolatekagro à [Localité 3] Semences en Ukraine référencée n° 910/18341/14, sur plainte de [Localité 3] Semences à l'encontre de Chpolatekagro pour le recouvrement de la somme de 2 316 368.81 euros ;

-condamner la société [Localité 3] Semences à payer à la société El Ronto une indemnité de procédure d'un montant de 65.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société [Localité 3] n'a pas conclu au fond dans le cadre de la procédure d'appel.

Par courrier notifié en date du 9 janvier 2019 par RPVA, la société [Localité 3] a communiqué ses conclusions déposées en première instance, indiquant que « les seules conclusions sur lesquelles la société [Localité 3] Semences est en mesure de s'appuyer devant la cour sont donc ses dernières conclusions déposées devant le tribunal de commerce de Paris. »

Par courrier notifié par le RPVA en date du 23 mai 2019, la société El Ronto et la société Chpolatechagro ont contesté cette communication des conclusions, et ainsi demandé à la cour de les écarter des débats.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 janvier 2020.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIFS

A titre préliminaire, il convient de dire que conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, « La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs. »

Sur la rupture abusive des trois contrats du fait d'une rupture unilatérale anticipée

L'appelante prétend qu'est abusive la résiliation unilatérale anticipée des trois contrats par la société [Localité 3]. Selon elle, la société [Localité 3] a engagé sa responsabilité contractuelle en ne respectant pas le formalisme contractuel prévu pour la résiliation, en violant la bonne foi et la loyauté contractuelles et en ne respectant pas les dispositions contractuelles en ce que la règle des 80% n'est pas une cause de résiliation des contrats et constitue en outre un déséquilibre significatif illicite au sens de l'article L.442-6, I-2eme du code de commerce.

L'intimée est réputée avoir demandé la confirmation du jugement qui a rejeté les demandes en indemnisation pour rupture abusive.

Sur ce ;

Vu les articles 1134 et 1135 anciens du code civil dans leur version applicables aux faits de l'espèce,

Vu le contrat de distribution exclusive signé entre les parties le 6 février 2013,

Vu les contrats de production exclusive signés entre les parties le 11 avril 2013,

-concernant le non respect du formalisme

Le contrat de distribution exclusive du 6 février 2013 prévoit dans son article 14-1 consacré à l'inexécution fautive (pièce 6) :

« Le présent contrat pourra être résilié par anticipation, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et /ou de l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée. Sauf stipulation contraire du présent contrat prévoyant une résiliation immédiate lorsqu'il n'est pas possible de remédier au manquement, la résiliation anticipée interviendra un mois après une mise en demeure signifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la partie défaillante, indiquant l'intention de faire application de la présente clause résolutoire expresse, restée sans effet. »

Les contrats de production et d'usinage exclusif conclus entre les parties le 11 avril 2013 énoncent exactement la même la clause aux articles 13.1 et 14.1. (pièces 7 et 8 )

En l'espèce, les deux emails des 25 et 27 février 2014 écrits par la société [Localité 3] qui sont qualifiés par l'appelante de notification de résiliation sans mise en demeure préalable par l'appelante, font suite à un long historique d'échanges entre les parties et notamment d'un email écrit dès le 24 avril 2013 par la société El Ronto dans ces termes :

« Comme déjà écrit et pour la dernière fois :

Je demande la révision de TOUS LES CONTRATS et leur modification pour arrêt de la

collaboration qui est devenue totalement IMPOSSIBLE:

Pour tous ce qui concerne la partie production et commercialisation, nous arrêterons toute collaboration a l'issue des ventes 2014 soit donc au 30/05/2014

Pour tout le reste, dès que les comptes en cours seront arrêtés et les paiements réciproques exécutés, soit au 30/06/2013.

Je vous demande donc de me faire une proposition de rupture de contrat ».

Comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, c'est la société El Ronto qui la première a demandé la rupture, et ce quelques jours seulement après la signature des contrats de productions pour l'année 2013.

Les explications et pièces versées au dossier, notamment les nombreux échanges entre les parties, d'avril 2013 à février 2014, révèlent que la société [Localité 3] a demandé à plusieurs reprises que les contrats de production pour l'année 2014 soient signés conformément à l'article 7 du contrat de distribution du 6 février 2013 lequel la société El Ronto devait honorer 80% des commandes passées.

Le conseil de la société [Localité 3] par mail du 27 février 2014 a enjoint la société El Ronto de se conformer à ses obligations contractuelles quant au volume d'achat de 80% prévu par l'article 7 du contrat, en invoquant l'intention de son client de rompre la relation commerciale sans plus de précision.(pièce 36)

Une mise en demeure formelle par courrier signé par son Directeur Général de la société [Localité 3] daté du 4 mars 2014 a alors été adressée à la société El Ronto de respecter ses engagements contractuels consistant à honorer 80 % des commandes passées, et ce sous délai d'un mois. (pièce 40)

Le 20 mars 2014 la société El Ronto lui a répondu en contestant l'intégraIité des termes et en considérant que la phase amiable « est en cours '. (pièce 39)

C'est par lettre de son Directeur Général en date du 22 avril 2014 que la société [Localité 3] a notifié officiellement la « résiliation définitive » du contrat de distribution et du contrat de production Codisem ainsi que du contrat de production « [Localité 3] » et en précisant les conséquences juridiques de cette fin des contrats ainsi qu'en sollicitant le paiement des royalties restant dues pour la production 2013 à hauteur de 1.270.000 euros. (pièce 42)

Il en résulte qu'il ne peut être légitimement reproché à la société [Localité 3] d'avoir violé le formalisme prévu par les contrats liant les parties en cas de résiliation alors que c'est son cocontractant qui a invoqué la rupture le premier, qu'elle a mis en demeure la société El Ronto et lui a laissé un délai d'un mois pour se conformer à ses obligations contractuelles, avant de lui notifier la résiliation de la relation contractuelle par lettre officielle et formelle signée par son Directeur Général visant les trois contrats et les conséquences juridiques et financières de cette fin des contrats.

concernant la faute grave invoquée sur le non respect de la clause des 80 % prévue par l'article 7 du contrat de distribution

Il est constant que la pierre d'achoppement dans les relations entre les parties qui a abouti à la rupture de leur partenariat s'est focalisée sur l'application de l'article 7 relatif aux conditions d'approvisionnement du contrat de distribution du 6 février 2013 rédigé en ces termes :

« ' Le distributeur définira et programmera chaque année (N) au mois de février le nombre de « semences import » dont il aura programmé l'achat pour l'année suivante (N+1).

Le Distributeur et le Fournisseur valideront ce programme avant le 28 février de l'année N-1.

Le Distributeur s'engage à respecter le volume d'achat qu'il aura programmé à l'année N à hauteur de minimum de quatre-vingts pourcent (80%) durant l'année N+1.

En cas de non-respect de cette condition, le (ou les) variétés concernées pourront lui être retirées.

En contrepartie, le Fournisseur s'engage à honorer au minimum 80 % des commandes effectuées par le Distributeur. A défaut, le Fournisseur s'oblige à présenter une solution' Ce pourcentage de 80% pourra faire l'objet d'une révision, pendant l'exécution du contrat' ». (pièce 6)

Selon la société El Ronto, la sanction du défaut d'application de cette clause par le distributeur est le retrait de la variété ou les variétés concernée(s) et non pas la résiliation du partenariat. Cependant, en l'espèce, il ne s'agit pas du non respect effectif du volume d'achat fixé par le contrat pour une variété déterminée mais de la contestation par le cocontractant de cette règle dans son principe pour toutes les variétés, ce qui constitue un manquement suffisamment grave aux obligations contractuelles pour justifier la résiliation unilatérale.

L'appelante ajoute que la société [Localité 3] elle-même aurait renoncé à l'application de cette clause et que la règle des 80% constituerait un déséquilibre significatif illicite du fait qu'il s'agirait d'une obligation sans contrepartie.

Cependant, dans la lettre du contrat la clause des 80 % imposée au distributeur a pour contrepartie le respect des 80% pour les commandes faites au fournisseur, cette clause ne constitue donc pas en elle même un déséquilibre significatif illicite au sens des dispositions de l'article L.442-6 2° du code de commerce.

Concernant le respect par la société [Localité 3] de la clause de 80% prévue pour le fournisseur, si des négociations ont eu lieu entre les parties pour réviser ce volume, rien au dossier ne justifie que la société [Localité 3] y ait effectivement renoncé.

L'appelante reproche en outre à la société [Localité 3] une attitude déloyale en ce qu'elle aurait violé délibérément l'exclusivité concédée à El Ronto et qu'elle aurait pratiqué une politique de prix à l'encontre des intérêts d'El Ronto. Cependant, par des moyens pertinents que la Cour reprend, le jugement de 1ère instance a relevé que concernant l'exclusivité, il n'est prouvé des faits violant la clause d'exclusivité de la part de [Localité 3] que postérieurement à sa mise en demeure de mars 2014 à laquelle la société El Ronto n'a pas obtempéré, et que concernant la politique des prix reprochée il s'agissait au vu des échanges produits de discussions conformes aux usages dans le monde des affaires qui ne revêtaient aucun caractère déloyal.

Par conséquent, l'appelante échoue à prouver le caractère abusif de la rupture unilatérale décidée par la société [Localité 3], et le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, le partenariat objet du litige a débuté par la signature d'un protocole du 18 octobre 2012 relatif au rachat par [Localité 3] de dettes antérieures d' El Ronto, et s'est concrétisé avec la signature des premiers contrats en février et avril 2013,or, dès le courant du mois d'avril 2013 ( email du 11 avril 2013 cité plus haut) la société El Ronto a demandé la révision de tous les contrats conclus avec la société [Localité 3], et le 21 février 2014 dans un email adressé à la société El Ronto, la société [Localité 3] a écrit :

« [Localité 3] ne peut pas envisager de signer pour une nouvelle année de production avec

votre client. La situation catastrophique créée sciemment par votre client et dénoncée depuis denombreux mois, rend impossible une continuation de la coopération pour l'année 2014 et entout état de cause un quelconque renouvellement du contrat ».

Surabondamment, il est reproché plus précisément par la société [Localité 3] à la société El Ronto le refus de respecter la clause des 80% de volume de production qui a été qualifié de manquement grave, donc justifiant le défaut d'un préavis précis et formalisé par écrit.

Au vu de ces éléments démontrant l'absence de stabilité dans la relation entre les parties et surabondamment l'existence d'un manquement grave de la part de la société El Ronto justifiant la rupture immédiate, la rupture ne peut être qualifiée de brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

La discussion sur la dépendance économique de la société El Ronto envers la société [Localité 3] comme facteur aggravant le caractère brutal de la rupture n'a donc plus d'objet.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société El Ronto de sa demande fondée sur la rupture brutale.

Sur la responsabilité délictuelle à l'égard de la société

La société , qui a assuré la production effective des semences pour la CEI, argue du fait que les manquements contractuels de la société [Localité 3] dans sa relation avec la société El Ronto lui ont causé un préjudice.

Pourtant, en l'absence de faute retenue à l'encontre de la société [Localité 3] à l'égard de son cocontractant, la société ne peut légitimement soutenir que la société [Localité 3] a engagé sa responsabilité délictuelle à son égard.

Elle sera donc déboutée de ses demandes de ce chef, à l'instar de ce qui été décidé par les premiers juges.

Sur les demandes reconventionnelles de la société [Localité 3]

- en paiement de royalties :

Pour contester la condamnation en paiement de royalties prononcée par le tribunal de commerce à son encontre, la société El Ronto dans ses conclusions en appel se contente d'affirmer sans autre explication ou justification que cette demande n'est pas justifiée. Pourtant, les 1ers juges ont relevé à bon droit que « ces royalties qui correspondent à la production 2013 sont stipulées au contrat de production CODISEM , qu'il n'est pas contesté par la société El Ronto que cette production a été effectuée, que la société El Ronto ne produit aucun moyen ou argument selon lequel ces royalties ne seraient pas dues ».

Le jugement entrepris sera donc confirmé dans sa condamnation de la société El Ronto à payer à la société [Localité 3] la somme réclamée s'élevant à 1 270 000 euros au titre des royalties.

- au titre du préjudice commercial et en procédure abusive :

Il n'est produit en appel aucun élément justifiant du préjudice invoqué par la société [Localité 3] en première instance du fait de la résiliation qu'elle a elle-même actée.

Il n'est pas non plus démontré l'abus de procédure de la société El Ronto dans son action en justice envers la société [Localité 3].

Le jugement sera confirmé également en ce qu'il débouté la société [Localité 3] de ces deux chefs de demande.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a condamné la société El Ronto aux dépens et aux frais irrépétibles engagés par la société [Localité 3] lors de la première instance.

En cause d'appel, les sociétés El Ronto et Chpolatechagro succombant totalement, supporteront les entiers dépens de l'appel.

Leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

REJETTE toutes les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum les sociétés El Ronto Limited et Chpolatechagro aux entiers dépens de l'appel.

Hortense VITELA-GASPAR Marie-Annick PRIGENT

Greffière Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/11230
Date de la décision : 09/07/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°17/11230 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-09;17.11230 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award