La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/07/2020 | FRANCE | N°17/13134

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 01 juillet 2020, 17/13134


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 01 JUILLET 2020



(n°2020/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13134 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KZQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/04720





APPELANTE



Madame [U] [D] [E]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frédéric

CHHUM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929





INTIMEE



SARL PUBLICIS CONSULTANTS FRANCE prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

N°...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 01 JUILLET 2020

(n°2020/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13134 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KZQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/04720

APPELANTE

Madame [U] [D] [E]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frédéric CHHUM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929

INTIMEE

SARL PUBLICIS CONSULTANTS FRANCE prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

N° SIRET : 338 51 9 0 51

Représentée par Me Eliane CHATEAUVIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application :

- de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

- de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

- de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;

   L'affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 25 mai 2020, les avocats y ayant consenti expressément ou ne s'y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure ;

La cour composée comme suit en a délibéré :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Pauline MAHEUX

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Mme [U] [D] [E] a été embauchée le 7 juillet 2008 par la société Publicis consultants en qualité de responsable des ressources humaines, d'abord à temps partiel, puis à temps plein à compter du 1er mai 2012.

Le 1er janvier 2011, elle a été promue directrice des ressources humaines. En dernier lieu, sa rémunération mensuelle s'élevait à 7932,31 €.

Le 4 novembre 2015, elle a signé une convention de rupture d'un commun accord dans le cadre d'un plan de départ volontaire. Son préavis, dont elle a été dispensée, s'est achevé le 31 mars 2016.

Le 2 mai 2016, Mme [D] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour demander notamment la nullité de son statut de cadre dirigeant, le paiement de rappel de salaire d'heures supplémentaires et complémentaires, de dommages-intérêts pour non-respect de la durée du travail, le paiement de bonus, de jours de congés et de réduction du temps de travail le paiement d'un solde d'indemnité de départ volontaire et diverses indemnités.

Par jugement du 27 septembre 2017, le conseil de prud'hommes a condamné la société Publicis à lui payer un bonus pour les années 2013 et 2014 mais l'a déboutée du surplus de ses demandes.

Mme [D] [E] a interjeté [E] de cette décision le 19 octobre 2017.

Dans ses dernières conclusions, auxquelles la cour fait expressément référence, remises au greffe et notifiées par réseau privé virtuel des avocats le 23 septembre 2019, Mme [D] [E] demande à la cour de:

- dire son [E] recevable et bien fondé,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Publicis consultants France au paiement d'un rappel de bonus,

- infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- constater la nullité de son statut de cadre dirigeant,

- dire que Mme [D]-[E] doit être soumise à la durée légale hebdomadaire de travail de 35 heures,

- constater que Mme [D]-[E] a effectué 118,85 heures complémentaires pour la période du 2 mai 2011 au 30 avril 2012 et 547,56 heures supplémentaires pour la période du 2 mai 2011 au 31 décembre 2015 qui n'ont pas été déclarées ni payées par Publicis consultants France,

- dire qu'elle peut se prévaloir de la prescription quinquennale et de rappels de salaires à partir du 2 mai 2011 en application de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013,

En conséquence,

- condamner la société Publicis consultants France à lui payer les sommes suivantes :

- 4 643,92 euros bruts à titre de rappel de 118,85 heures complémentaires entre le 2 mai 2011 et le 30 avril 2012 ;

- 464,39 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

- 32 400,92 euros bruts à titre de rappel de 547,56 heures supplémentaires pour la période du 2 mai 2011 au 31 décembre 2015,

- 3 240,09 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 47 428,80 euros bruts à titre d'indemnité de travail dissimulé de l'article L.8223-1 du code du travail,

- 7 904,80 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée quotidienne maximale de travail,

- 63 401,39 euros bruts à titre de rappel de bonus pour les années 2011 à 2016,

- 6 340,13 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 9 322,57 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement du bonus contractuel,

- 15 292,71 euros bruts au titre de reliquat de l'indemnité de Plan de Départ Volontaire,

- 632,32 euros bruts à titre de rappel de 2 jours de congés payés,

- 919,98 euros bruts à titre de rappel de 3 jours de RTT,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise d'autant de bulletins de paie que de mois concernés par le rappel d'heures supplémentaires, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement,

- ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt,

Dans ses dernières conclusions, auxquelles la cour fait expressément référence, remises au greffe et notifiées par réseau privé virtuel des avocats le 13 avril 2018, la société Publicis demande à la cour de :

1. Sur le statut de cadre dirigeant de Mme [D]-[E],

A titre principal :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 27 septembre 2017 en ce qu'il a jugé que Mme [D]-[E] bénéficiait de la qualité de cadre dirigeant,

En conséquence

- dire que Mme [D]-[E] était exclue des dispositions relatives à la durée du travail;

- débouter Mme [D]-[E] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire:

si par extraordinaire la cour d'[E] venait à considérer que Mme [D]-[E] ne bénéficiait pas de la qualité de cadre dirigeant :

- constater que la demande afférente aux heures complémentaires et/ou supplémentaires prétendument effectuées par Mme [D]-[E] du 2 mai 2011 au 31 mars 2013 est prescrite,

- constater qu'à défaut de se voir reconnaître le statut de cadre dirigeant, Mme [D]-[E] était soumise à la durée hebdomadaire de travail applicable aux salariés en décompte horaire de la société Publicis consultants France,

- constater que la durée hebdomadaire de travail au sein de la Société est de 37 heures avec l'octroi de 12 jours de RTT par an,

- constater que seules les heures réalisées au-delà de la 37 ème heure peuvent être considérées comme des heures supplémentaires,

- constater que Mme [D]-[E] est parfaitement incapable de rapporter la preuve de l'existence et du nombre d'heures complémentaires du 2 mai 2011 au 1er mai 2012,

- constater que Mme [D]-[E] est parfaitement incapable de rapporter la preuve de l'existence et du nombre d'heures supplémentaires du 2 mai 2011 au 31 décembre 2015,

En conséquence :

- débouter purement et simplement Mme [D]-[E] de sa demande de rappel de salaire aux titres des heures complémentaires,

- débouter purement et simplement Mme [D]-[E] de sa demande de rappel de salaire aux titres des heures supplémentaires,

2. Sur les rappels de salaires au titre des bonus, congés payés et jours de réduction du temps de travail (RTT),

- constater que la Société Publicis consultants France a parfaitement rempli ses obligations en matière de paiement des bonus, des congés payés et de jours de réduction du temps de travail de Mme [D]-[E],

- confirmer le jugement rendu par le Conseil de Paris le 27 septembre 2017 en ce qu'il a jugé que la demande afférente aux bonus prétendument non versés du 2 mai 2011 du 31 mars 2013 est prescrite,

- confirmer ledit jugement, en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes relatives aux rappels de salaire au titre des congés payés et des jours de réduction du temps de travail (RTT),

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné la société Publicis consultants France au paiement des bonus au titre des années 2014 et 2015,

En conséquence :

- débouter Mme [D]-[E] de l'intégralité de ses demandes formulées à ce titre, en ce qu'elles sont irrecevables et mal-fondées,

3. En tout état de cause

- rejeter les demandes de Mme [D]-[E] tendant à obtenir la remise de bulletins de paie sous astreinte de 50 euros par jours de retard ainsi que l'attestation Pole emploi rectifiée, la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et celle visant à condamner la société Publicis consultants France aux entiers frais et dépens de la procédure,

4. A titre reconventionnel :

- condamner Mme [D]-[E] à lui verser à la société Publicis consultants France la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [D]-[E] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 octobre 2019.

Par arrêt du 27 novembre 2019, la cour a ordonnée une médiation.

Les parties n'étant pas parvenues à un accord, elles ont été convoquées à l'audience du 31 mars 2020.

En application de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale prise en application de l'article 11-I-2° c) de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, la Cour a décidé de statuer sur l'affaire selon la procédure sans audience et le président de la formation en a informé les parties par courriel en date du 13 mai 2020.

Les parties n'ont pas formulé d'opposition à la procédure sans audience.

MOTIFS :

Sur le statut de cadre dirigeant :

Selon l'article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants à ce titre exclus de l'application de la réglementation sur la durée du travail les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Les trois critères qui se dégagent de cette définition, et particulièrement celui de l'autonomie dans la prise de décision, impliquent que l'intéressé participe à la direction de l'entreprise. Ces critères sont cumulatifs.

Il appartient au juge, pour se déterminer, de vérifier les conditions réelles d'emploi du salarié concerné sans s'en tenir aux définitions conventionnelles.

Mme [D] [E] a d'abord exercé des fonctions de responsable des ressources humaines de 2008 à 2010. Puis elle a obtenu le titre de directrice des ressources humaines à compter de janvier 2011. Elle disposait d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps.

S'agissant du critère de prise de décision de façon autonome, les pièces produites révèlent qu'elle ne disposait pas d'une délégation de pouvoir générale mais seulement de délégations de pouvoir limitées, ponctuelles et souvent partagées avec le directeur financier. Tel était le cas pour la délégation donnée afin de représenter le gérant de la société lors d'une réunion de négociation d'un protocole d'accord préélectoral. Elle a pu également dans ce cadre représenter l'employeur à des réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité d'entreprise. Mais elle n'était pas signataire des convocations, procès-verbaux et ordres du jour des réunions des représentants du personnel lesquels l'étaient par le gérant de la société ou le directeur financier. De même, les protocoles de négociation annuelle obligatoire étaient signés par le gérant de la société et non par Mme [D] [E]. Elle n'était pas plus signataire des courriers adressés à l'inspection du travail.

En matière de licenciement de cadres, elle n'avait pas de pouvoir décisionnaire, seul le directeur de ressources humaines du groupe détenait ce pouvoir. S'agissant de la convocation aux entretiens préalables à sanction du personnel non cadre, elle agissait pour ordre du gérant.

Elle n'était pas plus habilitée à prendre des décisions en matière d'augmentation de salaire.

Elle n'était donc pas habilitée à prendre des décisions de façon largement autonome.

S'agissant de son salaire de 95'000 € annuels, il ne fait pas partie des plus élevés au regard des données fournies par Mme [D] [E] dont Publicis ne démontre pas le caractère erroné. Seize personnes percevaient au sein de la société un salaire plus élevé compris entre 130 000 et 382000 euros annuels.

Enfin, elle ne faisait pas partie de l'équipe dirigeante, ne participait pas au comité de direction exécutif du Publicis Consultants France et ne figure pas dans l'organigramme de présentation de l'équipe de management de la société.

Les critères cumulatifs déterminant le statut des cadres dirigeants ne sont donc pas réunis de sorte que c'est de façon illicite que la société Publicis France a soumis Mme [D] [E] à ce statut.

Il convient donc d'annuler la clause du contrat de travail soumettant la salariée au statut de cadre dirigeant. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la prescription des demandes de rappel de salaires :

En vertu de l'article L3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 21 IV de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013, 'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les trois années précédant la rupture du contrat.'

Selon les dispositions transitoires (article 21 de la loi 2013-504 du 14 juin 2013), 'les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Lorsqu'une instance a été introduite avant la promulgation de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en [E] et en cassation.'

L'article 2222 al. 2 du Code civil dispose que 'la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.'

Mme [D] [E] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 2 mai 2016 après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2013, la prescription triennale s'appliquait à compter du 18 juin 2013 sans que la durée de la prescription totale prenant en compte la prescription écoulée sous le régime légal antérieur ne puisse excéder la durée de prescription antérieure de cinq années. Au regard de la date de saisine du conseil de prud'hommes le 2 mai 2016 et compte tenu de la survie de la prescription quinquennale prévue par les dispositions transitoires, ses demandes relatives à la période du 2 mai 2011 au 2 mai 2016 ne sont pas prescrites.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande d'heures supplémentaires :

Compte tenu de l'illicéité de la clause appliquant le statut de cadre dirigeant à Mme [D] [E], celle-ci est bien fondée à solliciter le bénéfice du droit commun de la législation sur le temps de travail.

Selon l'article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [D] [E] verse aux débats les copies écran de ses agendas électronique et des courriels adressés par elle au cours des journées concernées par les demandes de paiement d'heures complémentaires et supplémentaires. Elle produit en outre des tableaux précis pour chacune des années concernées avec mention du jour, des heures de travail et de pause et du nombre d'heures supplémentaires revendiquées.

Ces éléments précis mettent l'employeur en mesure d'y répondre.

Celui-ci invoque le caractère personnel de certains courriels adressés par la salariée ce dont cette dernière rapporte la preuve contraire. L'employeur ne produit pas de pièce justificative des horaires de Mme [D] [E].

Le calcul des heures supplémentaires doit s'effectuer au regard de la durée conventionnelle de travail 37 heures laquelle suppose la prise de 12 jours de réduction du temps de travail compensant les 36ème et 37 ème heures de travail dont Mme [D] [E] a bénéficié en vertu de l'article 4.2.3 qui accordait aux cadres dirigeants le bénéfice du même nombre de jours de repos au titre de la réduction du temps de travail.

Il en résulte que seules les heures supplémentaires au delà de 37 heures ouvrent droit à un paiement et non les heures complémentaires lesquelles ont été compensées par les jours de au titre de la réduction du temps de travail.

Au vu des pièces produites, Mme [D] [E] a réalisé 547,06 heures supplémentaires :

- 85,31 heures supplémentaires en 2011,

- 155,25 heures supplémentaires en 2012,

- 141,75 heures supplémentaires en 2013,

- 121,75 heures supplémentaires en 2014,

- 43,50 heures supplémentaires en 2015.

Eu égard à son salaire horaire brut de 42,19 euros bruts du 2 mai 2011 au 31 mars 2012, de 49,08 euros bruts du 1er avril au 30 avril 2013 et de 50,54 euros bruts à compter du 1 er mai 2013 et au taux de majoration de 50% des heures supplémentaires, elle est bien fondée à solliciter un rappel d'heures supplémentaires d'un montant de :

- du 2 mai 2011 au 31 décembre 2011 : 4.999,04 euros bruts ;

- du 1 er janvier 2012 au 31 décembre 2012 : 8.9161,71 euros bruts ;

- du 1 er janvier 2013 au 31 décembre 2013 : 8.475,23 euros bruts ;

- du 1 er janvier au 2014 au 31 décembre 2014 : 7.716,83 euros bruts ;

- du 1 er janvier 2015 au 31 décembre 2015 : 2.748,11 euros bruts

soit un total de 32.400,92 euros bruts.

La société Publicis consultants France est en conséquence condamnée à payer à Mme [D] [E] les sommes de :

- 32.400,92 euros bruts à titre de rappel de 547,56 heures supplémentaires pour la période du 2 mai 2011 au 31 décembre 2015 ;

- 3.240,09 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé :

Selon l'article L8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

La seule dissimulation des heures de travail supplémentaires consécutive à l'annulation du statut de cadre dirigeant n'est pas suffisante à caractériser un travail dissimulé. La preuve du caractère intentionnel de cette dissimulation doit être rapportée. Or, l'élément intentionnel ne résulte pas suffisamment de l'inexécution par l'employeur de ses obligations conventionnelles de contrôle de l'amplitude et de la charge de travail ni de la simple connaissance par l'employeur des horaires de sa salariée.

L'existence d'un travail dissimulé n'est donc pas caractérisée. En conséquence, la demande de dommages-intérêts est rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur la demande d'indemnité pour non-respect de la durée quotidienne maximale de travail :

Selon l'article L3121-34 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu'au 10 août 2016, devenu L3121-18 du code du travail, la durée quotidienne du travail effectif ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret.

Mme [D] [E] soutient avoir travaillé à quarante-huit reprises plus de dix heures par jour.

L'employeur, auquel incombe la charge de la preuve du respect de la législation d'ordre public en la matière, ne démontre pas que la durée maximale de travail de dix heures ait été respectée.

Il sera alloué à Mme Boquet [E] la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de bonus :

Le contrat de travail de Mme [D] [E] stipule : 'vous bénéficierez d'un bonus annuel pouvant aller jusqu'à 15% de votre rémunération brute, déterminé en fonction de vos performances.'

L'employeur se borne à soutenir que Mme [D] a perçu un bonus de 1500 euros en 2011 et en 2014 et aucun en 2012 et 2013 en raison de la non atteinte de ses objectifs mais la société Publicis ne produit ni notification d'objectifs ni notification de bonus.

La cour en conclut qu'aucun objectif n'a été annuellement fixé à Mme [D] de sorte que celle-ci a droit à l'entier bonus de 15% de sa rémunération brute.

La société Publicis Consultants France est condamnée à payer à Mme [D] [E] les sommes de :

- 7.158,86 euros bruts pour la période du 2 mai 2011 au 31 décembre 2011 soit (15% x 57.725,70 euros bruts) ' 1.500 euros bruts ;

- 12.929,69 euros bruts pour l'année 2012 soit 15% x 86.197,90 euros bruts;

- 12.1168,02 euros bruts pour l'année 2013 soit (15% x 91.120,10 euros bruts) ' 1.500 euros bruts,;

- 13.837,59 euros bruts pour l'année 2014 soit 15% x 92.250,60 euros bruts ;

- 13.857,24 euros bruts pour l'année 2015 soit15% x 92.381,60 euros bruts ;

- 3.450 euros bruts pour l'année 2016 soit 15% x 23.000 euros bruts

soit au total 63.401,39 euros bruts à titre de rappel de bonus pour les années 2011 à 2016 et 6.340,13 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.

Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive :

Mme [D] [E] ne démontre pas que l'absence de notification des objectifs et le non paiement consécutif des bonus résultent d'une résistance abusive de la société. Sa demande de ce chef est rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel d'indemnité de départ volontaire :

En vertu des articles 10.9, 10.14 et 17 de l'accord collectif relatif au plan de départs volontaires, le régime de l'indemnité de départ volontaire est similaire à celui de l'indemnité de licenciement

Selon l'article R1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Il en résulte que le bonus annuel doit être pris en compte dans le calcul de l'indemnité de départ volontaire.

Un rappel de bonus ayant été accordé à Mme [D] [E] pour l'année 2015, l'indemnité de départ volontaire à laquelle elle a droit s'élève à 105 345,08 euros. La salariée ayant perçu une indemnité de 90 052,37 euros, il lui est dû la somme de 15 292,71 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de deux jours de congés payés :

Selon l'article 7 de l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail de Publicis Consultants France en date du 31 mai 2000, le décompte des droits à congés payés est effectué en jours ouvrés sur la base de 25 jours ouvrés par an pour le personnel travaillant à plein temps auxquels s'ajoutent deux jours de fractionnement systématisés soit 27 jours au total.

Compte tenu de l'illicéité du statut de cadre dirigeant stipulé par son contrat de travail, Mme [D] [E] doit se voir appliquer les dispositions conventionnelles en vigueur au sein de l'entreprise.

L'accord collectif applicable ne conditionne pas l'octroi de deux jours de fractionnement à la présence dans l'effectif du mois de juin de l'année N au mois de mai de l'année N+1, contrairement à ce que soutient l'employeur.

Dès lors, Mme [D] [E], n'ayant pas reçu le paiement de ces deux jours de fractionnement, elle est bien fondée à en solliciter le paiement.

La société Publicis Consultants est condamnée à lui payer la somme de 632, 32 euros.

Sur la demande de paiement des jours de RTT supplémentaires :

Mme [D] [E] sollicite le bénéfice de jours de réduction du temps de travail pendant la période de préavis à raison d'un jour par mois.

Lorsqu'un accord collectif institue une indemnité compensatrice de jours de réduction du temps de travail non pris, celle-ci présente le caractère d'une rémunération habituelle et normale du salarié et doit être prise en compte pour le calcul de l'indemnité de préavis en application des dispositions de l'article L1234-5 du code du travail.

Tel n'est pas le cas lorsque l'accord collectif ne prévoit pas une telle indemnité. L'absence de prise desdits jours de repos n'ouvre alors droit à une indemnité que si cette situation est imputable à l'employeur.

L'accord collectif applicable en l'espèce prévoit le bénéfice pour les salariés de douze jours de réduction du temps de travail soit un jour par mois. Il ne prévoit toutefois pas d'indemnisation en l'absence de prise des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail. L'absence de prise desdits jours de repos n'ouvre donc droit à une indemnité que si cette situation est imputable à l'employeur.

Or, Mme [D] [E] ne démontre pas qu'elle n'a pas été en mesure de prendre ces jours pendant la période de préavis du fait de l'employeur et n'invoque pas de faute imputable à l'employeur.

Sa demande est en conséquence rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions de l'article 1231-6, les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 12 mai 2016 pour celles qui étaient exigibles au moment de sa saisine.

En vertu de l'article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la remise de bulletins de paie et d'une attestation destinée à Pôle emploi:

Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de paie mentionnant les rappels de salaire dus et une attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt. Le bulletin de paie mentionnant les sommes versées au salarié au cours du mois de son établissement, il n'y a pas lieu d'établir plusieurs bulletins de paie.

Les circonstances de la cause ne justifient pas d'assortir cette condamnation d'une astreinte. Cette demande est rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société Publicis Consultants France est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de paiement d'heures complémentaires, la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé, la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive au versement des bonus et la demande de paiement de trois jours de réduction du temps de travail et en ce qu'il a condamné la société Publicis Consultants France aux dépens de première instance,

Statuant sur les chefs infirmés,

ANNULE la clause du contrat de travail soumettant Mme [D] [E] au statut des cadres dirigeants,

CONDAMNE la société Publicis Consultants France à payer à Mme [U] [D] [E] les sommes de :

- 32 400,92 euros bruts à titre de rappel de 547,56 heures supplémentaires pour la période du 2 mai 2011 au 31 décembre 2015,

- 3 240,09 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale du travail,

- 63 401,39 euros bruts à titre de rappel de bonus pour les années 2011 à 2016,

- 6 340,13 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 15 292,71 euros bruts au titre de reliquat de l'indemnité de plan de départ volontaire, - 632,32 euros bruts à titre de rappel de deux jours de congés payés,

DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016 et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

CONDAMNE la société Publicis Consultants France à remettre à Mme [U] [D] [E] un bulletin de paie rectificatif et une attestation destinée à Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt,

CONDAMNE la société Publicis Consultants France à payer à Mme [U] [D] [E] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Publicis Consultants France aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 17/13134
Date de la décision : 01/07/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°17/13134 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-01;17.13134 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award