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30/06/2020 | FRANCE | N°19/02365

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 30 juin 2020, 19/02365


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 30 JUIN 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02365 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7GHB



Décision déférée à la cour : Arrêt du 16 mai 2018 - cour de cassation de PARIS -





APPELANTE



Madame [Y] [F]

Née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]



Représentée par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053





INTIMÉE



LA SCP OLIVIER MILHAC VINCENT SOMMAIRE BENOIT REYNIS MATHIEU DEVYNCK

N° SIRET : 301 31 0 3 14

[Adresse 2]

[Loc...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 30 JUIN 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02365 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7GHB

Décision déférée à la cour : Arrêt du 16 mai 2018 - cour de cassation de PARIS -

APPELANTE

Madame [Y] [F]

Née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053

INTIMÉE

LA SCP OLIVIER MILHAC VINCENT SOMMAIRE BENOIT REYNIS MATHIEU DEVYNCK

N° SIRET : 301 31 0 3 14

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499, substitué par Me Audrey MILHAMONT de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 février 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Christian HOURS, Président de chambre et Mme Anne de LACAUSSADE, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de:

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Anne de LACAUSSADE, Conseillère

Mme Laurence CHAINTRON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, Président de chambre, et par Mme Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * *

A la suite du décès, le 3 mai 2005, de Mme [V] [T], veuve [E], ses nièces et son neveu, Mmes [Y] et [W] [F] et M. [C] [F], ont recueilli dans sa succession la propriété indivise d'un appartement situé au [Localité 3], qu'ils ont mis en vente à compter du 28 septembre 2005, en mandatant plusieurs agences immobilières.

Ultérieurement, Mme [Y] [F] a indiqué à ses frère et soeur être intéressée par le rachat de leur part indivise, en retenant une valeur du bien de 675 000 euros.

Le 1er février 2006, la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynck, notaires, (la SCP Milhac), a écrit à Mme [Y] [F] que ses frère et soeur lui avaient fait part de leur accord et a préparé un projet de promesse synallagmatique de vente, par acte sous seing privé .

Le 02 février 2006, Mme [W] [F] a indiqué par courriel au notaire que l'agence Mobilis, mandatée pour vendre l'appartement avait une personne intéressée pour l'acquérir, lui a demandé des éclaircissements sur le fait que sa soeur, contactée par l'agence, avait prétendu que l'appartement était vendu à 675 000 euros et qu'un compromis de vente serait signé dans la semaine et lui a suggéré de laisser l'acquéreur potentiel faire une offre, qui serait supérieure à 675 000 euros.

Les 6 et 8 février 2006, Mme [W] [F] et M. [C] [F] ont donné procuration à un clerc de l'étude pour la signature du compromis de vente, M. [F] précisant que son accord était donné sous réserve de l'absence de mieux-disant avant le 15 février 2006.

Le 10 février 2006, l'agence mobilière Groupe Mobilis a transmis par télécopie à la SCP Milhac une offre d'achat émanant d'un tiers, d'un montant de 705 000 euros.

Le 14 février 2006, Mme [W] [F] a indiqué par courriel au notaire que l'offre reçue était tout à fait intéressante et que la personne qui souhaitait acheter était prête à donner toutes les garanties financières souhaitées.

Le 15 février 2006 à 10h27, par courriel, M. [F] a donné son accord au notaire pour que la cession intervienne au prix de 705 000 euros, s'excusant par ailleurs pour ce message tardif dû à des problèmes de connexion internet.

Le 15 février 2006, à 11 heures, la promesse de vente a été signée au profit de Mme [Y] [F], sous condition suspensive d'obtention de prêt, la valeur globale du bien étant fixée à 675 000 euros. Les deux autres co-indivisaires ont été représentés à l'acte par un clerc de l'étude.

Le 18 février 2006, M. [F] a contesté auprès du notaire la validité du compromis de vente.

Le 14 décembre 2006, Mme [Y] [F] a fait assigner son frère à comparaître, le 22 décembre 2006 pour la réitération de la vente.

A cette dernière date, le notaire a dressé un procès-verbal de difficultés.

Mme [Y] [F] a saisi le juge des référés de Paris aux fins d'obtenir la condamnation de M. [F] à régulariser, sous astreinte, l'acte de vente et la cour d'appel de Paris, par décision du 27 juin 2008, infirmant une ordonnance du 21 décembre 2007, a jugé n'y avoir lieu à référé.

Entre-temps, le 6 novembre 2007, Mme [Y] [F] a saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir la condamnation de ses frère et soeur à régulariser l'acte de vente, ce dont elle a été déboutée par jugement du 15 juin 2010, confirmé par arrêt de cette cour du 21 juin 2012. Par arrêt du 13 octobre 2013, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Mme [F] et, le considérant abusif, l'a condamnée au paiement d'une amende civile de 3 000 euros.

C'est dans ces circonstances que, le 8 février 2013, Mme [Y] [F] a fait assigner la SCP Milhac, son frère, sa soeur et l'agence Mobilis devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 2 avril 2015, a notamment, rejetant la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

- dit que la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk avait manqué à son obligation de conseil,

- débouté Mme [F] de l'ensemble de ses demandes formées contre elle, y compris au titre des frais irrépétibles,

- rejeté la demande de la SCP Milhac au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes des consorts [F],

- condamné Mme [F] aux dépens ainsi qu'à payer aux consorts [F] et au groupe Mobilis la somme de 3 000 euros, chacun, sur fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le tribunal a notamment retenu que :

- le notaire aurait dû informer Mme [Y] [F] des risques d'inaboutissement de la vente à son profit compte tenu de la réserve émise par son frère dans son mandat de vente et de l'existence d'une offre mieux-disante,

- cependant Mme [Y] [F] n'établit pas de rétention fautive du notaire sur la somme de 45 000 euros qu'elle a immobilisée entre ses mains Ie jour de la signature du compromis et qu'il lui a restituée le 2 avril 2014 avec les intérêts,

- la perte de revenus locatifs espérés sur le bien n'est pas en lien de causalité avec le défaut de conseil du notaire,

- il n'est pas établi que le notaire lui a conseillé d'engager une procédure en exécution forcée de la vente et Mme [Y] [F] ne justifie pas des frais d'avocat engagés à cette occasion,

- l'impossibilité pour Mme [Y] [F] d'acquérir le bien, trouve sa cause dans le refus d'un des indivisaires de lui vendre sa part et non dans le défaut d'information du notaire.

Mme [Y] [F] a relevé appel de cette décision.

Par un arrêt du 25 janvier 2017, la cour d'appel de Paris a :

- déclaré Mme [Y] [F] recevable en sa demande indemnitaire dirigée à l'encontre de M. [F],

- déclaré recevable la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée opposée par Mme [Y] [F] à l'occasion de la demande en paiement de la somme de 102 000 euros présentée par M. [F],

- confirmé le jugement déféré,

- condamné Mme [Y] [F] à payer au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité d'un montant de 3 000 euros à la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk et de 5 000 euros à chacun des trois autres intimés,

- rejeté toute autre demande,

- condamné Mme [Y] [F] aux dépens.

Mme [Y] [F] a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée par Mme [Y] [F] contre la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk au titre des frais irrépétibles et des dépens exposés au cours de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente, remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyés devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

La Cour de cassation a notamment retenu :

- que pour rejeter la demande formée par Mme [Y] [F], l'arrêt énonce qu'en n'avertissant celle-ci ni au jour de la signature de l'acte de "vente conditionnelle" ni ultérieurement, jusqu'à la signature du procès-verbal de difficultés, de l'existence d'une incertitude sur Ie consentement de M. [F] à lui vendre ses droits indivis et du risque que la vente ne puisse jamais être conclue à son profit, l'officier ministériel a manqué à son obligation de conseil et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle, mais que cette faute est sans lien avec le préjudice allégué, étant relevé que le conseil de Mme [Y] [F] ne l'a pas dissuadée d'engager des procédures qui ont toutes abouti au rejet de ses prétentions ;

- qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi le lien de causalité entre la faute du notaire et le dommage invoqué était inexistant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Mme [Y] [F] a saisi la cour d'appel de Paris, cour de renvoi, par déclaration du 30 janvier 2019.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 10 janvier 2020, Mme [Y] [F] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk a manqué à son obligation de conseil, de l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire formée à son encontre au titre des frais irrépétibles, dépens et condamnations exposés au cours de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente, l'a condamnée aux dépens et a rejeté ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau, de faire droit à ses demandes et de :

- condamner la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk à l'indemniser au titre des frais irrépétibles, dépens et condamnations exposés au cours de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente,

- et y ajoutant, la condamner aux frais irrépétibles, dépens et condamnations qu'elle a dû régler au titre du jugement déféré et de l'arrêt la cour du 25 janvier 2017,

- la condamner, en conséquence, à lui verser la somme de 118 951,68 euros, outre celle de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 27 mai 2019, la SCP Milhac-Sommaire-Reynis-Devynk demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Y] [F] de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre et de:

- déclarer irrecevables toute demande autre que la demande indemnitaire formulée par Mme [F] au titre des frais irrépétibles et dépens exposés dans le cadre de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente,

- juger que la demande indemnitaire au titre des frais irrépétibles et dépens exposés dans le cadre de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente n'est justifiée, ni dans son principe, ni dans son quantum et ne présente aucun lien de causalité avec la faute retenue contre le notaire,

- débouter en conséquence Mme [F] de l'intégralité de ses demandes et la condamner à lui régler la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Ronzeau, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Mme [Y] [F] indique que la faute de la SCP est acquise et que celle-ci reconnaît implicitement que ses demandes sont fondées à hauteur de 66 961,92 euros. Elle estime que l'ensemble des frais et dépens exposés dans le cadre du présent litige et de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente découle de la faute retenue contre le notaire, sans laquelle, elles n'auraient pas été engagées, quand bien même il ne l'aurait pas conseillé d'engager de telles procédures. Elle expose que le notaire a outrepassé les termes du mandat de M. [F] et a poursuivi l'exécution du compromis alors que l'acte n'était pas valable, sans jamais mentionner les contestations de son mandant et sans rétablir la réalité des faits auprès de son avocat, lui laissant même croire qu'il disposait d'éléments de preuve accréditant ses dires selon lesquels les consorts [F] n'étaient pas intéressés par l'offre du tiers. Elle indique que, ce faisant, il l'a persuadée qu'elle était en mesure d'exiger la régularisation de la vente, l'a encouragée dans sa démarche procédurale de réitération de la vente et l'a implicitement entraînée dans une nouvelle démarche procédurale, en responsabilité, contre son frère, sa soeur et l'agence immobilière. Elle précise que la procédure en exécution forcée lui a été permise par la signature du compromis de vente et que la seconde est la conséquence de l'échec de la réitération de la vente.

Elle soutient n'avoir eu les informations nécessaires du notaire qu'au cours de cette deuxième procédure, alors qu'elle aurait dû les avoir au moment de la signature du compromis. Elle dénie toute autorité de chose jugée aux motifs des décisions de justice, au surplus rendues dans une procédure distincte, selon lesquels elle avait connaissance des réserves émises par son frère et de l'offre supérieure du tiers, ce qu'elle conteste. Elle précise avoir appris dans le cadre de la présente procédure que le notaire n'avait jamais obtenu d'accord écrit de son frère pour lui vendre le bien et conteste que des échanges, ayant abouti à un refus de vente, se soient poursuivis entre co-indivisaires après la caducité de l'offre du tiers. Elle indique avoir ignoré la teneur des échanges intervenus entre sa fratrie et le notaire, ce qui avait nécessité de les mettre en cause. Elle ajoute que la simple circonstance qu'une pluralité de cause ait participé à la réalisation d'un même dommage n'interdit en rien de considérer que chacune des causes, prise isolément, a contribué à la réalisation de l'entier dommage. Elle soutient que, si elle avait eu connaissance de la réalité de la situation, elle n'aurait pas assigné sa fratrie en exécution forcée de la vente et en responsabilité et se serait limitée à agir contre le notaire.

Elle prétend à la réparation intégrale de son préjudice et non à une perte de chance.

La SCP Milhac réplique que la faute retenue contre le notaire est définitivement fixée et que Mme [F] ne peut, dès lors, lui reprocher de lui avoir conseillé d'engager une procédure en vente forcée. Elle soutient que les demandes excèdent pour partie le périmètre de saisine de la cour qui doit uniquement rechercher si les frais irrépétibles et dépens exposées par elle dans le cadre de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente constituent un préjudice réel et certain, en lien de causalité avec la faute retenue contre le notaire, le surplus de ses demandes ayant été définitivement rejetées. Elle en conclut que les demandes de Mme [F] au titre des condamnations aux frais irrépétibles et dépens prononcées au titre de la présente procédure sont irrecevables. Elle ajoute que la prise en charge des frais irrépétibles et des dépens dans cette procédure, a été tranchée par chaque juridiction et conteste, en tout état de cause, tout lien de causalité avec sa faute, dès lors que Mme [F] disposait de tous les éléments d'information nécessaires lors de l'introduction de cette action, qu'elle a délibérément choisi d'entreprendre, nonobstant une décision définitive la déboutant de ses demandes. Elle conteste également pouvoir être condamnée à garantir Mme [F] des condamnations prononcées à son encontre dans ce cadre et ajoute que, s'agissant des frais d'avocat, ses demandes font doublon avec la somme qu'elle réclame au titre des frais irrépétibles.

La SCP Milhac conteste également le surplus de ses demandes, alors qu'elle ne l'a pas incitée à diligenter la procédure en réitération de la vente, Mme [F], qui était assistée d'un conseil, ayant poursuivi sa démarche en connaissant le position de son frère et l'offre mieux disante, comme cela a été définitivement retenu dans les décisions des 15 juin 2010 et 21 juin 2012. Elle précise qu'en outre des échanges se sont poursuivis entre les co-indivisaires, une fois l'offre du tiers devenue caduque, son frère et sa soeur ayant in fine refusé de lui vendre leurs parts.

Elle indique que Mme [F] pourrait tout au plus prétendre à une perte de chance de ne pas introduire la procédure de réalisation forcée, laquelle est inexistante au vu des pièces. Elle ajoute qu'à la supposer justifiée, cette perte de chance ne pourrait concerner que les frais irrépétibles et dépens engagés de la première instance ayant abouti au jugement du 15 juin 2010, alors qu'aux termes de celui-ci Mme [F] a nécessairement eu connaissance, au plus tard lors des échanges d'écritures et pièces, de la position de son frère, de son acceptation de l'offre mieux disante et, malgré cela, a persisté dans sa démarche.

* * *

Sur la demande de Mme [Y] [F] tendant à la confirmation du jugement du 02 avril 2015 sur la faute du notaire

Par l'effet de la cassation partielle, qui porte sur la seule demande indemnitaire formée par Mme [Y] [F] contre la SCP Milhac au titre des frais irrépétibles et des dépens exposés au cours de la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente, la demande de Mme [F] tendant à voir confirmer le jugement déféré sur la faute du notaire est sans objet.

Sur la recevabilité de la demande indemnitaire formée par Mme [Y] [F] au titre de la procédure en responsabilité engagée à l'encontre de son frère, sa soeur et l'agence immobilière

Par l'effet de la cassation partielle, les demandes formées par Mme [Y] [F] à l'encontre de son frère, sa soeur et l'agence immobilière sont définitivement rejetées et cette dernière est définitivement condamnée à leur égard au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

En revanche, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt, en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire formée contre à la SCP au titre des frais irrépétibles et dépens exposés au cours de la procédure en réalisation forcée de la vente.

Dans sa demande initiale, Mme [F] n'a pas inclus au titre de son préjudice résultant des frais irrépétibles, frais et dépens engagés inutilement, ceux de la procédure, pendante, en responsabilité contre son frère, sa soeur et l'agence immobilière.

Il ne peut, dès lors, être valablement soutenu qu'elle en a été définitivement déboutée.

Comme le soutient Mme [Y] [F] dans ses écritures, la demande qu'elle forme désormais à ce titre tend à obtenir réparation d'un préjudice de même nature résultant selon elle de la faute retenue contre le notaire, de sorte qu'elle est en lien avec la précédente, qu'elle complète.

Il convient, en conséquence, de la déclarer recevable.

Au fond

* Sur la procédure en réalisation forcée de la vente

L'arrêt de la cour d'appel du 25 janvier 2017, en ce qu'il a jugé que la faute du notaire consiste en un manquement à son obligation de conseil pour n'avoir pas averti Mme [Y] [F] au jour de la signature de l'acte de "vente conditionnelle" ni ultérieurement, jusqu'à la signature du procès-verbal de difficultés, de l'existence d'une incertitude sur le consentement de M. [F] à lui vendre ses droits indivis et du risque que la vente ne puisse jamais être conclue à son profit, est définitif.

Quand bien même le notaire n'a t-il pas, à la suite de la signature de l'acte sous seing privé du 15 février 2006, conseillé à Mme [Y] [F] d'entamer puis de poursuivre une action en exécution forcée de la vente, ce qui n'est d'ailleurs plus soutenu, il n'en demeure pas moins qu'en régularisant le compromis malgré le contexte, connu de lui, d'une offre supérieure d'un tiers et d'une réserve prévue au mandat de M. [F] et en poursuivant la procédure jusqu'au procès-verbal de difficultés du 22 décembre 2006, malgré, en outre, les contestations émises par ce dernier quant à la validité de l'acte signé, sans émettre de réserves auprès de Mme [F], il a conforté celle-ci dans la croyance du bien fondé d'une démarche procédurale de réitération de la vente, peu important, dès lors, à ce stade, qu'elle ait également connu des circonstances susdites.

Il sera précisé qu'ainsi, par courrier du 31 mars 2006, le notaire lui a demandé la justification de sa demande de prêt et, dès que possible, de lui adresser une copie de l'offre de prêt, telle que prévue à la "vente conditionnelle régularisée le 15 février 2006. Le 23 juin 2006, il lui a demandé la remise d'une attestation d'assurance "du bien dont elle sera propriétaire à compter du 28 juin."

Il lui a adressé le 07 novembre 2006, la copie du courrier adressé à son frère et à sa soeur leur rappelant la signature de la promesse au profit de leur soeur et "la vente ne s'étant pas réalisée au cours du mois de juin dernier," les remerciant de lui "indiquer à brefs délais la date à laquelle la régularisation de cette vente pourra intervenir."

Encore, le 11 avril 2007, l'étude a indiqué à son conseil que l'offre n'intéressait pas sa fratrie en raison des déclarations contradictoires du tiers acquéreur, que l'original de l'offre n'était pas parvenu à l'office, que son frère et sa soeur avait préféré retenir une acquisition par un membre de l'indivision, que son frère avait donné procuration à l'étude de vendre au prix net vendeur de 675 000 euros sous réserve d'absence de mieux disant avant le 15 février 2006, que le compromis de vente a été signé le 18 février 2006, sans qu'entre-temps son frère et sa soeur ait accepté cette offre et transmis leur accord exprès pour y donner suite.

Dès lors, Mme [Y] [F] a perdu une chance de, mieux informée par le notaire, ne pas engager en pure perte les frais et dépens liés à la procédure d'exécution forcée de la vente.

S'agissant de la présente procédure en responsabilité engagée contre son frère, sa soeur et l'agence immobilière, Mme [F] a reproché à sa fratrie une obstruction déloyale et illégale à la vente et la rupture abusive des pourparlers. A l'agence immobilière, elle a reproché d'avoir contribué à l'inaboutissement de la vente en raison de la transmission de l'offre du tiers, sans être mandatée par tous les vendeurs. Les fautes ainsi reprochées sont distinctes de celle retenue contre le notaire.

S'il est exact qu'une pluralité de causes peuvent participer à un même dommage, Mme [Y] [F] ne justifie pas, en l'espèce, d'un lien de causalité entre la faute retenue contre le notaire et l'action en responsabilité qu'elle a intentée, alors qu'à la date à laquelle elle l'a introduite, le 08 février 2013, les décisions de première instance et d'appel, toutes défavorables pour elle, étaient rendues s'agissant de l'exécution forcée de la vente.

Les informations utiles sur les circonstances de la celle-ci y avaient été développées et les pièces nécessaires, échangées. Elle connaissait le positionnement des uns et des autres, notamment l'existence d'un mandat donné à l'agence, ce qu'elle a reconnu dans ses écritures, la présence de sa soeur, représentée devant le notaire le 22 décembre 2006, le souhait exprimé par son frère de vendre à un mieux-disant et, surtout, le mandat outrepassé par le notaire.

Elle ne peut, dans ce contexte, prétendre valablement que la procédure en responsabilité est la conséquence de l'échec de la procédure en réitération de vente et ne justifie d'aucun lien de causalité entre la faute reprochée au notaire et son préjudice matériel résultant de l'introduction d'une action en responsabilité contre son frère, sa soeur et l'agence immobilière.

Mme [Y] [F] justifie, au titre de la seule procédure en exécution forcée de la vente, de règlements à hauteur de la somme de 47 824, 08 euros (31 731,12 euros de frais d'actes, dépens et honoraires d'avocats + 16 092,96 euros de frais irrépétibles et dépens), hors frais divers liés au pourvoi en cassation.

En effet, s'agissant de ce dernier point, s'il ne peut lui être fait grief d'utiliser les voies de droit mises à sa disposition jusqu'en appel, il n'en est pas de même lorsque le droit d'agir dégénère en abus, ce que la Cour de cassation a retenu dans son arrêt du 13 octobre 2013, en la condamnant à une amende civile, après avoir déclaré non admis son pourvoi.

Afin d'évaluer l'étendue de la perte de chance subie par Mme [F], il convient de prendre en compte que Mme [F] connaissait les circonstances entourant la signature de la "vente suspensive" du 15 février 2006, à savoir les réserves apportées au mandat de son frère, une offre mieux disante et leur intérêt pour celle-ci, ainsi qu'il résulte de l'ensemble des décisions de justice précédemment évoquées, confortée par les autres pièces produites.

En effet, le compromis mentionne "qu'une copie des pouvoirs demeurera jointe et annexée au présent acte" . Celui de son frère porte mention de sa réserve. Dans son e-mail du 02 février 2006, non contredit par une pièce objective, Mme [W] [F] fait état du contact de l'agence avec sa soeur pour l'aviser d'une offre à intervenir d'un tiers, pour un montant supérieur. Enfin, il résulte du courrier de l'étude du 11 avril 2017, que les trois co-indivisaires avaient eu connaissance de l'offre concrétisée par le tiers postérieurement au pouvoir établi par M. [F] et ce, antérieurement à la signature du compromis.

Par ailleurs, alors que sa demande de réitération de la vente était définitivement écartée, en suite d'un arrêt de cassation l'ayant condamnée à une amende civile, aux termes de décisions ayant considéré que son frère n'était pas valablement engagé par le compromis de vente, que son avocat n'avait pas ratifié les engagements pris par ce dernier et qu'elle-même ne pouvait valablement soutenir avoir cru que le notaire pouvait engager son frère, Mme [F] a engagé une action en responsabilité contre son frère, sa soeur et l'agence, dans les circonstances précédemment rappelées.

Elle a poursuivi cette action à leur encontre jusque devant la Cour de cassation, se désistant néanmoins de son pourvoi contre sa soeur, après que ses demandes formées contre eux eurent été systématiquement rejetées.

Il résulte enfin d'un courrier du 27 janvier 2006, que M. [F] rappelle à sa soeur, Mme [Y] [F], que le bien a été déclaré dans la succession 680 000 euros et qu'ils ne peuvent donc, sans aller au-devant de redressement fiscaux, le vendre à un prix nettement en dessous. L'arrêt de la cour, du 25 janvier 2017, fait état d'un e-mail, non contredit, du 18 avril 2006, dans lequel le notaire écrit à Mme [W] [F] que sa soeur, Mme [Y] [F], a refusé de payer une somme complémentaire à son frère pour l'acquisition du bien. Il sera observé, comme relevé par le jugement du 21 juin 2012, l'évolution favorable du prix de l'immobilier dans le 7ème arrondissement sur la période.

Il résulte de ce qui précède que Mme [F] était déterminée dans sa volonté d'acquérir le bien immobilier au prix avantageux espéré, en lequel elle a cru par l'effet de la faute du notaire qui a, ce faisant, alimenté sa méfiance envers les membres de sa fratrie, de sorte que la perte de chance de ce que, avertie des risques, elle n'aurait pas engagé cette procédure, sera évaluée à 50 %.

Dès lors, le jugement sera infirmé en ce sens et la SCP Milhac-Sommaire-Reynis et Devynck sera condamnée à verser à Mme [Y] [F] la somme arrondie de 24 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier lié à la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente.

* Sur la procédure en responsabilité

Comme précédemment rappelé, Mme [F] a reproché à sa fratrie une obstruction déloyale et illégale à la vente et la rupture abusive des pourparlers. A l'agence immobilière, elle a reproché d'avoir contribué à l'inaboutissement de la vente en raison de la transmission de l'offre du tiers, sans être mandatée par tous les vendeurs. Les fautes ainsi reprochées sont distinctes de celle retenue contre le notaire.

S'il est exact qu'une pluralité de causes peuvent participer à un même dommage, Mme [Y] [F] ne justifie pas, en l'espèce, d'un lien de causalité entre la faute retenue contre le notaire et l'action en responsabilité qu'elle a intentée, alors qu'à la date à laquelle elle l'a introduite, le 08 février 2013, les décisions de première instance et d'appel au titre de la réitération de la vente, toutes défavorables pour elle, étaient intervenues.

Les informations utiles sur les circonstances de celle-ci y avaient été développées et les pièces nécessaires, échangées. Elle connaissait le positionnement des uns et des autres, notamment l'existence d'un mandat donné à l'agence, ce qu'elle a reconnu dans ses écritures, la présence de sa soeur, représentée devant le notaire le 22 décembre 2006, le souhait exprimé par son frère de vendre à un mieux-disant et, surtout, le mandat outrepassé par le notaire.

Si la signature du compromis de vente, sans mise en garde, a pu conduire Mme [Y] [F] à estimer bien fondée une procédure en réitération de la vente, elle ne peut valablement prétendre qu'il en est de même de la procédure en responsabilité engagée pour refus de vendre ou échec porté à la vente, après avoir été déboutée de la précédente et parfaitement éclairée sur les circonstances de celle-ci.

Elle ne justifie ainsi d'aucun lien de causalité entre la faute reprochée au notaire, de sorte que sa demande d'indemnisation sera rejetée.

*Sur les frais irrépétibles et les dépens

La Cour de cassation a statué sur les dépens afférents à son instance, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.

Par application des articles 624 et 639 du code de procédure civile, les décisions précédentes seront réformés de ces chefs, dans les seuls rapports entre la SCP Milhac et Mme [Y] [F].

Les dépens de la procédure de première instance et d'appel, en lien avec l'action engagée par Mme [Y] [F] à l'encontre du notaire, seront mis à la charge de celui-ci. La SCP Milhac sera en outre condamnée à verser à Mme [Y] [F] la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 02 avril 2015 ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 janvier 2017 ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2018 ;

Statuant dans cette limite,

Déclare sans objet la demande de Mme [Y] [F] relative à la faute reprochée à la SCP Milhac-Sommaire-Reynis et Devynck ;

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 02 avril 2015 ;

Condamne la SCP Milhac-Sommaire-Reynis et Devynck à verser à Mme [Y] [F] la somme de 24 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier

lié à la procédure aux fins de réalisation forcée de la vente ;

Y ajoutant,

Déclare Mme [Y] [F] recevable en sa demande indemnitaire liée à la procédure en responsabilité engagée contre M. [F], Mme N. [F] et l'agence Mobilis ;

L'en déboute ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SCP Milhac-Sommaire-Reynis et Devynck à verser à Mme [Y] [F] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel ;

Condamne la SCP Milhac-Sommaire-Reynis et Devynck aux dépens de première instance et d'appel relatifs à l'action engagée par Mme [Y] [F] à son encontre.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 19/02365
Date de la décision : 30/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°19/02365 : Statue à nouveau en faisant droit à la demande en tout ou partie


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-30;19.02365 ?
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