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24/06/2020 | FRANCE | N°18/17650

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 24 juin 2020, 18/17650


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 24 JUIN 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 18/17650 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6BZY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2018 - Tribunal de Commerce de RENNES - RG n° 2017F00335





APPELANTE



SAS BRIDOR

Ayant son siège social : [Adresse 3]

[Adresse 3

]

N° SIRET : 491 668 893 (RENNES)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau d...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 24 JUIN 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 18/17650 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6BZY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2018 - Tribunal de Commerce de RENNES - RG n° 2017F00335

APPELANTE

SAS BRIDOR

Ayant son siège social : [Adresse 3]

[Adresse 3]

N° SIRET : 491 668 893 (RENNES)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936

Ayant pour avocat plaidant : Me Bruno CRESSARD de la SELARL CRESSARD LE GOFF AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE

OVERSEAS FOOD TRADING LTD, société établie selon les lois de NEW YORK

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1] (ETATS UNIS D'AMERIQUE)

N° : 0100380448

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Christian VALENTIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2441

Ayant pour avocat plaidant : Me Cécile REBIFFE et Me Virginie COURSIERE-PLUNTZ de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1701

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre

Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Monsieur Dominique GILLES, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Agnès BODARD-HERMANT dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bridor (ci-après "Bridor") conçoit, fabrique et commercialise des produits de boulangerie, viennoiserie et pâtisserie à travers divers filiales.

La société Overseas Food Trading (ci-après « Overseas ») est une société de droit américain spécialisée dans l'importation de produits alimentaires d'Europe vers les Etats-Unis.

La société Overseas importe depuis 2006 des produits de la société Bridor dit « Bridor en France ».

Vu le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 28 juin 2018, qui :

- condamne Overseas à payer à Bridor la somme de 763.966,26 euros au titre des factures dues et sur ce point, ordonne l'exécution provisoire ;

- condamne Bridor à payer à Overseas les sommes de :

* 5.240.000 euros en réparation de la brutalité fautive de la rupture des relations commerciales établies';

* 100.000 euros en dédommagement du préjudice d'image';

* 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC

- condamne Bridor aux dépens';

- déboute les parties du surplus de leurs demandes

- liquide les frais de greffe à la somme de 77,08 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du CPC.

La société Bridor a interjeté appel de ce jugement suivant déclaration du 13 juillet 2018.

Vu les dernières conclusions de la société Bridor, signifiée et notifiée le 24 février 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- dire que la rupture des relations entre OVERSEAS et BRIDOR France n'est pas imputable à cette dernière ;

- A titre subsidiaire, si la Cour devait imputer la rupture des relations commerciales à BRIDOR France dire qu'il n'y a pas de préjudice et en toute hypothèse, le ramener à de plus justes proportions ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné BRIDOR France à verser à la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD :

* la somme de 5.240.000 euros en réparation de la brutalité fautive de la rupture des relations commerciales ;

* la somme de 100.000 euros en dédommagement du préjudice d'image ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société OVERSEAS de ses autres demandes ;

- débouter la société OVERSEAS de toutes ses demandes ;

- condamner la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD à verser à BRIDOR France la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre sa condamnation aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Overseas, intimée, signifiées et notifiées le 24 février 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu l'article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,

Vu l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'Ordonnance n° 2019359 du 24 avril 2019,

Vu les pièces versées au débat,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que :

* la société BRIDOR FRANCE a mis fin brutalement à la relation commerciale établie qu'elle entretenait depuis 11 ans avec la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD, et que sa responsabilité est engagée de ce fait, en application de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

* en application de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, la société BRIDOR SAS aurait dû respecter un préavis de 12 mois avant de mettre fin à sa relation commerciale établie avec la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD,

* les fautes de la société BRIDOR SAS ont préjudicié à l'image d'OVERSEAS ;

- réformer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum des condamnations mises à la charge de BRIDOR France à ce titre qui ont été évaluée en première instance à 5.240.000 euros;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes indemnitaires d'OVERSEAS portant :

* sur une violation de l'exclusivité de distribution des Produits Français qui lui étaient consentis jusqu'au 31 décembre 2016,

* sur un manquement de BRIDOR France à l'exécution de bonne foi de ses obligations contractuelles,

* sur l'indemnisation du stock de produits invendus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ou réformés :

- dire et juger que la société BRIDOR SAS a violé l'exclusivité de distribution consentie à la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD ;

- dire et juger que la société BRIDOR SAS a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution de sa relation contractuelle avec la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD ;

En conséquence :

- condamner la société BRIDOR SAS à verser à la société OVERSEAS FOOD TRADING LTD :

- la somme de 2.300.000 euros au titre de la violation de l'exclusivité, cette somme tenant compte de son préjudice d'image ;

- la somme de 6.500.000 euros au titre de la rupture brutale de leur relation d'affaires, correspondant à 12 mois de marge brute ;

- la somme de 1.000.000 euros au titre des nombreux manquements à son obligation de bonne foi dans l'exécution de leur relation contractuelle ;

- la somme de 193.752 euros correspondant à la valeur du stock détruit ou bradé ;

En tout état de cause :

- condamner la société BRIDOR FRANCE à payer à la société OVERSEAS la somme de 70.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

La Cour n'est pas saisie du chef du jugement entrepris relatif aux factures impayées.

***

Overseas expose qu'avant la rupture, en avril 2017, de la relation sans contrat formel existant alors depuis 2006 entre les parties, les ventes des "Produits Français" de Bridor représentaient 6% de son chiffre d'affaires et plus de 30% de son bénéfice commercial (conclusions point 5).

Elle fait grief à Bridor d'avoir, en 2016, malgré ses très bons résultats obtenus grâce à la mise en oeuvre du programme Bridor créant un marché pour Bridor France auprès des grands comptes de l'agro-alimentaire, fait le choix de développer à terme un circuit de vente directe aux Etats-Unis de toutes ses productions , quelle qu'en soit la provenance de fabrication, en s'appuyant sur Bridor USA qui jusque là distribuait uniquement les produits Bridor fabriqués aux Etats-Unis et au Canada :

- tout en lui laissant vainement croire à la poursuite de leur partenariat, en violation de son exclusivité d'importation et de distribution ( points 1 et 2)

- et en organisant sciemment par des pratiques déloyales tendant à s'approprier sa clientèle sa substitution par Bridor USA (point 4) sans pour autant rompre leur relation (point 3).

Bridor conteste toute déloyauté de sa part et fait valoir qu'un délai de 9 mois - qu'elle juge suffisant pour permettre à Overseas de trouver une solution de remplacement, compte tenu de la durée de la relation (11 ans) et des circonstances - s'est écoulé entre la rupture des commandes à l'initiative d'Overseas en avril 2017 et le mail Bridor daté du 7 juillet 2016 lui confirmant l'annonce faite le 1er mars précédent d'une nouvelle organisation de la relation, à discuter. Elle soutient que cette rupture est imputable à Overseas qui la souhaitait parce qu'elle revendiquait dans le cadre de cette discussion une exclusivité contestée pour le passé comme pour l'avenir, et avait dès janvier 2017 choisi un autre fournisseur, Délifrance.

La cour retient ce qui suit.

1 - Sur l'exclusivité d'importation et de distribution aux Etats Unis des "Produits Français"

Overseas soutient que Bridor lui a consenti cette exclusivité dès l'origine et qu'elle l'a violée avant même son terme fixé au 31 décembre 2016 par mail du 7 juillet 2016 ainsi qu'en attestent, d'une part, ce mail évoquant la constitution d'une force de vente mise en place sous l'autorité d'[J] [I] et, d'autres part, les démarches entreprises dès 2016 par Bridor USA auprès des clients, y compris les siens, afin d'obtenir un basculement immédiat de leurs commandes chez elle. Elle invoque un préjudice égal à la perte d'une augmentation projetée de son chiffre d'affaires de +15% entre 2015 et 2016, compte tenu de l'évolution de la courbe de son chiffre d'affaires au cours des dernières années (points 31 et 44 de ses conclusions), soit 2.300.000 euros correspondant à son taux de marge brute (36,9%) appliqué à 7 millions de dollars.

Cependant, Bridor conteste à bon droit toute exclusivité faute de formalisation d'un écrit la prévoyant et faute de toute protestation à ses mails des 1er mars et 7 juillet 2016 la contestant, soutenant en outre :

- qu'Overseas a agi avec malignité à cet égard en produisant tardivement les documents étayant une prétendue reconnaissance de sa part de cette exclusivité sans en faire état lors des négociations de la réorganisation ou de la tentative de règlement amiable,

- que le préjudice est inexistant, Bridor ayant en réalité réalisé - selon ses propres données financières, hors client Starbucks au statut transitoire spécifique et temporaire admis par elle et malgré l'explosion inexpliquée de ses frais de fonctionnement notamment salariaux, un chiffre d'affaires en progression de 16,5% en 2016, soit supérieur à la progression de 15% prétendument escomptée par Overseas.

En effet, cette exclusivité ne résulte pas à suffisance de ce qu'elle était présentée par Bridor et éventuellement reconnue par les tiers comme "son importateur et distributeur exclusif" sur le marché nord américain, même si elle s'y est trouvée seule en ces qualités pendant de nombreuses années, dès lors qu'il ne s'en déduit pas que Bridor ait eu l'intention ou la volonté de lui conférer avant 2016 cette exclusivité, formellement contestée par mails des 1er mars et 7 juillet 2016.

Le jugement entrepris sera donc confirmé par substitution de motifs en ce qu'il a rejeté la demande d'Overseas en réparation du préjudice résultant de la violation de cette exclusivité.

2 - Sur le préjudice d'image

Le jugement entrepris fixe à 100.000 euros le préjudice d'image résultant pour Overseas de la rupture, au vu de mails démontrant que ses partenaires se sont inquiétés.

Toutefois, cette inquiétude ne justifie pas d'un tel préjudice.

En effet, si Overseas établit que quelques clients se sont inquiétés auprès d'elle d'une certaine confusion (pièces 11-15 et 18), en revanche, elle n'explique pas en quoi les démarches commerciales précitées de Bridor USA, telles qu'elle résultent de ses pièces 25 à 33 établissent que "la situation", dénoncée au titre de la violation de l'exclusivité qu'elle revendique a créé chez ses partenaires une "grande confusion" et "qu'elle en est sortie décrédibilisée"(point 46 de ses conclusions). Cette demande qui n'est pas suffisamment étayée n'est donc pas fondée.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.

3 - Sur la rupture brutale

L'article L 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Il n'est pas en débat que ces dispositions sont applicables en l'espèce, compte tenu de la date de la rupture brutale alléguée, antérieure au 25 avril 2019, date de publication de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce qui, en son article 2, les remplace par les dispositions de l'article L442-1 II du même code.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

Les parties s'opposent sur l'imputabilité de cette rupture sans écrit ni préavis après 11 ans de relation commerciale établie et sur le montant du préjudice en résultant.

Le jugement entrepris retient :

- que la rupture résulte d'une baisse progressive des commandes d'Overseas à Bridor à compter de février 2017, soit une chute de 60% en avril, 85% en mai puis de la cessation de toute commande en juin,

- que cette rupture est imputable à Bridor en raison des différentiels de prix entre Overseas et Bridor USA ayant "incité, pour ne pas dire obligé Overseas à ne plus commander",

- que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis alors que Bridor a conforté Overseas, en 2016, dans l'idée d'une continuation de leur relation, réaménagée et qu'elle aurait pu lui signifier un préavis dès l'agrandissement de son usine de Vineland en 2014 réalisée en vue de reprendre la main sur l'importation et la distribution de tous ses produits Bridor aux Etats Unis.

Le jugement entrepris fixe en cet état la durée de préavis manquant à une année et le préjudice à 26,2% (revenu net) du chiffre d'affaires manqué (20.000.000 d'euros) soit 5.240.000 euros.

Toutefois, Bridor fait justement valoir :

- que, dès le 1er mars 2016, elle a averti Overseas de la réorganisation projetée à échéance de quelques mois dans le prolongement d'un échange de mail des parties du 29 janvier 2016 (pièce intimée 56) et contesté toute exclusivité, passée ou à venir, indiquant " J'ai investi l'an passé dans une nouvelle ligne de viennoiserie à [Localité 2] et demandé à [J] [I] de constituer une task force sur l'ensemble des USA; ce plan lancé il y a 2 ans va être poursuivi et amplifié massivement dans les mois qui viennent (...) Il est possible que vous ayez un rôle important dans l'importation mais la distribution de tous les produits, y compris ceux de Bridor France sera quoiqu'il en soit globale pour Bridor USA." (Pièce 8)

- et qu'elle a réitérée les termes de ce courrier sans ambiguité par mail du 7 juillet suivant mettant fin au 31 décembre 2016 à toute exclusivité qui serait revendiquée (pièce 9).

Or, si la réorganisation ainsi projetée n'exclut pas la continuité d'un partenariat pour l'importation, Overseas, qui a discuté de cette réorganisation (ses pièces 19-21) ne pouvait tenir pour acquis la continuation à l'identique de la relation. D'autre part, le jugement entrepris retient à bon droit qu'il ne peut être fait grief à Bridor de cette volonté de réorganisation pour développer aux Etats Unis les ventes de ses produits "Bridor de France" en y créant une ligne spéciale de production de croissants augmentant sa capacité de production.

Et c'est Overseas qui a mis fin au partenariat des parties en cessant progressivement toute commande de février à avril 2017. Elle ne le conteste pas, soutenant cependant, au vu d'une facture Bridor à Bridor USA émise le 30 mars 2017 qu'elle a réceptionnée par erreur, y avoir été contrainte par la pratique de prix faite par Bridor à Bridor USA, plus avantageux que ceux qui lui étaient réservés et qui l'auraient empêché de vendre ses produits à un prix compétitif (ses pièces 22-24).

Cependant, seules sont analysées 8 références de cette facture du 30 mars 2017 sur plus d'une centaine du tarif 2017 appliqué à Overseas (ses pièces 23-24) et ces seules références qui ne préjugent pas du prix facturé par Bridor USA au client final, ne démontre pas, en l'absence d'exclusivité et alors que les prix en baisse ne sont pas relevés, une modification substantielle de nature à bouleverser l'économie de la relation des parties. Au demeurant, Overseas ne justifie pas s'être alors plainte auprès de Bridor de ce différentiel de tarification. Il ne suffit donc pas, dans le contexte ci-dessus, à rendre la rupture ainsi consommée imputable à Bridor, à qui il n'est fait grief d'aucun refus de commandes. En outre, comme il sera vu au point suivant, Overseas n'établit pas en quoi ses pièces 11-15, 18 et 25-33 démontrent que Bridor a détourné déloyalement ses clients en usant de démarches commerciales tendant à ce qu'ils basculent immédiatement leurs commandes chez Bridor USA pour "court-circuiter le canal de vente indirect opéré par Overseas".

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

4 - Sur la mauvaise foi contractuelle

Overseas soutient que quatre pratiques mises en oeuvre par Bridor au profit de Bridor USA caractérisent des actes déloyaux indépendamment de la rupture :

- le détournement de secret d'affaires et de clientèle,

- l'application de tarifs de fourniture ne lui permettant pas de pratiquer des prix concurrentiels,

- la favorisation systématique de Bridor USA,

- le détournement de candidat.

La Cour retient cependant, à l'instar du jugement entrepris, qu'Overseas ne justifie pas d'une quelconque mauvaise foi de Bridor, les exemples qu'elle présente au soutien de sa prétention étant rares et isolés, voire non démontrés.

Il suffira d'ajouter ce qui suit.

Quant au détournement, Overseas n'établit pas qu'en avril 2016 Bridor souhaitait poursuivre seule la distribution de ses produits en dépit de la négociation annoncée et a organisé la mise à disposition à Bridor USA des informations stratégiques du reporting qui lui était jusque là destiné, dans l'unique objectif de lui permettre de démarcher les clients d'Overseas qu'elle entretenait dans l'illusion de leur partenariat. La seule demande de Bridor à Overseas de transmettre directement à Bridor USA ce reporting, formulé après le mail du 1er mars 2016 précité l'informant de la réorganisation à discuter, est insuffisante à cet égard. De même, Overseas n'explique pas utilement en quoi les démarches commerciales de Bridor USA (ses pièces 11-15, 18, 25-33 précitées) qu'elle ne détaille pas, caractérisent le détournement allégué, ce qui ne résulte pas à suffisance de ce que ces démarches sont quasiment toutes postérieures à cette demande de transmission directe du reportring à Bridor USA (ses conclusions point 39).

Quant aux tarifs pratiqués, il est renvoyé à ce qui a été jugé au point 3.

Quant à la favorisation systématique de Bridor USA, il se déduit du sens de l'arrêt (point 1) qu'Overseas soutient vainement avoir été évincé de l'offre de la nouvelle gamme de produits "Gourmandiz" en violation de l'exclusivité qui lui avait été consentie. Et son impossibilité prétendument imputable à Bridor, de fournir le client Costco en 2016 est affirmée sans renvoi à aucune pièce susceptible de la prouver (ses conclusions points 29 et 41).

Enfin, quant au défaut de transfert, envisagé en novembre 2015, à Overseas d'un salarié de Bridor UK, finalement transféré à Bridor USA, aucun revirement déloyal de Bridor ne résulte de la pièce 41 versée pour l'étayer, dès lors qu'il ne résulte de cette pièce aucun engagement à cet égard de M. [H] [P] (Bridor), qui se borne à énoncer que ce transfert "fait partie des moyens mis en place par Overseas pour développer ses ventes".

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

5 - Sur le stock invendu

Le jugement entrepris retient pour rejeter la demande de remboursement de ce stock comme ayant dû être bradé ou détruit en raison de la péremption des produits, qu'aucune preuve n'est rapportée de ces remises ou de cette destruction.

En appel, si Overseas justifie des destructions à hauteur de 1.185,86 euros (pièce 48) et de remises sur les stocks à -50% (pièces 49 et 50), en revanche, les factures à 0 $ qu'elle s'est faites à elle-même (pièce 44) sont dépourvue de force probante et en tout état de cause, aucune disposition contractuelle ne prévoit la reprise ou le paiement du stock à l'expiration de la relation des parties.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'Overseas à ce titre.

6 - Sur les demandes accessoires

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement qui a alloué la somme de 10.000 euros à Overseas.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, Overseas qui succombe doit supporter la charge des dépens et l'équité commande de la condamner à payer à Bridor l'indemnité de procédure ci-dessous.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

statuant dans les limites de sa saisine,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Overseas Food Traiding LTD au titre de la violation de son exclusivité de distribution, de la déloyauté contractuelle et de son stock invendu ;

INFIRME le jugement entrepris des chefs de la rupture brutale, du préjudice d'image, de l'indemnité de procédure, des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau et y ajoutant,

REJETTE les demandes de la société Overseas Food Traiding LTD de ces chefs infirmés ;

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel ;

LA CONDAMNE à payer à la société Bridor une indemnité de procédure de 10.000 euros et rejette toute autre demande.

Le Greffier Le Président

Cécile PENG Marie-Laure DALLERY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/17650
Date de la décision : 24/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°18/17650 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-24;18.17650 ?
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