Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 3
ARRÊT DU 22 JUIN 2020
(n° 2020 / 81, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/18476 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EGU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juin 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09974
APPELANTE
LA GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES ET EMPLOYÉS DE L'ETAT ET DES SERVICES PUBLICS (GMF), prise ne la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Patrice ITTAH de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0120
INTIMÉ
M. [H] [J]
[Adresse 3]
[Localité 5]
ECOSSE
Représenté par Me Hadrien MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0871
COMPOSITION DE LA COUR :
En application :
- de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19;
- de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;
- de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;
L'affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 11 mai 2020, les avocats y ayant consenti expressément ou ne s'y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure;
La cour composée comme suit en a délibéré :
Mme Marie-Françoise d'Ardailhon Miramon, Président de chambre
Mme Clarisse GRILLON, Conseillère
Mme Sophie BARDIAU, Conseillère
Greffier : Laure POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 22 juin 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'Ardailhon Miramon, Présidente de chambre et par Laure POUPET, Greffière présente lors du prononcé.
******
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 17 septembre 2001 à [Localité 6] (83), M. [H] [J], né le [Date naissance 2] 1968 et âgé de 33 ans, a été victime, alors qu'il était piéton, d'un accident de la circulation impliquant une motocyclette assurée par la GMF.
Une expertise amiable et contradictoire a été organisée par le docteur [V], mandaté par la GMF, en présence du docteur [L], assistant la victime le 19 juillet 2005.
La GMF a indemnisé [H] [J] de ses préjudices extra-patrimoniaux par transaction du 22 janvier 2012.
Par jugement du 31 mai 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :
alloué la somme de 80 000 € à M. [H] [J] pour son incidence professionnelle (reconversion et pénibilité, perte de droits à la retraite non incluse),
indemnisé M. [H] [J] d'une partie de ses frais divers,
désigné M. [W] [X] pour procéder à une expertise comptable de la perte de revenus de M. [H] [J],
ordonné un sursis à statuer pour le surplus des demandes.
M. [W] [X], expert judiciaire, a déposé son rapport le 4 août 2017.
Par jugement du 12 juin 2018 (instance n°14/09974), le tribunal de grande instance de Paris a :
condamné la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires et Employés de l'Etat et des Services Publics (GMF) à payer à M. [H] [J] la somme de 595 293,71 € à titre de réparation de son préjudice, en deniers ou quittances, provisions non déduites, en indemnisation des préjudices suivants :
- frais divers : 3 720 €
- pertes de gains professionnels actuels : 3 827,05 €
- pertes de gains professionnels futurs : 587 746,66 €
condamné la GMF à payer à M. [H] [J] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont Me Hadrien Muller, avocat, aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du présent jugement à concurrence des deux tiers de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Sur appel interjeté par déclaration du 20 juillet 2018 et selon dernières conclusions notifiées le 15 mars 2019, la société d'assurance mutuelle Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics (la GMF) demande à la cour de :
réformer le jugement en ce qu'il a retenu un coefficient de probabilité de 100 % concernant l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs en lieu et place d'une perte de chance évaluée à 50 %,
réformer le jugement en ce qu'il a retenu l'âge de 65 ans pour le départ à la retraite de M. [J] en lieu et place de l'âge de 55 ans,
réformer le jugement en ce qu'il a retenu le barème de la Gazette du Palais en lieu et place du BCRIV,
statuant à nouveau,
dire et juger que les pertes de gains professionnels futurs évaluées sur le fondement du rapport de M. [X] s'apparentent à une perte de chance,
dire et juger que l'indemnisation de M. [J] au titre des pertes de gains professionnels futurs sera limitée à 50 % des sommes retenues par l'expert judiciaire [X] et allouées par le jugement,
dire et juger que l'évaluation de l'indemnisation de M. [J] doit prendre en compte un départ à la retraite à l'âge de 55 ans,
dire et juger qu'il n'y a pas de perte de droit à la retraite puisque M. [J] continue à cotiser du fait de sa reprise d'activité professionnelle,
débouter M. [J] de sa demande formulée au titre d'une prétendue perte de droit à la retraite,
dire et juger que le barème d'indemnisation applicable sera le BCRIV 2018,
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a octroyé à M. [J] la somme de 3 827,05 € au titre des PGPA et la somme de 3 720 € au titre des frais divers,
débouter M. [J] du surplus de ses demandes plus amples et/ou contraires.
condamner M. [J] à verser à la GMF une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [J] aux entiers dépens.
Selon dernières conclusions notifiées le 3 juin 2019, M. [H] [J] demande à la cour de :
réformer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la GMF aux sommes suivantes :
- 595 293,71 € au titre de la réparation de son préjudice en indemnisation des frais divers, des pertes de gains professionnels actuels et des pertes de gains professionnels futurs,
-3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
condamner la GMF à payer à M. [H] [J] les sommes de :
- 3 720 € au titre des frais divers restés à charge,
- la contre-valeur en euro au jour de l'arrêt de la somme de 1 029 786,22 £ au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs,
condamner la GMF au paiement d'une somme de 10 000 € à M. [H] [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Hadrien Muller, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, et au vu de l'ordonnance de roulement modificative du 23 avril 2020 prise par le premier président de la cour d'appel de Paris, le président de la chambre a adressé le 24 avril 2020 un courriel commun à chacun des avocats postulants, leur indiquant son choix d'une procédure sans audience avec clôture de l'instruction au 18 mai 2020 et leur précisant qu'ils avaient un délai de quinze jours pour s'y opposer.
La GMF et M. [J] ont accepté cette proposition respectivement les 28 et 27 avril 2020.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 mai 2020.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur le dommage corporel
Les médecins experts mandatés ont fixé la date de consolidation des blessures de M. [J] au 1er septembre 2004 (à l'âge de 36 ans) et le déficit fonctionnel permanent à 20 %, et retenu un retentissement professionnel.
Les parties acquiescent à l'indemnisation des frais divers pour un montant de 3 720 € correspondant aux frais de traduction et à celle de la perte de gains professionnels actuels pour un montant de 3 368 £ soit 3 827,05 €, correspondant à la perte des primes de séparation en mer, pour la période du 17 septembre 2001 au 2 septembre 2004, date de sa réforme de la Royal Navy et de sa mise à la retraite anticipée, allouées par le tribunal.
Seule est en litige l'évaluation de la perte de gains professionnels futurs.
Estimant que la probabilité que M. [J] reste au sein de la marine britannique jusqu'en 2014, soit jusqu'à l'âge de 46 ans, et celle qu'il soit promu au grade de premier maître étaient proches de 100 %, le tribunal a, en suivant les calculs de l'expert, octroyé à M. [J] une indemnité de 226 003,27 £ soit 257 236,61 € selon le cours de la livre au jour du jugement, pour la période du 2 septembre 2004 au 30 avril 2014, une indemnité de 66 761,55 € pour la période du 1er mai 2014 au 1er novembre 2017 en se basant sur la dernière perte de revenus annuelle calculée par l'expert à la somme de 16 764,67 £, somme qu'il a capitalisée pour le futur sur la base de l'euro de rente temporaire d'un homme de 49 ans jusqu'à l'âge de 65 ans selon le barème publié par la Gazette du Palais en 2016, soit la somme de 263 748,50 €.
Les premiers juges ont rejeté toute autre indemnisation estimant que la demande au titre du remboursement du prêt étudiant destiné à financer sa reconversion professionnelle n'était pas justifiée et que les autres demandes avaient été prises en compte par l'expert dans son calcul.
M. [J], appelant incident, fait valoir que :
- il avait intégré la marine royale britannique le 17 octobre 1986 et travaillait en qualité de maître mécanicien avec un statut d'ingénieur de la marine, grade qu'il avait acquis en août 1999, deux ans avant son accident,
- il travaillait à bord d'un sous-marin une grande partie de l'année,
- il a été réformé en mai 2004, pour raisons médicales, a repris des études afin de se reconvertir et a obtenu un diplôme d'économiste de la construction à l'université de [Localité 5] en 2006,
- il a retrouvé un emploi à compter d'octobre 2006 mais a subi et continuera de subir d'importantes pertes de revenus.
Il calcule sa perte à la somme de 1 029 786,22 £ se décomposant comme suit :
$gt; du 2 septembre 2004 au 30 avril 2014 : 325 948,58 £
Il soutient qu'il n'aurait pas pu ne pas être promu entre 2001 et 2009 puisqu'il l'avait été à cinq reprises avant 2001, retient le calcul de l'expert, soit la somme de 521 738,58 £, effectué sur la base d'une promotion en août 2009 et en déduit les salaires qu'il a perçus pour un montant de 195 790 £.
En revanche, il critique le jugement en ce qu'il a déduit la pension de retraite anticipée qu'il perçoit au motif qu'elle n'offre aucun recours au tiers payeur puisqu'elle ne figure pas dans la liste édictée par l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et qu'elle ne présente aucun caractère indemnitaire puisqu'elle constitue la contrepartie des cotisations versées pendant sa carrière.
$gt; du 1er mai 2014 au 31 mai 2019 : 145 699,87 £
Il retient la perte annuelle de revenus évaluée par l'expert pour la dernière année de son calcul (2013-2014) soit la somme de 16 764,67 £, en faisant valoir que ses revenus ont globalement diminué depuis 2012, ce qui ne serait par advenu dans la marine britannique où les salaires sont réévalués chaque année et les salariés gagnent un échelon par an de façon automatique. Il y réintègre la pension de retraite anticipée déduite à tort par l'expert soit 11 897 £, pour obtenir une perte annuelle de 28 662,27 £ et calcule sa perte sur 61 mois à la somme de 145 699,87 £.
$gt; à compter du 1er juin 2019 : 455 558,11 £
Il soutient que les officiers (sic) de l'armée britannique ne peuvent bénéficier d'une retraite à taux plein qu'à l'âge de 60 ans et, pour compenser ses 24 années de perte de droits à la retraite, capitalise sa perte jusqu'à l'âge de 69 ans selon l'euro de rente d'un homme de 51 ans jusqu'à l'âge de 69 ans issu du barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais pour 2018 soit : 28 662,27 £ x 15,894 = 455 558,11 £.
- autres pertes : 99 211,66 £
Il sollicite le remboursement des cotisations d'assurance sociale dont il était exonéré dans la marine, de la taxe de pension d'invalidité et des échéances du prêt étudiant directement prélevés sur son bulletin de salaire, soit la somme de 417,44 £ par mois que l'expert judiciaire a expressément exclue de son calcul.
Il demande encore la prise en compte de la perte d'un avantage de 300 £ mensuel au motif qu'il était logé et nourri 163 jours par an et bénéficiait d'une aide financière pour son logement à terre.
Il fixe sa perte mensuelle à la somme de 254,88 £ après déduction de sa pension mensuelle d'invalidité d'un montant de 249,56 £ et sollicite la somme de 63 026,68 £ au titre des arrérages échus au 31 mai 2019 et un capital de 36 184,98 £ pour la période postérieure limitée à l'âge de 60 ans.
La GMF soutient que :
- le jugement est contestable en ce qu'il a considéré que le préjudice était certain alors que seule une perte de chance est indemnisable dans la mesure où il n'est pas certain que M. [J] serait resté dans la Royal Navy jusqu'en 2014, d'une part, et jusqu'à l'âge de 60 ans, d'autre part, et encore moins qu'il serait resté dans les sous-marins, ni enfin qu'il aurait bénéficié d'une promotion en août 2009,
- il existe une incertitude sur les revenus de M. [J] avant son accident comme après l'accident puisque celui-ci n'a pas produit à l'expert ses bulletins de salaire, obligeant ce dernier à prendre en compte ses déclarations fiscales,
- la référence aux grilles de rémunération de la Royal Navy est purement théorique dans la mesure où il n'est pas démontré que M. [J] progressait d'un échelon tous les ans ni que sa rémunération se situait en permanence au niveau supérieur de cette grille,
- l'expert a écarté, à raison, les préjudices allégués au titre de la perte de droits à retraite et des frais de nourriture et logement,
- l'expert relève lui-même le caractère hypothétique de certaines de ses évaluations,
- l'évaluation de la perte annuelle pour un montant de 16 764,67 £ à compter du 1er mai 2014 est contestable et cette perte ne devrait être capitalisée que jusqu'à l'âge théorique de la retraite de la victime, soit 55 ans et non 65 ans comme l'a retenu le tribunal, afin de compenser ses éventuelles pertes de droits à la retraite, que l'expert considère comme non démontrées et qui n'existent pas puisque M. [J] a retrouvé un emploi et cotise pour sa retraite,
- le préjudice de M. [J] est constitué d'une perte de chance de gains professionnels de 50 % puisque rien ne permet d'affirmer que son plan de carrière se serait déroulé de manière idéale et rien n'indique qu'il n'aura pas in fine bénéficié d'une meilleure fortune à l'avenir dans sa nouvelle branche professionnelle,
- la cour devra réformer le jugement et calculer la perte de chance jusqu'à l'âge de 55 ans, âge légal de départ en retraite d'un militaire de la marine britannique, et devra appliquer la barème de capitalisation BCRIV 2018.
Dans le dispositif de ces conclusions, elle demande à la cour de limiter l'indemnisation de M. [J] au titre des pertes de gains professionnels futurs à 50 % des sommes retenues par l'expert judiciaire [X] et allouées par le jugement.
$gt; sur l'étendue de l'indemnisation
En droit, ce poste de préjudice indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle, du fait du dommage, après la consolidation de son état de santé.
La victime ne peut obtenir réparation de son dommage que si celui-ci est certain et en lien de causalité directe avec le fait dommageable.
Constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.
A titre préliminaire, il sera relevé que le fait que les calculs de l'expert soient prétendument entachés d'une grande incertitude en l'absence de nombreux justificatifs n'est pas de nature à rendre hypothétique le principe même d'un préjudice mais seulement à en limiter l'indemnisation.
En l'espèce, M. [J] est entré dans la Marine britannique en octobre 1986 à l'âge de 18 ans et avait 15 ans de service au jour de l'accident. Il exerçait le métier de mécanicien sous-marinier spécialisé au titre de la propulsion nucléaire au grade de sous-officier. L'historique de ses services (pièce n°3) démontre qu'il a obtenu un certificat de machinerie auxiliaire en 1988, réussi la formation d'artificier de génie naval et été classé ingénieur naval spécialisé artificier (LMEA) en 1995, obtenu le certificat d'opérateur en sous-marin nucléaire en mars 1997 et le certificat d'homme de quart d'unité en 1998. Il a été nommé sous-officier le 1er janvier 1997 et sous-officier en chef en date du 7 août 1999, après avoir été déclaré le 2 juillet précédent apte au poste de formateur en leadership avec l'appréciation suivante :
'Il a appréhendé la formation de manière positive, pratique et désireux de bien faire. Il a rapidement assimilé l'aspect théorique de la formation et a su mettre en oeuvre ce nouvel apprentissage de manière vigoureuse lors des évaluations pratiques. Incroyablement réceptif, il s'est constamment efforcé de parfaire ses compétences personnelles tout en donnant son maximum lorsqu'il travaillait pour les autres. [J] est déjà un brillant individu de classe Senior dont la participation au POLC (nom de la formation) a optimisé les qualités. Il a les capacités nécessaires à monter en grade mais doit être encouragé à obéir à un commandement.'
Il percevait un salaire annuel de 46 334 € au moment où il a été réformé, auquel s'ajoutait une rémunération de 8 930 € au titre de sa spécialité de sous-marinier, une rémunération de 2 040 € au titre de celle relative à la propulsion nucléaire, outre un supplément journalier pour l'activité de sous-marinier et une prime de longue séparation (pièce n°12).
Enfin, le document provenant du ministère britannique de la défense daté de 2012 mentionne que l'âge normal de départ en retraite est de 60 ans, même si celle-ci peut être prise plus tôt soit à partir de 55 ans.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [J], qui avançait régulièrement dans sa carrière depuis 15 ans, avait encore des possibilités de progression, était bien noté par ses supérieurs et bénéficiait d'une rémunération et d'avantages substantiels, n'avait aucune raison de quitter l'armée avant l'âge de 60 ans, âge normal de la retraite.
Il justifie donc d'un préjudice direct et certain du fait de sa réforme en 2004 pour inaptitude au service naval permanente en raison des séquelles de l'accident et a droit à l'indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs liée à la perte de son emploi et non à celle d'une simple perte de chance d'une éventualité favorable.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
$gt; sur le calcul de l'indemnisation
S'agissant des revenus qu'il aurait dû percevoir, le secrétariat de commandement de la Royal Navy (pièce n°12) a considéré que 's'il était resté en service..., il aurait continué de percevoir sa prime de rémunération annuelle le 1er avril de chaque année et aurait gravi les niveaux de paie suivants à sa date d'augmentation jusqu'à atteindre le niveau maximum de l'échelle salariale le concernant ou jusqu'à être promu premier maître'. Ce document précise également qu'il aurait obtenu des augmentations salariales en avril de chacune des années suivantes et des franchissements de niveaux de rémunération le 26 août de chacune des années suivantes, jusqu'à atteindre le niveau le plus haut de l'échelle de rémunération.
L'expert judiciaire a reconstitué, au vu des grilles de rémunération produites par la Royal Navy applicables de 2003 à avril 2014, terme de sa mission d'expertise, deux trajectoires possibles de la carrière de M. [J] selon l'obtention ou pas d'une promotion en août 2009, après avoir privilégié l'hypothèse la plus prudente en cas de promotion consistant à extrapoler une évolution annuelle de l'intéressé au rythme des différents grades avec possibilité d'une promotion une fois arrivé au niveau maximum d'une échelle salariale.
A la date de sa réforme, sa rémunération se situait au niveau 5 de l'échelle salariale n°4 de la grille des rémunérations supérieures qui comprenait 9 niveaux et ce dernier niveau aurait été atteint le 26 août 2008.
Compte tenu de l'évolution de carrière de M. [J] avant l'accident et de ses qualités de service appréciées par ses supérieurs, les premiers juges ont retenu avec pertinence l'hypothèse selon laquelle il aurait bénéficié d'une promotion en 2009, selon la méthode de calcul très prudente de l'expert judiciaire.
Le chiffrage des revenus qu'il aurait dû percevoir tel qu'opéré par M. [X], pour un montant de 244 336,43 £ pour la période du 2 septembre 2004 au 25 août 2009 et un montant de 277 402,15 £ pour la période du 26 août 2009 au 30 avril 2014 soit un montant total 521 738,58 £, sera retenu, sachant que la GMF sollicite une condamnation sur la base de ces chiffres retenus par le tribunal.
S'agissant des revenus qu'il a réellement perçus, si M. [J] ne produit pas ses bulletins de salaire et n'a pu les obtenir de la Royal Navy ainsi qu'il en justifie, il verse aux débats des formulaires P60 remplis par son employeur et distinguant les revenus perçus et les impôts prélevés à la source, lesquels permettent de connaître ses revenus antérieurs à l'accident et jusqu'à sa réforme le 2 septembre 2004. De même, l'expert judiciaire a disposé de suffisamment d'éléments pour fixer à 15 % le ratio des charges sociales à déduire des salaires bruts perçus par M. [J] à compter de son embauche en octobre 2006. En conséquence, la cour retiendra les revenus réels de M. [J] tels qu'évalués par l'expert pour un montant de 195 790 £ pour la période de septembre 2004 à avril 2014, revenus que la GMF ne critique d'ailleurs pas utilement puisqu'elle demande à la cour d'appliquer une perte de chance de 50 % sur les sommes retenues par l'expert et allouées par le jugement.
Enfin, M. [J] soutient à bon droit que la pension de retraite anticipée versée par la Royal Navy n'a pas à être déduite puisqu'elle constitue la contrepartie des cotisations versées pendant sa carrière, que ne figurant pas dans la liste édictée par l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 elle n'offre aucun recours au tiers payeur et que la Royal Navy interrogée a répondu le 8 août 2014 qu'elle n'engagera aucun recours sur l'indemnité allouée.
En conséquence, l'indemnisation sera calculée comme suit :
$gt; période du 2 septembre 2004 au 30 avril 2014 :
521 738,58 £ - 195 790 £ = 325 948,58 £
$gt; période du 1er mai 2014 au 31 mai 2020 :
L'expert a évalué la perte de revenus annuelle de M. [J] à la somme de 16 764,67 £ pour la dernière année de son calcul et M. [J] demande à la cour de retenir ce montant, en confirmation du jugement.
Cette évaluation a été faite par soustraction des revenus réels de ceux qui étaient prévisibles et la cour ayant entériné les évaluations de l'expert, à ce titre, retiendra cette somme, sauf à y ajouter, comme le demande à bon droit M. [J], le montant annuel de la pension de retraite anticipée déduite de manière erronée par l'expert (11 897 £), de sorte que la perte annuelle est évaluée à la somme de 28 662,27 £.
La perte est donc de 174 362,14 £ (28 662,27/12 x 73 mois).
$gt; période du 1er juin 2020 au 31 mai 2028 ( date à laquelle M. [J], né le [Date naissance 2] 1968, aura 60 ans)
Il a été indiqué supra que l'âge normal de départ en retraite d'un militaire britannique est de 60 ans.
M. [J] ne justifie pas d'une perte de droits à la retraite puisqu'il a retrouvé un emploi et cotise pour sa retraite.
En conséquence, sa perte annuelle de revenus sera capitalisée selon l'euro de rente viagère d'un homme de 52 ans jusqu'à l'âge de 60 ans selon le barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais le 28 novembre 2017, lequel est élaboré sur la base des mêmes tables de mortalité 2010-2012 publiées en 2015 et sur l'évolution du taux de l'inflation durant la même période de référence (2014 à 2016) que le BCRIV 2018 sollicité par la GMF, mais qui retient un taux de rendement des capitaux fondé sur le TEC 10, économiquement plus pertinent pour un capital indemnitaire.
La perte future est donc de 217'345,99 £ (28 662,27x 7,583).
$gt; Total : 717 656,71 £ (325 948,58+ 174 362,14 + 217'345,99).
$gt; sur les autres demandes
M. [J] prétend qu'il supporte des frais mensuels d'assurance sociale, de taxe de pension d'invalidité et de remboursement de prêt étudiant supplémentaires depuis qu'il a quitté l'armée.
Cependant, il n'est aucunement justifié ni de la date, du motif, ni du montant ni de la durée du prêt étudiant dont l'existence résulte d'une seule ligne de remboursement figurant sur son bulletin de salaire, de telle sorte qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un lien de causalité entre la souscription de ce prêt et le fait dommageable.
La taxe prélevée sur la pension de retraite versée par la Royal Navy en raison des périodes cotisées et qui n'a pas été déduite de ses revenus dans le calcul de sa perte de gains professionnels futurs n'a pas de lien de causalité directe avec l'accident et ne constitue pas un dommage indemnisable.
En revanche, il est prouvé que M. [J] bénéficiait de soins médicaux et dentaires gratuits et qu'il supporte désormais des frais d'assurance sociale d'un montant mensuel de 240,44 £. Cependant, il indique que la pension d'invalidité d'un montant de 247,56 £ par mois qu'il perçoit doit venir en déduction de ces frais de sorte qu'il ne justifie d'aucun préjudice.
Enfin, M. [J] fait valoir qu'il était nourri et logé à raison d'en moyenne 163 jours par an et qu'il percevait une aide financière pour son logement à terre, et demande à la cour d'indemniser la perte de cet avantage qu'il propose de calculer à hauteur de 300 £ par mois.
Toutefois, et bien que l'expert judiciaire ait relevé que le montant de cette demande ne faisait l'objet d'aucune justification, M. [J] se contente de produire un extrait du site internet de la Royal Navy mentionnant de manière très générale, au titre des bénéfices à travailler pour la Royal Navy, 'un logement gratuit lors des voyages en mer et une aide financière pour le logement à terre', sans plus de précision sur les conditions d'octroi de cette dernière aide, et il ne produit aucun élément chiffré relatif à ces avantages financiers. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre.
En conséquence, M. [J] sera indemnisé de sa perte de gains professionnels futurs par l'octroi de la somme de 717 656,71 £ soit la somme de 794 804,80 € selon le cours de conversion de la livre sterling en euro en vigueur à la date du présent arrêt.
sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens d'appel doivent incomber à la GMF, partie perdante.
La demande en cause d'appel de M. [J] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera accueillie pour un montant de 5 000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Vu l'appel limité à la perte de gains professionnels futurs indemnisée à hauteur de 587 746,66 €,
Infirme le jugement sur ce poste de préjudice,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Condamne la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires et Employés de l'Etat et des Services Publics (GMF) à payer à M. [H] [J] la somme de 794 804,80 € en réparation de sa perte de gains professionnels futurs, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence de la somme allouée par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Déboute M. [H] [J] de toute autre demande,
Condamne la GMF aux dépens, avec distraction au profit de Maître Hadrien Muller, avocat,
Condamne la GMF à payer à M. [H] [J] la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE