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18/06/2020 | FRANCE | N°18/18761

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 18 juin 2020, 18/18761


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 18 JUIN 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/18761 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6FJR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2017021829





APPELANT:



Monsieur [I] [R]

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]




représenté par Me Fabrice DEGROOTE de la SELASU NEOLEX AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0203





INTIMÉE :



SA MUTUALIZE CORPORATION représentée par son Directeur Général, d...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 18 JUIN 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/18761 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6FJR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2017021829

APPELANT:

Monsieur [I] [R]

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Fabrice DEGROOTE de la SELASU NEOLEX AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0203

INTIMÉE :

SA MUTUALIZE CORPORATION représentée par son Directeur Général, domicilié audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 482 899 002

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Emmanuel KARM, avocat au barreau de STRASBOURG, Me Alexandra PERQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0970

COMPOSITION DE LA COUR :

En application :

- de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19;

- de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

- de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;

 L'affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 11 mai 2020, les avocats y ayant consenti expressément ou ne s'y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure;

La cour composée comme suit en a délibéré :

Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre

Madame Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre

Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère.

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [I] [R] a fondé une société qui a développé un logiciel de paiement en ligne, Jepay.

Celle-ci a été transformée en société anonyme en 2007, sous la dénomination de Cards Off qui a pour activité principale toutes opérations entrant dans l'activité d'un établissement de paiement agréé par l'autorité de contrôle prudentiel, l'élaboration et la commercialisation de solutions logicielles, de systèmes de sécurisation de transactions.

Le conseil d'administration de Cards Off du 26 juin 2007 a nommé M. [I] [R] président du conseil d'administration et directeur général. Sa rémunération a été fixée par le conseil du 1er octobre 2007. Par la suite, la société a acquis la société France Soir, organisme de presse en ligne.

Le 12 juin 2014, M. [M] [B] entrait au capital de Cards Off (dont la dénomination est devenue aujourd'hui Mutualize Corporation) a hauteur de 29,74%, via la société de son épouse SIP, en compagnie d'autres investisseurs. Il était nommé administrateur de Cards Off. L'objectif était de lancer un jeu en ligne appelé ZExpert

Lors du Conseil du 5 août 2014, M. [M] [B] était nommé président de la société et M. [I] [R] directeur général. En septembre 2014, était décidée une augmentation de capital souscrite par les actionnaires historiques afin d'apurer le passif. Le 3 octobre 2014, M. [M] [B] adressait à M. [I] [R] un courrier l'informant de la réunion le 7 octobre 2014 d'un conseil d'administration afin de procéder à la révocation de son mandat de directeur général et le 14 février 2015, l'assemblée générale le révoquait de son mandat d'administrateur.

Estimant ces révocations irrégulières, M. [I] [R] a assigné la SA Mutualize Corporation devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 29 juillet 2016 aux fins de la voir condamnée à lui payer les sommes de 300.00 euros pour révocation sans juste motif, 150.000 euros pour révocation abusive et vexatoire, 29.573,20 euros en remboursement de son compte courant d'associé, 8.333,33 euros au titre de la rémunération d'août 2014 le tout avec intérêt et anatocisme, outre la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 25 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [R] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 24 juillet 2018.

Une médiation, mise en 'uvre par ordonnance du conseiller de la mise en état du 28 février 2019, n'a pas abouti.

*****

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 21 novembre 2019, Monsieur [R] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris,

statuant à nouveau,

Condamner la Sa Mutualize Corporation à lui payer la somme de 200.000 euros nette de toutes charges sociales, CSG et CRDS à titre de dommages-intérêts pour révocation sans juste motif,

Condamner la Sa Mutualize Corporation à lui payer la somme de 75.000 euros nette de toutes charges sociales, CSG et CRDS à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ensuite de sa révocation abusive et vexatoire,

Condamner la Sa Mutualize Corporation à lui payer la somme de 29.573,20 euros en remboursement de son compte courant, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1231-6 du code civil,

Condamner la Sa Mutualize Corporation à lui payer la somme de 8.333,33 euros au titre de sa rémunération du mois d'août 2014,outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1231-6 du code civil,

Condamner la Sa Mutualize Corporation à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 6 novembre 2019, la SA Mutualize Corporation demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris,

Débouter Monsieur [R] de l'ensemble de ses demandes,

Le condamner à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur le rejet des conclusions et des pièces de la société Mutualize Corporation

Par conclusions d'incident du 21 janvier 2020, la société Mutualize Corporation sollicite le rejet des pièces et des conclusions notifiées le 21 novembre 2019 par M. [R], c'est-à-dire au jour de la clôture.

Cependant, suite à l'échec de la médiation, le conseiller de la mise en état a fixé, le 8 octobre 2019 un calendrier avec une ordonnance de clôture devant être rendue le 21 novembre 2019 et la société Mutualize Corporation a alors conclu le 6 novembre suivant et M. [R] y a répondu le 21 novembre suivant, ce qui signifie qu'elle a répondu dans un délai de 15 jours, c'est à dire dans un délai raisonnable.

Si la société Mutualize Corporation souhaitait conclure à nouveau, il lui appartenait de le faire et de solliciter le rabat de la clôture ou encore de solliciter le report de l'audience, afin de conclure à nouveau.

Par ailleurs, aucune des pièces communiquées par M. [R] n'apportent d'élément déterminant, de sorte qu'il n' y a pas lieu de faire droit à la demande de rejet des pièces et des conclusions notifiées le 21 novembre 2019 par M. [R].

Sur la révocation sans juste motif

Monsieur [R] soutient avoir été révoqué sans juste motif. Il fait valoir que la société invoque à l'appui de sa révocation du 7 octobre 2014, des manquements à ses «'quatre missions'», dont aucune trace préalable n'est établie et dont il ne pouvait avoir été investi avant le conseil d'administration du 30 août 2014 fixant les nouvelles orientations. Il estime que dans ces conditions que le délai est insuffisant à établir sa carence dans l'exécution des directives.

Il conteste avoir marqué un quelconque désaccord sur le budget et souligne qu'il a renoncé à sa rémunération des 4 derniers mois de l'année 2014 afin de contribuer personnellement aux orientations budgétaires adoptées, dans l'intérêt de la société.

Il fait valoir qu'aucune preuve de ses supposées réticences au business plan n'est apportée, que l'abandon de l'idée du Jeu ZExpert est lié à des problèmes de légalité ce qui justifierait a posteriori les doutes qui lui sont reprochés et qui constituaient des inquiétudes propres à un directeur général soucieux de la direction de la société qu'il avait fondée. Il ajoute qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir affecté toutes ses ressources, limitées par la taille de l'entreprise, au lancement du jeu, rappelle que Mutualize elle-même ne l'a pas fait et que ses interrogations sur les points juridiques qui devaient être clarifiés et étudiés étaient légitimes.

Il conteste avoir déclaré que les salariés n'accepteraient aucun effort sur leurs rémunérations et souligne qu'il a lui-même renoncé à son salaire.

Il estime que les «'doutes'» sur la légalité du jeu ZExpert ne suffisent pas à caractériser ses relations tendues avec Monsieur [Y], chargé du développement du concept, que celui-ci a d'ailleurs été révoqué peu après pour perte de confiance et qu'il lui appartenait en qualité de directeur général de s'assurer de la viabilité du projet.

Il soutient que l'augmentation de capital réalisée ultérieurement avait pour objet de réduire son investissement à néant.

La société Mutualize répond que le courrier qui lui a été adressé précisait les reproches qui lui étaient faits et lui permettait de connaître les motivations du président. Elle ajoute que différentes actions lui avaient été confiées': réduction des effectifs travaillant sur France Soir l'E-Mag, maintien a minima du média numérique France Soir.fr, lancement des applications informatiques liées au concept de mutualisation pour une production mi novembre 2014, focalisation des ressources de l'entreprise pour procéder au développement, mise en 'uvre du business plan de réduction des coût, collaboration étroite dans le cadre du jeu ZExpert avec Monsieur [Y].

Elle fait valoir que Monsieur [R] avait manifesté son désaccord sur le budget lors du conseil d'aministration en ne votant pas les mesures décidées, qu'il n'avait pas caché sa réticence aux salariés quant à l'exécution du business plan, que les efforts sur leur rémunération consenties par les salariés avaient été le résultat de l'intervention de Monsieur [Y], palliant les carences de Monsieur [R].

Elle souligne que lors du conseil d'administration, Monsieur [R] a fait une déclaration préalable mais a refusé qu'elle soit annexée au procès-verbal.

Elle précise que les administrateurs ont relevé au cours des débats que la stratégie qui devait être mise en 'uvre par Monsieur [R] n'avait pas été suivie, que les mesures de licenciement impliquées par la décision d'arrêt immédiat de l'E-Mag n'avaient pas été prises, que l'engagement qu'il avait pris de négocier des rabais n'avait pas été suivi d'effet, que ses interrogations sur la légalité du jeu ZExpert n'avaient pas été étayées par la moindre étude juridique, que l'affectation des ressources humaines n'avaient pas respecté les objectifs fixés.

Elle souligne que Monsieur [R] a accepté que Monsieur [B] prenne la tête de la société pour éviter le dépôt de bilan sans que cette décision ne puisse établir qu'il était en accord avec la stratégie de ce dernier.

Elle indique qu'à ce jour, réorganisée, après assainissement de ses coûts (et notamment du salaire de Monsieur [R]), la société poursuit son développement grâce à une stratégie efficace mise en 'uvre après l'impéritie et la politique d'obstruction de Monsieur [R].

Selon l'article L. 225-55 du code de commerce, le directeur général d'une société anonyme est révocable à tout moment par le conseil d'administration, mais si cette révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.

En l'espèce, par courrier du 3 octobre 2014, M.[R] était convoqué à un conseil d'administration se tenant le 7 octobre suivant avec pour ordre du jour sa révocation pour les motifs suivants :

«1/. Non-respect de la stratégie décidée par le conseil d'administration, se traduisant par une diminution des coûts comme attendu, qui se traduira inévitablement par de nouvelles tensions de trésorerie auxquelles la société va devoir faire face, et mise en danger de la levée de fonds restant à opérer destinée au développement de l'activité ZEexpert.

2/.Non affectation de la totalité des ressources disponibles (essentiellement humaines) au lancement du jeu, qui risque de décaler la production du chiffre d'affaires de la société et de retarder son indépendance financière vis-à-vis des actionnaires, avec une menace sur sa pérennité.»

Plus précisément, il était reproché à M. [R] d'être en désaccord avec la stratégie décidée, ainsi, de ne pas avoir voté le budget lors du dernier conseil d'administration, d'avoir été réticent quant à l'idée du business plan, d'avoir critiqué les compétences professionnelles de M.[G] chargé du lancement du jeu ZEexpert, d'avoir été réticent à demander des efforts de rémunération aux salariés, d'avoir entretenu des relations difficiles avec M.[Y], homme clé du concept ZEexpert alors qu'il s'agissait d'une activité majeure et vitale de l'entreprise.

Il s'ensuit que la société Mutualize Corporation avait bien allégué de plusieurs motifs consistant essentiellement à reprocher à M. [R] de ne pas soutenir le lancement du jeu ZEexpert.

Lors du conseil d'administration, M. [R] a contesté les faits qui lui ont été reprochés, indiquant que le principe du jeu n'était pas stabilisé et qu'il était illégal, que les concepteurs du jeu n'avaient pas fait leur travail correctement ni appliqué la stratégie décidée en affectant toutes les ressources à ce jeu.

Or, dans ses conclusions, la société Mutualize Corporation ne vise aucune pièce permettant d'établir la réalité des faits reprochés.

Au contraire, ainsi que le relève M. [R], il était légitime et prudent, s'agissant d'un jeu en ligne que le directeur général, s'interroge sur la légalité de celui-ci.

Par ailleurs, aucune pièce ne confirme l'existence des autres reproches adressés à M. [R] lors de sa convocation au conseil d'administration.

Il s'ensuit que les défaillances alléguées de M. [R] dans la conduite des projets, contestées par celui-ci, ne sont pas étayées par la société Mutualize Corporation, d'autant qu'aucune observation n'a été adressée à ce titre à M. [R] pendant l'exercice de son mandat.

La société Mutualize Corporation ne démontre donc pas la réalité de justes motifs de révocation et en conséquence le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M.[R] de ses demandes sur ce point.

M. [R] soutient que son indemnisation, en raison de l'absence de juste motif de sa révocation, doit s'apprécier en fonction de son niveau de rémunération et de son âge, il expose qu'il percevait un salaire annuel de 100.000 euros, qu'il est âgé de 58 ans et estime son préjudice à la somme de 200.000 euros.

Si le montant des dommages-intérêts alloués pour révocation sans juste motif doit correspondre au préjudice causé par celle-ci, cependant il n'a pas pour objet de compenser la rémunération qui aurait dû être versée au dirigeant évincé entre la date de sa révocation et le terme normal de ses fonctions.

En l'espèce, M.[R] était le fondateur de la société fondée en 2005 et s'est vu évincé très peu de temps après l'arrivée de M. [B] , puisque celui-ci est devenu actionnaire en juin 2014, président du conseil d'administration en août de la même année, puis a décidé, dès octobre 2014, de convoquer M. [R] à une réunion du conseil d'administration en vue de sa révocation.

Dès la désignation de M. [B] en qualité de président du conseil d'administration et de sa propre désignation en qualité de directeur général, afin de ne pas obérer les comptes de la société Mutualize Corporation, M. [R] avait accepté de ne plus recevoir temporairement de rémunération pour les 4 derniers mois de 2014, alors que, antérieurement, il percevait un salaire annuel brut de 100'000 €.

Compte tenu de ces éléments, il convient, infirmant le jugement, de condamner la société Mutualize Corporation à payer à M. [O] une somme de 50'000 € à titre de dommages-intérêts pour révocation sans juste motif.

S'agissant d'une condamnation à des dommages-intérêts il n'y a pas lieu de dire que cette condamnation sera nette de toutes charges sociales.

Sur la révocation abusive

Monsieur [R] soutient que sa révocation est abusive en ce qu'elle a été décidée brutalement dans des circonstances portant atteinte à sa réputation et à son honneur.

Il expose qu'elle est intervenue à peine 4 mois après l'arrivée de Monsieur [B] dans la société, sans avoir été précédée d'aucune alerte, qu'il n'a été informé de la situation que quelques jours avant le conseil d'administration le privant de la possibilité de préparer utilement sa défense, que les termes de la lettre s'apparentent à un licenciement pour faute d'une particulière brutalité.

Il ajoute qu'elle a été accompagnée d'un refus de lui verser sa rémunération et que la contrepassation de ses notes de frais, pourtant acceptées par l'expert comptable et vérifiées par le commissaire aux comptes s'apparente à une calomnie en laissant entendre qu'il se serait livré à un abus de biens sociaux.

Il souligne que le procès-verbal du conseil d'administration n'est pas probant, qu'il se contente d'affirmer qu'il aurait contesté les reproches qui lui étaient fait sans plus de précisions, qu'il lui serait reproché de n'avoir pas arrêté le magazine France Soir dont il souligne qu'il constitue à l'heure actuelle la seule activité qui progresse de la société.

La société Mutualize répond que sa révocation ne peut être considérée comme brutale, que plusieurs interpellations lui avaient été adressées préalablement à la lettre du 3 octobre 2014, qu'il a pu préparer sa défense pour répondre aux griefs exposés lors du conseil d'administration, qu'il était nécessairement conscient que son inaction et son opposition à la stratégie et aux mesures ne pouvait avoir d'autres conséquences.

Elle fait valoir que l'augmentation de capital a été décidée afin de maintenir l'agrément de l'établissement bancaire de paiement et non pour le priver de son investissement.

Elle précise que la contrepassation de ses notes de frais ne relève pas de l'assemblée générale et qu'en l'absence de justificatifs il est mal venu à en tirer grief.

La cour rappelle qu'il existe une obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation et que celle-ci doit donc se dérouler dans le respect du principe de la contradiction et des droits de la défense : ainsi le dirigeant doit avoir eu la possibilité de connaître les motifs de la révocation et de présenter ses observations, avant que la décision ne soit prise et, par ailleurs, les circonstances de la révocation ne doivent pas être abusives ou vexatoires, ni porter atteinte à l'honneur et à la réputation du dirigeant évincé.

En l'espèce, les griefs reprochés à M. [R] avaient été exposés dans la lettre du 3 octobre 2014, de sorte qu'il a disposé du temps nécessaire pour préparer sa défense et y répondre, ce qu'il n'a pas manqué de faire lors de la réunion du conseil d'administration, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de cette réunion. Par ailleurs, M. [R] ne démontre pas l'existence de circonstances entourant la révocation caractérisant un caractère abusif ou vexatoire, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal l'a débouté de sa demande et intérêts pour révocation abusive.

Sur le remboursement de son compte courant

Monsieur [R] expose que le grand livre de la société laisse apparaître un solde en sa faveur de 29.573,20 euros, que société Mutualize Corporation refuse de lui régler au motif que ce compte courant correspond à des notes de frais de M. [R] qu'elle conteste.

Celui-ci répond qu'il les avait fournies au fur et à mesure, qu'elles avaient été enregistrées en comptabilité et avaient été validées par l'approbation des comptes 2011 à 2014 qui étaient devenus définitifs.

Il précise qu'il a justifié de l'intérêt de ces notes de frais pour l'entreprise au fur et à mesure et qu'il n'a pas conservé les justificatifs qui sont conservés par les services comptables. Il souligne que ces frais ayant été acceptés en leur temps il appartient désormais à la société d'établir qu'ils ne seraient pas justifiés, qu'en outre aucune procédure pénale n'a été ouverte à son encontre et que l'Urssaf n'a procédé à aucun redressement.

La société Mutualize rétorque que l'extrait du grand livre produit n'est pas un état comptable définitif, qu'il n'a aucun caractère probant et qu'un audit a mis en lumière le remboursement de frais d'essence pour les déplacements de Monsieur [R] entre son domicile de Normandie et le siège de la société ainsi que des frais de restaurant ne correspondant pas à des repas d'affaires. Elle fait valoir qu'elle a procédé à un débit provisoire d'une partie de ses frais sous réserve de la fourniture de justificatifs qui n'ont pas été apportés. Elle ajoute que l'Urssaf avait déjà redressé la société sur de telles dépenses et que seule l'administration fiscale vérifie que les dépenses ont effectivement été réalisées dans l'intérêt de la société, ce qui a motivé la contrepassation des sommes afin d'éviter un éventuel redressement.

Elle expose que le comptable ne fait qu'enregistrer les factures sans contrôler que les dépenses ont été exposées dans l'intérêt de la société, que l'approbation des comptes par l'assemblée générale n'a pas pour conséquence de valider les dépenses et que faute de justificatifs apportés par Monsieur [R] aucun remboursement en peut avoir lieu.

Cependant, il appartient à la société Mutualize Corporation qui conteste le bien-fondé des notes de frais passées en comptabilité et régulièrement enregistrées de démontrer qu'elle n'était pas dues, d'autant que tous les justificatifs ont été remis entre ses mains et que M.[R] ne les détient plus.

En l'espèce, la société Mutualize Corporation ne rapporte pas la preuve de leur caractère contestable. En conséquence il convient, infirmant le jugement de condamner la société Mutualize Corporation à lui payer la somme de 29.573,20 euros en remboursement de son compte courant, outre intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014, date de la mise en demeure, et anatocisme,

Sur la rémunération d'août 2014

M. [R] expose qu'il avait renoncé à sa rémunération pour les 4 derniers mois de 2014, ce qui implique nécessairement que sa rémunération d'août était comprise dans le budget et lui était donc due, il ajoute qu'un bulletin de salaire pour ledit mois lui a été remis sans que les sommes ne lui soient versées, il précise que les conseils d'administration des 1, 4 et 5 août 2014 indiquent qu'il aura droit à sa rémunération à compter du mois d'août et qu'il n'était pas prévue qu'elle soit «'fixée'» ultérieurement mais qu'une «'décision'» devait intervenir ultérieurement. Il réclame la somme de 8.333,33 euros.

La société Mutualize rétorque que la rémunération alléguée correspondait au mandat de président de la société, que Monsieur [R] a présenté sa démission en cette qualité le 5 août 2014, que le l'édition du bulletin de salaire est la conséquence d'une erreur de la comptabilité qui a été relevé par Monsieur [R] lui-même qui en a demandé l'annulation. Elle ajoute que lors du conseil d'administration du 31 août 2014 il a été décidé à l'unanimité (vote incluant Monsieur [R]) que la fonction de directeur général qu'il remplissait ne serait pas rémunérée jusqu'au 31 décembre 2014 et qu'une proposition serait émise en janvier 2015.

Il convient de relever que lors de la réunion du conseil d'administration du 5 août 2014, M. [R] a démissionné de ses fonds de président et a accepté de devenir directeur général de la société Mutualize Corporation et il a été précisé que sa rémunération, à compter du mois d'août 2014 serait fixée ultérieurement. Le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration précise : « la rémunération du directeur général à compter du mois d'août 2014 fera l'objet d'une décision ultérieure du conseil d'administration. Le directeur général déclare qu'il acceptera dans des conditions critères restant à définir une réduction significative de sa rémunération, pour participer à la réduction des coûts voulus par les investisseurs. Il souhaite cependant que cette diminution conserve un caractère raisonnable. Le président salue cette décision, qui est de nature à faciliter l'entrée au capital de nouveaux investisseurs. »

Par la suite, lors du conseil d'administration des 26,30 et 31 août 2014, M. [R] a indiqué renoncer à sa rémunération pour le dernier quadrimestre, c'est-à-dire pour les mois de septembre octobre et décembre 2014.

Il en résulte que M.[R] n'a à aucun moment renoncé à une rémunération pour le mois d'août 2014, qu'il a exercé des fonctions de président du conseil d'administration jusqu'au 5 août 2014 et que pour la période du 6 au 31 août 2014, il était convenu une baisse significative, mais raisonnable de sa rémunération.

Il convient de relever que précédemment la rémunération mensuelle de M. [O] était un montant de 8333,33 euros, et qu'ainsi une baisse significative, mais raisonnable de sa rémunération permet d'évaluer celle-ci pour le mois d'août 2014 à la somme de 5000 €, nette de charges sociales.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur ce point et la société Mutualize Corporation sera condamnée à lui payer au titre de sa rémunération du mois d'août 2014 une somme de 5000 €, de toutes charges sociales, avec intérêt au taux légal à compter du 29 juillet 2016, date de l'acte introductif d'instance et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1231-6 du code civil.

Sur les dépens et frais hors dépens

La société Mutualize Corporation sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 10'000 € pour frais hors dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DÉBOUTE la société Mutualize Corporation de sa demande de rejet des pièces et conclusions communiquées le 21 novembre 2019,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de dommages-intérêts pour révocation abusive,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

DIT que M. [R] a été révoqué sans juste motif et condamne la société Mutualize Corporation à lui payer à ce titre une somme de 50'000 € à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE la société Mutualize Corporation à payer à M. [R] une somme de 29.573,20 € en remboursement de son compte courant, outre intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014, date de la mise en demeure, et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1231-6 du code civil,

CONDAMNE la société Mutualize Corporation à payer à M. [R] une somme de 5000 €, nette de toutes charges sociales, au titre de sa rémunération d'août 2014, avec intérêt au taux légal à compter du 29 juillet 2016, date de l'acte introductif d'instance et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1231-6 du code civil,

CONDAMNE la société Mutualize Corporation aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [R] une somme de 10'000 € pour frais hors dépens.

La Greffière La Présidente

Hanane AKARKACH Michèle PICARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/18761
Date de la décision : 18/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I9, arrêt n°18/18761 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-18;18.18761 ?
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