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17/06/2020 | FRANCE | N°17/23041

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 17 juin 2020, 17/23041


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 17 JUIN 2020



(n° , 54 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/23041 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VIF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2017 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2009016849





APPELANTES



- SA ORANGE

Ayant son siège social : [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 380

129 866 (PARIS)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au bar...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 17 JUIN 2020

(n° , 54 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/23041 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VIF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2017 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2009016849

APPELANTES

- SA ORANGE

Ayant son siège social : [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 380 129 866 (PARIS)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant : Me Anne JUSSIAUX de la SCP BREDIN-PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

- SA ORANGE CARAÏBE

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 379 984 891 (CRETEIL)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Yéléna TRIFOUNOVITCH et et Me Hugues CALVET de la SAS BREDIN PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque : T12

INTIMÉE

SA DIGICEL ANTILLES FRANCAISES GUYANE, dont le sigle est DIGICEL

Ayant son siège social : [Adresse 3]

[Adresse 3]

N° SIRET : 431 416 288 (FORT DE FRANCE)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Ayant pour avocat plaidant : Me Juliette BOUET et Me Louis VOGEL de la SELAS VOGEL & VOGEL, avocats au barreau de PARIS, toque : P0151

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre

Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Monsieur Dominique GILLES, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame [E] [V] dans les conditions prévues par l'article 804 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Orange (anciennement dénommée « France Telecom ») est spécialisée dans le secteur d'activité des télécommunications filaires et sans fil. Elle commercialise dans les départements de Guadeloupe, Martinique et Guyane (ci-après la zone Antilles-Guyane) des services de téléphonie fixe et d'accès à internet haut débit.

La société Orange Caraïbe (anciennement dénommée "France Caraïbes Mobiles") est une filiale de la société Orange. Elle est un opérateur de télécommunications mobiles offrant ses services en Martinique et en Guadeloupe depuis 1996 et en Guyane depuis 1998. Elle a été en monopole de fait pour les services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane jusqu'au mois de décembre 2000, date d'arrivée sur ce marché de la société Bouygues Telecom Caraïbe (ci-après BTC).

La société Digicel Antilles Française Guyane (ci-après dénommée « Digicel ») a racheté en 2006 la société BTC. Elle est spécialisée dans le secteur d'activité des télécommunications sans fil.

Le 9 juillet 2004, BTC a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte avec demande de mesures conservatoires aux fins de voir constater et condamner des pratiques anticoncurrentielles mises en 'uvre par les sociétés Orange et Orange Caraïbe sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.

Par une décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004, le Conseil de la concurrence statuant sur la demande de mesures conservatoires, a estimé que certaines pratiques dénoncées étaient susceptibles d'être constitutives d'entente ou d'abus de position dominante et a prononcé à titre conservatoire, dans l'attente de la décision au fond, quatre injonctions répondant aux mesures conservatoires sollicitées. Cette décision a été confirmée pour l'essentiel par la cour d'appel de Paris suivant arrêt du 28 janvier 2005, devenu définitif.

A la suite de cette décision, la société Orange Caraïbe a modifié son programme "Changez de mobile" à compter du 14 avril 2015.

Par acte du 10 mars 2009, la société Digicel a assigné devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés France Telecom devenue Orange et Orange Caraïbe en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des pratiques identifiées ayant selon elle anormalement bloqué son développement sur le marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane.

Le tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer dans l'attente de la décision de l'Autorité de la concurrence ADLC).

Par une décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009, l'ADLC a :

article 1

dit établi que les sociétés Orange Caraibe et France Telecom , qui forment ensemble une seule et même entreprise, ont enfreint les dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 du code de commerce ainsi que celles des articles 81 et 82 du Traité CE, devenus 101 et 102 TFUE au titre des pratiques qui faisent l'objet des griefs n° 1.1, 2, 4 (en sa 1ère branche) et 5 ;

article 2

dit établi que la société France Telecom a enfreint les dispositions des articles L.420-2 du code de commerce et 82 du Traité CE, devenu 102 TFUE au titre des pratiques visées par les griefs n°7 et 8 ;

article 3

infligé les sanctions pécuniaires suivantes:

- aux sociétés Orange Caraïbe et France Télécom, conjointement et solidairement, une sanction de de 52,5 millions d'euros,

- à la société France Télécom une sanction de 10,5 millions d'euros ;

article 4

ordonné des mesures de publication.

Les pratiques sanctionnées à l'encontre d'Orange Caraïbe sont les suivantes :

- avoir imposé entre décembre 2000 et le 24 janvier 2005, des clauses d'exclusivité dans les accords de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants de la zone Antilles-Guyane (grief n°1-1),

- avoir appliqué, entre le 1er avril 2003 et 24 janvier 2005, une clause d'exclusivité insérée dans le contrat conclu avec la société Cetelec, unique réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes (grief n°2),

- avoir mis en place, à partir d'avril 2002 jusqu'à avril 2005, un programme de fidélisation de ses abonnés dénommé "Changez de Mobile", en vertu duquel les clients d'Orange Caraïbe ne pouvaient utiliser leurs points de fidélité que pour l'acquisition d'un nouveau terminal en se réengageant pour 24 mois (grief n°4 première branche),

- avoir pratiqué, entre l'année 2003 et le 14 avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » (vers son réseau) et les appels « off net » (vers un réseau concurrent) (grief n°5).

L'Autorité a également jugé que France Telecom avait commis un abus de position dominante en ce qu'elle avait :

- favorisé sa filiale Orange Caraïbe par rapport aux concurrents de cette dernière en (i) commercialisant de décembre 2000 au 21 mai 2002 l'offre Avantage Améris consistant à appliquer à de nombreux clients professionnels une réduction sur les appels depuis un poste fixe vers le réseau mobile d'Orange Caraïbe exclusivement, puis (ii) en maintenant cette offre jusqu'en décembre 2005 pour les clients qui l'avaient déjà souscrite (grief n°7),

- mis en place des pratiques de ciseau tarifaire (grief n°8).

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 septembre 2010, statuant sur l'appel de la décision de l'ADLC, a été cassé et annulé par arrêt du 31 janvier 2012 de la Cour de cassation sur le pourvoi formé par les sociétés Orange Caraïbe et France Telecom.

Par jugement du 11 mai 2012, le tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel statuant sur le renvoi de cassation.

Par arrêt du 4 juillet 2013, la cour d'appel de Paris, statuant sur renvoi de cassation, a notamment dit la société France Télécom responsable aux côtés de sa filiale Orange Caraïbe des pratiques commises par cette dernière, rejeté les recours sauf en ce qui concerne le grief n°8 et la sanction prononcée à l'encontre de la société France Télécom, annulé la décision de l'ADLC en ce qu'elle a dit établi le grief n°8 et, réformant cette décision sur la sanction prononcée à l'encontre de la société France Télécom, dit que la sanction pécunaire infligée à la société France Télécom s'élève à 7,5 millions euros.

Par arrêt du 6 janvier 2015, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

Par jugement du 18 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SA Orange Caraïbe et la SA Orange (anciennement France Télécom) de leurs demandes d'écarter des débats les pièces n°35,36,57,58 et 61 produites par la SA Digicel Antilles Françaises Guyane ;

- condamné in solidum la SA Orange Caraïbe et la SA Orange (anciennement France Telecom) à verser à la SA Digicel Antilles Françaises Guyane la somme de 179,64 millions d'euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant actualisée au taux de 10,4% à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, et ce jusqu'au complet paiement ;

- condamné in solidum la SA Orange Caraïbe et la SA Orange (anciennement France Telecom) à payer à la SA Digicel Antilles Françaises Guyane la somme de 150.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel sans garantie ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné in solidum la SA Orange Caraïbe et la SA Orange (anciennement France Telecom) aux dépens.

Par déclaration du 21 décembre 2017, les sociétés Orange et Orange Caraïbe ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 6 février 2018, le délégué du Premier président de cette cour a autorisé les sociétés Orange et Orange Caraïbe à consigner l'intégralité du montant des condamnations prononcées à leur encontre au profit de la société Digicel dans un délai de 15 jours entre les mains de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Le 16 février 2018, les sociétés Orange et Orange Caraïbe ont consigné la somme totale de 346 858 376,67 euros, correspondant au montant du principal de 179,64 millons d'euros, augmenté des intérêts au taux de 10,4% du 10 mars 2009, date de l'assignation, au 16 février 2018, date de la consignation, et à la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile augmentée des intérêts au taux d'intérêt légal de la date du jugement au 16 février 2018.

Estimant que le tribunal avait prononcé une condamnation avec capitalisation des intérêts de sorte que le montant de la consignation aurait dû s'élever à la somme de 434 100 000 euros, la société Digicel a saisi la Cour d'une requête en interprétation du jugement du 18 décembre 2017 rendu par le tribunal de commerce de Paris.

Par arrêt du 10 octobre 2018, la Cour a dit qu'il y a lieu d'interpréter le jugement comme suit :

"Condamne in solidum les sociétés Orange et Orange Caraïbe (anciennement France Télémcom) à verser à la société Digicel Antilles Françaises Guyane la somme de 179,64 millions d'euros en réparation de ses préjudices, cette somme portant intérêts au taux de 10,4% à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation jusqu'à complet paiement".

Vu les dernières conclusions de la société Orange Caraïbe, déposées et notifiées le 30 avril 2019 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

I. Sur les fins de non-recevoir

Sur la prescription

- dire et juger que les prétentions suivantes dont Digicel a saisi le tribunal de commerce de Paris le 6 juin 2014 se heurtaient, lorsqu'elles ont été formulées, à l'acquisition de la prescription :

« Condamner solidairement le sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 355,81 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou subsidiairement, au paiement de la somme de 37,19 millions d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal »

« Condamner solidairement les sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 15,22 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou, subsidiairement, paiement de la somme de 1,53 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal »

« Condamner solidairement les sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 2,13 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou , subsidiairement, au paiement de la somme de 0,22 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal ».

En conséquence,

- dire que toute prétention spécifique fondée sur une «indisponibilité des sommes» à l'origine d'un «préjudice financier» bien distinct est irrecevable et, partant, réformer le jugement sur ce point et, statuant à nouveau, rejeter toute prétention à cet égard, qu'elle ait été formulée en première instance ou à hauteur d'appel.

Sur les demandes formulées à hauteur d'appel

- dire et juger que les prétentions suivantes dont Digicel a saisi la Cour de céans le 18 décembre 2018 se heurtent à la prohibition des prétentions nouvelles à hauteur d'appel :

« b) Subsidiairement, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3 % de 2001 à 2005 et de 9 % à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros) et de distribution (16 676 716 millions d'euros) »

- dire que les demandes de capitalisation des intérêts (ou application d'intérêts composés) formulées par Digicel dans ses conclusions du 18 décembre 2018 se heurtent à la prohibition des prétentions nouvelles à hauteur d'appel ;

En conséquence,

- dire que ces prétentions sont irrecevables et les rejeter .

Sur les demandes formulées dans les conclusions de Digicel du 18 décembre 2018

- dire que les demandes suivantes formulées pour la première fois par Digicel le 18 décembre 2018 l'ont été en méconnaissance du principe de concentration des demandes énoncé à l'article 910-4 du code de procédure civile et après l'expiration du délai visé à l'article 909 du même code pour interjeter appel incident, à savoir :

1- la demande de capitalisation des intérêts compensatoires (ou application d'intérêts compensatoires composés) au titre du « préjudice financier » allégué (quel que soit le taux réclamé) ;

2 - l'allocation, à titre subsidiaire, de sommes au titre d'un « préjudice financier » lié à des prêts bancaires contractés par BTC et à l'impossibilité de contracter des prêts à intérêts au bénéfice d'autres sociétés du groupe Digicel ;

3 - la fixation du point de départ du cours des intérêts compensatoires au « début des pratiques » ou « du préjudice », c'est-à-Dire au mois de janvier 2001;

4 - l'application d'intérêts compensatoires jusqu'au « 31 décembre 2018 », alors que Digicel ne critiquait dans ses premières conclusions que la date du point de départ desdits intérêts.

Et récapitulées ci-après :

« Sur la réparation du préjudice financier :

a) à titre principal, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 520 538 327 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un intérêt capitalisé, du taux WACC annuel publié par l'Arcep, aux sommes dont Digicel a été privée depuis le début des pratiques et jusqu'au 31 décembre 2018 du fait de son préjudice de développement (gain manqué);et (ii) la somme de 29,56 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de distribution (25 893 122 millions d'euros) et de réparation (3 660 134 millions d'euros) ;

b) Subsidiairement, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3 % de 2001 à 2005 et de 9 % à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros) et de distribution (16 676 716 millions d'euros) ;

c) A titre infiniment subsidiaire, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 50 088 062 millions d'euros, correspondant à l'application du taux légal capitalisé augmenté de 0,5 point au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué), depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 2,76 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (0,35 millions) et de distribution (2 404 138 millions d'euros) ».

En conséquence,

- dire et juger que ces prétentions ainsi que le rapport du cabinet Sorgem du 17 décembre 2018 sont irrecevables et les rejeter ;

II. Sur l'irrecevabilité de l'appel incident

- dire l'appel incident de Digicel concernant les pratiques retenues du chef du préjudice global de prétendu retard de développement irrecevable

III. Sur le fond

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 18 décembre 2017, en ce qu'il a :

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel la somme de 179,64 millions d'euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant actualisée au taux de 10,4% à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, et ce jusqu'à complet paiement ;

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange à payer à Digicel la somme de 150 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans garantie ;

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 143,14 euros dont 23,64 euros de TV A.

Et statuant à nouveau :

A titre principal

- dire et juger que le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, a excédé les limites de sa compétence matérielle en considérant qu'Orange Caraïbe n'avait pas respecté une injonction prononcée par le Conseil de la concurrence ;

- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, a méconnu l'article 1240 du Code civil en ce qu'il a jugé qu'Orange Caraïbe a commis une faute à l'égard de Digicel au titre du programme « Changez de mobile » dans sa version antérieure à avril 2005 ;

- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, a méconnu les articles 1240 du Code civil, L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE en ayant jugé qu'Orange Caraïbe a commis une faute à l'égard de Digicel au titre du programme « Changez de Mobile » postérieur à avril 2005 ;

- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, a méconnu l'article 700 du Code de procédure civile en ce qu'il a débouté Orange Caraïbe de sa demande de condamner Digicel à régler à Orange Caraïbe la somme de 150 000 euros en application dudit article ;

En conséquence,

- dire et juger qu'il n'est pas établi que Digicel a été victime d'une faute ni n'a subi le moindre préjudice du fait du programme « Changez de mobile » antérieur à avril 2005 ;

- dire et juger qu'il n'est pas établi que le programme « Changez de mobile » postérieur à avril 2005 est contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE ;

- débouter Digicel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire

- dire et juger qu'en retenant une estimation du préjudice de 179,64 millions d'euros, le tribunal de commerce de Paris a statué ultra petita dans son jugement du 18 décembre 2017 ;

- dire et juger que la valorisation du préjudice retenue par le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, est dépourvue de toute motivation et est en tout état de cause infondée ;

En conséquence,

- dire et juger qu'il n'est pas établi que Digicel a subi un quelconque préjudice ; - Débouter Digicel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre infiniment subsidiaire,

- si, par extraordinaire, elle considérait que Digicel aurait subi un quelconque préjudice, Dire et juger que son estimation à la somme de 179,6 millions d'euros serait largement excessive et disproportionnée ;

- dire et juger que le taux d'actualisation de 10,4% appliqué par le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 décembre 2017, à la somme de 179,64 millions d'euros allouée en réparation du préjudice principal, à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, et ce jusqu'au complet paiement, est erroné et dépourvu de tout fondement.

En conséquence ,

- dire et juger que le prétendu préjudice subi par Digicel serait en toute hypothèse extrêmement limité ;

- dire et juger que le prétendu préjudice subi par Digicel devrait porter intérêts au taux d'intérêt légal à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, jusqu'à la date du jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 décembre 2017 ;

En tout état de cause,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 décembre 2017, en ce qu'il a débouté Digicel de ses demandes tendant à :

* constater que les exclusivités imposées par Orange Caraïbe aux distributeurs ont de plus engendré des surcoûts pour Bouygues Telecom Caraïbe/Digicel ;

* condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 7,12 millions d'euros en réparation de ce préjudice ;

* condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 15,22 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou, subsidiairement, au paiement de la somme de 1,53 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal ;

* constater que l'exclusivité conclue par Orange Caraïbe avec le réparateur Cétélec a engendré des surcoûts pour Bouygues Telecom Caraïbe/Digicel ;

* condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 1,06 million d'euros en réparation de ce préjudice ;

* condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 2,12 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou, subsidiairement, au paiement de la somme de 0,21 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal.

- débouter Digicel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- condamner Digicel à régler à Orange Caraïbe la somme de 300 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Digicel aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions de la société Orange, déposées et notifiées le 30 avril 2019 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

I. Sur les fins de non-recevoir

Sur la prescription,

- dire et juger que les prétentions suivantes dont Digicel a saisi le tribunal de commerce de Paris le 6 juin 2014 se heurtaient, lorsqu'elles ont été formulées, à l'acquisition de la prescription :

« Condamner solidairement le sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 355,81 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou subsidiairement, au paiement de la somme de 37,19 millions d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal »

« Condamner solidairement les sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 15,22 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou, subsidiairement, paiement de la somme de 1,53 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal »

« Condamner solidairement les sociétés Orange Caraïbe et Orange au paiement de la somme de 2,13 millions d'euros au titre du préjudice financier lié à l'indisponibilité de ces sommes, calculé sur la base du coût moyen pondéré du capital fixé par l'ARCEP, ou , subsidiairement, au paiement de la somme de 0,22 million d'euros correspondant au préjudice financier calculé sur la base du taux d'intérêt légal ».

En conséquence,

- dire que toute prétention spécifique fondée sur une «indisponibilité des sommes» à l'origine d'un «préjudice financier» bien distinct est irrecevable et, partant, réformer le jugement sur ce point et, statuant à nouveau, rejeter toute prétention à cet égard, qu'elle ait été formulée en première instance ou à hauteur d'appel.

Sur les demandes formulées à hauteur d'appel

- dire et juger que les prétentions suivantes dont Digicel a saisi la Cour de céans le 18 décembre 2018 se heurtent à la prohibition des prétentions nouvelles à hauteur d'appel :

« b) Subsidiairement, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3 % de 2001 à 2005 et de 9 % à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros) et de distribution (16 676 716 millions d'euros) ».

- dire que les demandes de capitalisation des intérêts (ou application d'intérêts composés) formulées par Digicel dans ses conclusions du 18 décembre 2018 se heurtent à la prohibition des prétentions nouvelles à hauteur d'appel ;

En conséquence,

- dire que ces prétentions sont irrecevables et les rejeter .

Sur les demandes formulées dans les conclusions de Digicel du 18 décembre 2018

- dire que les demandes suivantes formulées pour la première fois par Digicel le 18 décembre 2018 l'ont été en méconnaissance du principe de concentration des demandes énoncé à l'article 910-4 du code de procédure civile et après l'expiration du délai visé à l'article 909 du même code pour interjeter appel incident, à savoir :

1- la demande de capitalisation des intérêts compensatoires (ou application d'intérêts compensatoires composés) au titre du « préjudice financier » allégué (quel que soit le taux réclamé) ;

2 - l'allocation, à titre subsidiaire, de sommes au titre d'un « préjudice financier » lié à des prêts bancaires contractés par BTC et à l'impossibilité de contracter des prêts à intérêts au bénéfice d'autres sociétés du groupe Digicel ;

3 - la fixation du point de départ du cours des intérêts compensatoires au « début des pratiques » ou « du préjudice », c'est-à-Dire au mois de janvier 2001;

4 - l'application d'intérêts compensatoires jusqu'au « 31 décembre 2018 », alors que Digicel ne critiquait dans ses premières conclusions que la date du point de départ desdits intérêts.

Et récapitulées ci-après :

« Sur la réparation du préjudice financier :

a) à titre principal, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 520 538 327 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un intérêt capitalisé, du taux WACC annuel publié par l'Arcep, aux sommes dont Digicel a été privée depuis le début des pratiques et jusqu'au 31 décembre 2018 du fait de son préjudice de développement (gain manqué) ; et (ii) la somme de 29,56 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de distribution (25 893 122 millions d'euros) et de réparation (3 660 134 millions d'euros) ;

b) Subsidiairement, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3 % de 2001 à 2005 et de 9 % à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros) et de distribution (16 676 716 millions d'euros) ;

c) A titre infiniment subsidiaire, condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 50 088 062 millions d'euros, correspondant à l'application du taux légal capitalisé augmenté de 0,5 point au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué), depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 2,76 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (0,35 millions) et de distribution (2 404 138 millions d'euros) ».

En conséquence,

- dire et juger que ces prétentions ainsi que le rapport du cabinet Sorgem du 17 décembre 2018 sont irrecevables et les rejeter ;

II. Sur le fond

A titre principal:

- dire et juger que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 décembre 2017 méconnaît l'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile;

En conséquence,

- annuler ce jugement sur le fondement de l'article 458 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 18 décembre 2017, en ce qu'il a :

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel la somme de 179,64 millions d'euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant actualisée au taux de 10,4% à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, et ce jusqu'à complet paiement ;

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange à payer à Digicel la somme de 150 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans garantie ;

* condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 143,14 euros dont 23,64 euros de TV A.

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- dire et juger qu'en maintenant l'"Avantage Améris", Orange n'a pas commis de faute à l'égard de Digicel engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger qu'il n'est pas établi que Digicel a été victime d'une faute ni n'a subi le moindre préjudice du fait de l'"Avantage Améris" ;

En conséquence,

- débouter Digicel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que le prétendu préjudice subi par Digicel devra porter intérêts au taux d'intérêt légal, sans capitalisation à compter du 10 mars 2019, date de l'assignation jusqu'à la date du jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 décembre 2017 :

En conséquence,

- réformer le jugement du jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 décembre 2017 sur ces points ;

En tout état de cause:

- condamner Digicel à régler à Orange la somme de 300 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Digicel aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions de la société Digicel Antilles Française Guyane, déposées et notifiées le 31 mai 2019 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil

I - Sur les recours d'Orange et Orange Caraïbe

- déclarer Orange Caraïbe et Orange mal fondées en leurs appels, et les en débouter purement et simplement ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la responsabilité d'Orange Caraïbe était engagée du fait des pratiques de fidélisation, et de différenciation tarifaire ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la responsabilité d'Orange était engagée du fait de la pratique de discrimination résultant de l'« Avantage Ameris» ;

- juger que l'abus de position dominante commis par Orange Caraïbe en imposant une clause d'exclusivité à ses distributeurs indépendants et l'entente anticoncurrentielle conclue avec le réparateur Cétélec constituent également des fautes au sens de l'article 1240 du nouveau Code civil.

- juger que l'ensemble des pratiques fautives commises par Orange Caraïbe et Orange )exclusivités de distribution et réparation, différenciation tarifaire, fidélisation abusive, avantage Améris( ont concouru au préjudice de gain manqué à Digicel, en empêchant son développement normal sur le marché de la téléphonie mobile.

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés Orange Caraïbe et Orange à indemniser le préjudice de gain manqué subi par Digicel, à hauteur de 173,64 millions d'euros en principal )correspondant à la demande de Digicel en première instance, et non de 179,64 millions d'euros,

A titre subsidiaire,

- condamner Orange Caraïbe au paiement à Digicel de cette somme de 173,64 millions d'euros ; et condamner Orange à indemniser Digicel à hauteur de 4,5 % de ce montant,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que ce préjudice de gain manqué avait généré un préjudice financier qu'il convient de réparer sur la base du taux moyen de rentabilité du capital publié par l'ARCEP )taux WACC(,

- confirmer le jugement du chef du prononcé de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

II - Sur l'appel incident de Digicel

- rejeter les fins de non-recevoir soulevées par Orange et Orange Caraïbe et juger que les demandes de la société Digicel sont recevables.

- réformer le jugement en ce qu'il ordonné la réparation de ce préjudice sur la base d'un taux d'intérêt à 10,4%, à compter de la date de l'assignation alors que le préjudice devant être réparé a débuté antérieurement à l'assignation, et sans préciser que ce calcul doit être fait sur la base d'une capitalisation des intérêts,

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté Digicel de ses demandes portant sur les surcoûts liés aux exclusivités imposées par Orange Caraïbe à ses distributeurs et aux exclusivités de réparation.

Statuant à nouveau sur ces deux chefs de demande,

Sur les clauses d'exclusivité imposées aux distributeurs et sur l'entente avec le réparateur Cétélec :

- constater que les exclusivités imposées par Orange Caraïbe aux distributeurs ont en outre engendré des surcoûts pour Digicel,

- condamner la société Orange Caraïbe au paiement à Digicel de la somme de 7,12 millions d'euros en réparation de ce préjudice,

- constater que l'exclusivité conclue par Orange Caraïbe avec le réparateur CETELEC a engendré des surcoûts pour Digicel,

- condamner la société Orange Caraïbe au paiement à Digicel de la somme de 1,06 millions d'euros en réparation de ce préjudice,

Sur la réparation du préjudice financier :

a) à titre principal,

- condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 520 538 327 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un intérêt capitalisé, du taux WACC annuel publié par l'Arcep, aux sommes dont Digicel a été privée depuis le début des pratiques et jusqu'au 31 décembre 2018 du fait de son préjudice de développement (gain manqué); et (ii) la somme de 29,56 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de distribution (25 893 122 millions d'euros) et de réparation (3 660 134 millions d'euros) ;

b) subsidiairement,

- condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3% de 2001 à 2005 et de 9% à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros)et de distribution(16 676 716 millions d'euros) ;

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 50 088 062 millions d'euros, correspondant à l'application du taux légal capitalisé augmenté de 0,5 point au préjudice principal de développement subi par Digicel )gain manqué(, depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 2,76 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation )0,35 millions( et de distribution (2 404 138 millions d'euros).

III ' En tout état de cause

- débouter Orange et Orange Caraïbe de toutes leurs demandes,

- faire droit aux demandes de Digicel telles que formulées aux présentes,

- condamner les sociétés Orange et Orange Caraïbe à la somme de 300 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, avec distraction au profit de la SCP Jeanne Baechlin conformément à l'article 699 code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

I/ Sur la demande d'annulation du jugement présentée par Orange et les fins de non-recevoir opposées par les appelantes

Sur la demande d'annulation du jugement

Orange soutient que le jugement entrepris qui méconnaît l'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile, doit être annulé pour défaut de motivation sur le fondement de l'article 458 du code de procédure civile.

Elle reproche au jugement sa motivation estimée insuffisante, erronée, voire défaillante concernant notamment le caractère fautif de l'option tarifaire "Avantage Améris", le préjudice et le lien de causalité.

Digicel rétorque que si le jugement comporte certaines erreurs qui doivent être rectifiées par la Cour, il n'est pas dépourvu de motivation.

***

Force est de constater que le jugement entrepris comporte une motivation, notamment concernant l'offre "Avantage Améris", la circonstance qu'il le soit par des motifs qui seraient erronés ou sommaires, n'en constituent pas moins une motivation.

Ainsi le fait que le tribunal ait repris l'analyse de la décision de l'Autorité de la concurrence du 9 décembre 2009 et l'arrêt confirmatif sur ce point du 4 juillet 2013, avant de dire que cette pratique a porté atteinte au développement de Digicel, ne constitue pas en tant que telle une absence de motivation.

En outre, la circonstance qu'une confusion soit faite à plusieurs reprises entre Digicel et la société Outremer Télécom dont la situation a donné lieu à un arrêt de cette cour du 10 mai 2017 n'est pas de nature à justifier l'annulation de la décision entreprise.

Sur la prescription

Orange et Orange Caraïbes opposent la prescription de la demande formée par Digicel devant le tribunal de commerce relativement à l'indisponibilité des sommes.

Elles soutiennent qu'il s'agit d'une demande distincte et autonome formulée par Digicel à titre de réparation alors que la prescription était déjà acquise à son égard.

Elles font valoir sur le fondement de l'article 2241 du code civil que, par assignation du 10 mars 2009, Digicel demandait leur condamnation solidaire "au paiement de la somme de 329 millions d'euros, sauf à parfaire, dès que la décision de l'Autorité de la concurrence aura été rendue", que le préjudice demandé consistait en une perte de marge et des surcoûts augmentés des intérêts destinés à compenser l'érosion monétaire jusqu'au 31 décembre 2008, sans à aucun moment viser des investissements manqués de nature à justifier l'allocation de dommages-intérêts au titre d'un "préjudice financier" résultant de l'indisponibilité des 329 millions d'euros et que ce n'est que lors de ses conclusions de reprise d'instance du 6 juin 2014, à la suite du sursis à statuer ordonné par jugement du 11 mai 2012 du tribunal de commerce, que Digicel a formé pour la première fois une demande au titre de l'indisponibilité des sommes qu'elle n'aurait pu investir, source d'un préjudice financier.

Elles soutiennent qu'il s'agit d'un préjudice tenant à l'indisponibilité du capital distinct du préjudice résultant de l'érosion du capital, qui n'a pu bénéficier de l'effet interruptif de la prescription. Elles ajoutent que le point de départ du délai de prescription correspond, en vertu de l'article 2224 du code civil à la date de la saisine du Conseil de la concurrence par Digicel, le 9 juillet 2004, de sorte que cette demande spécifique formulée pour la première fois le 6 juin 2014 se trouve prescrite.

Digicel rétorque avoir sollicité réparation de son préjudice financier dès son assignation puisqu'elle a demandé une actualisation de son préjudice au taux de rentabilité de référence de l'ARCEP (WACC) sans limiter celui-ci à l'érosion monétaire.

***

Même à admettre ainsi que le soutiennent Orange et Orange Caraïbe que la demande au titre du préjudice financier a été formulée pour la première fois le 6 juin 2014, force est de constater que le point de départ de la prescription fondée sur l'article 2224 du code civil modifiée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, ne peut être le 9 juillet 2004, date de la saisine du Conseil de la concurrence, mais le 9 décembre 2009, date de la décision au fond de l'Autorité de la concurrence, ainsi que le soutient Digicel.

En effet, selon l'article précité, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, c'est au jour où l'Autorité de la concurrence s'est prononcée sur le bien-fondé des griefs, l'imputabilité des pratiques en cause, leur durée et les condamnations que la victime a été en mesure d'agir en connaissance de cause, peu important que celle-ci ait elle-même saisie le Conseil de la concurrence.

Il s'ensuit que la demande de réparation relative à l'indisponibilité des sommes formée le 6 juin 2014 n'est pas prescrite.

Sur l'irrecevabilité de l'appel incident formé par Digicel

Orange Caraïbe soutient que l'appel incident formé par Digicel serait irrecevable faute d'intérêt à agir sur le fondement de l'article 546 du code de procédure civile, dans la mesure où l'intégralité des prétentions de cette dernière s'agissant du préjudice global de retard de développement invoqué, aurait été satisfaite.

Mais le tribunal a rejeté les demandes de Digicel de réparation des surcoûts engendrés par les pratiques d'exclusivité dont celle-ci soutient avoir été victime, pour lesquelles elle formulait aux termes de ses conclusions récapitulatives du 27 mars 2015 devant le tribunal une demande en paiement d'une somme de 7,12 millions d'euros au titre des exclusivités imposées aux distributeurs par Orange Caraïbe et d'une somme de 1,06 millions au titre de l'exclusivité conclue par Orange Caraïbe avec le réparateur Cételec, outre une demande au titre de préjudice financier lié à l'indisponibilité de chacune de ces sommes.

Digicel justifie dès lors de son intérêt à agir et doit être déclarée recevable en son appel incident.

Sur l'irrecevabilité de prétentions formulées à hauteur d'appel par Digicel

Les appelantes soutiennent en premier lieu que les demandes de capitalisation des intérêts produits par les sommes sollicitées à titre de dommages-intérêts formulées pour la première fois devant la cour d'appel par Digicel aux termes de ses conclusions récapitulatives du 18 décembre 2018 sont irrecevables comme nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Digicel rétorque ne pas avoir formulé de demande au stade de l'appel au titre de l'anatocisme sur le fondement de l'article 1154 ancien du code civil.

***

Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.

L'article 566 du même code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Et, selon l'article 567, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, Digicel demande :

"b) Subsidiairement, Condamner solidairement Orange Caraïbe et Orange à verser à Digicel en réparation de son préjudice financier (i) la somme de 360 283 944 millions d'euros, correspondant à l'application, sur la base d'un taux d'intérêt capitalisé de 5,3 % de 2001 à 2005 et de 9 % à compter de 2006, qui sont les taux que BTC aurait pu économiser et auquel Digicel aurait pu prêter les sommes en cause, au préjudice principal de développement subi par Digicel (gain manqué) depuis le début du préjudice jusqu'au 31 décembre 2018 ; et (ii) la somme de 19,12 millions d'euros correspondant à l'application du même taux aux surcoûts liés à l'exclusivité de réparation (2 434 885 millions d'euros) et de distribution (16 676 716 millions d'euros)"

Digicel sollicite ainsi la réparation d'un préjudice financier évalué selon une formule mathématique qui intègre les intérêts d'une année dans l'assiette de calcul l'année suivante :

Valeur actualisée = (1+10,4) nombre d'années x Valeur initiale).

Elle ne formule donc pas en cause d'appel une demande d'anatocisme en application de l'article 1154 ancien du code civil mais une demande tendant à voir calculer son préjudice financier accessoire au gain manqué selon un point de départ et un taux WACC différents que ceux retenus par le tribunal, par application d'une actualisation au taux WACC nécessitant la capitalisation des intérêts. Cette demande qui ne peut constituer en tout état de cause qu'un complément à la demande initiale de réparation de son préjudice financier, n'est pas nouvelle au sens des articles 564 et suivants du code civil, peu important son montant.

De même, sa demande subsidiaire d'indemnisation de son préjudice financier selon le taux de prêt intragroupe est recevable, s'agissant d'une méthode alternative d'indemnisation moins disante qui constitue le complément des demandes formées devant le premier juge et qui tend aux mêmes fins que sa demande initiale d'indemnisation de son préjudice financier.

Les appelantes soutiennent en second lieu, que les demandes nouvelles formulées par Digicel dans ses conclusions du 18 octobre 2018 sont irrecevables comme formulées en méconnaissance du principe de concentration des demandes énoncé à l'article 910-4 du code de procédure civile et après l'expiration du délai de 3 mois visé à l'article 909 pour interjeter appel incident. Elles invoquent à cet égard :

- la demande de capitalisation des intérêts compensatoires au titre du préjudice financier allégué,

- l'allocation à titre subsidiaire de sommes au titre d'un "préjudice financier" liées à des prêts bancaires contactés par BTC et à l'impossibilité de contracter des prêts à intérêts au bénéfice d'autres sociétés du groupe Digicel,

- la fixation du point de départ du "préjudice financier" au "début des pratiques" ou "du préjudice", c'est à dire au mois de janvier 2001 alors que Digicel sollicitait dans ses conclusions du 20 juillet 2018 de fixer le point de départ des intérêts au 1er janvier 2002 ,

- l'application d'intérêts au titre du préjudice financier jusqu'au 31 décembre 2018 alors que Digicel ne critiquait que la date du point de départ des intérêts.

Selon l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 783, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, Digicel, par appel incident du 20 juillet 2018 a saisi la cour d'une demande de réformation de la décision concernant les modalités de calcul de son préjudice financier accessoire au gain manqué, par application d'une actualisation au taux WACC, précisant que cette actualisation nécessitait la capitalisation des intérêts, demandant de "Fixer le point de départ de cette actualisation (par application du taux réglementaire du WACC mobile de chaque année) à la date de privation des sommes à compter du 1er janvier 2002 et jusqu'à complet paiement".

Digicel fait valoir qu'à la suite de l'arrêt interprétatif du 10 octobre 2018 de la cour d'appel de Paris relativement au terme "actualisation" utilisé dans le jugement, elle a été amenée à calculer sa demande d'indemnisation arrêtée à la fin décembre 2018 selon la méthode demandée et à présenter une demande subsidiaire.

Il résulte des motifs de l'arrêt de la Cour du 10 octobre 2018, interprétatif du jugement entrepris, que Digicel ne formulait pas clairement une demande d'actualisation en application de la formule "Valeur actualisée = (1+10,4) nombre d'années x Valeur initiale)". La Cour précisait que le préjudice dont Digicel demande réparation au titre de l'actualisation ne représente que le taux de rentabilité annuel moyen qu'elle fixe à 10,4% taux calculé par l'ARCEP, pour en déduire que le terme "actualisation" employé dont elle indique qu'il n'est pas démontré qu'il existe une définition juridique reconnue, ne peut s'entendre au regard du litige qui lui est soumis que comme le fait de faire courir les intérêts sur la somme déterminée au principal.

Dès lors que demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, Digicel était recevable à calculer sa demande d'indemnisation arrêtée à la fin décembre 2018 et à présenter une demande subsidiaire, sans encourir la fin de non-recevoir fondée sur l'article 910-4 du code de procédure civile.

Tant la demande d'annulation du jugement entrepris de la société Orange que les fins de non-recevoir présentées par les sociétés Orange et Orange Caraïbe prises de la prescription, des prétentions formulées par Digicel et du rapport du cabinet Sorgem, ce dernier n'étant pas autrement critiqué sur ce fondement, sont rejetées.

II/ Sur les pratiques fautives et le lien de causalité avec le préjudice allégué

Digicel, qui se prévaut du caractère anticoncurrentiel des pratiques dénoncées, reproche à Orange et Orange Caraïbe d'avoir commis des fautes à son encontre qui lui ont occasionné un préjudice de développement sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

1°/ Sur le programme d'Orange Caraïbe "Changez de mobile"

A/ Sur le programme d'Orange Caraïbe "Changez de mobile"dans sa version initiale

Orange Caraïbe sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu une faute de sa part et en ce qu'il a retenu l'existence d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par Digicel.

Orange Caraïbe soutient en premier lieu que le programme "Changez de mobile" dans sa version antérieure à avril 2005, n'a pas empêché BTC (Digicel) d'avoir accès à la clientèle forfait, faisant valoir que :

- le programme n'a pas eu d'impact concret sur le marché antillo-guyannais caractérisé par la très forte prédominance des abonnés à des offres prépayées libres d'engagement minimal (65% des ventes à l'époque des faits),

- le taux de résiliation des offres forfaits était systématiquement supérieur à celui observé en métropole tous opérateurs confondus,

- en combinant la croissance moyenne annuelle nette du marché antillo-guyanais (10% à l'époque des faits) et le taux de résiliation global de près de 25 % observé pour ses forfaits et ses cartes prépayées, ses concurrents pouvaient recruter un nombre de nouveaux clients représentant chaque année au moins 35% du parc total,

- moins d'un tiers de ses clients avaient accès à ce programme et 17% du total de ses abonnés y ont eu recours,

- le programme en cause n'était pas de nature à réduire l'intérêt d'un changement d'opérateur pour ses clients puisque les offres des concurrents, notamment Digicel sur les terminaux étaient à l'époque des faits plus attractives,

- sa pratique de fidélité n'a pas eu pour effet de verrouiller les clients au détriment de ses concurrents ainsi qu'il résulte du rapport du cabinet Mapp (sa pièce 33 p 6).

Orange Caraïbe soutient en second lieu que Digicel ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le programme en cause et le préjudice allégué, ajoutant que le tribunal a procédé à un renversement illégal de la charge de la preuve en retenant une présomption de lien de causalité entre la faute résultant du programme et le préjudice allégué, violant ainsi l'article 1240 du code civil.

A cet égard, elle fait valoir que la présomption de lien de causalité entre les cartels et les préjudices subis résultant de l'ordonnance du 9 mars 2017 transposant la directive n°2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 n'est pas applicable au cas d'espèce, puisqu'il lui est reproché des abus de position dominante et que le fait générateur est antérieur à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, les pratiques en cause ayant eu lieu entre 2002 et 2005.

Sur l'inexistence d'un lien de causalité direct et certain entre le programme en cause (sa pratique de fidélisation abusive reprochée) et le préjudice allégué (le prétendu "déficit de croissance"), elle dit que le plafonnement des parts de marchés de BTC ne lui est pas imputable mais résulte de la propre stratégie et des choix commerciaux inefficaces de cette dernière.

Digicel rétorque que l'ADLC et la cour d'appel ont définitivement retenu que cette offre fidélisante constituait une pratique anticoncurrentielle, que cette pratique est constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil et que cette faute a eu un impact sur son développement puisque, présente sur le marché lors du lancement de ce programme et seule concurrente d'Orange Caraïbe jusqu'à l'arrivée d'Outremer Télécom, elle a longtemps souffert de cette pratique qui l'a empêchée d'accéder à la clientèle forfait, la plus rentable du marché.

***

Lors de l'instruction de l'affaire devant le Conseil de la concurrence, Orange Caraïbe a présenté son programme de fidélisation "Changez de mobile" de la façon suivante:

"OC attribue chaque titulaire d'un forfait (pré ou post-payé) un point par euro facturé. Les abonnés accumulent ainsi des points dont le nombre est indiqué sur chaque facture mensuelle sous la rubrique "solde de points".S'il le souhaite, l'abonné qui a accumulé 350 points ou plus (ce qui peut se produire avant même l'achèvement de la durée initiale de 12 mois) peut les utiliser pour acheter un nouveau terminal à un tarif préférentiel, ce qui ouvre une nouvelle période d'engagement de 24 mois".

L'ADLC a estimé qu'en commercialisant l'offre "Changez de mobile", Orange Caraïbe avait enfreint les articles L 420-2 du code de commerce et 82 du Traité (devenu 102 TFUE ). Cette décision a été définitivement confirmée par l'arrêt de cette Cour du 4 juillet 2013.

Les constats factuels opérés par cette décision constituent des éléments probants dans le cadre de l'appréciation de la responsabilité civile sans que ces constatations ne constituent une présomption.

En l'espèce, le programme "Changez de mobile" mis en oeuvre par Orange Caraïbe du mois d'avril 2002 jusqu'à sa modification au mois d'avril 2005 en application des mesures conservatoires prononcées le 9 décembre 2004, permettait aux clients de cet opérateur de cumuler des points de fidélité à chaque facture, mais conditionnait leur utilisation à l'acquisition d'un terminal moyennant un réengagement de 24 mois.

Ainsi, un client d'Orange Caraïbe ne pouvait changer d'opérateur, au terme d'une période d'engagement, qu'en perdant la contre-valeur de ses points.

Cette offre était de nature à dissuader le consommateur de faire jouer la concurrence au moment où cela lui aurait été possible, et ainsi, à cristalliser les parts de marché de l'opérateur dominant au détriment de ses concurrents.

Il s'agissait donc d'un mécanisme de fidélisation de nature à produire des effets anticoncurrentiels.

La pratique de fidélisation de ses clients mise en oeuvre par Orange Caraïbe en position dominante sur le marché de la téléphonique mobile dans la zone Guyane-Antilles, a eu pour effet de dissuader ses clients de migrer vers d'autres opérateurs et de réduire le nombre potentiel de clients de ses concurrents.

L'abus de position dominante résultant de cette offre fidélisante a été définitivement constatée par la décision l'ADLC.

Orange Caraïbe ne rapporte pas la preuve contraire.

La violation de la loi résultant de cette pratique anticoncurrentielle constitue nécessairement une faute civile.

Ainsi, la faute commise par la société Orange Caraïbe de nature à engager sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil est établie.

Contrairement à ce que soutient Orange Caraïbe, le lien de connexité entre cette faute et le préjudice de développement de BTC est démontré, Digicel établissant que cette offre "Changez de mobile" commercialisée à partir de 2002, a contribué à renforcer la position dominante d'Orange Caraïbe sur le marché en cause au détriment de BTC. En effet, Orange Caraïbe, en monopole lors de l'arrivée de BTC fin 2000, a vu ses parts de marché tomber à 75% en 2002 avant de remonter à 83% à la fin de l'année 2003, soit au moment où l'offre de fidélisation a pu commencer à produire ses effets. Cette offre a permis à Orange Caraïbe de dissuader sa clientèle éligible à ce programme d'opter pour les services concurrents, laquelle en utilisant ses points, s'est trouvée réengagée sur une période de deux ans . Ainsi le développement de BTC s'est trouvé amputé d'une part substantielle du marché adressable.

L'absence d'impact ou l'impact insignifiant de l'offre de fidélisation invoqué par Orange Caraïbe à l'égard de Digicel ne peut se déduire:

- ni de la circonstance que le marché en cause serait caractérisé par la prédominance des offres prépayées libres d'engagement, ou de la circonstance que moins d'un tiers des clients d'Orange Caraïbe ayant eu accès à ce programme et seulement 17% du total des abonnés auraient décidé de changer de mobile alors que, si ce programme ne concernait que la clientèle d'Orange Caraïbe qui avait souscrit des abonnements avec forfait, il s'agissait de celle qui consommait le plus et générait le plus fort ARPU (Average Revenue per User), étant observé que si seulement 20% du parc était susceptible de bénéficier de ce programme, cette part était en valeur beaucoup plus importante et en progression puisqu'en effet, elle représentait plus d'un quart de la clientèle d'Orange Caraïbe,

- ni de la circonstance que le marché caribéen se caractérisait par un taux de résiliation de ses offres forfait supérieur à celui observé en métropole, ou du fait que le taux de résiliation global de 25% des forfaits et des cartes cumulé à la croissance de l'époque de 10% aboutirait à ce que chaque année 35% du parc total soit constitué de nouveaux clients recrutables par les concurrents, alors que les résiliations étaient à 60% prononcées pour impayés, qu'il s'agissait ainsi d'une clientèle sur laquelle les opérateurs ne pouvaient asseoir leur croissance et que Digicel observe justement que selon l'étude du cabinet MAPP du 11 août 2009 produite par Orange Caraïbe (sa pièce 33 point 11), sur les 5000 clients retenus acquis en 2002, 60% étaient toujours titulaires d'un forfait Orange Caraïbe, 3 ans après,

- ni de la circonstance que les offres de Digicel étaient plus attractives que les siennes sur les terminaux alors qu'à supposer ce point établi, les clients d'Orange Caraïbe, initialement engagés sur un an, étaient incités à attendre d'avoir un nombre de points suffisants pour bénéficier de la subvention d'un terminal moyennant un réengagement de 2 ans, Digicel observant sans être contredite à cet égard, qu'en raison de la durée de vie moyenne de 18 mois d'un terminal aux Antilles, les clients étaient conduits à se réengager à nouveau sur 2 ans avant même la fin de leur engagement.

Ainsi, ce programme a eu des effets concrets sur les possibilités de BTC de développer ses activités en verrouillant une partie de la clientèle forfait jusqu'en 2007.

A cet égard, le graphique de Digicel présentant l'évolution des parts de marché forfaits de BTC et OC sur la période janvier 2001 à juin 2005 (rapport Sorgem du 31 mai 2014 p 13 - pièce 40) établit que les parts de marché de BTC sur le segment des forfaits a subi une stagnation dès l'année 2002 pour atteindre en 2005 un niveau équivalent à celui acquis en 2001, ce qui est anormal s'agissant d'un nouvel entrant sur un marché jusque là monopolisé par un unique opérateur.

Digicel démontre bien ainsi qu'il lui incombe avoir été directement victime de la pratique anticoncurrentielle mise en oeuvre par Orange Caraïbe qui l'a empêché d'accéder à une partie de la clientèle forfait, lui causant un préjudice.

Il sera par ailleurs observé que si Orange Caraïbe impute le déficit de croissance de BTC notamment à la propre stratégie de celle-ci, la cause étrangère ainsi alléguée est impropre à remettre en cause l'illicéité établie de la pratique anticoncurrentielle en cause au regard des règles de droit civil dont il ne pourrait résulter qu'un partage de responsabilité en cas de concours de fautes.

Il est ainsi établi qu'une part du marché adressable s'est trouvé inaccessible pour BTC, second opérateur présent sur le marché lors du lancement du programme et seul concurrent d'Orange Caraïbe jusqu'à l'arrivée d'Outremer Télécom, du fait du programme "Changez de mobile" commercialisé par Orange Caraïbe dans sa version initiale de juin 2002 jusqu'au mois d'avril 2005, qui a produit ses effets du fait de la durée de réengagement sur 24 mois jusqu'au mois d'avril 2007 et causé un préjudice en termes de gain manqué à BTC/Digicel pendant toute cette période ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce.

B/ Sur l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu une faute d'Orange Caraïbe sur le programme fidélité "Changez de mobile" dans sa version modifiée et en ce que le tribunal a excédé les limites de sa compétence

Orange Caraïbe soutient que ce programme "Changez de mobile" dans sa version postérieure au 14 avril 2005 est parfaitement licite. Elle estime qu'il n'est pas établi que la version modifiée de ce programme mise en oeuvre en application des mesures conservatoires imposées par le Conseil de la concurrence a constitué une pratique d'abus de position dominante. Elle se prévaut à cet égard de l'arrêt définitif de cette Cour du 10 mai 2017 dans une précédente affaire l'opposant à la société Outremer Télécom, qui a infirmé le jugement en ce que celui-ci a estimé que cette pratique constituait un abus de position dominante. Elle ajoute que le tribunal a excédé les limites de sa compétence en jugeant que le programme "Changez de mobile" postérieur à avril 2005 est partiellement non conforme à l'injonction prononcée par le Conseil de la concurrence et a excédé ses pouvoirs en statuant ultra petita puisque Digicel n'a pas sollicité la réparation du préjudice résultant de la poursuite de cette pratique fidélisante.

Digicel rétorque que si la persistance de l'effet fidélisant de l'offre n'a pu être analysée par la Décision de l'ADLC et l'arrêt d'appel pour un motif procédural, le tribunal de commerce, qui n'a pas prononcé de sanction pour non-respect des injonctions, était compétent pour constater l'infraction aux articles L 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE résultant de la seconde version du programme au titre de l'abus de position dominante.

Elle ajoute que c'est à bon droit que le tribunal a constaté que l'effet fidélisant à l'origine du caractère anticoncurrentiel de l'offre "Changez de mobile" a perduré après les mesures conservatoires puisqu'Orange Caraïbe appliquait un complément monétaire conséquent à ses clients voulant utiliser leurs points pour acquérir un terminal sans se réengager.

***

A titre liminaire, il sera observé qu'ainsi que le fait justement valoir Digicel, le tribunal de commerce, qui n'a pas prononcé de sanction pour non-respect des injonctions, était compétent pour constater l'infraction aux articles L 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE résultant de la seconde version du programme au titre de l'abus de position dominante dont n'a pas été saisie l'Autorité.

En premier lieu, le programme modifié par la société Orange Caraïbe à compter du 14 avril 2005 permettait aux clients de celle-ci, titulaires de points de fidélité de les faire valoir sur d'autres prestations que le terminal contrairement à l'ancien programme qui leur imposait de les utiliser sur le terminal avec un réengagement de 24 mois. Les abonnés avaient ainsi la possibilité de changer de mobile sans se réengager et d'utiliser autrement leurs points de fidélité. Du point de vue de la liberté d'utilisation des points de fidélité, l'effet de fidélisation a bien cessé.

En second lieu, l'effet fidélisant du subventionnement du terminal par Orange Caraïbe en cas de réengagement sur 24 mois en comparaison du complément monétaire appliqué aux clients souhaitant utiliser leurs points pour acquérir un nouveau terminal sans se réengager n'est pas établi. Les clients pouvaient, en effet, préférer attendre de changer d'opérateur pour changer de mobile plutôt que de changer de terminal avec Orange Caraïbe. Rien ne permet de tenir pour acquis que l'attractivité des terminaux d'orange Caraïbe aurait conditionné leur maintien auprès de cet opérateur et qu'ainsi une partie substantielle de cette clientèle, adressable par d'autres opérateurs aurait été impactée par cette pratique.

Ainsi, c'est à tort que le tribunal a constaté que l'effet fidélisant à l'origine du caractère anticoncurrentiel de l'offre "Changez de mobile" a perduré après les mesures conservatoires.

Si Digicel n'a effectivement pas sollicité de réparation du préjudice résultant de la poursuite alléguée de cette pratique fidélisante, il n'en demeure pas moins que le tribunal n'a pas statué ultra petita à cet égard.

En effet, Digicel fait valoir sans être contredite, que la méthode d'évaluation proposée par le Cabinet Sorgem et retenue par le tribunal, qui procède à une comparaison temporelle entre la situation réelle de BTC avant 2005 et la situation postérieure, après le prononcé des mesures conservatoires, ne prend pas en compte la poursuite alléguée en 2006 des effets de cette pratique de fidélisation.

2°/ Sur l'offre "Avantage Ameris" d'Orange

L'Avantage Améris était une option tarifaire gratuite proposée par France Télécom pour tout titulaire d'un abonnement professionnel au réseau téléphonique commuté de France Télécom ou au réseau Numéris. Cette option permettait au client qui souhaitait en bénéficier de se voir appliquer un taux de réduction sur le prix des appels fixes vers les mobiles du réseau Améris (marque commerciale de France Caraïbe Mobile, devenue Orange Caraïbe) (point 134 de la Décision).

France Télécom a maintenu cet avantage après l'arrivée sur le marché de BTC à la fin de l'année 2000 et jusqu'à la fin du mois de mai 2002, date à laquelle la société l'a remplacé par une nouvelle offre "Avantage Mobiles plus" qui prévoyait des réductions sur le prix des appels fixes vers les téléphones mobiles de la zone Antilles-Guyane, quel que soit le réseau mobile destinataire (point 136 de la Décision).

Au delà du mois de mai 2002, France Télécom a maintenu l'option "Avantage Améris" pour les clients qui l'avaient souscrite avant cette date (point 137 de la Décision).

Orange sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu une faute d'Orange s'agissant de l'"Avantage Améris" engageant sa responsabilité.

En premier lieu, Orange fait grief au jugement d'avoir caractérisé sa faute par une motivation par référence à la décision de la Décision de l'Autorité confirmée par l'arrêt du 4 juillet 2013 et soutient que l'existence d'une pratique anticoncurrentielle ne peut suffire à établir une faute au sens de l'article 1240 du code civil à l'encontre de Digicel, ajoutant qu'en l'espèce, les effets potentiels retenus par la Décision et la Cour, n'ont pas produits d'effets concrets sur la concurrence.

Mais Digicel soutient justement que la faute civile commise par Orange découle de la pratique anticoncurrentielle définitivement constatée par cette cour dans son arrêt du 4 juillet 2013, puisqu'aussi bien, selon les constatations faites, "la pratique de discrimination tarifaire reprochée à France Télécom, tant du fait de la commercialisation de l' "Avantage Améris" de fin 2000 au 21 mai 2002 que du fait de son maintien après le 21 mai 2002 au bénéfice des clients l'ayant souscrit avant cette date, est constitutive d'un abus de position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en ce qu'elle visait à favoriser sa filiale de téléphonie mobile, au surplus elle-même en position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la même zone géographique, en rendant plus difficile l'entrée et le développement de concurrents de cette dernière sur le marché". Ainsi l'"Avantage Améris" a constitué une barrière à l'entrée et au développement de BTC sur la clientèle des entreprises.

A cet égard, il résulte de la Décision (point 378 et suivants) que, par le bais de son offre "Avantage Améris" proposée entre 2000 et 2006, France Télécom, opérateur en position dominante sur le marché de la téléphonie fixe, a pratiqué une discrimination tarifaire injustifiée au bénéfice de sa filiale Orange Caraïbe dans la zone Antilles Guyane au détriment de BTC. En effet, en offrant aux clients entreprises des réductions tarifaires sur le volume des appels "fixe" vers les mobiles Orange Caraïbe, France Télécom a réduit le coût des appels vers le réseau de sa filiale. Or, ainsi que l'a rappelé l'Autorité de la concurrence, le choix d'un opérateur de téléphonie mobile par une entreprise passe par non seulement par le prix des communications au départ de sa flotte de téléphone mobile mais aussi par le prix des appels depuis ses téléphones fixes vers sa flotte de téléphones mobiles, prix qui constitue ainsi un élément déterminant du choix de l'opérateur mobile.

En accordant un avantage tarifaire à ses clients uniquement pour les appels fixes vers les mobiles à destination de sa filiale Orange Caraïbe, alors que les niveaux et modes de calcul des charges de terminaison d'appels des deux opérateurs, susceptibles de justifier une différence de coûts, étaient identiques, France Télécom a incité ses clients "Entreprises" à se tourner vers Orange Caraïbe pour leur abonnement de téléphonie mobile.

Comme l'a constaté l'Autorité (point 381 de la Décision), dès le mois de décembre 2000, date d'entrée sur le marché de BTC, l' "Avantage Améris" a eu pour effet de favoriser Orange Caraïbe sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane au détriment de BTC.

Il s'ensuit que des effets concrets sur la concurrence de cette pratique anticoncurrentielle sont établis.

En second lieu, Orange fait valoir que l'offre a été créée en juin 1999 alors que Orange Caraïbe était le seul opérateur de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane et qu'à la suite de l'arrivée de BTC sur le marché fin 2000, elle s'est spontanément engagée auprès de l'ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) à étendre cette offre à tous les opérateurs mobile, extension qui n'a été homologuée qu'en avril 2002 ce qui a permis l'arrêt de la commercialisation de l'Avantage Améris le 21 mai 2002.

Mais Digicel rétorque à juste raison que cette offre a été maintenue jusqu'en 2006 pour les clients qui l'avaient souscrite ainsi que l'a constaté l'ADLC (points 383 et suivants de la Décison), continuant ainsi à produire ses effets dans le temps. Orange n'établit pas son impossibilité de cesser la commercialisation de cet avantage sans attendre l'homologation d'une nouvelle offre et de le supprimer des contrats en cours. En outre, la circonstance que l'ARCEP ait homologué son offre initiale le 31 octobre 2000 sans réserve est sans incidence sur la qualification de la pratique en cause au regard des règles de concurrence.

En troisième lieu, Orange fait valoir que l'Autorité dans sa Décision (point 382) a estimé l'offre en cause défavorable pour les clients qui en étaient bénéficiaires.

Mais il ne peut se déduire du caractère désavantageux de cette offre à compter du mois de mai 2002 pour les entreprises qui y restaient soumises, l'absence d'impact favorisant pour Orange Caraïbe alors que les entreprises en cause qui n'avaient accès à la remise que pour leurs appels vers Orange Caraïbe étaient de fait dissuadées d'opter pour BTC même après 2002 ainsi que le souligne le Rapport administratif d'enquête de la DGCCRF du 23 février 2007 relevant que le couplage de fait France Télecom-Orange Caraïbe exclut BTC du marché qui ne peut proposer de telles remises sur le marché pour les communications fixes vers mobiles BTC (pièce 4 de Digicel page 212).

En quatrième lieu, Orange dit que cette offre ne concernait qu'une part insignifiante des abonnés Orange et au total seulement 710 lignes soit à peine 0,17% des lignes fixes, que le bénéfice de ces clients était tout à fait négligeable, de sorte que le maintien de cette option n'a pu avoir d'effet concret sur les possibilités pour Digicel de développer son activité.

Mais, Digicel, outre que celle-ci fait valoir qu'Orange se fonde sur des chiffres de décembre 2005, relève justement l'importance en termes de consommation de services de téléphonie de cette clientèle constitué d'entreprises, observant que l'avantage en cause a été proposé à tous les clients France Télécom jusqu'au mois de mai 2002 et maintenu pour les contrats en cours en 2003 et 2004, de sorte que son impact ne s'est progressivement dissipé qu'à compter de l'année 2005.

Orange oppose l'absence de préjudice découlant pour Digicel du maintien de l' "Avantage Ameris".

Orange fait valoir que Digicel est dans l'incapacité de rapporter la preuve d'un préjudice personnel, direct et certain dont elle se prétend victime du fait de l' "Avantage Améris" qui lui incombe, alors qu'en matière anticoncurrentielle, l'existence d'un préjudice ne peut s'inférer, même partiellement de l'infraction elle-même et que l'existence de conséquences tangibles sur ses concurrents n'est pas établie.

Orange soutient à cet égard que l'avantage en cause n'a causé aucun préjudice à BTC ainsi qu'il résulte du fait que :

- Digicel n'a pas jugé utile de demander à l'ARCEP l'ouverture d'une procédure de sanction au titre de cet avantage à l'époque des faits, ce qui démontre que le maintien de la commercialisation de cette option ne lui causait aucun tort,

- l' "Avantage Améris" n'a pu avoir d'effet que sur le segment des professionnels, or la part de marché Entreprises de BTC/Digicel n'a pas augmenté lorsque la pratique dénoncée a cessé.

Elle ajoute que le préjudice prétendument subi par Digicel du fait du maintien de l'option tarifaire n'est pas quantifié alors que le retard de développement allégué qui ne pouvait avoir d'effet que sur le segment des professionnels, devait être mesuré sur le marché des services de téléphonie mobile à destination des entreprises, de sorte que l'évaluation globale retenue par le tribunal selon la méthode du cabinet Sorgem ne peut être retenue.

Elle estime que contrairement à ce que soutient Digiciel, le préjudice que lui aurait causé l' "Avantage Ameris" pouvait être isolé et quantifié dans la mesure où c'est la seule pratique susceptible d'avoir limité le développement de BTC sur le segment des clients professionnels avant mai 2002 tandis que le maintien de cet avantage après le mois de mai 2002 n'a pas dissuadé les clients professionnels de souscrire aux offres de BTC puisque l'offre litigieuse a cessé d'être commercialisée. Elle invoque l'effet isolé de l' "Avantage Ameris" résultant de la comparaison du nombre de clients professionnels de BTC par rapport à celui de Digicel après la fin de cet avantage puisque la part de marché de BTC sur ce segment (5% ) n'a pas augmenté (4,5% pour Digicel en 2007).

Mais, ainsi que le fait valoir Digicel, l' "avantage Améris" qui a constitué une barrière à l'entrée et au développement de BTC sur la clientèle des entreprises ainsi que l'ont retenu tant la Décision que l'arrêt de cette Cour du 4 juillet 2013, a causé un préjudice à BTC dès le mois de décembre 2000 et les entreprises ont été incitées à opter pour Orange Caraïbe même après l'arrêt de la commercialisation de ce programme en 2002 puisqu'en effet, ainsi que l'a relevé le Rapport administratif d'enquête (pièce 4 de Digicel précitée page 212), l'offre Améris a persisté aux côtés de l'offre officielle Mobile Plus pour certains clients incités à rester chez France Télécom puisque leurs communications vers Orange Caraïbe étaient moins chères, et ce même si l'avantage Améris n'est pas plus intéressant que l'avantage Mobile Plus. Ainsi en 2003 et 2004, une part importante des entreprises profitait encore de cet avantage et ce n'est qu'à la fin de l'année 2005 et au fur et à mesure de la fin des contrats en cours entre France Télécom et ses clients que l'impact de cette pratique a progressivement pris fin.

Enfin, Digicel n'est pas contredite lorsqu'elle fait valoir, contrairement à ce que soutient Orange, que le nombre de lignes "entreprise" de Digicel a augmenté après 2005 passant de moins de 10 000 avant 2006 à près de 20 000 en 2010 et que le chiffre de 4,5% qu'elle mentionnait dans ses précédentes écritures ne concerne pas sa part de marché comme elle l'avait indiqué par une erreur de plume, mais la part des lignes "entreprise" dans son parc clients.

Ainsi, Digicel rapporte la preuve du préjudice personnel, direct et certain que lui a causé cette pratique fautive.

Orange fait encore grief au tribunal de ne pas avoir constaté l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le maintien de cet avantage et le retard de développement de BTC allégué.

Orange dit que Digicel n'a pas rapporté la preuve du retard de développement de BTC sur les marchés des services de téléphonie mobile à destination des professionnels et donc a fortiori d'un lien de causalité direct et certain avec le maintien de l' "Avantage Améris" alors qu'elle établit que la limitation anormale de développement de BTC allégué, toutes clientèles confondues, trouvait son origine dans des causes étrangères à l' "Avantage Améris" ce qui exclut l'existence d'un lien de causalité direct et certain.

Mais Digicel démontre que l' "Avantage Améris" a fidélisé les clients "entreprises" de France Télécom au détriment du développement de BTC sur ce segment puisqu'en effet, la réduction tarifaire accordé par France Télécom pour les appels fixes vers les mobiles Orange Caraïbe, a conféré un avantage sensible à Orange Caraïbe dans la commercialisation de ses services vers les entreprises, les collectivités ainsi que les organismes publics.

L'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute d'Orange découlant de cette pratique anti-concucurrentielle et l'atteinte au développement de BTC sur le marché des services de la téléphonie mobile et ainsi entre le maintien de l' "Avantage Améris" et la limitation anormale de développement de BTC cantonnée à moins de 5% sur ce segment est ainsi établie, peu important que l'impact de cette pratique ait été renforcé par l'offre "Changez de mobile" et son système de points de fidélité.

Ainsi, l'option "Avantage Améris" a bien constitué une faute d'Orange sur le fondement de l'article 1240 du code civil, qui a porté atteinte au développement de BTC sur le marché des services de la téléphonie mobile. Le jugement entrepris doit ainsi être confirmé de ce chef.

Dès lors, comme il a été dit s'agissant de la faute découlant du programme "changez de mobile" d'Orange Caraïbe, les causes étrangères invoquées par Orange, à les supposer établies ne peuvent remettre en cause l'illicéité établie de la pratique anticoncurrentielle en cause au regard des règles de droit civil dont il ne pourrait résulter qu'un partage de responsabilité en cas de concours de fautes.

3°/ Sur les pratiques d'exclusivité et de réparation ainsi que de discrimination tarifaire

Orange Caraïbe demande la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté l'absence de faute à l'égard de Digicel résultant des exclusivités de distribution et de réparation, ainsi que de la différenciation tarifaire soutenant que Digicel ne démontre pas les fautes qu'elle aurait commises à son endroit.

Digicel a formé un appel incident pour obtenir l'infirmation du jugement en ce que le tribunal a jugé que les pratiques d'exclusivité et de réparation ainsi que de discrimination tarifaire ne lui avaient causé aucun préjudice.

Sur les clauses d'exclusivité de distribution

Il résulte de la Décision qu'entre 2000 et 2005, tous les distributeurs indépendants étaient liés à Orange Caraïbe par un contrat d'agent commercial prévoyant une clause d'exclusivité en faveur d'Orange Caraïbe applicable pendant toute la durée du contrat et deux ans après sa cessation.

Cette clause faisait notamment obligation à l'agent commercial de représenter à titre exclusif le service d'Orange Caraïbe et lui interdisait d'accepter la représentation d'un service concurrent sans l'accord exprès, écrit et préalable d'Orange Caraïbe, accord que ce dernier opérateur pouvait refuser à son entière discrétion.

En 2005, en exécution de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence le 9 décembre 2004, Orange Caraïbe a supprimé les clauses litigieuses des contrat concernés, ce qui a été effectif dès le 24 janvier 2005.

L'Autorité, confirmée par la Cour a sanctionné cette pratique comme abus de position dominante de la société Orange Caraïbe sur le marché des services de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.

Digicel soutient que cet abus de position dominante est nécessairement constitutif d'une faute civile et que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice de développement subi par BTC est établi.

A ce dernier titre, elle dit :

- en premier lieu que BTC a incontestablement été affectée par ces clauses puisqu'elle a cherché dès son arrivée sur le marché, à se faire distribuer par les distributeurs indépendants d'Orange Caraïbe mais s'est heurtée à une fin de non-recevoir, observant que la situation de BTC était radicalement différente de celle de la société Outremer Télécom,

- en second lieu, que les clauses d'exclusivité ont gravement affecté le développement de BTC puisqu'elles ont limité les ventes et occasionné des surcoûts, faisant valoir que le réseau de boutiques était un élément déterminant du développement d'un opérateur de télécommunication, que les exclusivités verrouillaient très largement la distribution des services de téléphonie mobile, qu'Orange Caraïbe a par le biais de ces clauses, verrouillé l'accès aux centres commerciaux, que ces exclusivités de distribution imposées ont limité la visibilité des offres de BTC et sa capacité à faire valoir ses prix plus attractifs, que faute d'accès à des distributeurs spécialisés, BTC a dû se replier sur les points de vente non spécialisés ce qui a dégradé son image et que ces exclusivités imposées ont également causé à BTC un préjudice sous forme de surcoûts.

Orange Caraïbe rétorque que Digicel ne peut prétendre que les clauses d'exclusivité avec certains distributeurs indépendants auraient causé de prétendus surcoûts pour la constitution de son réseau de distribution alors que les difficultés qu'elle a rencontrées sont imputables à sa politique commerciale.

A cet égard, Orange Caraïbe fait valoir qu'il était expressément prévu la possibilité de demander la levée de la clause d'exclusivité, qu'elle ne s'y est jamais opposée et qu'aucune mesure de rétorsion n'a jamais été mise en oeuvre, en voulant pour preuve le fait que cinq distributeurs qui ont contracté avec BTC n'ont subi aucune pénalité de sa part, que s'il n'y a pas eu plus de distributeurs de chez elle qui ont coopéré avec l'intéressée, c'est uniquement en raison de son manque de suivi et de sérieux ainsi qu'il résulte de la Décision et du dossier de la procédure devant l'Autorité de la concurrence comme des pièces produites par BTC elle-même dans le cadre de cette procédure.

Elle ajoute que Digicel prétend devant la Cour que ces clauses d'exclusivité auraient verrouillé l'accès aux centres commerciaux alors qu'il résulte de la Décision et de l'audition du directeur général de BTC que cette société est parvenue à se développer dans des centres commerciaux de premier plan en dépit de ces clauses.

Elle relève enfin que Digicel fait état du fort développement connu en 2001 par BTC stoppé en 2002 du fait de ses pratiques alors que les clauses d'exclusivité existaient déjà en 2001 et que BTC a déployé un réseau de distribution puisqu'en trois ans, sans recourir à un seul de ses distributeurs, elle a conquis plus de 10 points de parts de marché ainsi que l'a relevé l'Autorité dans sa Décision.

***

L'ADLC confirmée par cette Cour, a jugé le 4 juillet 2013 que la société Orange Caraïbe avait commis un abus de position dominante contraire aux articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce.

Il résulte des constatations de ces décisions que l'exclusivité convenue entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants qui s'appliquait pendant la durée du contrat et deux ans après, a verrouillé le marché.

Cet abus de position dominante de la société Orange Caraïbe est constitutif d'une faute civile.

L'injonction du Conseil de la concurrence tendant à voir supprimer des contrats en cours ou à venir les obligations d'exclusivité liant les distributeurs indépendants à Orange Caraïbe, a été exécutée de sorte que dès je 24 janvier 2005, il était possible à BTC de s'adresser aux distributeurs indépendants pour distribuer ses offres.

Orange Caraïbe conteste le lien de causalité entre cette faute et le préjudice de développement invoqué par Digicel.

Or, BTC entrée sur le marché en décembre 2000, quatre ans après Orange Caraïbe sur la zone considérée devait développer son réseau de commerces, a vu sa capacité à assurer la distribution de ses produits et services par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs indépendants et bien implantés considérablement réduite du fait de ces clauses d'exclusivité mises en place par Orange Caraïbe, qui ont fait interdiction à une cinquantaine de distributeurs représentant 110 points de vente, de commercialiser des produits et services concurrents.

Ces clauses d'exclusivité ont eu pour conséquence de limiter les ventes et d'augmenter les coûts de BTC, en réduisant la capacité de celle-ci, comme celle de tout nouvel entrant, à s'appuyer sur un réseau de distributeurs indépendants spécialisés et bien implantés, ainsi que l'a constaté la Décision.

Ces clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution ont eu pour effet de verrouiller le marché.

La circonstance que BTC ait réussi à s'implanter dans les 4 centres principaux à partir de 2004 est indifférente à cet égard, dès lors que cette société a été contrainte de consentir des efforts bien plus importants que ceux qu'elle aurait consentis dans des conditions de concurrence normale.

Digicel justifie de surcoûts par la nécessité de construire un réseau et de recourir à des distributeurs non spécialisés pour contourner le verrouillage des distributeurs existant dont certains ont cumulé les impayés ainsi qu'il résulte de la déclaration de créance de Digicel à l'encontre de la société BMA (Sa pièce 6) et du rapport TERA (pièce 41 page 28) faisant état notamment de la mauvaise qualité du réseau de BTC qui s'est matérialisée par un niveau élevé de provisions pour impayés.

Egalement, ainsi que l'a constaté la Décision, ces clauses d'exclusivité ont eu pour effet de généraliser une distribution mono-marque dans la zone Antilles-Guyane, choisi par le premier entrant, privant le consommateur de la possibilité de faire un choix à l'intérieur d'une même boutique, affaiblissant ainsi la concurrence sur le marché concerné dans cette zone. Ce type de distribution a eu tendance à cristalliser les parts de marché d'Orange Caraïbe au dessus de 80%. BTC a été contrainte de se replier sur des points de vente non spécialisés ce qui a entravé son développement.

Orange Caraïbe ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que seule la mauvaise gestion de BTC et non les clauses d'exclusivité de ses distributeurs constituait un obstacle à son développement alors que la Décision a constaté que les dérogations à ces clauses ont été très rares et n'ont pas perduré, que BTC s'est vu opposer cette clause d'exclusivité de la part des distributeurs indépendants, que BTC justifie (sa pièce 4 Rapport administratif de la DGCCRF page 57 et 60) qu'un distributeur ayant bravé l'interdiction indique avoir été montré du doigt comme le distributeur à ne pas imiter ( point 62 de la Décision) et qu'un autre distributeur a renoncé à travailler avec BTC du fait de l'exemple ainsi donné.

En outre, les déclarations de distributeurs toujours liés à Orange Caraïbe faisant état de la défaillance de BTC dans son système de rémunération et de formation, contestées par Digicel, ne permettent pas de retenir que telle serait la cause de leur refus de travailler avec BTC, alors qu'ainsi que le relève la Décision, les distributeurs indépendants ont pu avoir intérêt à conforter la position dominante d'Orange Caraïbe pour s'assurer une part plus importante du profit.

De même, la circonstance que BTC ait connu une croissance initiale en 2001 avant d'être freinée par la suite, ne peut signifier l'absence d'impact des clauses d'exclusivité sur son développement ainsi que le relève la Décision (point 271).

Il s'ensuit que le lien de causalité entre les clauses d'exclusivité et le préjudice de développement de BTC dans la constitution de son réseau de distribution est établi.

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce que, confondant la situation de BTC avec celle d'Outremer Télécom, il a dit que Digicel n'avait pas été victime de la pratique d'exclusivité de distribution.

- Sur l'exclusivité de réparation

Digicel soutient que cette exclusivité non justifiée que l'Autorité et cette Cour ont jugé constitutive d'une entente contraire aux articles 101 TFUE et L420-1 du code de commerce constitue nécessairement une faute civile.

Sur le préjudice et le lien de causalité, Digicel soutient que l'exclusivité qu'elle a conclu avec Cetelec Caraïbes, réparateur local de terminaux, a empêché BTC d'avoir recours à un réparateur local, situation qui a entravé son développement, lui causant un préjudice de développement et lui occasionnant des surcoûts importants, ce que conteste inutilement Orange Caraïbe. Elle ajoute que le tribunal a confondu la situation de BTC avec celle d'Outremer Télécom pour considérer que la première n'avait pas été victime de la pratique d'exclusivité de réparation alors qu'elle a toujours cherché à développer une réparation locale, ce qu'elle a fait grâce aux mesures conservatoires.

Orange Caraïbe rétorque que le coût de l'implantation d'un centre de réparation local ne pouvait être rentabilisé par les faibles volumes que représentait BTC et que les difficultés rencontrées par cette dernière pour organiser la réparation de ses terminaux sont sans lien avec les pratiques qui lui sont reprochées et résultent des propres choix stratégiques de cette société.

Elle relève ainsi que BTC n'a pas recouru aux services d'un réparateur local agréé avant 2003 alors que la société A Novo Caraïbes créée en mai 2001 réalisait des prestations de réparation sans exclusivité jusqu'à sa fermeture au début de l'année 2003 et la création de Cetelec Caraïbe. Elle observe encore que BTC n'a pas davantage utilisé la suppression de l'exclusivité ouverte en 2005 par les mesures conservatoires puisque ce n'est qu'en avril 2007, après sa reprise par Digicel, qu'elle a formalisé un accord avec Cetelec Caraïbe devenue Cordon. Elle ajoute que l'existence de relations antérieures entre BTC et Cetelec n'est pas établie par les factures produites (la pièce 52 de Digicel) qui ne font pas état de réparation locale et que BTC/Digicel a opté délibérément pour la réparation de ses terminaux en métropole jusqu'en 2007.

***

Il résulte de l'enquête qu'entre 2003 et 2005, Orange Caraïbe et le seul réparateur de terminaux mobiles agréé dans les Caraïbes, Cetelec Caraïbes, ont été liés par plusieurs contrats, prévoyant l'obligation pour ce dernier de réaliser ses prestations de service de maintenance de téléphones mobiles et accessoires à titre exclusif pour Orange Caraïbe dans toute la zone Antilles-Guyane.

Ces pratiques ont débuté le 1er avril 2003 et ont cessé au mois de janvier 2005 avec la mise en oeuvre de la mesure conservatoire prononcée le 9 décembre 2004.

La faute civile d'Orange Caraïbe, non contestée en tant que telle, est établie puisque la Décision de l'Autorité de la concurrence a constaté que l'exclusivité conclue par Orange Caraïbe avec le seul réparateur agréé présent aux Antilles et en Guyane à partir du 1er avril 2003 était constitutive d'une entente anticoncurrentielle en ce qu'elle avait pour objet et a eu pour effet de priver BTC de toute possibilité d'avoir recours à un réparateur local et que la cour d'appel de Paris par arrêt définitif du 4 juillet 2013 a jugé que cette exclusivité injustifiée était constitutive d'une entente contraire aux articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce.

Le champ temporel du grief s'étend du 1er avril 2003 au mois de janvier 2005.

S'agissant du lien de causalité entre la faute et le préjudice, le jugement doit être infirmé de ce chef en ce que, confondant la situation de la société Outremer Télécom avec celle de BTC, le tribunal a dit que l'impossibilité d'avoir recours au réparateur local agréé n'avait eu aucun impact sur le développement de BTC qui avait délibérément opté pour la réparation des mobiles en métropole alors que BTC a cherché à développer une réparation locale, ce qu'elle a fait grâce aux mesures conservatoires.

En effet, Digicel justifie de discussions entre BTC et A Novo ainsi qu'il résulte du "Projet B.T.C" établi par cette dernière (pièce 49 d'Orange Caraïbe) faisant état d'agréments à obtenir, étant observé que si ce projet mentionne que A Nuovo avait obtenu les agréments Alcatel, Sagem, et Philips, il indique notamment qu'Alcatel ne semblait pas partisan d'un changement de stratégie avec BTC.

Avec la reprise de la société A Nuovo au début de l'année 2003 par Cetelec Caraïbe, Orange Caraïbe a introduit une clause d'exclusivité avec son réparateur agréé (sa pièce 4) et BTC, qui avait lancé un appel d'offres infructueux au 1er semestre 2003, s'est vu opposer l'exclusivité de réparation avec Orange Caraïbe, lors de sa tentative de partenariat avec Cetelec Caraïbe.

Les mesures conservatoires ont permis à BTC/Digicel de négocier avec Cetelec Caraïbe devenue Cordon afin de conclure un contrat de réparateur local, ainsi qu'elle en justifie par sa lettre du 17 février 2005, les courriels et la proposition commerciale de Cordon du mois de décembre 2005 (ses pièces 56 et 71), peu important que ce contrat n'ait été formalisé qu'en 2007, étant observé qu'il résulte des factures produites (pièce 62 de Digicel) que BTC avait dès le mois de mars 2006 confié à Cetelec Caraïbes des prestations de réparation des terminaux mobiles, "main d'oeuvre CRA" (centre de réparation agréé) et de logistique "main d'oeuvre CRTI" (centre régional de traitement industriel), Orange Caraïbe ne rapportant pas la preuve contraire.

Ainsi l'entente entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbe du 1er avril 2003 à la fin janvier 2005 n'a pas permis à BTC d'offrir, comme Orange Caraïbe, un service local de maintenance à ses clients, alors que l'enquête a révélé (point 283 de la Décision) qu'il est en pratique important pour un opérateur de créer un centre de réparation agréé local.

A cet égard, il sera observé que BTC, nouvel entrant qui ne détenait alors que 20% de parts de marché, ne disposait pas de la clientèle suffisante pour générer un flux de maintenance suffisant pour amortir les coûts particulièrement importants induits par la création d'un centre de réparation local. L'exclusivité en cause a eu pour effet d'empêcher BTC de bénéficier des services de Cetelec Caraïbe alors que, ainsi que l'a indiqué le représentant cette dernière lors de l'instruction, il aurait été plus efficace qu'elle se voit confier la réparation de terminaux d'autres opérateurs.

L'exclusivité de réparation conclue par Orange Caraïbe a dégradé l'image de marque de BTC par rapport à celle d'Orange Caraïbe qui mettait en avant les prestations de suivi après-vente et de réparation rapide pour ses clients qu'elle ne pouvait offrir et a renchéri le coût de BTC, entravant artificiellement son développement de BTC.

L'audition de M [M], directeur des système d'information et de ressources humaines au sein de la ville du Moule, qui indique rester chez Orange Caraïbe en observant notamment que BTC n'offre pas de garanties de service après-vente développées en Guadeloupe (pièce 10 de Digicel), en offre une illustration.

Cette exclusivité a, en effet, généré des surcoûts pour BTC (frais d'envoi en métropole de 10 euros par terminal et délais de réparation ayant nécessité la constitution d'une flotte de remplacement).

En outre, Digicel fait justement valoir que l'absence d'impact de l'exclusivité sur le développement de BTC ne peut se déduire de la progression d'Outremer Télécom qui a fait le choix d'un réparateur en métropole, au regard de la part de marché en valeur détenue par cet opérateur (5%).

En conséquence, la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice sont établis s'agissant des exclusivités de distribution et de réparation.

- Sur la différenciation tarifaire

Orange Caraïbe demande la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté l'absence de toute faute à l'égard de Digicel résultant de la différenciation tarifaire tandis que Digicel demande la rectification des motifs erronés du jugement en ce que celui-ci a dit qu'elle ne serait pas temporellement concernée par cette pratique.

Digicel rappelle qu'Orange Caraïbe a mis en place pour ses cartes prépayées un tarif différencié en fonction de la destination de l'appel, les appels vers BTC (off-net) étant beaucoup plus chers que les appels vers Orange Caraïbe (on-net). Elle soutient que cette différenciation tarifaire sans justification sanctionnée par l'Autorité, a contribué à ternir l'image de BTC et a dégradé ses revenus.

Elle ajoute dit que si la condamnation de l'Autorité n'est intervenue qu'à compter de 2003, il n'en résulte pas moins que l'abus de position dominante condamné par l'Autorité a débuté dans les mêmes termes dès 2002.

Sur le préjudice et le lien de causalité, Digicel estime que le tribunal a confondu à nouveau sa situation avec celle d'Outremer Télécom pour considérer qu'elle n'avait pas temporellement subi de préjudice du fait de cette différenciation tarifaire alors que contrairement à Outremer Télecom, BTC était présente sur le marché depuis 2000 et que cette pratique de différenciation tarifaire a entravé son développement sur le segment des cartes.

Orange Caraïbe soutient au contraire que la différenciation tarifaire entre appels on-net et off-net pour les clients prépayés n'a pas modifié le fonctionnement du marché concerné et ainsi n'a eu aucun impact sur l'attractivité des offres prépayées d'Orange Caraïbe.

***

L'Autorité de la concurrence et cette Cour par son arrêt du 4 juillet 2013 ont définitivement jugé que la pratique de différenciation tarifaire pratiquée par Orange Caraïbes en 2003 et 2004, entre les appels on net et les appels off net pour ses cartes "Orange Card Soir et week end", "Orange Card Classique" et "Orange Card Seconde" constituait un abus de position dominante au sens des articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce.

Cet abus de position dominante en 2003 et 2004 constitue nécessairement une faute civile au sens de l'article 1240 du code civil.

Orange Caraïbe ne rapporte pas la preuve contraire.

L'Autorité de la concurrence, sur le grief n°5 notifié à Orange Caraïbe "d'avoir abusé de sa position dominante ... en pratiquant une discrimination tarifaire injustifiée ... notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom sur le marché en décembre 2000 jusqu'à sa suppression au printemps 2005" (point 150) a retenu l'existence d'un abus de position dominante en 2003 et 2004 du chef de cette pratique.

Ainsi, c'est vainement que Digicel soutient que l'ADLC ne se serait pas prononcée sur la période antérieure et il ne peut être retenu que cette pratique fautive était également en vigueur en 2002.

Sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué, Orange Caraïbe soutient en premier lieu, que la différenciation tarifaire n'a pu avoir aucun impact sur la situation de BTC ainsi qu'il résulte d'un avis de janvier 2007 de l'ARCEP relevant l'absence d'impact négatif de telles différenciations tarifaires dans la zone Antilles-Guyane.

Mais, Digicel relève justement que cet avis est inopérant en ce qu'il porte sur la période 2006/2007 et non sur celle de 2001/2005.

Orange Caraïbe soutient en second lieu, que cette différenciation tarifaire n'a pu avoir un impact négatif sur la capacité de BTC à attirer de nouveaux clients, n'ayant pas eu d'impact sensible sur la part relative des appels on-net et off-net et donc sur le comportement des clients, ce d'autant que la différenciation tarifaire reprochée concernait exclusivement des cartes prépayées et que l'observation des sept premiers mois de l'année 2004 montrait un pourcentage d'appel vers les mobiles de BTC et les autres opérateurs quasiment identique entre les offres Orange Card et Orange Préf sans cette différenciation tarifaire, outre que le comportement des clients quant à l'utilisation de ces appels on-net est demeuré inchangé après les mesures conservatoires ayant porté remède à la prétendue atteinte à la concurrence résultant de la pratique en cause, ce qui suffit selon elle à démontrer l'absence de tout impact concret de la pratique reprochée sur le marché.

Mais l'étude du Cabinet MAPP du 11 août 2009 (pièce 33 d'Orange Caraïbe) ne peut être retenue en ce que, ainsi que l'a indiqué la cour dans son arrêt du 4 juillet 2013, le périmètre d'étude porte non sur le ratio on net/off net vers BTC émis par les clients des cartes prépayées mais sur le ratio on net/off net de tous les mobiles confondus de la clientèle forfait et cartes prépayées, l'inclusion des forfaits prépayés conduisant à sous-estimer les effets de la mise en oeuvre de mesures conservatoires, ce d'autant que la période de 6 mois analysée postérieure à la mise en oeuvre des mesures conservatoires est insuffisante pour en déduire l'absence de tout impact concret de la pratique reprochée sur le marché, au regard de temps nécessaire pour que les mesures conservatoires produisent leurs effets.

Digicel relève justement que c'est surtout l'attractivité des offres-cartes qui a été touchée par la pratique en cause et rappelle l'importance de ce segment dans son parc client (46%).

Cette pratique de discrimination tarifaire pratiquée par Orange Caraïbe, dont l'Autorité a observé que, s'agissant d'une entreprise ultra-dominante, elle avait constitué un instrument redoutable de fidélisation de sa clientèle (effet de réseau ou "effet club"), a causé à BTC un préjudice de développement en renforçant artificiellement l'attractivité d'Orange Caraïbe à l'égard des consommateurs sur le segment des cartes prépayées et en dégradant l'image de BTC.

Ainsi, l'évolution de la part de marché de l'intéressée sur le segment des cartes prépayées a très rapidement stagné alors que quand cette pratique a été levée, dès l'année 2006, les offres restant inchangées, la part de marché de BTC/Digicel sur ce segment a connu une nette progression.

Le lien de causalité entre cette pratique fautive en 2003 et 2004 et le préjudice invoqué est donc démontré.

4°/ Sur les causes extérieures aux pratiques en cause et le préjudice de développement de BTC/Digicel invoqué

Digicel soutient que c'est à bon droit et sans poser aucune présomption de lien de causalité que le tribunal a jugé que les pratiques étaient la cause du préjudice de développement de BTC/Digicel et a écarté les causes extérieures invoquées par Orange Caraïbe et Orange.

Elle fait valoir que chacune des pratiques a impacté le développement de BTC en verrouillant l'accès au marché et en particulier à la clientèle fidélisée par Orange Caraïbe sans qu'aucun segment du marché ne soit épargné et que la conséquence de cette stratégie de blocage globale, qui a débuté dès l'entrée de BTC sur le marché avant de s'amplifier à partir de 2002, a été la stagnation de part de marché dont BTC a été victime qui n'a pris fin qu'avec les mesures conservatoires.

Orange et Orange Caraïbe soutiennent que des causes extérieures aux pratiques invoquées (le programme "Changez de mobile" et l'offre "Avantage Ameris") expliquent le déficit de croissance invoqué par Digicel.

- Orange et Orange Caraïbe soutiennent en premier lieu que le "déficit de croissance" de BTC résulte exclusivement de sa propre stratégie.

Elles invoquent à cet égard l'entrée tardive de BTC sur le marché le 7 décembre 2000 aux Antilles et en décembre 2001 en Guyane alors que celle-ci disposait d'une autorisation provisoire depuis le 24 novembre 1998, ce qui serait la cause selon l'avis de M [B] [N], expert en économie et finance près la cour d'appel de Paris (pièce 8 d'Orange Caraïbe et pièce 2 d'Orange), du retard des parts de marché de BTC sur la période.

Mais, ainsi que l'a retenu cette Cour dans son arrêt du 4 juillet 2013, le motif pris de l'entrée tardive de BTC sur le marché antillo-guyanais est inopérant. En effet, l'arrivée décalée de BTC sur ce marché sur lequel Orange Caraïbe se trouvait en situation de monopole de fait depuis le mois de juin 1996 aux Antilles et le mois de septembre 1998 en Guyane, ne peut expliquer pourquoi sa croissance a été stoppée en 2002 à une part de moins de 20% alors que, ainsi que le relève Digicel, un nouvel entrant sur le marché pratiquant des prix compétitifs opère sa croissance non seulement sur les primo-accédants mais aussi sur les clients captés à son concurrent. A cet égard, le rapport TERA (pièce 41 de Digicel page 22) qui procède à une comparaison d'autres opérateurs de différents pays entrés sur le marché avec un décalage similaire relève que :

"Durant les quatre premières années d'activité, la part de marché du deuxième entrant pour la situation de référence augmente régulièrement pour atteindre plus de 40% à l'Année 4. Au contraire, la part de marché Bouygues Telecom Caraïbe, qui était déjà impactée par les pratiques en cause en 2001 (Année 1), tombe en dessous de 20% reflétant l'effet des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par Orange Caraïbe et France Telecom. En 2003 et 2004, Digicel subit de plein fouet l'effet du verrouillage du marché dû à l'accumulation des pratiques d'Orange Caraïbe dans un contexte de ralentissement de la croissance du marché".

Cette faute de la victime n'est donc pas établie.

Orange et Orange Caraïbe expliquent encore le déficit de croissance de BTC par un manque criant d'investissements indispensables, notamment en comparaison de ceux consentis par Orange Caraïbe, observant à cet égard que la décision de mesures provisoires du 9 décembre 2004 du Conseil de la concurrence fait état du report par BTC d'importants investissements initialement programmés pour le début de l'année 2004.

Elles font valoir à cet égard que l'expert, M [N], dans son avis précité (pièce 8 d'Orange Caraïbe et pièce 2 d'Orange) a relevé un effort d'investissement d'Orange Caraïbe très supérieur à celui de BTC et que le cabinet MAPP (pièce 13 de Orange Caraïbe) a mis en évidence qu'entre 2003 et 2005, soit la période de baisse et de stagnation de la part de marché de BTC selon le cabinet Sorgem, les investissements de BTC ont été 5,5 fois plus faibles que ceux d'Orange Caraïbe (6,5 fois plus faibles en retenant le propre périmètre des investissements préconisé par le cabinet Sorgem), qu'entre 2001 et 2007, les investissements corporels cumulés d'Orange Caraïbe sont restés entre 2 et 2,6 fois plus élevés que ceux de BTC/Digicel (1,5 à 2,2 fois plus élevés selon le périmètre préconisé par Sorgem) et que, sur les 11 mois qui ont suivi le rachat de BTC par Digicel (mai 2006 à mars 2007), les investissements corporels de Digicel ont été deux fois plus élevés que le total des investissements corporels de BTC/Digicel entre janvier 2003 et fin avril 2006 (40 mois).

Digicel conteste le sous-investissement reproché à BTC par rapport aux investissements de Orange Caraïbe, résultant de la comparaison établie par M [N] (figure 8 de l'avis), faisant valoir, sur le fondement du rapport du cabinet Sorgem (pièces 44 et 29), outre que le montant des investissements cumulés des deux opérateurs qui ne sont pas arrivés en même temps sur le marché, ne peut être comparé, étant observé que le coût des infrastructures avait substantiellement baissé entre les deux périodes, que seuls les investissements "réseau" doivent être pris en compte à l'exclusion des immobilisations corporelles (terrains, bâtiments, installations générales, matériel de bureau ...) sans enjeu stratégique en termes de développement pour un opérateur en téléphonie mobile.

Ainsi, (sa pièce 44 pages 9 et 10) le niveau des investissements réseau (investissements nets cumulés) d'Orange Caraïbe pour la période de 1997 à 2000 (60,5 millions d'euros pour un parc de 351 400 clients) et de BTC pour la période 2001 à 2004 (59,3 millions d'euros pour un parc de 130 900 clients), soit quatre ans après leur arrivée sur le marché est comparable alors que les équipements étaient devenus moins chers et que les technologies avaient évolué.

Elle admet toutefois que BTC a moins investi au cours des années 2004-2005 tout en faisant valoir que cela ne traduit pas un manque d'investissement, les investissements en matière de téléphonie se faisant par vagues.

Mais, même à admettre un sous-investissement de BTC en comparaison des investissements d'Orange Caraïbe, le lien de causalité avec le plafonnement de la part de marché de BTC n'est pas démontré, étant rappelé qu'il appartient à l'auteur de la pratique fautive, de démontrer que le préjudice, en l'espèce, la limitation anormale du développement de BTC, serait dû à une faute de la victime.

A cet égard, la circonstance mise en avant par l'avis de M [N], selon laquelle Orange Caraïbe avait une meilleure couverture réseau du territoire que Digicel ainsi qu'il résulte du rapport de l'ARCEP d'août 2009, est sans emport. En effet, Digicel établit que son taux de couverture de la population (et non du territoire) avait atteint fin 2001 99,5% aux Antilles et 83% en Guyane (sa pièce 32 : Rapport de gestion du conseil d'administration à l'assemblée générale des actionnaires du 30 avril 2002).

De même, Digicel oppose justement que l'existence d'une corrélation entre le niveau d'investissement sur une année et la part de marché la même année n'est pas démontrée par l'étude du cabinet MAPP ( pièce 13 d'Orange Caraïbe).

En effet, il résulte de l'analyse des investissements de BTC/Digicel effectuée par le Cabinet Sorgem produite par Digicel (sa pièce 29) que :

- alors que les investissements ne sont pas linéaires en matière de téléphonie mobile, l'étude du cabinet MAPP qui compare les investissements de BTC avec ceux de Digicel retient l'investissement de 26 millions d'euros par Digicel l'année de son rachat sans mentionner que l'année suivante l'investissement n'a été que de 4 millions d'euros, et la compare aux années (2003 à 2006) où l'investissement de BTC a été le plus faible,

- l'augmentation des investissements une année, comme celle de mai 2006 à mars 2007 (26 millions) ne peut expliquer l'augmentation de 6,7% de la part de marché de BTC/ Digicel en 2006 (du 1er janvier au 31 décembre), ni la faible progression de 1,3% de la part de marché en 2007, en raison du décalage entre l'investissement réalisé et son impact sur la part de marché de l'investisseur,

- l'étude du cabinet MAPP n'établit pas la corrélation entre les investissements relatifs de BTC/Digicel par rapport à ceux d'Orange Caraïbe et la part de marché puisqu'une grande partie de la baisse de la part de marché en 2003 de BTC est liée au nettoyage de la base de données, que la part de marché augmente en 2005 de 8% (en % de variation) alors que le ratio d'investissement relatif diminue de -3% et que la part de marché en 2007 augmente de 18% alors que le ratio d'investissement diminue de -1%.

Ainsi , Orange et Orange Caraïbe ne démontrent pas que le "déficit de croissance" de BTC résulterait de la propre stratégie de l'intéressé et leur demande tendant à voir infirmer le jugement en ce qu'il aurait présumé un lien de causalité direct et certain alors que le plafonnement des parts de marché de BTC s'expliquerait notamment par la faiblesse des investissements, est rejetée.

- Orange et Orange Caraïbe soutiennent en second lieu que BTC a ignoré les spécificités du marché antillo-guyanais

Elles font valoir que BTC a reproduit les offres de la métropole, en refusant d'investir dans la création de centres de clientèle alors qu'il existe un fort attachement à un service de proximité de sa clientèle locale, mais aussi dans la création d'un centre de réparation, puisqu'elle a attendu le milieu de l'année 2003 pour chercher un service après-vente local, ainsi que dans la création d'un centre de commutation en Guyane.

Elles reprochent à BTC d'avoir orienté massivement sa stratégie dès 2003 sur le segment forfaits alors qu'à l'inverse Digicel, consciente du fort attachement de la clientèle caribéenne aux offres prépayées, a focalisé sa stratégie sur les cartes prépayées ce qui a porté ses fruits puisqu'elle détenait en 2009, 50% sur ce segment.

Elles ajoutent que Digicel ne rapporte pas la preuve d'offres, telle celle "No stress" (forfait bloqué) ou "local étendu" (tarif unique vers la Caraïbe et la métropole) que BTC aurait lancé dès 2002 et qui aurait été repris par Digicel après la mise en oeuvre en avril 2005 des mesures conservatoires prononcées.

Mais, ainsi que l'a retenu la Cour dans son arrêt du 4 juillet 2013, il n'est pas établi que BTC a ignoré les spécificités du marché antillo-guyanais sur lequel elle a fortement investi. A cet égard, l'étude réalisée par le cabinet Sorgem (pièce 42 Digicel p 22) retient que le rachat de BTC par Digicel en avril 2006 n'a pas entraîné de modifications profondes des offres existantes, s'agissant des offres "forfaits" et des offres "à la carte" et qu'un changement significatif n'a été opéré qu'en août 2008.

Ainsi, Digicel s'est bien développée sur le segment des offres prépayées en reprenant l'offre mise en place par BTC qu'elle a conservé jusqu'en 2008.

Orange et Orange Caraïbe qui ont la charge de la preuve et qui ne peuvent reprocher à BTC des abstentions, notamment l'absence de création d'un centre de réparation résultant des pratiques anticoncurrentielles qui leur sont imputables, n'établissent pas que BTC a ignoré les spécificités du marché antillo-guyanais.

- Orange et Orange Caraïbe soutiennent en troisième lieu que la situation de BTC n'est pas celle "catastrophique" décrite par Digicel à savoir : croissance de BTC stoppée dès l'année 2002, crédit bancaire résilié et obligation de se retirer du marché.

Elles en veulent pour preuve le rapport de gestion du conseil d'administration à l'assemblée générale des actionnaires de BTC du 6 avril 2004 (pièce 37 d'Orange Caraïbe) qui établit que le parc clients de cette société a diminué de 67 795 clients pour finir à 117 294 clients à la suite du "nettoyage" au premier semestre 2003 de sa base clients consistant à résilier les contrats de clients en situation d'inactivité, soit à l'issue de l'expiration de la durée de validité de leur carte, soit en raison d'impayés non régularisés. Ce "nettoyage" expliquerait la baisse de la part de marché de BTC à partir de 2003 et non les prétendues pratiques reprochées, ce que confirmerait le tableau issu de la Décision qui montre que la diminution du nombre d'abonnés ne s'accompagne pas d'une augmentation corrélative du nombre d'abonnés d'Orange Caraïbe sans que celle-ci ait procédé à un nettoyage la même année. Selon elles, l'augmentation de la part de marché d'Orange Caraïbe entre le second et le quatrième trimestre 2003 ne s'explique pas par une prétendue croissance du parc de cette société mais par la diminution de la taille du parc global du marché antillo-guyannais en raison du nettoyage de grande ampleur effectué par BTC.

Elles ajoutent que le rapport précité montre que BTC a procédé au remboursement de son crédit bancaire en décembre 2003 et a obtenu de Bouygues Télécom les fonds nécessaires à ce remboursement ainsi qu'au développement de son activité.

Enfin elles rappellent que BTC a été rachetée par Digicel le 28 avril 2006 pour la somme de 155 millions d'euros, ce qui démontre son caractère attractif, Digicel ayant immédiatement changé de marque et modifié la stratégie commerciale de cette filiale, ce qui lui a permis d'afficher dès la première année une performance remarquable, montrant de plus fort, l'inefficacité antérieure de BTC.

Mais, ainsi que le fait valoir Digicel, il ne peut être retenu que le recul de BTC en 2003 a été artificiellement créé par le nettoyage de sa base clients alors que, ainsi que l'a relevé la Décision de mesures conservatoires du conseil de la concurrence du 9 décembre 2004 (point109), le recours à un tel procédé s'il peut justifier une baisse ponctuelle, ne peut expliquer la stagnation durable de la part de marché de BTC en 2003 et 2004 alors que celle d'Orange Caraïbe progressait, étant observé qu'il résulte de cette Décision qu'Orange Caraïbe reconnaît avoir aussi recours à cette pratique. Et ce, d'autant que le chiffre d'affaires de BTC (pièce Orange Caraïbe n°54-3) a régressé en 2003 contrairement à celui d'Orange Caraïbe de même que sa part de marché en valeur ainsi que l'a relèvé l'ARCEP dans son avis n°04-860 (pièce 72 de Digicel page 4).

Ainsi Orange et Orange Caraïbe ne démontrent pas que le "nettoyage" de la base de données pratiquée par BTC et que le désengagement de Bouygues Télécom de sa filiale BTC seraient la cause des déboires de cette société.

- Orange et Orange Caraïbe soutiennent en quatrième lieu, que la comparaison des performances commerciales de BTC, Digicel et Outremer Télécom confirme l'inefficacité de BTC

Orange et Orange Caraïbe soutiennent que la croissance significative de BTC après son rachat par Digicel démontre que BTC était uniquement victime de ses propres erreurs stratégiques et commerciales et non des pratiques reprochées.

Elles en veulent pour preuve la croissance annuelle du parc clients de Digicel de plus de 200 000 clients par an alors que pour la première année en 2006 Orange Caraïbe voit la croissance de son parc clients ralentir. De même entre 2005 et 2006, Digicel gagne 6 points en terme de parts de marché, ce qui est d'autant moins dû à la mise en oeuvre des mesures conservatoires que le rachat par Digicel est intervenu postérieurement et que ces mesures n'avaient en rien changé la situation de BTC.

Elles ajoutent que l'inefficacité de BTC est encore mise en évidence par l'entrée spectaculaire d'Outremer Télécom sur le marché, troisième entrant en Guyane en décembre 2004 et quatrième entrant dans les Antilles en décembre 2005 qui a atteint en 2 ans 40 000 clients alors que BTC n'a atteint entre fin 2001 et fin 2005 que 8 300 clients.

Elles en déduisent qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les pratiques qui lui sont reprochées et les préjudices allégués de sorte que leur responsabilité ne peut être engagée.

Mais, outre que les chiffres avancés par Orange Caraïbe au soutien de sa démonstration du développement spectaculaire de Digicel dès l'année 2006 (100 000 nouveaux clients en 2006 et non 200 000, 40 000 en 2007 et 136 000 en 2008 et non 400 000) sont contestés par Digicel, il résulte de l'étude de l'ARCEP (pièce 19 page 6 de Digicel) que le développement des concurrents de cette dernière s'est fait essentiellement sur le segment des petits consommateurs ainsi et que la croissance d'Outremer Télécom est à relativiser puisque sa part de marché de 17% en volume acquise en 2007 ne représentait en valeur qu'une part de marché de 5%.

Ainsi, l'absence d'effet des mesures conservatoires sur le marché n'est pas démontré par Orange et Orange Caraïbe.

L'ARCEP dans son avis n°2008-0097 (pièce 19 de Digicel) attribue notamment les évolutions du marché postérieures à la date de la saisine du Conseil de la concurrence au prononcé des mesures conservatoires le 9 décembre 2004. Et les mesures intervenues en 2005, ont mis un terme à la différenciation tarifaire entre les appels on net et off net , ont permis la conclusion d'un contrat entre Digicel et le réparateur agréé, et l' "avantage Améris" a pris progressivement fin à partir de 2005.

BTC, dont la stagnation des parts de marché a cessé dès l'année 2006 ainsi qu'il résulte du tableau d'évolution des parts de marché en Martinique, Guadeloupe et Guyane (pièce 57 de Digicel produite par Orange Caraïbe dans le cadre de la procédure concurrence), a profité immédiatement de l'impact des mesures conservatoires même si la libération du marché a été progressive notamment s'agissant du segment des forfaits, en raison des clients sous engagement.

Et, il ne saurait se déduire du fait que Telecom Outremer et Digicel ont profité des mesures conservatoires pour se développer, l'inefficacité de BTC, étant rappelé ainsi qu'il a été dit que Digicel n'a pas changé de stratégie commerciale les premières années de son rachat.

Ainsi, la refonte des offres forfaits opérée par Digicel en 2008 n'a pu être la cause de la progression de ses parts de marché et ce d'autant que la refonte des offres n'a concerné que le segment "postpayé"alors que l'augmentation de la part de marché de Digicel en 2008 est due à l'augmentation de sa part de marché sur le "prépayé" ainsi qu'il résulte de ses offres (sa pièce 79) et du rapport du cabinet Sorgem en réponse aux rapports [N] et MAPP ( sa pièce 44 page 16).

De même, la part de marché de Digicel a progressé sur le segment des cartes, libéré des pratiques de différenciation tarifaire, sur la base des tarifs pratiqués par BTC depuis 2005.

Ainsi, Orange Caraïbe et Orange échouent à établir que la comparaison des performances commerciales de BTC, Digicel et Outremer Télécom viendrait confirmer que BTC était uniquement victime de ses propres erreurs stratégiques et commerciales,

En outre, l'impact de l' "Avantage Améris" ayant progressivement cessé jusqu'à la fin de l'année 2006, il ne peut être tiré aucune conséquence de la comparaison de la situation de BTC avec celle d'Outremer Télecom entrée sur le segment de la téléphonie mobile professionnelle (après décembre 2006) alors que la pratique en cause avait disparu.

Dès lors, la demande d'Orange et d'Orange Caraïbe tendant à l'infirmation du jugement en ce que le tribunal aurait présumé l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute d'Orange alors que selon elles, le plafonnement des parts de marché de BTC s'explique par la "défaillance structurelle" de celle-ci, notamment par la faiblesse des investissements de BTC ainsi que l"inadéquation de sa stratégie commerciale, est rejetée.

Ainsi que le fait valoir Digicel et que l'a constaté la Cour d'appel dans son arrêt du 4 mai 2013 :

- les pratiques en cause d'Orange Caraïbe ont rendu plus difficile la pénétration et le développement de BTC sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane,

- BTC avait acquis aux Antilles en 2001 et 2002 une part de marché de 25% qui s'est tassée autour de 20% en 2003 et 2004, période au cours de laquelle toutes les pratiques en cause se sont cumulées, avant de s'améliorer légèrement en 2005 après le prononcé des mesures conservatoires, puis plus nettement en 2006.

De même, tant la cour d'appel que l'Autorité de la concurrence ont jugé, dans le cadre des mesures conservatoires, que les pratiques étaient la cause directe et certaine de la baisse durable de la part de marché de BTC en 2003 et 2004, seule concurrente d'Orange Caraïbe présente sur le marché au moment de ces pratiques, et qui a été la principale victime de ces pratiques d'éviction dont les effets concrets ont été constatés.

Ainsi, le lien de causalité entre les fautes commises par Orange Caraïbe et Orange et le mauvais développement de BTC résulte à suffisance de la concomitance entre le blocage de la progression de BTC et le cumul des pratiques ainsi qu'entre la fin des pratiques et le renouveau progressif de développement connu par BTC/Digicel puis par Digicel sur la base des mêmes offres commerciales.

III/ Sur le péjudice

Digicel demande la condamnation in solidum de Orange Caraïbe et de Orange à réparer son préjudice de développement, les surcoûts et son préjudice financier.

1°/ Sur le préjudice global de développement invoqué et sa valorisation

Il s'agit du lucram cessans ou manque à gagner certain, ouvrant droit à réparation intégrale du gain manqué.

A/ Sur le principe du préjudice global de développement invoqué

Digicel plaide en faveur d'une approche comparative globale pour l'évaluation de son préjudice.

Orange et Orange Caraïbe s'y opposent, invoquant le caractère gravement défaillant de la valorisation globale du préjudice proposé par le cabinet Sorgem retenu par le tribunal et par le cabinet TERA.

Les appelantes en concluent que le jugement entrepris qui a retenu la valorisation globale du préjudice et l'évaluation proposée par le cabinet Sorgem et qui a statué en contradiction avec ses motifs et ultra petita au regard de la demande d'indemnisation à hauteur de 173,64 millions avant actualisation du chef de la limitation anormale du développement de BTC, au mépris des articles 1240 du code civil ainsi que 4 et 5 du code de procédure civile, doit être infirmé sur ce point et qu'il n'existe pas de préjudice à l'endroit de Digicel

Mais Digicel soutient à juste raison que l'approche comparative globale proposée pour l'évaluation du préjudice doit être retenue.

Dès lors que toutes les pratiques abusives dénoncées sont retenues, l'évaluation globale du préjudice subi par BTC/Digicel proposée par le cabinet Sorgem du fait des pratiques d'Orange Caraïbe et d'Orange qui ont concouru au même préjudice de développement, est justifiée, étant observé, ainsi que le fait justement valoir Digicel, que les différentes pratiques se sont cumulées dans le temps se renforçant les unes les autres, contribuant toutes à un résultat global et unique : l'obstacle au développement de BTC sur le marché antillo-guyanais de la téléphonie mobile.

Ainsi, la clientèle "forfait" a été verrouillée par l'offre "Changez de mobile" entre avril 2002 et avril 2005, ainsi que par les exclusivités de distribution qui ont limité la visibilité des offres de BTC depuis l'arrivée de celle-ci sur le marché en décembre 2000 jusqu'au 24 janvier 2005 et a été impactée par l'exclusivité de réparation entre 2003 et 2005.

Egalement la clientèle des cartes prépayées a été verrouillée par la différenciation tarifaire on net et off net en 2003 et 2004, ainsi que par les exclusivités de distribution et de réparation.

Enfin, la clientèle des entreprises et des collectivités a été fidélisée par "l'Avantage Améris" depuis le mois de décembre 2000 jusqu'au mois de mai 2002 et au-delà pour la clientèle qui l'avait souscrite, dissuadée d'opter pour BTC du fait de l'exclusivité avec le réparateur local agréé et de l'exclusivité de distribution.

Les différentes pratiques qui se sont cumulées dans le temps, ont porté atteinte à la croissance de BTC, le point culminant étant atteint en 2003, date à laquelle l'ensemble des pratiques a été mis en oeuvre. Elles ont produit leurs effets au delà de l'année 2005, date à laquelle, il y avait été mis un terme.

Ce cumul, vu la difficulté dans une configuration de cumul et d'interactions de pratiques différentes d'isoler les effets propres à chacune, justifie l'approche globale du préjudice.

C'est donc à juste titre que le tribunal a évalué le préjudice de BTC/Digicel lié à son défaut de croissance de manière globale.

B/ Sur l'évaluation du préjudice de développement

A titre liminaire, il y a lieu de relever que si le jugement entrepris a retenu de manière erronée que l' "Avantage Améris" a aussi porté atteinte au développement de la téléphonie fixe alors que ni Digicel, ni BTC ne sont actives sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone en cause, il n'en résulte aucune conséquence puisque seul le préjudice de développement sur le marché de la téléphonie mobile a été indemnisé.

- Sur les méthodes comparatives d'évaluation

Pour évaluer le dommage subi par BTC/Digicel du fait des pratiques anticoncurrentielles consistant en un défaut de croissance, Digicel propose deux méthodes comparatives complémentaires fondées sur des données réelles réalisées par des économistes : celle du cabinet Sorgem (ses pièces 45 et 46) qui se fonde sur l'évolution du marché après le prononcé des mesures conservatoires,(comparaison pendant / après) en considérant que la progression constatée à partir de 2006 aurait dû être celle constatée dès 2002 et celle du cabinet TERA qui se fonde sur le développement connu par des seconds entrants sur des marchés de télécommunication mobiles comparables au marché antillo-guyanais en termes de structure et de concentration (ses pièces 41 à 43).

Elle demande de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la méthode Sorgem dont il ressort que la marge sur coûts variables perdue par BTC avant actualisation s'élève à la somme de 179,94 millions d'euros et fait valoir que la méthode TERA dont il ressort que la perte de marge subie par BTC s'élève à la somme de 173,64 millions d'euros avant actualisation aboutit à un résultat très proche ce qui renforce la valeur probante de ces méthodes.

Orange et Orange Caraïbe, se prévalant des notes en réponse de leur expert [N] et des rapports MAPP (pièces 8 à 12 d'Orange Caraïbe), objectent que les évaluations des cabinets Sorgem et TERA contiennent plusieurs erreurs grossières, notamment les scenarii contrefactuels utilisés reposant sur des hypothèses erronées, injustifiées et très critiquables.

***

Le principe des méthodes comparatives est conforme aux recommandations de la Commission européenne. Selon les indications méthodologiques fournies par cette dernière, ces méthodes apparaissent particulièrement adaptées pour évaluer un préjudice de développement lié à des pratiques d'éviction, puisqu'en vertu du principe de réparation intégrale, il convient de placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si l'infraction ne s'était pas produite, ce qui conduit à construire un scénario "contrefactuel" de ce qu'aurait été l'évolution normale du marché si les pratiques n'avaient pas existé.

Les méthodes comparatives proposées par benchmark géographique (comparaison entre marchés géographiques) comme par comparaison dans le temps ont été appliquées en matière de préjudice de développement lié à des pratiques d'éviction par les tribunaux.

S'agissant de la méthode du cabinet Sorgem, celle-ci consiste à estimer ce qui se serait produit en l'absence d'infraction en s'intéressant à la période qui a suivi non concernée par l'infraction, en la comparant à la situation réelle au cours de la période pendant laquelle l'infraction a produit ses effets.

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, les périodes temporelles retenues pour délimiter la situation réelle (2002-2005) de la situation contrefactuelle (2006-2009) sont justifiées.

En effet, la première période (2002-2005) à compter de 2002 se justifie par la stagnation, anormale de la part de marché à cette date avant de régresser et il est appliqué une correction de part de marché en 2002 l'exclusivité de réparation n'ayant pas commencé.

Et, la seconde période (2006-2009) débute justement en 2006 puisqu'en avril 2005, les mesures conservatoires relatives à l'offre de fidélisation et la différence tarifaire sont mises en oeuvre, de sorte que cette année se trouve encore impactée par ces pratiques. Le préjudice évalué perdure après la fin des pratiques qui n'ont pas cessé de façon immédiate avec les mesures conservatoires ainsi qu'il a été dit notamment au regard de l'effet de l'offre de fidélisation dans sa version antérieure à 2005 qui a perduré jusqu'en 2007 et du maintien du monomarquisme.

Orange Caraïbe et Orange reprochent également à la méthode Sorgem de :

- ne pas tenir compte d'évolutions majeures intervenues entre les deux périodes pouvant expliquer le meilleur développement de Digicel telles que "l'effet Digicel" en avril 2006 (achat de BTC), la mise en place de la portabilité des numéros en 2006, l'évolution du taux de pénétration du marché, des technologies, des habitudes de consommation, de l'entrée sur le marché d'autres opérateurs en 2004,

- de retenir des données du marché erronées et non cohérentes avec celles publiées par l'ARCEP,

- de ne pas prendre en compte la taille du marché alors que la croissance du marché est très différente entre 2002 et 2005 et 2006 et que la stagnation de la part de marché au cours de la première période ne résulte pas uniquement des pratiques.

Mais, force est de constater que les appelantes ne démontrent pas que la progression peut s'expliquer notamment :

- par la mise en place de la portabilité des numéros alors que Digicel fait valoir sans être contredite que jusqu'en 2012 l'abonné devait attendre 10 jours pour que son numéro soit porté, - par le taux de pénétration du marché qui a stagné entre 2002 et 2005 alors que cette stagnation ne peut être due aux phases naturelles d'évolution du marché puisqu'elle intervient en plein effet des pratiques anticoncurrentielles et que le marché repart avec les mesures conservatoires, - par la cession de BTC à Digicel, en l'absence de modification de la stratégie commerciale ainsi qu'il a été dit,

- ou par des données de marché utilisées par Sorgem, puisque ce cabinet a calculé la part de marché sur le marché total à partir du parc total publié par l'ARCEP et du parc BTC publié par l'ARCEP ( pièce 44 page 23).

S'agissant du reproche tenant à l'absence de retraitement par Sorgem des données de parts de marché après le nettoyage massif par BTC de sa base clients en 2002 et 2003 de nature à créer une fausse impression de stagnation globale, il sera observé que le nettoyage de la base de données qui a consisté à supprimer les clients inactifs, a eu pour effet de donner une vision exacte des parts de marché de BTC sans conduire à une surévaluation du préjudice mais au contraire à une réduction de l'importance du dommage évalué en raison de la différence moindre entre la part de marché réelle et la part de marché contrefactuelle.

Il est aussi reproché l'élaboration par le cabinet Sorgem du scénario contrefactuel selon un modèle erroné ne corrigeant que la part de marché perdue de BTC et non celle des 3ème et 4ème entrants, alors que Digicel n'a pas été la seule victime des pratiques invoquées, ce qui modifierait sensiblement le montant du préjudice.

Mais, l'absence de correction de la part de marché de Dauphin Télécom et Outremer Télécom est sans impact sur l'évaluation du préjudice subi par BTC/Digiel dès lors que la part de marché contrefactuelle d'Orange Caraïbe a été déterminée en tenant compte de la part de marché réelle et non pas contrefactuelle d'Outremer Télécom et de Dauphin Télécom, de sorte que le surplus de parts de marché d'Orange Caraïbe ne tient pas compte de la part de marché perdue par ces deux opérateurs. (Pièce 44 pages 19/21).

Sur le grief tenant à la fixation arbitraire de la part du marché cible à atteindre par BTC à la part de marché réellement obtenue par BTC en 2009, soit 39,3% sans retenir de surcroît la part inférieure publiée par l'ARCEP pour la zone Antilles-Guyane, Digicel observe justement que l'approche retenue revient à considérer que sans ces pratiques, la part de marché de BTC/Digicel aurait progressé durant les 4 années de 2002 à 2005 selon la tendance effectivement observée entre 2006 et 2009 puisque dans des conditions normales de marché, la progression d'un nouvel entrant est en principe régulière. Or, la nouvelle politique tarifaire pratiquée par Digicel à compter de 2008 ne peut expliquer la progression de Digicel en 2008 et 2009 en ce que notamment la part de marché de 2007 de Digicel est encore impactée par les pratiques et que la refonte tarifaire de 2008 ne concernait que les forfaits alors que les parts de marché gagnées en 2008 par Digicel étaient encore concentrées sur le segment du prépayé.

Il est encore soutenu que le montant du préjudice évalué selon la méthode Sorgem à près de 115% de la valeur de la clientèle de BTC que Digicel a acquise en 2006 ne peut être retenu.

Mais, il résulte de la note en réponse du cabinet Sorgem (pièce 44 de Digicel) que le prix d'acquisition payé par Digicel en 2006 n'est pas comparable au montant du préjudice subi par BTC en ce que notamment, le prix payé par Digicel est déterminé en fonction de la marge sur coûts totaux alors que le préjudice est calculé en fonction d'une marge sur coûts variables plus élevée. Il sera ajouté que le prix de vente de l'entreprise n'est pas en l'espèce un indicateur probant du gain espéré.

- S'agissant de la méthode TERA

Cette méthode comparative ou benchmark consiste à comparer d'autres marchés géographiques similaires au marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane pour évaluer la part de marché qui aurait été celle de BTC/Digicel entre 2001 et 2008 en l'absence des pratiques. L'écart entre la part de marché réelle et la part de marché de référence permet de chiffrer le nombre de clients manqués du fait des pratiques et d'évaluer ainsi la perte de marge subie.

Orange Caraïbe et Orange soutiennent que les rapports du cabinet Tera sont entachés d'erreurs manifestes liées aux comparaisons internationales en ce que le scénario contrefactuel sur lequel repose l'évaluation proposée dans le rapport TERA porte sur un échantillon de 4 pays ce qui est trop limité pour être représentatif et dont rien ne permet d'affirmer que le marché antillo-guyannais présente des similitudes avec ces 4 marchés y compris le marché maltais qui présente des différences importantes au regard des taux de pénétration de la téléphonie mobile (93% à Malte contre 108% dans la zone Antilles-Guyane), du niveau de vie et du taux de chômage, des habitudes de consommation et de l'ARPU moyen, étant observé que le second entrant sur le marché de la téléphonie mobile dans ce pays est l'opérateur historique de la téléphonie fixe bénéficiant d'une image de marque lui permettant de gagner rapidement des parts de marché.

Mais le rapport TERA a regroupé des marchés comparables sur les caractéristiques essentielles telles que retenues par la commission : degré de concurrence et de concentration sur les marchés considérés, caractéristiques des coûts et de la demande, barrières à l'entrée. Ainsi ont été retenus les pays suivants: la Bulgarie, l'Irlande, le Luxembourg et Malte. La circonstance que notamment le PIB par habitant ne soit pas comparable ne peut être retenue dans la mesure où son impact en terme de pénétration du second entrant n'est pas démontré et où en tout état de cause, il n'est pas nécessaire que toutes les caractéristiques du marché de comparaison soient les mêmes à celle du marché affecté par l'infraction dès lors que les caractéristiques concurrentielles essentielles pour la comparaison existent.

Le critère essentiel ici retenu a été l'écart entre les dates d'arrivée des opérateurs.

Or, les différents opérateurs étudiés arrivent tous à des parts de marché de 40% autour de le 4ème et 5ème année.

Au demeurant sur le marché maltais qui présente le plus de similitudes avec le marché en cause au regard des autres critères avancés par Orange Caraïbe (richesse, population, insularité, taux de pénétration et importance du prépayé), le second entrant atteint au bout de 4 ans une part de marché de 46%.

- S'agissant des critiques communes aux rapports Sorgem et TERA

Il est soutenu que la marge brute par client utilisée dans les rapports des cabinets Sorgem et TERA aux fins de valorisation des prétendus clients manqués n'est pas démontrée ni vérifiée et conduit nécessairement à une surévaluation. Il est indiqué à cet égard que l'hypothèse selon laquelle la marge brute qu'aurait réalisée BTC sur les clients prétendument perdus aurait été identique à celle réalisée historiquement sur ses clients réels est critiquable en ce que la part des clients "forfait" plus rémunérateurs est en forte diminution à compter du rachat de BTC, que la marge brute calculée tient compte des revenus et coûts d'interconnexion alors que BTC/Digicel a bénéficié de 2004 à 2011 d'une terminaison d'appel supérieure à celle d'Orange Caraïbe, et que le fait de retenir la marge brute par client qui ne tient pas compte des coûts indirects nécessaires à l'exploitation conduit à une situation d'enrichissement sans cause (Avis de M. [N] Pièce 8 d'Orange Caraïbe page 30 et 40).

Mais les rapports Sorgem et TERA ont retenu la marge sur coûts variables, de sorte que les coûts évités si BTC avait connu un meilleur développement ont été pris en compte. Ainsi, Sorgem retient un taux de marge sur coûts variables de BTC/Digicel de 38% en moyenne de 2002 à 2009 et il n'est pas démontré que des coûts de réseaux plus importants auraient été encourus en cas de croissance supérieure.

En outre, le rapport Sorgem (pièce 44 pages 24 et 25) répondant aux critiques du Cabinet MAPP sur le taux de marge appliqué, observe que ce taux de marge sur coûts variables de 38% est inférieur au taux de marge sur coûts complets d'Orange Caraïbe (calculé après coûts variables et coûts fixes) qui oscille entre 37 et 51% sur la période de 1999 à 2006 alors que ce taux est mécaniquement plus faible que le taux de marge sur les seuls coûts variables, ce qui démontre le caractère raisonnable de l'évaluation Sorgem.

Orange et Orange Caraïbe soutiennent aussi que les rapports des cabinets Sorgem et Tera ne démontrent pas que l'écart retenu entre les parts de marché de BTC dans la situation réputée "réelle" et celles dans la situation réputée "normale" est exclusivement dû aux pratiques reprochées alors que ne sont pas pris en compte les facteurs extérieurs aux pratiques d'Orange et d'Orange Caraïbe, tels que le déficit de performance de BTC, l'absence d'efficacité de sa stratégie commerciale susceptibles d'avoir affecté le développement de BTC/Digicel, ce qui conduit à des résultats absurdes et à un écart injustifié du préjudice allégué.

Mais il a déjà été répondu sur ces points en retenant que ni la stratégie commerciale de BTC au regard de l'amélioration des performances de BTC/ Digicel à partir de la mise en place des mesures conservatoires, ni la politique d'investissement de BTC, notamment de l'insuffisance de sa couverture surfacique et du montant de ses investissements, n'expliquent l'insuffisance de la part de marché de cette dernière.

Enfin, Orange Caraïbe et Orange soutiennent que le préjudice subi par Digicel constitue une perte de chance et non un gain manqué puisque l'existence même du préjudice subi est incertaine et non seulement la valorisation du préjudice. Ainsi, elles font grief aux rapports Sorgem et TERA de ne pas avoir introduit un coefficient d'aléa, alors que Sorgem se fonde sur l'utilisation d'un unique scénario considéré comme le plus probable mais non certain et soumis à l'aléa caractéristique de la vie des affaires.

Mais Digicel rétorque justement que son préjudice global de développement constitue bien un gain manqué, certain, attribuable à une limitation des ventes, sans qu'il n'existe aucun aléa de décision (victime ou partie tierce) venant rompre la chaîne causale entre la faute et le préjudice, de sorte qu'elle a droit à la réparation de son entier dommage.

En effet, la perte de chance qui se définit comme "la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable" et concerne la caractérisation du préjudice ne peut être retenue en l'espèce, le préjudice global de développement subi par Digicel du fait des pratiques anticoncurrentielles de Orange Caraïbe et Orange étant certain.

Ce préjudice consiste dans le manque à gagner défini par la commission européenne comme "l'exclusion d'un accroissement du patrimoine qui aurait eu lieu si l'infraction n'avait pas été commise" et qui en l'espèce résulte de la perte certaine de se développer sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.

L'application d'un coefficient d'aléa de valorisation comme le retient le rapport [N] du 28 juillet 2015 (pièce 9 d'OC) dans l'indemnisation, est exclue, étant observé que la démarche retenue par le cabinet Sorgem pour évaluer le préjudice de Digicel se fonde sur l'utilisation d'un unique scénario considéré comme le plus probable et que ce passage par un scénario qui par définition ne s'est pas déroulé et ne peut être vérifié, ne doit pas être un frein à l'indemnisation intégrale des victimes pour infraction aux articles 101 et 102 du TFUE, commandée par l'effet utile du TFUE.

La méthode benchmarck utilisée par le rapport TERA compare l'évolution des parts de marché de BTC/Digicel avec l'évolution de celle d'opérateurs de téléphonie mobile, seconds entrants sur les marchés géographiques ayant une structure de concurrence comparable à celle de la zone antillo-guyanaise ; elle ne retient que les marchés sur lesquels le second entrant est intervenant plusieurs années après l'arrivée du premier entrant.

La moyenne des parts de marché annuelles obtenues par les seconds entrants a permis de construire un scénario contrefactuel de l'évolution qu'aurait dû connaître BTC en l'absence de pratiques anticoncurrentielles.

La marge sur coûts variables moyenne par client calculée par le cabinet Sorgem a été appliquée au nombre de clients perdus pour aboutir à une perte de marge subie par BTC de 173,64 millions d'euros avant actualisation. (Estimation fondée sur les parts de marché en volume et non en valeur).

Ainsi, il apparaît que les deux méthodes comparatives proposées par Digicel qui sont complémentaires aboutissent à une évaluation très proche du préjudice subi hors actualisation :179,94 millions (marge sur coûts variables perdue par BTC) pour le cabinet Sorgem et 173,64 millions pour le cabinet TERA, ce qui démontre leur pertinence.

Il convient de retenir, conformément à la demande, un préjudice de développement constitué d'un gain manqué issu de l'ensemble des pratiques, de173,64 millions d'euros avant actualisation subi par BTC/Digicel.

2°/ Sur le préjudice en termes de surcoûts

Il s'agit du damnum emergens ou perte éprouvée et en l'espèce des surcoûts payés par la victime du fait des pratiques en cause.

S'agissant des surcoûts liés aux exclusivités de distribution

Digicel sollicite la somme de 7,12 millions d'euros à ce titre avant actualisation.

Elle fait état des impayés que les distributeurs inexpérimentés lui ont fait supporter de 2003 à 2007, s'appuyant sur le rapport TERA (ses pièces 41 et 43).

Les clauses d'exclusivité de distribution ont eu pour effet de fermer l'accès aux réseaux de distributeurs existants, contraignants BTC à se tourner vers des distributeurs restés disponibles. Il résulte du rapport TERA que sur les 68 partenariats noués par BTC en décembre 2000, il n'en restait plus que 21 en septembre 2004.

Ces clauses ont occasionné à BTC des surcoûts de gestion de son réseau commercial, notamment au regard du niveau élevé de provisions pour impayés de ses distributeurs qu'elle a dû supporter.

Orange Caraïbe s'étonne de la prise en compte de l'année 2005, faisant valoir que ces clauses ont été supprimées dès le 24 janvier 2005 ainsi que de la prise en compte de l'année 2006 comme année de référence pour déterminer le niveau "normal" de provisionnement pour risque d'impayés des distributeurs, soutenant que l'amélioration de la situation de BTC serait liée à son rachat par Digicel.

Mais, en premier lieu, les effets des exclusivités ont perduré après la levée des mesures ainsi qu'il a été dit, ce que la cour d'appel a retenu dans son arrêt du 4 juillet 2013 et, en second lieu, le rachat de BTC intervenu au milieu de l'année 2006 ne peut avoir produit des effets immédiats et d'une telle ampleur, ce qui démontre encore l'incidence de la suppression des pratiques anticoncurrentielles sur le marché permettant la reprise d'une croissance normale, étant observé que le rapport tient compte de l'incidence possible d'autres facteurs sur l'année 2006 et retient "par prudence" le niveau le plus élevé entre 2006 et 2007.

La somme de 7,12 millions d'euros sollicitée à ce titre avant actualisation à la charge d'Orange Caraïbe est justifiée.

S'agissant des surcoûts liés à l'exclusivité avec le réparateur

Digicel sollicite du fait de la nécessité de renvoyer ses terminaux en métropole (avril 2003 à avril 2005) et d'investir dans une flotte de terminaux de remplacement (avril 2003-avril 2004) du fait de cette pratique, la somme respective avant actualisation de 220.000 euros et de 840 000 euros, conformément au rapport TERA.

L'exclusivité avec le seul réparateur local agréé a eu pour effet un surcoût pour la réparation des terminaux de Digicel envoyés en métropole et la mise à disposition de terminaux de remplacement.

Ainsi que le fait valoir Orange Caraïbe, le calcul du cabinet Tera du nombre de terminaux envoyés en réparation qui porte sur la période de janvier 2004 au 31 décembre 2005 comporte un décalage de 9 mois par rapport à la période réelle d'avril 2003 à avril 2005, faute de données antérieures disponibles pour la période d'avril à décembre 2003. La charge de la preuve pesant sur le demandeur, cette période doit être exclue faute de justificatifs du nombre de terminaux réparés durant ces 9 mois, de sorte que la somme de 220 000 euros sollicitée doit être ramenée prorata temporis à la somme de 137 500 euros.

En outre, la critique sur le surcoût marginal est partiellement fondée dans la mesure où la flotte de terminaux de remplacement n'a pas généré de revenus, sauf s'agissant de la revente des terminaux non prise en compte par le rapport TERA.

La charge de la preuve incombant au demandeur, le surcoût sera justement évalué à la somme de 600 000 euros au lieu de celle de 840 000 euros sollicitée à ce titre.

Ainsi la somme totale de 737 500 euros avant actualisation doit être retenue au titre des surcoûts liés à l'exclusivité avec le réparateur et mise à la charge d'Orange Caraïbe.

3°/ Sur l'indemnisation du préjudice financier ou préjudice de trésorerie

Digicel demande réparation de son préjudice financier sous forme d'une actualisation au taux WACC sur la durée de la privation des sommes, soit à hauteur de la somme de 520,53 millions au 31 décembre 2018.

Digicel soutient avoir dû renoncer à des projets d'investissements au cours des 18 années pendant lesquelles elle a été privée des sommes en cause (projets de modernisation du réseau, mobile (3G, 4G, fibre optique, ...), projets de diversification en termes d'activités ( ADSL, fibre optique,...), projet d'acquisition en 2011 de Mediaserv, en 2014 de l'activité d'Outremer Télécom dans les îles de la Réunion et Mayotte, projets de diversification géographique.

Elle indique que le cabinet Sorgem a évalué la rentabilité de certains de ses projets (pièce 59 page 11).

Elle fait aussi valoir qu'elle aurait pu prêter à sa société mère des sommes au taux de 9% l'an et ainsi bénéficier d'un taux de retour sur investissement de ce montant à compter de 2006, se désendetter et réaliser des économies de charges financières de 2002 à 2005 au lieu de supporter un taux d'intérêt moyen de 5,3%, ce qui conduit à un préjudice financier de 360,28 millions d'euros au 31 décembre 2018, après application des taux d'intérêts capitalisés.

A titre très subsidiaire, elle demande la somme de 50,10 millions d'euros au 31 décembre 2018 au titre d'un préjudice financier évalué sur la base de l'application du taux légal majoré de 5 points, capitalisés.

Orange et Orange Caraïbe sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a indemnisé la perte de chance subie du fait de l'indisponibilité du capital sur la base d'une actualisation au coût de ce capital, faisant valoir que :

- les intérêts compensatoires qui indemnisent le préjudice de trésorerie (ou préjudice financier) sont soumis aux conditions de droit commun de la responsabilité civile qui doivent être démontrées alors qu'en l'espèce, Digicel ne justifie pas d'un projet concret de développement auquel Digicel/BTC aurait dû renoncer du fait des pratiques et de l'absence de moyens alternatifs de financement,

- le taux d'intérêt approprié applicable aux intérêts compensatoires est le taux d'intérêt légal correspondant à un placement sans risque, alors que le tribunal a retenu le taux du coût moyen pondéré du capital des activités mobiles régulées fixé par l'ARCEP , en l'espèce 10,4%, qui correspond à un placement risqué et incertain, ce taux de rendement du capital n'étant proposé par aucun produit financier.

- le rapport Sorgem ne permet ni d'accréditer la demande de capitalisation de la réparation au taux WACC, ni la demande nouvelle de capitalisation au taux que BTC aurait pu économiser ou au taux de prêt intra-groupe de Digicel.

Elles disent que le tribunal qui a attribué à Digicel l'actualisation au taux WACC, au lieu du taux d'intérêt légal, sans démonstration préalable de l'impossibilité de réaliser le projet du fait du préjudice, a méconnu l'article 1240 du code civil et accordé à l'intéressée un enrichissement sans cause.

Elles font valoir que devant le tribunal, le dossier de Digicel était vide, ne comportant aucun élément matériel, technique et économique quant à la faisabilité et la rentabilité d'un projet d'investissement manqué, que l'intéressée se contente en effet d'évoquer l'existence de "multiples projets d'investissements" et ne démontre pas a fortiori l'impossibilité d'emprunter ou de se financer à des taux raisonnables qui résulterait directement des pratiques en cause.

Elles soutiennent que devant la cour, Sorgem n'a pas démontré y compris dans son tout dernier rapport (pièce 26) que BTC/Digicel aurait renoncé à un quelconque projet d'investissement en raison des pratiques reprochées.

A cet égard, elles font valoir que le rapport ne vise pas à démontrer que Digicel aurait renoncé à l'époque des pratiques reprochées à des investissements qui lui auraient rapporté une rentabilité égale au taux WACC mais tend à l'indemnisation avec une actualisation au taux WACC de projets de déploiement du FttH et de la 4G dans lesquels elle aurait renoncé à investir par manque de moyens en 2015/2016, soit plus de 10 ans après la fin des pratiques en cause à une période où ces technologies n'existaient pas.

Elles disent encore que les éléments de preuve ne sont pas produits par Digicel, en l'absence d'aboutissement des projets évoqués susceptibles d'être soumis à des apporteurs de capitaux.

Elles soutiennent que le rapport Sorgem est entaché d'erreurs grossières, l'analyse du cabinet Accuracy (pièce 54 d'Orange Caraïbe) démontrant que Digicel n'a jamais sérieusement envisagé les projets FttH et n'a pas abandonné le projet LTE & Network Upgrade puisqu'elle a effectivement déployé le LTE (4G) en Guadeloupe, Martinique et Guyane.

Elles ajoutent que Digicel n'a pas démontré qu'elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour procéder aux investissements mentionnés dans le rapport Sorgem tandis que le cabinet Accuracy montre que Digicel avait la trésorerie pour mener une partie de ses projets et pouvait lever de nouveaux financements pour les autres.

Elles estiment que l'évaluation du cabinet Sorgem est entachée d'erreurs grossières dans la valorisation des projets examinés. A cet égard, elles font valoir qu'il n'a pas été tenu compte de la durée de vie des technologies (30 ans pour le FttH, 10 ans pour le LTE) ce qui divise par près de 3 les résultats de la VAN calculée.

Enfin, elles soutiennent que les résultats du cabinet Sorgem sont incohérents.

Ainsi le projet LTE bien que ne représentant que des investissements de 29 millions d'euros aurait généré à lui seul une VAN de 531,9 millions d'euros, soit un taux de retour sur investissement annuel de 63%. Et Digicel aurait renoncé à investir dans un tel projet alors que dans le même temps, elle versait des dividendes à ses actionnaires et consentait des prêts au groupe Digicel.

Elles considèrent que l'approche proposée subsidiairement par Sorgem : capitalisation de la créance de réparation à partir du taux de placement intra-groupe et du coût de la dette, ne repose pas sur la moindre justification.

Selon elles, avant l'acquisition de BTC, rien ne permet d'affirmer que les sommes auraient été utilisées pour se désendetter et les chiffrages effectués par le cabinet Sorgem aboutissent à une capitalisation supérieure aux charges d'intérêts réellement supportées par BTC sur la période.

De même, après l'acquisition, Sorgem ne démontre pas que Digicel aurait affecté les sommes à des prêts intra-groupes et ne les aurait pas notamment distribuées à ses actionnaires sous forme de dividendes, ajoutant que le taux de 9% est irréaliste, les comptes de Digicel faisant état sur la période de prêts non rémunérés ou rémunérés à hauteur de 3%.

***

Dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 TFUE, ainsi que l'a souligné la Cour de justice, la réparation intégrale du préjudice subi doit inclure la compensation des effets négatifs résultant de l'écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l'infraction, à savoir l'érosion monétaire et la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l'indisponibilité du capital.

Le préjudice de trésorerie résulte de la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l'indisponibilité du capital alloué en réparation du préjudice initial de la naissance du dommage jusqu'au jour du jugement de réparation. Il est réparé par le paiement d'intérêts compensatoires.

Sa réparation constitue une composante essentielle de la réparation des préjudices liés aux pratiques anticoncurrentielles (CJCE Manfredi 13 juillet 2006).

Il appartient à la victime de rapporter la preuve d'une perte de chance découlant directement de l'indisponibilité du capital.

Si l'entreprise victime démontre que la non disponibilité des sommes dont elle a été privée l'a conduite soit à restreindre son activité sans pouvoir trouver des financements alternatifs par emprunts ou fonds propres, soit à renoncer à des projets d'investissements dûment identifiés qui étaient susceptibles de rapporter l'équivalent du coût moyen du capital, la perte de chance est évaluée en appliquant le coût moyen pondéré du capital (CMPC) encore appelé WACC( Weight Average Cost Of Capital), qui n'est pas un taux de rentabilité effectif, mais un taux requis par les apporteurs de capitaux.

Elle pourrait aussi être évaluée au regard de l'usage que la victime aurait fait de la trésorerie correspondante.

En effet, sauf à présumer la certitude que l'entreprise victime a été privée de l'opportunité d'investir les sommes qui lui étaient dues à un taux de rendement défini par l'ARCEP, l'application du taux WACC à un projet manqué nécessite que soit démontré au préalable l'impossibilité de réaliser le projet du fait de l'indisponibilité du capital. Le taux WACC comprend en effet une composante rémunérant le risque de sorte qu'il ne s'applique pas à des flux passés connus et déterminés dès lors qu'aucun investissement alternatif n'est prouvé avoir été perdu.

Il faut une perte de chance (projet identifié et preuve du lien direct entre la non réalisation et le préjudice subi du fait de l'absence de moyens alternatifs de financement).

Si Digicel établit l'existence de son préjudice de trésorerie constituée par l'écoulement du temps entre la naissance de son préjudice économique subi du fait des pratiques mises en oeuvre par Orange et Orange Caraïbe et la réparation de son préjudice, il lui appartient de justifier du quantum qu'elle sollicite.

Devant la Cour, Digicel fait état en particulier de projets de déploiement du FttH et de la 4G dans lesquels elle aurait renoncé à investir par manque de moyens.

Il importe peu que les projets identifiés qui datent de 2014-2015 soient postérieurs aux pratiques et concernent des technologies nouvelles alors que la date de privation des sommes s'étend de 2002 à 2018. Elle justifie ainsi qu'elle avait étudié de façon approfondie ces deux projets en 2014/2015 (plans d'affaires détaillés et documents de présentation étoffés) qui reposaient sur des hypothèses détaillées ainsi qu'il résulte de la consultation du cabinet Sorgem (pièce 59), de la nouvelle consultation de ce dernier (pièce 80), ainsi que des pièces 61 et 82. Elle justifie aussi de l'endettement du groupe à cette époque dont le ratio (dette financière/EBITD) est passé de 4,9 en mars 2014 à 5,4 en mars 2015, à 5,5 en mars 2016 et à 6 en mars 2017. Selon le cabinet Sorgem, à la fin 2018, le montant du préjudice des projets d'investissements manqués ressortirait à 781M€, soit un niveau supérieur à la valeur qui ressortirait d'une capitalisation au WACC ARCEP de chaque année au 31 décembre 2018.

Mais, outre que le projet LTE & Network Upgrade n'a pas été abandonné puisque le LTE (4G) a été déployé en Guadeloupe, Martinique et Guyane (consultation du cabinet Accuracy- pièce 54 OC), Digicel ne démontre pas qu'elle a été dans l'obligation de renoncer à ces projets du fait de l'indisponibilité des sommes correspondants au montant du préjudice subi.

En effet, même à admettre que ces projets lui aurait rapporté au moins le WACC, elle ne rapporte pas la preuve du refus de sa maison mère de les financers ainsi que de l'impossibilité de trouver d'autres sources de financement, la seule circonstance invoquée prise de l'augmentation de l'endettement du groupe sur la période 2014/2017 étant insuffisante à cet égard. Ce d'autant qu'il résulte de la consultation du cabinet Accuracy (pièce OC 54 points 33-35) que Digicel avait non seulement la possibilité de lever de nouveaux financements mais encore la trésorerie suffisante pour mener une partie de ses projets. Ainsi entre 2014 et 2017, Digicel a prêté 65 millions au groupe et a distribué 42 millions à son actionnaire, lequel a réalisé 19 acquisitions entre 2014 et 2018.

De surcroît, ainsi que le fait valoir Orange Caraïbe, il n'est pas établi que Digicel aurait conservé la trésorerie accumulée entre 2001 et 2008 pour financer des projets d'investissement à lancer en 2016 et qu'elle n'aurait pas distribué ces sommes en amont de la transaction de 2006 et en aval via des dividendes comme le montre le cabinet Accuracy.

Dès lors, Digicel qui ne justifie pas que la non disponibilité des sommes dont elle a été privée l'a conduite soit à restreindre son activité sans pouvoir trouver des financements alternatifs par emprunts ou fonds propres, soit à renoncer à des projets d'investissements dûment identifiés qui étaient susceptibles de rapporter l'équivalent du coût moyen du capital, n'est pas fondée à obtenir l'indemnisation des sommes au taux WACC ARCEP et doit être déboutée de sa demande en réparation de son préjudice financier au taux WACC.

Sur la demande subsidiaire de Digicel tenant à ce qu'il soit retenu l'usage que la victime aurait fait de la trésorerie dont elle a été privée, le cabinet Sorgem propose cette autre approche dans sa consultation et dit qu'entre 2002 et 2005, la disponibilité des sommes liées au montant du préjudice à cette date aurait pu permettre à BTC de se désendetter et ainsi de réaliser des économies de charges financières, le taux d'intérêt moyen payé par BTC sur cette période ressortant à 5,3%, tandis qu'à partir de 2006, la disponibilité des sommes aurait pu permettre à Digicel de faire des prêts à sa maison mère ou à d'autres sociétés du groupe à un taux de 9% (taux d'intérêt moyen payé par le groupe entre 2006 et 2017).

S'agissant de la période avant 2006, soit avant l'acquisition de BTC par Digicel, au regard de la trajectoire de forte réduction de son endettement dans laquelle s'est inscrite BTC à partir de 2003 jusqu'à sa cession, il peut être retenu qu'elle aurait affecté les sommes dont elle aurait été privée à son désendettement, ce d'autant qu'elle n'a commencé à distribuer des dividendes qu'à partir de 2011.

En outre le taux d'intérêt moyen de 5,3% invoqué comme taux de capitalisation peut être retenu ainsi qu'il résulte de l'avis du Cabinet Sorgem (pièce 80 de Digicel) en réponse aux critiques du cabinet Accurancy, en ce qu'il prend en compte les produits de placement une fois la société désendettée et que l'économie de frais financiers est inférieure aux frais effectivement payés (charges financières réelles).

Il n'y a pas lieu d'intégrer un coefficient d'aléa, dans la mesure où le taux d'intérêt moyen de 5,3% est le montant certain de l'économie qui aurait été réalisé s'il n'y avait pas eu les pratiques.

En revanche, s'agissant de la période postérieure à l'acquisition, force est de constater que Digicel ne produit aucun document de nature à justifier qu'elle aurait affecté les sommes dont elle a été privée à des prêts intra-groupe alors que les profits générés par Digicel ont été distribués sur cette dernière période.

Dès lors, en l'absence de preuve d'un préjudice spécifique, la perte de chance peut être évaluée en appliquant à la somme dont l'entreprise a été privée le taux d'intérêt légal correspondant à un placement sans risque, à compter du mois de janvier 2006.

S'agissant du taux d'intérêt, les appelantes estiment que seul un taux d'intérêt simple peut être appliqué au cas d'espèce et non le taux d'intérêt composé sollicité par Digicel, en l'absence d'élément factuel démontrant l'existence d'un "préjudice financier complémentaire".

Mais les intérêts moratoires qui réparent forfaitairement le préjudice résultant du seul fait du retard de paiement d'une somme d'argent sont distincts des intérêts compensatoires qui visent à réparer intégralement le préjudice financier subi par la victime d'un dommage économique du fait d'une privation de trésorerie.

La réparation intégrale du préjudice financier suppose donc l'application d'un taux d'intérêt composé qui ne constitue pas un poste de préjudice distinct mais la méthode d'évaluation du préjudice financier.

S'agissant du point de départ des intérêts compensatoires, les appelantes soutiennent que celui-ci doit être fixé à la date de l'assignation comme l'a dit le tribunal et non au 1er janvier 2002, date de début des pratiques, ce qui serait arbitraire, outre que la différenciation tarifaire et l'exclusivité avec le réparateur local agréé n'avaient pas cours à ce moment là. Elles ajoutent qu'une telle approche encouragerait les comportements dilatoires, faisant valoir que Digicel a attendu le mois de mars 2009 pour assigner et a demandé un sursis à statuer dans l'attente de la Décision.

La Cour de justice a précisé que la réparation intégrale doit inclure la compensation des effets négatifs de l'écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l'infraction, à savoir, l'érosion monétaire, mais également la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l'indisponibilité du capital.

En vertu du principe de réparation intégrale, le point de départ des intérêts doit être fixée au 1er avril 2003, date à laquelle toutes les pratiques qui ont donné lieu à une évaluation globale, ont été mises en oeuvre.

S'agissant du préjudice financier résultant des surcoûts des exclusivités de distribution, le point de départ des intérêts est fixé au 1er janvier 2007, date à laquelle tous ces surcoûts sont intervenus.

S'agissant du préjudice financier résultant des surcoûts de l'exclusivité de réparation, le point de départ des intérêts est fixé au 1er avril 2005, date à laquelle tous ces surcoûts sont intervenus.

4°/ Sur la condamnation d'Orange Caraïbe et d'Orange in solidum

Les appelantes qui sollicitent l'infirmation du jugement de ce chef, font valoir que la seule pratique reprochée à Orange concerne le segment des clients professionnels, que "l'Avantage Améris" est la seule pratique susceptible d'avoir ce segment avant le mois de mai 2002 et n'a causé aucun préjudice au-delà, cet avantage ayant cessé d'être commercialisé.

Mais chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs.

En l'espèce, Digicel a subi un préjudice lié aux surcoûts du fait des exclusivités mises en place par Orange ainsi qu'un préjudice unique de développement anormal auquel Orange a participé en commercialisant l' "Avantage Améris" sans qu'il soit possible d'identifier la partie du préjudice imputable à cet avantage.

Ces différentes pratiques se sont cumulativement renforcées l'une, l'autre, si bien que leurs effets sont indissociables comme il a été dit.

Ainsi l'offre "Changez de mobile" a prolongé les effets dans le temps ceux de l'offre "Avantage Améris" et les exclusivités de distribution et de réparation ont touché certains clients professionnels.

En outre, les effets des pratiques ont perduré après leur cessation ainsi qu'il a été dit.

Orange ne démontre pas que sa faute n'a concouru qu'à une fraction identifiée du dommage.

Egalement, la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 4 juillet 2013 a confirmé la décision de l'Autorité de la concurrence qui a dit la société France Télécom responsable aux côtés de sa filiale Orange Caraïbe des pratiques commises par cette dernière et les a condamnées solidairement au paiement de l'amende. L'Autorité a en effet retenu, qu'en application de la jurisprudence communautaire, il doit être présumé que France Télécom et Orange Caraïbe constituent une entité économique unique et, dès lors, une entreprise au sens du droit communautaire.

Ainsi, il incombe à Orange et Orange Caraïbe de réparer le préjudice subi du fait de leurs pratiques anticoncurrentielles in solidum s'agissant du manque à gagner ou préjudice de développement ainsi que du préjudice de trésorerie en résultant.

En revanche, la réparation des surcoûts engendrés par les exclusivités qu'Orange Caraïbe a imposées aux distributeurs ainsi que par l'exclusivité conclue avec le réparateur Cetelec seront à la seule charge d'Orange Caraïbe, de même que le préjudice de trésorerie en résultant

IV/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Orange et Orange Caraïbe qui succombent sont déboutées de leur demande au titre des frais irrépétibles et sont condamnées aux dépens et à payer la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de l'appel,

REJETTE la demande d'annulation du jugement ;

REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par la SA Orange et la SA Orange Caraïbe ;

DÉCLARE la SA Digicel Antilles Françaises Guyane recevable en son appel incident et en ses demandes formulées à hauteur d'appel ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- condamné in solidum la SA Orange Caraïbe et la SA Orange (anciennement France Telecom) à verser à la SA Digicel Antilles Françaises Guyane la somme de 179,64 millions d'euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant actualisée au taux de 10,4% à compter du 10 mars 2009, date de l'assignation, et ce jusqu'au complet paiement ;

- débouté la SA Digicel Antilles Françaises Guyane de ses demandes portant sur les surcoûts liées aux exclusivités imposées par Orange Caraïbe à ses distributeurs et aux exclusivités de réparation ;

LE CONFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la SA Orange Caraïbe et la SA Orange à payer à la SA Digicel Antilles Françaises Guyane, au titre du gain manqué, la somme de 173,64 millions d'euros ainsi qu'en réparation de son préjudice financier, les intérêts de cette somme au taux capitalisé de 5,3% du 1er avril 2003 au 31 décembre 2005, puis au taux légal capitalisé à compter du 1er janvier 2006 jusqu'au 31 décembre 2018 ;

CONDAMNE la SA Orange Caraïbe à payer à la SA Digicel Antilles la somme de 7,12 millions d'euros en réparation des surcoûts engendrés par les exclusivités qu'elle a imposées aux distributeurs ainsi qu'en réparation de son préjudice financier, les intérêts de cette somme au taux légal capitalisé à compter du 1er janvier 2007 jusqu'au 31 décembre 2018 ;

CONDAMNE la SA Orange Caraïbe à payer à la SA Digicel Antilles la somme de 737 500 euros en réparation des surcoûts engendrés par l'exclusivité de réparation qu'elle a conclue, ainsi qu'en réparation de son préjudice financier, les intérêts de cette somme au taux capitalisé de 5,3% à compter du 1er avril 2005 au 31 décembre 2005, puis au taux légal capitalisé à compter du 1er janvier 2006 jusqu'au 31 décembre 2018 ;

REJETTE les demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SA Orange Caraïbe et la SA Orange aux dépens dont distraction au profit de la SCP Jeanne Baechlin dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à verser la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

Cécile PENG Marie-Laure DALLERY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 17/23041
Date de la décision : 17/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°17/23041 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-17;17.23041 ?
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