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10/06/2020 | FRANCE | N°18/09120

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 10 juin 2020, 18/09120


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 10 Juin 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09120 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EYS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 17/05275





APPELANTE



Madame [F] [C]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par M

e Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151



INTIMEE



SAS INLEX IP EXPERTISE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 10 Juin 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09120 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EYS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 17/05275

APPELANTE

Madame [F] [C]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

INTIMEE

SAS INLEX IP EXPERTISE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Mars 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Madame Marianne FEBVRE-MOCAER, Conseiller

M. Olivier MANSION, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marianne FEBVRE-MOCAER dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, le délibéré ayant été prorogé jusqu'à ce jour.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [F] [C] a été engagée le 27 octobre 1997 par la société Inlex IP Expertise en qualité de juriste. Un avenant à son contrat de travail, en date du 28 janvier 2002, a précisé qu'elle était soumise à un horaire hebdomadaire de 37 heures de travail effectif ainsi qu'à une convention de forfait de 217 jours par an. La salariée exerçait en dernier lieu les fonctions de conseil en propriété industrielle moyennant une rémunération fixe de 10.000 €.

Compte tenu de l'activité de la société Inlex IP Expertise, la relation de travail était soumise à la convention collective des bureaux d'études techniques, dites 'SYNTEC'. L'entreprise employait habituellement au moins onze salariés.

Le 18 avril 2017, Mme [C] a été placée en arrêt maladie, lequel a été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'au 8 septembre 2017.

Pendant son arrêt de travail, soit le 7 juillet 2017, la salariée a saisi le conseil des prud'hommes de Paris pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement d'heures supplémentaires ainsi que d'une indemnité pour travail dissimulé.

Le médecin du travail l'a examinée le 8 septembre 2017 et l'a déclarée inapte à son poste de travail à l'issue de cette visite unique.

Le 26 septembre 2017, Mme [C] a été convoquée à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 4 octobre 2017, auquel elle ne s'est pas présentée. Elle a été licenciée pour faute grave par une lettre du 9 octobre 2017 rédigée en ces termes :

'(...) Vous occupez la fonction de conseil en propriété industrielle, en charge d'une équipe, de projets, de dossiers et d'une clientèle, ayant de fait accès à des données confidentielles concernant notre entreprise.

A cet égard, usant de votre position et de vos responsabilités, nous avons découvert que vous avez gravement manqué à votre obligation de loyauté à l'égard d'Inlex, agissant de façon répétée contre ses intérêts, dans le cadre d'une action concertée avec d'autres salariés et d'un projet parfaitement réfléchi, adoptant un comportement indélicat aux fins de détourner sa clientèle et débaucher ses salariés au profit d'un tiers.

Maintenant que nous prenons conscience de ce projet, de son ampleur et de sa nature par le recoupement d'informations et de situations récentes, nous découvrons plus particulièrement que :

' vous avez sciemment géré de façon déficiente un certain nombre de vos clients pour les amener à quitter Inlex et les inciter à rejoindre une entreprise concurrente ;

' vous avez favorisé des actions de démarchage de notre clientèle ;

' vous avez dénigré notre entreprise et certains de ses membres ;

' vous avez soutenu le débauchage de salariés.

L'ensemble de ces éléments caractérise une exécution de mauvaise foi de votre contrat de travail et justifie votre licenciement.

Votre licenciement prendra effet immédiatement à la date de première présentation de cette lettre, sans indemnité, ni préavis.'

La salariée a alors contesté son licenciement, à titre subsidiaire. De son côté, la société Inlex IP Expertise a présenté une demande reconventionnelle, sollicitant sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

La cour statue sur l'appel de Mme [C] en date du 19 juillet 2018 - et l'appel formé par la société Inlex IP Expertise le 2 août suivant - contre le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 26 avril 2018 qui a débouté la première de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens tout en rejetant les demandes reconventionnelles de la seconde. Les deux appels ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 26 février 2019.

Vu les dernières conclusions, transmises le 21 janvier 2020 par Mme [C] qui demande à la cour de :

* infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes liées à la résiliation judiciaire de son contrat de travail et à son licenciement,

* condamner la société Inlex IP Expertise au paiement des sommes suivantes :

- 241.502,00 € à titre d'heures supplémentaires,

- 24.150,00 € à titre de congés payés afférents aux heures supplémentaires,

- 73.339,26 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 36.669,63 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.666,96 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 189.456 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* ordonner la capitalisation des intérêts,

* confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Inlex IP Expertise de ses demandes de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

* juger que Mme [C] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale,

* débouter la société Inlex IP Expertise de l'intégralité de ses demandes,

* condamner la société Inlex IP Expertise à 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions transmises le 17 février 2020 par la société Inlex IP Expertise, aux fins de voir :

* infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l'article L.1222-1 du code du travail et en raison des actes de concurrence déloyale commis par Mme [C] au temps du contrat,

* condamner la salariée à lui verser 200.000 € à titre des dommages et intérêts de ces chefs,

* confirmer le jugement entrepris pour le surplus en qu'il a :

- jugé qu'elle n'avait commis aucun manquement dans l'exécution du contrat de travail de Mme [C] et qu'il n'y avait pas lieu à résiliation judiciaire,

- dit que le licenciement pour faute grave de Mme [C] était parfaitement fondé,

- débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes,

* condamner Mme [C] à lui verser la somme de 5.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 février 2020,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 22 avril 2020 par mise à disposition au greffe. Les parties ont été informées par le greffe que le délibéré était prorogé au 10 juin 2020 en raison de la crise sanitaire liée au Covid 19.

SUR CE :

Sur les heure supplémentaires et la convention de forfait :

La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Elle peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heures ou en jours. Cependant, l'existence d'une telle convention n'interdit pas au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies en sus du forfait convenu et ne le prive pas de son droit au repos compensateur au titre des heures supplémentaires réellement travaillées.

Par ailleurs, selon les dispositions en vigueur au moment de la signature de la convention en cause, la mise en place d'un dispositif de forfait était subordonnée à':

- la conclusion d'un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, d'une convention ou un accord de branche déterminant les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait dans la limite de 218 jours, les conditions de prise en compte et les caractéristiques principales de ces conventions,

- une convention individuelle de forfait passée avec le salarié par écrit,

- l'organisation d'un entretien au moins annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

L'application à un salarié d'une clause de forfait est subordonnée à l'existence de dispositions conventionnelles l'autorisant et comportant des stipulations assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journalier et hebdomadaire, et au respect des dispositions conventionnelles et contractuelles par l'employeur. La chambre sociale juge en effet que l'accord collectif permettant le recours aux conventions de forfait en jours doit comporter des stipulations qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire.

Si la convention de forfait est écartée, il convient d'appliquer les règles de preuve en matière d'heures supplémentaires : en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; il appartient toutefois au salarié demandeur de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer ses prétentions. Le salarié demandeur doit ainsi produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes de Paris a estimé que Mme [C] ne versait au débat aucun élément probant au soutien de la prétendue nullité du forfait jours et de la réalisation des heures supplémentaires.

Dans le cadre de son appel, la salariée souligne que la convention de forfait résultant de l'avenant à son contrat de travail signé le 28 janvier 2002 a été conclue en application des dispositions de la convention collective des bureaux d'études et que, par un arrêt du 24 avril 2013, la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l'article 4 de l'accord du 22 juin 1999 relatives à la durée du travail dans cette branche d'activité n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail étaient raisonnables et que la haute juridiction a donc annulé les dispositions de la convention collective des bureaux d'études sur le temps de travail.

La salariée en déduit que la convention forfait visée dans l'avenant à son contrat de travail est nulle et non avenue et qu'il convient d'appliquer les dispositions de droit commun du code du travail relatives à la durée du travail.

Elle affirme qu'elle était à la disposition de son employeur douze heures par jour, dont une heure de pause méridienne, soit onze heures de travail sur cinq jours, c'est-à-dire cinquante-cinq heures par semaine - sans compter ses déplacements professionnels et participations à des salons se tenant principalement les week-ends -. Au soutien de sa demande de rappel de salaire pour 143 heures supplémentaires, elle produit l'avenant à son contrat de travail mentionnant que ses horaires de travail sont compris entre 8H30 et 10H00 le matin et entre 18H00 et 20H00 le soir, un récapitulatif des mails professionnels qu'elle a envoyé sur trois ans et deux 'relevés d'activité mail' après 21h et les jours chômés, fériés et week-end.

La société Inlex IP Expertise objecte que la salariée bénéficiait du statut de cadre dirigeante et qu'elle était à ce titre exclue de la réglementation relative à la durée du travail. A titre subsidiaire, elle oppose, d'une part, que la convention de forfait en heures fixée à 37 heures par semaine était parfaitement valable au regard des dispositions de l'article L.3121-38 du code du travail et, d'autre part, que la demande de la salariée n'est pas suffisamment étayée.

A cet égard, la cour constate que Mme [C] - qui réclame une somme de 80.500 € par an correspondant à 20 heures supplémentaires chaque semaine, et ce sur une période de trois ans - procède par voie d'affirmations quant l'amplitude de ses journées de travail : les seuls éléments versés aux débats (des récapitulatifs de mails sur la période du 2 mars 2016 au 2 mars 2017) ne permettent pas en effet d'étayer la demande qui porte sur la période de prescription triennale.

Au surplus, ces récapitulatifs de mails ne permettent pas de déterminer les horaires de travail de la salariée chaque jour de la semaine et chaque semaine du mois au cours de l'année concernée : il s'en évince seulement que la salariée envoyait des mails le soir et les seuls éléments produits ne corroborent l'hypothèse de journées de travail commençant tôt le matin. De même, si la salariée évoque une participation à de nombreux déplacements ou à des salons, elle s'abstient de fournir le moindre élément à ce sujet.

En l'état, il convient de confirmer le jugement entrepris.

Sur le travail dissimulé :

Selon les dispositions de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code - notamment en mentionnant sciemment sur le bulletin de salaire un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli - a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail quel qu'en soit le mode.

Le paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé n'est pas subordonné à l'existence d'une décision pénale déclarant l'employeur coupable. En revanche, le travail dissimulé doit être caractérisé dans ses éléments matériel et intentionnel, ce dernier ne pouvant se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, Mme [C] fonde sa demande au titre du travail dissimulé sur l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées. Elle doit donc être déboutée de ses prétentions par voie de conséquence du rejet de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Le jugement qui l'a déboutée de ce chef sera donc confirmé.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Le salarié peut demander au conseil de prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de ce contrat.

Lorsqu'il est saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, le juge doit d'abord vérifier si les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa demande de résiliation sont établis et, dans l'affirmative, s'ils caractérisent un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat aux torts de l'employeur. Si tel est le cas, la résiliation produit les effet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes de Paris a estimé que Mme [C] ne versait aucune pièce au débat à l'appui de sa demande au titre du harcèlement moral ainsi qu'à l'appui de sa surcharge de travail et que son contrat de travail n'avait pas été modifié unilatéralement par la société Inlex IP Expertise.

Dans le cadre de son appel, la salariée réitère que l'employeur a méconnu ses obligations contractuelles en procédant à sa rétrogradation, en lui imposant un harcèlement moral et en omettant de lui payer ses heures supplémentaires.

S'agissant de la rétrogradation, Mme [C] affirme qu'alors qu'elle avait été nommée directrice de pôle encadrant une équipe de douze collaborateurs en 2011, la direction lui avait retiré sa capacité de représentation des clients auprès des Offices gérant les titres de marque à la fin de l'année 2016, avant de procéder à une réorganisation au début de l'année 2017 consistant à réduire les équipes à des unités composées de trois personnes, diviser par trois la masse des clients gérés et - par voie de conséquence - le montant de sa rémunération variable. Selon la salariée, le projet de réorganisation - auquel elle s'est opposée - consistait à faire disparaître les équipes à la fin du premier trimestre 2017.

La cour observe cependant - au vu des pièces produites - que la salariée ne justifie pas avoir dirigé une équipe composée de douze collaborateurs ni du retrait de sa capacité de représentation de clients et que, pour sa part, la société Inlex IP Expertise établit qu'elle réfléchissait à une réorganisation générale du cabinet - qui était confronté à des difficultés économiques (baisse du résultat d'exploitation) - sans réduire les responsabilités ou la rémunération de Mme [C] qui était associée à cette réflexion compte tenu de son expérience et de son ancienneté au sein de l'entreprise.

Pour ce qui a trait au harcèlement moral, la salariée reprend les mêmes faits, en y ajoutant qu'elle avait dû faire face à des tensions autour de la juste rémunération des membres de son équipe. Elle évoque la brutalité des mails reçus de la part de la direction et une humiliation publique et une surcharge de travail. Or la cour constate que la rétrogradation alléguée n'est pas matériellement établie et qu'il n'est pas justifié de mails agressifs ou publiquement humiliants à l'égard de Mme [C]. De même pour ce qui concerne la surcharge de travail. La salariée justifie en définitive seulement de désaccords en termes de gestion et de stratégie ainsi que d'une dégradation de son état de santé ayant conduit à un arrêt de travail de quelques mois et à son inaptitude physique à reprendre son emploi à l'issue.

La cour estime cependant que, pris dans leur ensemble, ces éléments ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Enfin, la salariée n'est pas fondée à se prévaloir d'un manquement de l'employeur au titre d'heures supplémentaires qui n'auraient pas été réglées.

C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par Mme [C] après avoir constaté qu'elle ne justifiait pas du harcèlement moral dont elle faisait état, d'une dégradation de ses conditions de travail, d'une prétendue surcharge de travail ou d'une modification de ses conditions de travail suite à la signature d'un avenant intervenue plus de cinq ans avant la saisine de la juridiction.

Par suite, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point également.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences financières :

L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis. Elle justifie une mise à pied conservatoire.

Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties, il revient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié.

S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur ayant licencié un salarié pour faute grave, il profite au salarié. Lorsque que les faits sont établis mais qu'aucune faute grave n'est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l'employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes de Paris a estimé que les pièces versées aux débats établissaient que Mme [C] avait organisé un départ chez Fidal, concurrent direct de son employeur, de concert avec ses collaboratrices. Après avoir relevé la concomitance des départs de la salariée et des Mmes [N], [X] et [Y] qui ont également rejoint la société Fidal, les premiers juges ont retenu que la première avait fait preuve d'un comportement inacceptable et préjudiciable aux intérêts de son employeur, au mépris de l'exigence d'accomplissement de bonne foi du contrat de travail en organisant le débauchage de trois salariés de l'entreprise au profit de Fidal qu'elle avait elle-même rejoint dès le mois de septembre 2017, alors qu'elle était placée en arrêt maladie et toujours liée par son contrat de travail avec la société Inlex IP Expertise.

Dans le cadre de son appel, Mme [C] fait valoir en substance que son licenciement repose sur des motifs fallacieux et qu'il s'inscrivait dans une volonté d'éviter une recherche de reclassement suite à son inaptitude et le paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement.

Contrairement à ce que soutient la salariée, la cour constate que la lettre de licenciement mentionne plusieurs faits précis.

En revanche, parmi les faits reprochés ne figure pas le grief relatif à l'embauche de Mme [C] par le cabinet Fidal avant la fin de son contrat de travail, lequel ne peut donc être utilement invoqué en cours de procédure comme le fait la société Inlex IP Expertise en préambule de la discussion sur le bien fondé du licenciement.

Force est également de constater que l'employeur ne produit aucun élément susceptible de prouver la matérialité du premier grief, tiré d'une gestion déficiente de certains clients pour les amener à mettre fin à la relation commerciale avec Inlex et les inciter à se tourner vers la concurrence.

La société Inlex IP Expertise ne justifie pas que Mme [C] ait favorisé des actions de démarchage de sa clientèle (deuxième grief). Les pièces qu'elle verse aux débats ont en effet trait au soutien apporté par Mme [C] à une conférence 'Les nouveaux leviers de valorisation de votre marque', laquelle était précisément animée par l'une de ses directrices, Mme [O], le 4 mai 2017, et démontrent que la salarié s'est employée à activer ses réseaux pour les inciter à participer à cette conférence.

S'agissant du grief relatif au soutien apporté par Mme [C] au débauchage de plusieurs salariés de l'entreprise en direction d'une entreprise concurrente, les mails produits par la société Inlex IP Expertise établissent seulement que la salariée a été tenue informée des démarches effectuées par ses collaboratrices. En revanche, le fait d'être mise en copie d'un curriculum vitae et d'une lettre d'engagement ne prouve pas que la salariée ait joué un rôle actif dans le départ de Mme [N], [X] et [Y]. La concomitance des départs des unes et des autres n'est pas davantage de nature à établir la responsabilité de Mme [C] alors qu'il est par ailleurs justifié que l'entreprise faisait l'objet de nombreux autres départs à la même époque. Enfin, Mme [C] ne saurait se voir imputer les arrêts de travail prescrits à ses collaboratrices par des professionnels de santé.

En définitive, la société Inlex IP Expertise rapporte seulement la preuve de quelques échanges de mails critiques entre la salariée et l'une de ses collaboratrice, Mme [N], entre janvier et juin 2016, lesquels n'établissent pas davantage la matérialité du quatrième grief par lequel il est reproché à la première d'avoir dénigré l'entreprise et certains de ses membres. En tout état de cause, ces seuls éléments ne constituent pas une faute grave, ni un motif réel et sérieux de procéder à la rupture du contrat de travail de Mme [C] le 9 octobre 2017.

Par suite, la cour infirmera le jugement qui a considéré que le licenciement reposait sur une faute grave et dira qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de Mme [C] (46 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (20 ans), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences effectives du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la société Inlex IP Expertise sera condamnée à lui verser la somme de 150.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité au titre des congés payés afférents ainsi qu'il est précisé au dispositif.

Sur la concurrence déloyale :

Invoquant un manquement de Mme [C] à son obligation de loyauté pour les motifs ayant conduit à son licenciement ainsi que pour avoir été embauchée par une entreprise concurrente en cours d'exécution de son contrat de travail, la société Inlex IP Expertise a présenté une demande reconventionnelle et l'octroi d'une somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts.

Le conseil de prud'hommes de Paris a rejeté cette demande après avoir constaté que l'employeur ne justifiait pas des sommes réclamées à ce titre.

Pour sa part, la cour relève que l'employeur ne justifie pas des actes de concurrence déloyale reprochés à la salariée dans le cadre du licenciement et que, s'agissant de l'embauche au sein du cabinet Fidal, elle est intervenue après l'entretien préalable et le jour de la notification du licenciement. Par ailleurs, Mme [C] justifie de ce qu'elle n'exerçait plus les mêmes fonctions au sein du cabinet Fidal, ayant été radiée de la liste des conseils en propriété industrielle et inscrite comme avocate au barreau des Hauts de Seine.

Pour ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée par la société Inlex IP Expertise à l'encontre de Mme [C].

Sur les autres demandes :

Les créances de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de sa convocation devant le bureau de conciliation) et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l'article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil), pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dûs au moins pour une année entière.

Il serait inéquitable que Mme [C] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la société Inlex IP Expertise qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par mise à disposition et contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Infirme le jugement rendu le 26 avril 2018 par le conseil des prud'hommes de Paris sur le licenciement et les dépens ;

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Dit que le licenciement pour faute grave notifié à Mme [C] le 9 octobre 2017 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Inlex IP Expertise à payer à Mme [C] les sommes suivantes :

- 36.669,63 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.666,96 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 150.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, et la somme à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus, pourvu qu'ils soient dûs au moins pour une année entière ;

Condamne la société Inlex IP Expertise aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à Mme [C] la somme de 4.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/09120
Date de la décision : 10/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°18/09120 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-10;18.09120 ?
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