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10/06/2020 | FRANCE | N°18/02237

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 10 juin 2020, 18/02237


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 10 JUIN 2020



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02237 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B45IU



Décision déférée à la Cour : Décision du 30 Novembre 2017 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°





APPELANTE

Madame [X] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Cyrille ACHACHE,

avocat au barreau de PARIS, toque : E0500





INTIMÉE

Société DLA PIPER FRANCE LLP

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me François MILLET du PARTNERSHIPS OGLETREE DEAKINS INTERNATIONAL LLP,...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 10 JUIN 2020

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02237 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B45IU

Décision déférée à la Cour : Décision du 30 Novembre 2017 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°

APPELANTE

Madame [X] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Cyrille ACHACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0500

INTIMÉE

Société DLA PIPER FRANCE LLP

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me François MILLET du PARTNERSHIPS OGLETREE DEAKINS INTERNATIONAL LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : R034

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Février 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne DE LACAUSSADE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport ayant été fait à l'audience par Mme Marie-Claude HERVE, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * *

Mme [E] a signé un acte d'adhésion au limited liability partnership anglais (LLP UK) DLA Piper le 31 octobre 2007 et a travaillé au sein de son établissement parisien. Un nouveau LLP intitulé DLA Piper France a été constitué en mai 2013, il assume l'exploitation du cabinet parisien.

Mme [E] qui a adhéré à cette nouvelle structure à compter du 1er janvier 2015, a démissionné par lettre du 30 novembre suivant, en demandant à être dispensée du délai de prévenance.

Elle a saisi le bâtonnier d'une demande visant à faire constater que sa démission constitue une prise d'acte de la rupture imputable à l'employeur avec les conséquences attachées à un licenciement nul.

Le LLP a soulevé l'incompétence du bâtonnier au profit du conseil des prud'hommes et a conclu au rejet des demandes de Mme [E].

Par une décision du 30 novembre 2017, le bâtonnier a dit n'y avoir lieu à requalification du contrat d'association en contrat de travail, constaté que les faits de harcèlement ne sont pas établis, a débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes et dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens.

Mme [E] a formé appel par lettre recommandée du 29 décembre 2017.

Dans ses écritures déposées et soutenues à l'audience, elle demande à la cour de :

- dire qu'elle était sous un lien de subordination avec DLA Piper France,

- dire qu'elle a été victime de faits de harcèlement de la part du LLP DLA Piper France,

de requalifier sa démission en une prise d'acte de la rupture imputable au LLP DLA Piper France avec les conséquences attachées à un licenciement nul,

- condamner le LLP DLA Piper France à lui payer :

la somme de 720 000 € à titre de dommages-intérêts correspondant à un an et demi de sa rémunération annuelle,

la somme de 480 000 € en réparation de son préjudice moral,

la somme de 240 000 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé selon l'article L.823-1 du code du travail,

la somme de 120 000 € au titre du préavis de 3 mois,

la somme de 8 000 € au titre de l'indemnité de licenciement,

la somme de 12 000 € au titre des congés payés y afférents,

- condamner le LLP DLA Piper France sous astreinte à produire les bulletins de salaire mensuels sur la base d'un salaire de 40 000 € pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015,

- condamner le LLP DLA Piper France à lui payer la somme de 18 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

subsidiairement,

- dire qu'elle a été victime de faits de harcèlement de la part de DLA Piper France la contraignant à démissionner,

- condamner DLA Piper France à lui payer les sommes de :

1 400 000 € au titre de la perte de chance de percevoir ses revenus d'associée chez DLA jusqu'à sa retraite,

480 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral dont elle a été victime la contraignant à démissionner et à rechercher une nouvelle structure d'accueil,

18 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande, en outre, oralement à la cour d'enjoindre à l'intimé de communiquer l'avis confidentiel de la commission ordinale "harcèlement et discrimination" (COMHADIS) rendu le 20 décembre 2019.

Dans ses écritures déposées et soutenues à l'audience, DLA Piper France demande à la cour de juger que Mme [E] n'a pas respecté le délai de prévenance de 9 mois qui était mis à sa charge en cas de retrait, juger que Mme [E] a manqué à son obligation de loyauté et de délicatesse en procédant à son retrait immédiat le 31 décembre 2015, sans exécuter son délai de prévenance, en conséquence, confirmer la décision du bâtonnier du 30 novembre 2017, débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes et la condamner à payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Mme [E] expose qu'elle n'a rencontré de difficultés qu'à compter de l'arrivée de M. [B] comme managing partner qui l'a harcelée en vue de la faire quitter le cabinet. C'est dans ce contexte qu'elle demande à voir le contrat la liant à DLA Piper France et sa démission être requalifiés en contrat de travail et en licenciement.

Elle soutient que la réalité de son exercice professionnel n'est pas conforme à la qualification d'associée car elle ne participait pas aux organes de gestion ni aux assemblées générales de sorte qu'elle n'avait aucun pouvoir de contrôler les comptes et la gestion de DLA. Elle fait également valoir qu'elle n'a effectué aucun apport, l'apport d'une livre sterling prévu par les statuts étant fictif et inexistant. Elle ajoute qu'en tant qu'associée titulaire d'une seule part sociale, sa rémunération est déterminée uniquement en fonction de sa propre activité et non pas en fonction des bénéfices du LLP et qu'elle ne participe pas non plus aux pertes.

Elle soutient, en revanche, qu'il existe un lien de subordination. Elle fait valoir à ce titre qu'un collaborateur lui a été retiré malgré son opposition, qu'elle ne peut embaucher une secrétaire ou consentir une réduction ou un abandon de ses honoraires supérieurs à 10% ou à 5 000 € sans validation de son supérieur hiérarchique, qu'elle ne dispose pas d'un compte bancaire d'associé pour son exercice professionnel, qu'elle fait l'objet d'une évaluation annuelle sur un site où elle est désignée comme "employée", que DLA s'immisce dans la conduite de ses dossiers, qu'elle ne peut démarrer un nouvel emploi avant un délai de trois mois dont le point de départ est à la discrétion du conseil d'administration, qu'elle a une interdiction de développer une clientèle personnelle. Elle conclut que ses rapports contractuels avec DLA Piper France doivent être régis par le droit du travail alors qu'elle rapporte la preuve de l'existence d'un lien de subordination et du caractère fictif et illicite du contrat d'associé. Elle invoque au surplus la teneur de mails reçus de M. [B].

Mme [E] reproche également à l'intimé une violation des règles d'ordre public du droit des sociétés. Elle relève que le pouvoir n'appartient pas aux 38 personnes physiques constituant le cabinet français mais au LLP UK et à International LLP, personnes morales de droit étranger alors que ni l'un ni l'autre ne sont associés et alors même que c'est DLA International qui désigne les membres du conseil d'administration. Elle conclut également à une fraude des règles d'ordre public du droit des sociétés libérales et spécialement à l'article 87 de la loi du 31 décembre 1971 et aux règles d'exercice en groupe de la profession d'avocat, faisant valoir l'irrégularité du choix d'une structure de droit étranger alors que l'ensemble des 38 associés sont de nationalité française. Elle en conclut que la qualité d'associé doit être écartée.

Mme [E] explique, en outre, qu'elle a été victime d'actes de harcèlement et invoque un faisceau d'indices précis et convergents : réduction de sa rémunération à la suite de sa démission des fonctions de "location-head" du groupe "finance et projets", certificat médical, attestations de la dégradation de son état psychologique, pressions sur son entourage professionnel pour ne pas témoigner en sa faveur.

A titre subsidiaire, en l'absence de requalification de son contrat, elle fait valoir que DLA Piper France a engagé sa responsabilité en la contraignant, en tant qu' associée, à démissionner de ses fonctions en raison du harcèlement dont elle a été victime et elle invoque à ce titre l'article P1.7 du RIBP.

Pour répondre aux conclusions de DLA Piper France, Mme [E] déclare qu'elle est devenue associée de la selarl Haussman associés depuis le 31 mars 2016 pour une rémunération annuelle brute de 400 000 €, ayant précédemment conclu avec cette structure un contrat de collaboration.

Elle indique également que la COMHADIS a rendu le 20 décembre 2019 un avis confidentiel retenant que les faits reprochés à M. [B] constituent des actes de harcèlement et que celui-ci a commis un manquement aux dispositions de l'article P1.7 du RIBP, qu'elle ne peut produire cet avis confidentiel à la cour mais que celle-ci peut faire injonction à DLA Piper France de le communiquer. Elle ajoute que la sommation de communiquer divers documents qu'elle a fait délivrer, est demeurée infructueuse.

S'agissant du respect d'un délai de préavis, Mme [E] écarte l'application de l'article 7.2 des statuts de DLA Piper International LLP et soutient qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de respecter le délai de 3 mois prévu par les statuts de DLA Piper France en raison du harcèlement dont elle faisait l'objet et précise qu'elle en avait demandé la dispense.

DLA Piper France fait valoir que les règles sur la collaboration ne sont pas transposables à la situation d'associé puisque celui-ci ne peut disposer d'une clientèle personnelle et il ajoute que l'existence d'une clause de non-concurrence n'est pas incompatible avec l'exercice de la profession d'avocat. Il soutient également que l'existence de directives est inhérente à toute organisation du travail en collectivité.

DLA Piper France soutient que le non respect des règles d'ordre public du droit des sociétés est sans lien avec le présent litige et, en outre, inexistant, un partnership soumis au droit anglais pouvant valablement exercer en France et l'article P44 du RIBP autorisant l'exercice en France des groupements transnationaux par le biais d'une succursale. Il expose qu'il exerce régulièrement en France par le biais de sa succursale dont les 42 associés, au moment du retrait de Mme [E], étaient inscrits au barreau de Paris. DLA Piper France conteste également le caractère fictif de l'apport en ajoutant qu'il existe également une obligation de contribution à un fonds de roulement sous la forme d'un financement en compte courant d'associé, selon la part de l'associé dans la réalisation du chiffre d'affaires. Il conteste l'absence d'affectio societatis et soutient que Mme [E] participait aux réunions d'associés organisées au sein du cabinet et a même exercé les fonctions de responsable du département Finance. Il conteste également l'existence d'un lien de subordination, rappelle qu'elle a elle-même exercé des fonctions de responsable du département Fiance et projets et invoque l'article 11.1.4 des statuts.

DLA Piper France conclut, par ailleurs, à l'absence de harcèlement de Mme [E] par l'associé gérant ou "managing partner". Il fait valoir que les conditions du harcèlement tel que défini par l'article L1152-1 du code du travail supposent un statut de salarié. Il ajoute que les mails et diverses attestations produits par Mme [E] n'apportent pas la preuve d'actes de harcèlement. Il précise que la rupture du contrat du collaborateur de Mme [E] a été décidée par l'ensemble des associés et était due à un taux d'occupation insuffisant.

DLA Piper France fait en revanche valoir que Mme [E] a manqué à ses obligation statutaires en n'observant pas le délai de prévenance de 9 mois ainsi qu'à ses obligations de délicatesse et déloyauté à l'égard du cabinet. Il invoque également l'article P46 du RIBP. Il considère que les arguments développés par Mme [E] sur l'existence d'un harcèlement moral l'empêchant d'exécuter son préavis servent à dissimuler sa volonté de rejoindre immédiatement un autre cabinet d'affaires international concurrent, avec lequel, dès le 1er février 2016, elle a signé un contrat de collaboration avant de devenir associée au mois de mars suivant.

* * *

1/ Sur la qualité d'associée de Mme [E] :

DLA Piper France est un groupement de droit anglais ayant son siège à [Localité 5], constitué en Angleterre et au Pays de Galles le 20 mai 2013, selon une convention conclue entre les personnes physiques (associés d'origine dont les noms figurent en annexe) et DLA Piper UK LLP. L'article 22.2 des statuts prévoit que le LLP UK fera un apport de 51GBP et chacun des autres associés, un apport de 1GBP.

Les statuts énoncent que le LLP est dirigé, géré et contrôlé par un conseil d'administration composé du LLP UK et des associés en capital désignés par DLA Piper international, qui soumet à l'assemblée générale des associés les résolutions sur lesquelles ils doivent se prononcer, chacun des associés disposant d'une voix.

Ainsi que le rappelle la décision du bâtonnier, le limited liability partnership DLA Piper France est un groupement soumis au droit anglais et les modalités des apports ainsi que les règles de gouvernance ne peuvent être déclarées illicites en application des règles du droit français.

Il sera néanmoins relevé que Mme [E] est titulaire d'une part sociale qui lui confère voix délibérative aux assemblée générales des associés, que le LLP UK est le principal associé en nombre de parts de sorte qu'il peut légitimement prétendre à un rôle essentiel au sein du groupement et que, par ailleurs, l'exercice professionnel au sein d'une structure pluripersonnelle suppose une organisation dont le caractère pyramidal n'est pas nécessairement la manifestation d'un lien de subordination alors qu'en adhérant aux statuts, Mme [E] a manifesté son approbation des règles de gouvernance et du rôle prépondérant du conseil d'administration.

Il sera en outre relevé que Mme [E] a adhéré au partnership par un acte du 27 avril 2015 avec effet rétroactif au 1er janvier 2015 et qu'au regard de la brièveté de sa présence au sein de ce groupement, il ne peut se déduire de l'absence de convocation à une assemblée générale, l'exclusion des associés, personnes physiques, de la vie sociale.

Enfin, Mme [E] qui a perçu une rémunération corrélée au chiffre d'affaires qu'elle a généré au profit du partnership, a ainsi participé aux bénéfices résultant de l'activité du groupement.

Mme [E] ne fait ainsi pas la preuve de ce que son statut ne serait pas celui d'un associé du groupement anglais que constitue le LLP DLA Piper France.

Mme [E] met également en cause la licéité de l'exercice par DLA Piper France de l'activité libérale d'avocat en France. Néanmoins, contrairement à ce qu'elle affirme, le LLP UK qui détient 59 parts du capital de DLA Piper France, en est l'un des associés au côté des personnes physiques, de nationalité française, inscrites au tableau de l'ordre des avocats de Paris; peu important que l'extrait du registre du commerce et des sociétés ne fasse pas figurer son nom dès lors que celui-ci n'a pas vocation à mentionner le nom de l'ensemble des associés. Ainsi, l'extranéité de DLA Piper France ne peut être valablement qualifiée de fausse. Par ailleurs, l'obligation fixée par l'article 87 de la loi du 31 décembre 1971 pour le conseil d'administration ou le conseil de surveillance de comprendre au moins un membre exerçant la profession d'avocat sous le titre d'avocat ou sous l'un des titres figurant sur la liste prévue à l'article 83, au sein ou au nom du groupement, est remplie. DLA Piper international est en mesure d'exercer un pouvoir par le biais de la désignation de certains des membres du conseil d'administration et par la coordination des décisions instituée par les statuts. Néanmoins, ceci n'est pas une cause d'illicéité de l'exercice en France de l'activité d'avocat dès lors que la condition relative au capital social et aux droits de vote qui doivent être détenus par des personnes exerçant la profession d'avocat en France, au sein de l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen, est respectée.

En toute hypothèse, le fait que l'exercice en France du cabinet anglo-saxon pourrait être affecté d'une irrégularité, est sans aucune incidence sur une éventuelle qualité de salarié de Mme [E].

2/ Sur le lien de subordination :

Il a été mis un terme à la collaboration d'un avocat qui avait été recruté un an auparavant pour l'activité de titrisation dont l'appelante avait la responsabilité, ce malgré son opposition.

Cette décision a été justifiée par le faible taux d'occupation de ce collaborateur (34%) au regard de sa rétrocession d'honoraires qui s'élevait à la somme de 150 000 €HT. Il ressort des mails échangés que cette décision, motivée, a été prise après une réunion au cours de laquelle Mme [E] a fait connaître sa position et le travail déjà effectué avec l'avocat en cause.

Ainsi, il ne se déduit pas du fait que l'appréciation du cabinet sur l'opportunité de conserver ce collaborateur ait été différente de celle de Mme [E] qu'il existe un lien de subordination, l'appelante ne pouvant prétendre décider seule du maintien de cet avocat alors que son activité s'exerce dans le cadre d'une structure collective.

De la même façon, la nécessité de recueillir l'approbation de la structure par la voie de ses organes décisionnels pour consentir à des abandons ou des réductions d'honoraires au delà d'un certain montant, l'absence de pouvoir personnel d'engagement des dépenses par le biais d'un compte bancaire d'associé, le droit de regard sur un séjour au Maroc pour rencontrer un client, constituent des règles de gestion proportionnées et harmonisées destinées à protéger les intérêts économiques de la collectivité à laquelle Mme [E] a fait le choix d'adhérer et dont le bon fonctionnement suppose la mise en place d'un ensemble de règles communes à tous.

Les dispositions statutaires contestées : subordination aux décisions du conseil d'administration, clause de non-concurrence, exclusivité des activités professionnelles au profit du cabinet, relèvent de l'organisation d'une activité professionnelle exercée en commun sans que les contraintes engendrées par cet exercice collectif puissent néanmoins s'analyser comme des manifestations d'un lien de subordination. La rédaction de la clause de non-concurrence, qui n'est pas propre au contrat de travail, peut éventuellement poser un problème d'interprétation ou de régularité mais celui-ci est indépendant de l'existence d'un lien de subordination.

S'agissant de la procédure d'évaluation, ainsi que l'a mentionné la décision du bâtonnier, elle s'applique à l'ensemble des associés et est destinée à organiser la répartition des bénéfices à proportion de la contribution de chacun. Elle ne peut dès lors être considérée comme la traduction d'une subordination telle que comprise en droit du travail, même si le logiciel utilise le terme anglais peut-être inapproprié d' "employée".

Enfin, Mme [E] fait état de plusieurs mails adressés à l'ensemble des avocats et autres membres du cabinet par le "managing partner", M [B]. Ces mails qui concernent la vie en collectivité (la propreté des locaux, l'usage du tabac) la nécessité de facturer ou celle de suivre une formation, sont formulés dans des termes qui peuvent être jugés inappropriés mais relèvent d'un comportement individuel qui n'est pas de nature à modifier la relation juridique entre Mme [E] et DLA Piper France.

Mme [E] qui était associée de cette structure, ne peut invoquer les règles applicables au collaborations pour conclure qu'en absence de clientèle personnelle, elle avait le statut de collaborateur salarié.

Ainsi la décision du bâtonnier déboutant Mme [E] de ses demandes fondées sur la requalification de son contrat d'adhésion au LLP DLA Piper France en contrat de travail, doit être confirmée.

3/ Sur le harcèlement moral :

Mme [E] recherche subsidiairement la responsabilité de droit commun de DLA Piper France en invoquant l'existence d'un harcèlement moral l'ayant contrainte à démissionner de ses fonctions.

Il doit en effet être retenu, ainsi que le consacre l'article P1.7 du RIBP, que le fait pour un avocat de harceler autrui, constitue un manquement aux principes essentiels de la profession et aussi une faute civile.

La demande de production de l'avis de la COMHADIS doit être appréciée en tenant compte du droit de Mme [E] de défendre ses intérêts et d'avoir accès à la preuve et d'autre part du caractère confidentiel de cet avis et de la procédure qui y aboutit, voulu par l'ordre afin notamment d'éviter qu'une publicité dissuade certaines victimes de se manifester.

Dans la mesure où il n'est pas allégué que la COMHADIS ait disposé d'autres éléments d'appréciation que ceux fournis à la présente juridiction, il ne ressort pas que la communication de l'avis soit nécessaire à la solution du litige et il ne sera pas fait droit à la demande d'injonction.

Pour établir le harcèlement, Mme [E] invoque le fait qu'elle a renoncé à ses fonctions de "location-head" et à la rémunération supplémentaire de 40 000 € qui en était la contre-partie. Néanmoins, il n'est versé aux débats aucun élément se rapportant à cet événement dont la date n'est pas précisée de sorte qu'il n'est pas possible de retenir un lien avec des actes de harcèlement alors qu'il n'est produit aucune pièce permettant de retenir l'existence d'une pression à ce sujet.

Mme [E] produit également des mails émanant de M. [Z] [B] concernant la vie collective dont le ton direct peut être considéré comme étant inapproprié, néanmoins ceux-ci sont adressés à l'ensemble des avocats et collaborateurs et ils ne peuvent être considérés comme étant des actes de harcèlement dirigés contre Mme [E].

L'avocat dont la collaboration avec Mme [E] a été interrompue contre la volonté de cette dernière, fait mention dans un SMS de pressions exercées sur lui afin qu'il ne produise pas d'attestation en sa faveur à propos de l'absence de préavis; néanmoins ces pressions sont postérieures au départ de Mme [E] du cabinet et s'inscrivent dans le cadre d'un conflit ouvert entre les parties de sorte qu'il ne peut en être tiré de conclusion quant à la situation antérieure.

Les attestations versées aux débats émanent de personnes qui ne travaillaient pas au cabinet au moment des faits, ainsi ils constatent la dégradation de l'état psychologique de Mme [E] tout en rapportant ses propos quant à leur cause. Ces attestations sur le stress ressenti par Mme [E] sont confortées par un certificat d'un médecin de l'Hérault du 28 décembre 2015 qui relève "un stress professionnel important avec répercussion psychologique et physique évoquant un burn out" sans que ces troubles puissent être reliés à une pathologie organique.

Néanmoins les éléments versés aux débats ne constituent pas un faisceau d'indices précis faisant présumer l'existence d'un harcèlement même si les attestations et le certificat médical établissent un état de stress lié au travail.

La décision du bâtonnier doit donc être également confirmée sur ce point.

4/ Sur le non respect de du délai de prévenance :

DLA Piper France demande à la cour de " dire et juger" que Mme [E] n'a pas respecté le délai de prévenance de 9 mois mis à sa charge en cas de retrait et a manqué à son obligation de loyauté et de délicatesse en procédant à son retrait immédiat le 31 décembre 2015 mais il ne formule aucune prétention à ce titre ainsi que l'a relevé le bâtonnier ; aussi, en application de l'article 5 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer.

Il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Dit n'y avoir lieu à injonction de communiquer l'avis de la COMHADIS,

Confirme la décision du bâtonnier,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [E] aux dépens.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/02237
Date de la décision : 10/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°18/02237 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-10;18.02237 ?
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