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10/06/2020 | FRANCE | N°18/02165

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 10 juin 2020, 18/02165


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 10 JUIN 2020



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02165 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5BAI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/04406





APPELANT



Monsieur [G] [K]

[Adresse 1]

[Locali

té 2]

ETATS-UNIS



Représenté par Me Gabriel RENY, avocat au barreau de PARIS, toque : C1801



INTIMEE



SAS ERAMET COMILOG MANGANESE

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me C...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 10 JUIN 2020

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02165 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5BAI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/04406

APPELANT

Monsieur [G] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

ETATS-UNIS

Représenté par Me Gabriel RENY, avocat au barreau de PARIS, toque : C1801

INTIMEE

SAS ERAMET COMILOG MANGANESE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Catherine LEGER de la SELARL ALTERLEX, avocat au barreau de PARIS, toque : D0703

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Olivier MANSION, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Bruno BLANC, président

Madame Marianne FEBVRE-MOCAER, conseillère

Monsieur Olivier MANSION, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, le délibéré ayant été prorogé jusqu'à ce jour.

- signé par Bruno BLANC, Président et par Victoria RENARD, Greffière, présent lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M.[K] (le salarié) a été engagé le 27 mars 2009 par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable du procédé et de l'amélioration continue, puis son contrat a été transféré à la société Eramet Comilog Manganèse (l'employeur) le 15 juin 2012.

Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 1er mars 2017.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 12 septembre 2017, a rejeté toutes ses demandes.

Le salarié a interjeté appel le 30 janvier 2018.

Il demande paiement des sommes de :

- 13.114,37 € de rappel de salaires pour la période du 1er janvier au 1er mars 2017,

- 1.311,44 € de congés payés afférents,

- 58.017,18 € d'indemnité de préavis,

- 5.801,72 € de congés payés afférents,

- 40.650,70 € d'indemnité de licenciement,

- 230.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite paiement de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 14 juin 2018 et 17 décembre 2019.

MOTIFS :

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail :

1°) La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Si les faits invoqués par le salarié justifient la rupture du contrat de travail, dans ce cas elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut, celui d'une démission.

Ici, le salarié rappelle qu'après avoir été engagé par une filiale chinoise du groupe le 27 mars 2009, son contrat de travail a été transféré vers l'employeur à compter du 15 juin 2012 avec reprise d'ancienneté.

L'employeur l'a mis à disposition d'une autre filiale, la société Erachem Comilog, basée à [Localité 2].

Un avenant au contrat de travail a été conclu, le 26 avril 2012, entre l'employeur et le salarié valant suspension du contrat de travail à compter du 15 juin 2012, pendant l'expatriation du salarié au Etats-Unis.

Le salarié a conclu un contrat de travail avec la filiale américaine le 30 avril 2012, à effet du 15 juin suivant.

Il reproche à l'employeur, au titre de la prise d'acte de rupture du contrat de travail, de ne pas l'avoir réintégré au groupe Eramet après la vente de la société Erachem Comilog, au groupe américain Prince, d'avoir exprimé clairement sa volonté de mettre fin à son contrat de travail, d'avoir exercé des violences morales afin de le pousser à signer un contrat avec la société américaine Erachem Comilog inc et de ne pas lui avoir versé la totalité de son salaire de base depuis la fin de son expatriation.

Sur le premier point, l'avenant de suspension du contrat de travail précité, pour permettre la mise à disposition du salarié auprès de la société Erachem Comilog prévoit, en son article 5, qu'à l'issue du transfert aux Etats-Unis, il sera proposé au salarié un emploi approprié en terme de salaire de référence et de responsabilité au sein du groupe Eramet en France ou à l'étranger et que si la société d'accueil est contrainte de mettre un terme un transfert du salarié de manière anticipée, il lui sera proposé une nouvelle affectation sauf faute grave ou lourde justifiant la rupture du contrat de travail.

Par ailleurs, l'article L. 1231-5 du code du travail dispose que :'Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein...'.

Ce texte reçoit aussi application quand le contrat avec la filiale n'est pas rompu par un licenciement.

L'obligation de reclassement à la charge de la société mère ne concernant que les relations entre celle-ci et le salarié qu'elle met à disposition, peu importe le contenu du contrat conclu entre ce dernier et la filiale.

Le salarié se réfère à un arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2008, pourvoi n°06-42.583 qui indique que : 'Attendu que, selon l'article L. 122-14-8, devenu l'article L. 1231-5 du code du travail, lorsqu'un salarié, mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d'une filiale étrangère à laquelle il est lié par un contrat de travail, est licencié par cette filiale, la société mère doit assurer son rapatriement et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère ...

Attendu que pour rejeter les demandes du salarié, la cour d'appel a relevé que celui-ci ne pouvait soutenir que son transfert aurait été subordonné à son accord exprès alors qu'il ne justifiait pas d'une effective modification de son contrat de travail, que celui-ci figurait bien dans la liste des contrats transférés ; qu'elle en déduit qu'en l'absence de toute demande claire et non équivoque de rapatriement en France et de toute rupture du contrat de travail de droit argentin antérieures à la cession et alors qu'aucune fraude n'est alléguée, le contrat de travail de l'intéressé avait été transféré et que d'ailleurs la signature d'un nouveau contrat de travail le 21 novembre 2001 avec la société E. avec effet rétroactif au 1er octobre 2001 confirmait de manière certaine la volonté de M. [Y] d'opérer la novation du contrat de travail transféré ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors que la cession par la filiale argentine Geodis Logistics Argentina de son fonds à une société tierce, mettait fin ipso facto au contrat de travail liant M. [Y] à la filiale argentine et qu'il s'en déduisait qu'il appartenait à la société mère Geodis Logistics Ile-de-France de prendre l'initiative du rapatriement du salarié et de lui proposer un reclassement, la cour d'appel a violé le texte susvisé'.

Selon l'employeur cette jurisprudence n'est pas applicable à l'espèce car il n'est pas la société mère d'Erachem Comilog, le transfert ayant été opéré de filiale à filiale.

Le salarié indique que l'employeur est société mère de fait et que la notion au sens de ce texte doit s'interpréter comme société d'origine ayant mis le salarié à la disposition d'une autre société du même groupe.

La société mère doit avoir une participation financière dans sa filiale et être dans une position dominante à son égard.

Si le texte vise la notion de société mère, il convient de ne pas s'attacher à cette seule dénomination mais de rechercher si la société qui a mis le salarié à disposition d'une autre société étrangère du groupe a une participation financière dans celle-ci, se trouve dans une position dominante à son égard ou encore exerce un contrôle sur cette dernière.

A cet effet, le salarié se réfère à quatre documents, ses pièces n°22, 30 et 31 et la pièce adverse n°16.

Les pièces 16, 22 et 31 ne sont pas probantes.

La pièce n°30 correspond à des directives de l'employeur à l'encontre de la société Erachem quant à l'élaboration du budget 2016 et à la nécessité de recouvrer des flux de trésorerie disponibles et se référant à un plan stratégique approuvé par la haute direction d'Eramet. La lettre se poursuit par des consignes à respecter en ce sens.

L'employeur démontre qu'il n'y a pas de liens capitalistiques entre lui et la société américaine Erachem (pièces n°17 et 18), tout en précisant page 9 de ses conclusions qu'il 'apparaît' que la société américaine était détenue par une société Comilog US, elle-même détenue par une société belge, détenue, à son tour, par la société Comilog holding France, enfin détenue par la société gabonaise Comilog SA.

L'employeur est également filiale de cette société gabonaise.

Il soutient également ne pas avoir eu de position dominante à l'encontre de la société américaine et ce au regard de son activité principale.

Il se reporte à la pièce n°25 consistant en une convention de prestation de service passée entre lui et la société Eramet dont il résulte qu'il assure des services pour l'ensemble de la branche manganèse du groupe, en matière de conseils et d'assistances technique et administrative.

Cependant, ce contrat renvoie à une annexe 1, non produite, qui désigne les sociétés du groupe adhérentes à cette convention.

Il n'est donc pas démontré que la filiale Erachem ait adhéré à cette convention.

Au regard de la pièce n°30 susvisée, la position dominante de l'employeur sera retenue à l'encontre de la société Erachem, de sorte que les dispositions de l'article L. 1231-5 précité ont vocation à s'appliquer.

Par ailleurs, si des discussions ont eu lieu entre l'employeur et le salarié sur le droit de réintégration avant la vente de la filiale américaine, il n'en résulte aucunement que le salarié ait entendu renoncer à ce droit de façon claire et non équivoque et ce d'autant plus que la prise d'acte de rupture du contrat de travail (pièce n°16) rappelle les dispositions de l'article L. 1231-5 du code du travail et fait état du manquement de l'employeur à son obligation d'assurer son obligation de rapatriement.

De plus, l'employeur devait prendre l'initiative de cette réintégration ce qu'il n'ignorait pas en proposant, après la vente de la société Erachem au groupe américain Prince, au salarié de conclure un accord de fin d'expatriation et de rupture amiable (pièce n°12) lequel rappelle la vente d'Erachem par acte du 30 décembre 2016, la conclusion d'un contrat de travail entre le salarié et la société Erachem, ainsi rachetée, le 9 décembre 2016 à effet du 1er janvier 2017 et la rupture du contrat le liant à l'employeur, contrat suspendu selon l'avenant précité.

Enfin, l'avenant relatif à la suspension du contrat de travail prévoit expressément la réintégration du salarié avant le terme du détachement, ce qui est le cas en l'espèce, le détachement prenant effet au 15 juin 2012 pour une durée de 5 ans.

La carence de l'employeur au sens des dispositions de l'article L. 1231-5 du code du travail constitue un manquement grave empêchant la poursuite du contrat de travail de sorte que, sans examiner les autres griefs, il convient de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement et d'infirmer le jugement.

2°) Dès lors que l'obligation de rapatriement ne concerne que l'employeur et le salarié, il importe peu qu'il ait été rémunéré par la filiale américaine entre le 1er janvier et le 1er mars 2017, date de la prise d'acte de rupture.

L'avenant de suspension du contrat de travail (pièce n°1) stipule en son article 4 que le salaire de référence est de 67.500 € pour une année complète, avec révision lors de la réintégration dans le pays de rattachement en prenant en compte le taux d'inflation et le taux d'augmentation réel du salaire local du salarié durant son transfert aux Etats-Unis, sous déduction du taux d'inflation local.

Ce salaire a été fixé, pour 2016, à 77.012 € par an. (pièce n°27).

Le salarié en demandant la somme de 13.114,37 € ne fait que respecter ces stipulations.

Cette somme lui sera accordée ainsi que celle de 1.311,43 € de congés payés afférents.

3°) Il a été jugé que les indemnités de rupture, auxquelles peut prétendre le salarié mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d'une filiale étrangère au titre de son licenciement prononcé par la société-mère après que la filiale a mis fin à son détachement, doivent être calculées par référence aux salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi.

C'est donc le dernier emploi qui doit servir de référence, soit celui exercé au titre de l'expatriation.

Sur ce point, le salarié calcule un salaire mensuel de 19.339,06 € en tenant compte du salaire perçu au sein de la filiale américaine avec un taux de change dollar/euro au jour de la prise d'acte, de l'avantage logement, des primes d'expatriation et de compensatoire liée à la perte de l'intéressement et la part salariale des cotisations volontaires à la caisse des français à l'étranger.

L'employeur conteste l'inclusion de cette part salariale dans le salaire de référence.

Toutefois, le salaire brut de référence comprend toutes les cotisations sociales du salarié et donc celle portant cotisation volontaire à la caisse des français à l'étranger.

Les demandes en paiement des sommes de 58.017,18 € d'indemnité de préavis, 5.801,72 € de congés payés afférents et de 40.650,70 € d'indemnité de licenciement seront donc accueillies.

Au regard de l'ancienneté dans l'entreprise et du salaire mensuel de référence ci-avant retenu, le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué à 150.000 €.

Sur les autres demandes :

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'employeur et le condamne à payer au salarié la somme de 3.000 €.

L'employeur supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par mise à disposition, par décision contradictoire :

- Infirme le jugement du 12 septembre 2017 ;

Statuant à nouveau :

- Dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail par M. [K] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamne la société Eramet Comilog Manganèse à payer à M. [K] les sommes de :

* 13.114,37 € de rappel de salaires pour la période du 1er janvier au 1er mars 2017,

* 1.311,43 € de congés payés afférents,

* 58.017,18 € d'indemnité de préavis,

* 5.801,72 € de congés payés afférents,

* 40.650,70 € d'indemnité de licenciement,

* 150.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant :

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Eramet Comilog Manganèse et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3.000 euros ;

- Condamne la société Eramet Comilog Manganèse aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/02165
Date de la décision : 10/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°18/02165 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-10;18.02165 ?
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