REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 02 JUIN 2020
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/27180 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B62MV
Décision déférée à la Cour : Par jugement du 11 février 2015, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré exécutoires sur le territoire français le jugement rendu le 24 mars 2011, rectifié par deux ordonnances rendues les 30 juin et 29 septembre 2011,du tribunal du district Pétrogradski de Saint-Petersbourg (Fédération de Russie) et l'arrêt confirmatif du 4 août 2011 rendu par la cour de la ville de [Localité 2]
La cour d'appel de Paris a confirmé le jugement dans son arrêt du 31 janvier 2017 en déclarant exécutoires les décisions russes et la cour de cassation a cassé et annulé le dit arrêt le 17 octobre 2018 en toutes ses dispositions en renvoyant l'affaire devant la cour d'appel, autrement composée.
DEMANDEURS AU RECOURS :
Monsieur [K] [S] né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 5] (Ouzbekistan)
[Adresse 6]
[Localité 2] (RUSSIE)
représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
assisté de Me Yves ROUSSARIE, avocat plaidant du barreau de NICE
Madame [L] [D] [V] épouse [S] née le [Date naissance 4] 1964 à [Localité 8] (Ouzbekistan)
[Adresse 6]
[Localité 2] (RUSSIE)
représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
assistée de Me Yves ROUSSARIE, avocat plaidant du barreau de NICE
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
Société BANQUE ZENITH OAO
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 2], RUSSIE
représentée par Me Mazvydas MICHALAUSKAS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1285
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 février 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre
M. Jean LECAROZ, conseiller
Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré ayant été prorogé à ce jour, sans que les parties aient pu en être avisées en raison de l'état d'urgence sanitaire.
- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière.
Par jugement rendu le 24 mars 2011, rectifié par deux ordonnances rendues les 30 juin et 29 septembre 2011, le tribunal du district Pétrogradski de Saint-Petersbourg (Fédération de Russie) a :
- condamné M. [K] [S] et Mme [L] [V] à payer solidairement à la banque ZENITH OAO la somme de 180 032 078,75 roubles,
- ordonné la vente de trois appartements hypothéqués aux enchères publiques,
- condamné M. [K] [S] à payer à la banque ZENITH OAO la somme de 34 000 roubles pour les dépenses judiciaires,
- condamné Mme [L] [V] à payer à la banque ZENITH OAO la somme de 58 480 roubles pour les dépenses judiciaires,
- ordonné la saisie de trois biens immobiliers situés à [Localité 2], [Adresse 7] avec mise en vente ultérieure aux enchères publiques aux prix initiaux respectifs de 31 285 000 roubles, 17 057 000 roubles et 52 171 000 roubles.
Sur appel formé par M. [K] [S], la cour de la ville de Saint-Pétersbourg a rendu le 4 août 2011 un arrêt confirmant le jugement du 24 mars 2011 du tribunal de district de Petrogradski, lequel a délivré le 10 octobre 2011 un titre exécutoire à l'encontre de M. [K] [S], d'une part, et de Mme [L] [V], d'autre part.
Par actes d'huissier du 17 juin 2013, la banque ZENITH OAO a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris M. [K] [S] et Mme [L] [V] aux fins, notamment, d'entendre déclarer exécutoires en France le jugement rendu par le tribunal du district Pétrogradski de la ville de Saint-Petersbourg, le 24 mars 2011, ses ordonnances rectificatives du 30 juin 2011 et 29 septembre 2011 ainsi que l'arrêt de la cour de la ville de Saint-Pétersbourg en date du 4 août 2011.
Par jugement du 11 février 2015, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [S] et Mme [V], déclaré exécutoires sur le territoire français les décisions russes, débouté M. [S] et Mme [V] de leurs demandes reconventionnelles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, condamné ces derniers in solidum aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [K] [S] et Mme [L] [V] ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 12 mars 2015.
Par arrêt du 31 janvier 2017, la cour d'appel de Paris a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir soulevée par M. [S] et Mme [V], confirmé le jugement en toutes ses dispositions et condamné M. [S] et Mme [V] in solidum à payer à la banque ZENITH OAO la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour a déclaré exécutoires les décisions russes en retenant notamment que le taux d'intérêts usuraire fixé et régulièrement révisé en fonction de paramètres économiques et financiers constatés en France, par essence variables, ne peut être considéré en tant que tel comme d'ordre public.
M. [S] et Mme [V] ont formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
Par arrêt rendu le 17 octobre 2018 (pourvoi n°17-18.995), la 1re chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 31 janvier 2017 en toutes ses dispositions au visa de l'article 3 du code civil en retenant « Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait, pour exercer pleinement son contrôle au titre de l'exception d'ordre public, de rechercher si, concrètement, le taux appliqué par les décisions russes n'était pas contraire à l'ordre public international, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».
Selon déclaration du 30 novembre 2018, M. [S] et Mme [V] ont saisi la cour d'appel de Paris autrement composée, juridiction de renvoi après cassation.
Dans leurs conclusions notifiées le 13 décembre 2019, M. [S] et Mme [V] demandent à la cour, à titre principal, de constater l'absence d'intérêt à agir né et actuel de la banque ZENITH OAO et de dire en conséquence celle-ci irrecevable à agir. Subsidiairement, ils demandent à la cour de rejeter tout exequatur des jugements rendus à l'encontre de Mme [V]. Plus subsidiairement, de dire que les jugements russes sont contraires à l'ordre public international de fond en raison des taux usuraires assortissant les condamnations et à l'ordre public international de procédure en raison de la violation des droits de la défense, et de l'absence de signification, et qu'en tout état de cause que les décisions russes ne peuvent pas être reconnues en France. Ils sollicitent la condamnation de la banque au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
En réponse, la banque ZENITH OAO, par conclusions notifiées le 30 mars 2019, demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation in solidum de M. [S] et Mme [V] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
MOTIFS,
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir
M. [S] et Mme [V] soutiennent que la banque ZENITH OAO serait dépourvue d'intérêt à agir, d'une part, en ce qu'elle ne justifierait pas d'une créance certaine, liquide et exigible à la suite de la vente forcée des appartements situés à [Localité 2] et, d'autre part, en ce que la banque n'est plus recevable à se prévaloir d'une créance à l'encontre de Mme [V] par l'effet de l'arrêt rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de commerce de Saint-Pétersbourg qui a ordonné sa liquidation judiciaire et déclaré « comme éteintes les créances des créanciers non réglés en raison de l'insuffisance d'actifs du débiteur ».
Mais, d'une part, il est constant qu'après que les décisions russes ont ordonné la vente aux enchères des biens immobiliers financés par les prêts accordés par la banque ZENITH OAO à M. [S] et garantis par Mme [V], ces ventes forcées ont été réalisées. La banque ZENITH OAO verse aux débats, l'attestation établie le 17 avril 2014 par M. A.V. [N], directeur de sa succursale de Saint-Péterbourg, selon laquelle, en exécution des décisions dont l'exequatur est demandé, les montants recouvrés contre les appelants s'élevaient à la somme de 90 797 550 roubles et qu'il restait un reliquat de 89 327 008,75 roubles dû au titre des trois prêts (annexe 1 de l'attestation) . Ce décompte est confirmé par les ordres de virement n°108, 109 et 110 du 12 septembre 2012 émanant du centre de virement de la direction principale à [Localité 2] de la banque de Russie, portant le tampon du chef comptable M. I.N. [O]. Aucune pièce n'est versée par les appelants qui établirait que la banque ZENITH OAO aurait perçu des sommes différentes. La circonstance que les sommes obtenues par la voie de cette procédure d'exécution forcée réalisée durant l'année 2011 soient inférieures à la valeur vénale des immeubles lors de leur achat en 2008, avant la crise de la même année, et à leur valorisation en 2011 invoquée par M. [S] selon une expertise, laquelle a été rejetée par les juridictions russes, ne permet pas de considérer que la banque aurait perçu d'autres sommes comme le soutiennent M. [S] et Mme [V].
D'autre part, il n'est pas justifié que l'arrêt rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de commerce de Saint-Pétersbourg qui a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire de Mme [V], dont il n'est pas demandé l'exequatur, serait exécutoire en France. Il n'est pas non plus justifié que les condamnations prononcées contre Mme [V] en sa qualité de « garante » des prêts souscrits par M. [S] par le jugement rectifié du 24 mars 2011 du tribunal du district Pétrogradski de Saint-Petersbourg et confirmé le 4 août 2011 par la cour de la même ville, figuraient parmi les créances éteintes par l'effet de l'arrêt rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de commerce de Saint-Pétersbourg ordonnant la liquidation de Mme [V], prise en sa qualité d' « entrepreneur indépendant ». De même, il n'est pas établi que le jugement de divorce du juge de paix du 13 mai 2010 serait opposable à la banque ZENITH OAO et qu'il aurait reçu exequatur en France.
Enfin, il n'appartient pas au juge de l'exequatur de réviser le jugement étranger, de sorte que cette cour ne saurait, sans excéder ses pouvoirs, remettre en cause les décisions dont l'exequatur est demandé en retenant, comme le soutiennent les appelants, que les expertises de M. [X] [E] figurant dans les contrats d'acquisition des appartements conclus en 2008 et fixant la valeur de ces biens immobiliers seraient opposables à la banque ZENITH OAO, laquelle serait dès lors désintéressée. Il convient de plus de rappeler que les juridictions russes ont rejeté ces évaluations après avoir ordonné une expertise judiciaire.
Contrairement à ce qu'affirment les appelants, Mme [V] n'a pas été condamnée par les décisions dont il est demandé l'exequatur en sa qualité d'acquéreur des appartements, ni d'ailleurs en qualité d'emprunteur, mais en sa qualité de « garante » à titre de sûreté des contrats de prêts souscrits par l'acquéreur des immeubles, M. [S].
La banque ZENITH OAO justifie donc d'un intérêt à agir à l'encontre de M. [S] et de Mme [V].
Au fond
Aucune convention de coopération judiciaire n'a été conclue entre la République française et la Fédération de Russie. Pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, tenant à la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, à la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et à l'absence de fraude à la loi.
Sur la compétence indirecte du juge russe
Les immeubles situés en Russie ont été acquis par M. [S] au moyen de prêts souscrits en Russie, de même que les garanties fournies par Mme [V] pour ces prêts ont été consenties en Russie. La compétence indirecte du juge russe est donc établie.
Sur l'ordre international de procédure
Les appelant soutiennent que Mme [V] n'était ni présente, ni représentée au cours des procédures de première instance et d'appel suivies devant les juridictions russes, que son droit de se défendre et le principe du contradictoire ont été violés et qu'aucune signification de ces décisions étrangères n'a été faite à son encontre.
Mais selon le jugement du tribunal de district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg du 24 mars 2011, « La défenderesse [R] Y.V. qui a reçu la convocation à l'audience en bonne et due et forme, ne s'y est pas présentée. L'accusé de réception de la convocation envoyé par courrier recommandé à l'adresse enregistrée de la défenderesse a été retourné au tribunal pour le motif que le destinataire ne s'est pas présentée pour le réceptionner alors que la défenderesse n'avait signalé au tribunal aucun changement de son domicile ». Le jugement ajoute que « La convocation judiciaire au nom de la défenderesse a été remise à son représentant par procuration, Belezerov S.N. (vol.2, pièce 72) qui ne s'est pas présenté non plus à l'audience et ne s'est pas excusé. Compte tenu des absences répétées de la défenderesse aux audiences, le tribunal a décidé d'examiner l'affaire en l'absence de cette dernière et de son représentant ».
De même, l'arrêt rendu le 4 août 2011 par la cour d'appel de Saint-Pétersbourg précise que « Madame [R] V.L. ne s'est pas présentée à l'audience du collège judiciaire, or, elle a été informée de la date et de l'heure de l'audience d'appel par un télégramme ». L'arrêt ajoute que « Conformément à la partie 2 art. 354 du Code de la Procédure Civile de la Fédération de Russie l'absence des personnes qui ont été dûment informées de l'heure et de lieu de l'audience ne peut pas empêcher l'examen de l'affaire en instance d'appel ». Ce télégramme, versé aux débats par la banque ZENITH OAO, a été délivré le 10 mars 2011 à la personne chargée de réception de la correspondance Mme [Z] au sein de la société OOO ADMIRALTEISTVO.
Mme [V], qui a dûment été convoquée devant les juridictions russes, a été mise en mesure de se défendre devant elles et ne saurait se prévaloir d'une violation du principe de la contradiction.
S'agissant de la signification des décisions russes à Mme [V], la banque ZENITH OAO verse aux débats le titre exécutoire « Série BC 029610719 » délivré par le juge de paix du tribunal du district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg le 10 octobre 2011, soit plus de deux mois après l'arrêt de la cour de Saint-Pétersbourg, qui établit que les notifications prévues par le droit russe ont été effectuées. De même, un titre exécutoire « Série BC 029610717 » a été délivré à M. [S], co-débiteur solidaire de Mme [V] et le jugement russe du 24 mars 2011 a été remis en main propre à Mme [C], conseil de M. [S], lequel a fait appel.
Il est donc justifié de la notification du jugement à Mme [V].
Aucune violation de l'ordre public international de procédure n'est donc établie.
Sur l'ordre public international de fond
Selon M. [S] et Mme [V], le système judiciaire russe serait dépourvu des garanties suffisantes d'indépendance ce qui aurait permis à la banque ZENITH OAO d'obtenir leur condamnation. Mais ces simples allégations et leurs pièces n°8 à 10 ne sont pas suffisamment circonstanciées et ne démontrent pas de manière précise qu'ils auraient été victimes d' « un système organisé » ou d'une fraude, comme ils le soutiennent. De même, il ne saurait être reproché à la banque ZENITH OAO, qui ne fait que rechercher à obtenir l'exécution en France des décisions obtenues des juridictions russes, de faire preuve de « pratiques prédatrices ».
M. [S] et Mme [V] soutiennent encore que les décisions russes, dont l'exequatur est demandé, sont contraires à l'ordre public international de fond en ce que ces décisions assortissant les condamnations prononcées à leur encontre de taux d'intérêts à hauteur de 15 % outre une indemnité de 30 % prévue par le contrat, consacrent leur condamnation assortie d'un taux usuraire, ou du moins excessif, et violent ainsi l'ordre public international de fond.
En exécution des décisions russes, M. [S] et Mme [V] ont été condamnés à payer à la banque ZENITH OAO la somme de 180 032 078,75 roubles en principal, M. [S] étant en outre condamné à la somme de 34 000 roubles pour dépenses judiciaires et Mme [V] à celle de 58 480 roubles. La condamnation en principal correspond au reliquat des sommes restant dues par M. [S] et Mme [V] en vertu du :
- contrat de crédit n°1PT-KD-0200-00344/1 du 14 août 2008 aux termes duquel la banque « octroie à l'emprunteur des fonds en urgence, sous conditions de restitution et de paiement pour un montant de 38 400 000 roubles avec 14 % de taux d'intérêt annuel jusqu'au 14.08.2023 »,
- contrat de crédit n°1PT-KD-0200-00344/2 du 14 août 2008 aux termes duquel la banque « octroie à l'emprunteur des fonds en urgence, sous conditions de restitution et de paiement pour un montant de 36 800 000 roubles avec 14 % de taux d'intérêt annuel jusqu'au 14 août 2023 »,
- contrat de crédit n°1PT-KD-0200-00344/3 du 14 août 2008 aux termes duquel la banque « octroie à l'emprunteur des fonds en urgence, sous conditions de restitution et de paiement pour un montant de 114 4800 000 (sic) roubles avec 14 % de taux d'intérêt annuel jusqu'au 14 août 2023 » (jugement du 24 mars 2011 du tribunal de district Pétrogradski).
Après avoir rappelé que les trois contrats de crédit souscrits le 14 août 2008 prévoyaient un taux contractuel de 14 %, le jugement du 24 mars 2001 du tribunal du district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg rappelle que « Dans les accords annexes en date du 01.07.2009 a été fixé le taux d'intérêt à compter du 26.06.2009 pour l'usage du crédit de 15 % et le montant de la pénalité que l'emprunteur s'engage à payer au créancier en cas de non-exécution ou de mauvaise exécution des obligations de remboursement du crédit principal, soit 30 % annuels ».
La cour de Saint-Pétersbourg rappelle que M. [S] s'est engagé à payer des intérêts contractuels des prêts et des « intérêts de retard (pénalités) ». La cour russe précise que « cette dette est provoquée par la violation des clauses contractuelles qui déterminent les intérêts en cas de retard des paiements selon le nombre de jours effectifs de l'usage du crédit en tenant compte des jours fériés et des fêtes (alinéas 3.5 et 3.3) ».
Il convient de rechercher si, concrètement, le taux appliqué par les décisions russes n'était pas contraire à l'ordre public international.
A titre liminaire, il sera relevé que les juridictions russes, suivant le décompte de la banque ZENITH OAO, ont imputé directement sur le principal des sommes restant dues au titre des prêts, et non sur les intérêts, les montants recouvrés pour chacun des prêts en cause à savoir la somme de 26 827 423,33 roubles affectée au principal du prêt IPD-KD-0200-00344/1, celle de 19 341 123,33 roubles affectée au principal du prêt IPD-KD-200-00344/2 et celle de 44 536 523,34 roubles affectée au principal du prêt IPD-KD-200-00344/3. Ce mode d'imputation est favorable à M. [S] et Mme [V].
Les intérêts, désignés par le décompte de la banque comme « intérêts imputés » et « intérêts impayés », correspondent aux intérêts échus et aux intérêts à échoir. Ainsi qu'il a été dit plus haut, leur montant initialement fixé à la somme 14 % l'an dans les trois contrats de prêt du 14 août 2008, ont été fixés au taux annuel de 15 % l'an à compter du 26 juin 2009 par des accords annexes.
Concrètement, ces taux d'intérêt nominaux ont été fixés tandis que l'inflation en Fédération de Russie était très élevée, s'établissant à 13,3 % en 2008, étant précisé que le premier semestre de l'année 2009 enregistrait des indices d'évolution des prix comparables à ceux de l'année précédente, selon les données officielles de la banque centrale russe versées aux débats par ZENITH OAO et non contestées par M. [S] et Mme [V]. Il en résulte, qu'eu égard à l'inflation russe durant l'année 2008 et le premier semestre 2019, le taux d'intérêt contractuel fixé à 14 puis à 15 % par les prêts et supportés par M. [S] et sa garante Mme [V] en vertu des décisions russes n'apparaît pas excessif, puisqu'il ne représente que 2,7 % d'intérêts déduction faite de l'inflation en cours en 2008 et 2009. Si les appelants rappellent que le taux de l'usure en 2011 était fixé en France à 4,5 % à 5,6 % pour le même type de crédits, ils ne précisent ni le taux de l'usure en 2008 et en 2009, date de souscription des crédits et de leurs avenants, ni l'évolution des prix en France à ces mêmes dates, laquelle était d'ailleurs très modérée.
Cependant, à ces intérêts contractuels, les condamnations prononcées par les juridictions russes ajoutent un intérêt de 30 % l'an à titre de pénalité.
Il convient de rappeler que si le principe d'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs, n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur.
Le montant des pénalités allouées à la banque ZENITH OAO doit donc être comparé au préjudice subi par la banque et aux manquements de l'emprunteur.
S'agissant du contrat IPD-KD-0200-00344/1 d'un montant financé de 38 400 000 roubles, M. [S] restait devoir un montant en principal de 37 369 340,34 roubles, des intérêts imputés de 179 264,53 roubles, des intérêts impayés en roubles de 4 440 552,71 roubles. Les pénalités pour ce prêt ont été fixées par les juridictions russes à la somme de 1 195 970,06 roubles, représentant environ 3 % du montant restant dû en principal et environ 27 % du montant des intérêts impayés.
S'agissant du contrat IPD-KD-0200-00344/2 d'un montant financé de 36 800 000 roubles, M. [S] restait devoir un montant en principal de 35 838 624,05 roubles, des intérêts imputés de 171 795,17 roubles et des intérêts impayés de 2 255 529,70 roubles. Les pénalités pour ce prêt ont été fixées par les juridictions russes à la somme de 1 148 259,96 roubles, représentant environ 3,2 % du montant restant dû en principal et 51 % des intérêts impayés.
S'agissant du contrat IPD-KD-0200-00344/3 d'un montant financé de 84 800 000 roubles, M. [S] restait devoir un montant en principal de 82 584 655,49 roubles, des intérêts imputés de 395 875,83 roubles et des intérêts impayés en roubles d'environ 9 806 220 roubles. Les pénalités pour ce prêt ont été fixées par les juridictions russes à la somme de 2 645 990,31 roubles, représentant environ 3,2 % du montant restant dû en principal et 27 % des intérêts impayés.
Selon le jugement rendu le 24 mars 2011 par le tribunal du district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg, M. [S] a systématiquement violé les échéances de paiements mensuels et, à partir du 21 décembre 2009, il n'a plus honoré ses obligations découlant des contrats de crédit souscrits le 14 août 2008 et dont la date d'échéance était fixée au 14 août 2023.
Cependant, la pénalité en cause a pris la forme d'intérêts fixés à 30 % l'an de sorte que c'est périodiquement que cette pénalité est réévaluée. En effet, le décompte versé par la banque ZENITH OAO révèle l'importance de cette pénalité au regard notamment du capital restant dû et des intérêts à échoir, puisqu'elle est réévaluée tous les ans et représente dans les décisions russes de 3 à 3,2 % du capital restant dû et de 30 à 50 % des intérêts à échoir et non payés par M. [S]. Cette pénalité mise à la charge de M. [S] et de sa garante Mme [V] fait peser sur ces derniers une charge financière d'un montant excessif eu égard au taux pratiqué de 30 % sur les sommes importantes restant dues par les débiteurs et à sa réévaluation annuelle, à laquelle les juridictions russes ont fait droit. Il en résulte que les décisions russes ont violé l'ordre public international en allouant à la banque des intérêts au taux de 30 % l'an correspondant aux pénalités prévues par les contrats de prêts souscrits par M. [S] et garantis par Mme [V].
La banque ZENITH OAO soutient que l'évolution du taux de change du rouble, devise dans laquelle est exprimée la condamnation, par rapport à l'euro, devise du pays du lieu d'exécution forcée en cas d'exequatur, est favorable à M. [S] et Mme [V] de sorte que la condamnation au paiement d'intérêts au taux de 30 % l'an ne serait pas excessive. Elle ajoute que la situation de fortune de M. [S] et de Mme [V] leur permet de supporter cette charge sans qu'elle puisse être qualifiée d'excessive.
Mais l'évolution du taux de change entre le rouble et l'euro et la situation de fortune des intéressés constituent des circonstances extrinsèques aux décisions russes et ne peuvent servir à en apprécier la régularité, le juge de l'exequatur devant rechercher en quoi ces décisions sont, par elles-mêmes, contraires à l'ordre public international. Ces circonstances ne justifient pas qu'il soit dérogé aux principes essentiels du droit français.
L'exequatur ne saurait donc être accordé. Le jugement est infirmé.
Succombant à l'instance, la banque ZENITH OAO ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et doit être condamnée à payer à M. [S] et Mme [V] la somme de 2 500 euros à ce titre.
La banque ZENITH OAO est condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir soulevée par M. [K] [S] et Mme [L] [V],
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Rejette la demande d'exequatur du jugement rendu à l'encontre de M. [K] [S] et Mme [L] [V] par le tribunal du district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg (Fédération de Russie), le 24 mars 2011 (affaire n°2-30/11), des ordonnances rectificatives rendues sous le même numéro par le tribunal du district Pétrogradski de Saint-Pétersbourg, le 30 juin 2011 et le 29 septembre 2011, et de l'arrêt de la cour de Saint-Pétersbourg rendu le 4 août 2011 sous le numéro 33-11876,
Condamne la banque ZENITH OAO à payer à M. [K] [S] et Mme [L] [V] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la banque ZENITH OAO aux dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE