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02/06/2020 | FRANCE | N°18/06119

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 02 juin 2020, 18/06119


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 02 JUIN 2020



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06119 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5KYA



Décision déférée à la cour : Jugement du 19 mars 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/02330





APPELANTS (18-06119, 18-15224)



Madame [Z] [H]

née le [Date naissance 6] 1962 à [Localité 15] (VIE

TNAM)

[Adresse 1]

[Localité 12]



Monsieur [L] [H]

né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 13] (95)

[Adresse 1]

[Localité 12]



Madame [A] [M]

née le [Date naissance 4] 1991 à [Lo...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 02 JUIN 2020

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06119 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5KYA

Décision déférée à la cour : Jugement du 19 mars 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/02330

APPELANTS (18-06119, 18-15224)

Madame [Z] [H]

née le [Date naissance 6] 1962 à [Localité 15] (VIETNAM)

[Adresse 1]

[Localité 12]

Monsieur [L] [H]

né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 13] (95)

[Adresse 1]

[Localité 12]

Madame [A] [M]

née le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 13] (95)

[Adresse 1]

[Localité 12]

Madame [T] [M]

née le [Date naissance 5] 1993 à [Localité 16] (95)

[Adresse 1]

[Localité 12]

Représentés par Me William WOLL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0448

INTIMES (18-06119, 18-15224)

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 9]

[Localité 11]

Représenté par Me Pierre D'AZEMAR DE FABREGUES de la SELARL URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

SCP OFFICE NOTARIAL DEJEAN DE LA BATIE - PRAGER - FOUQUET - BERDAL - GIL

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 13]

Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499, substitué à l'audience par Me Stéphanie BACH de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL

[Adresse 7]

[Localité 10]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 janvier 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Madame Anne de LACAUSSADE, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport ayant été fait à l'audience par Monsieur Christian HOURS dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre, et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffier présent lors du prononcé.

* * * * *

De la relation entre Mme [Z] [H] et M. [F] [G] [M] sont nés trois enfants:

- [L] [H], né en 1988,

- [A] [M], née en 1991,

- [T] [M], née en 1993.

En 1998, Mme [H] et son compagnon, M. [M], ont décidé d'acheter ensemble, chacun pour moitié, un terrain à bâtir, sis [Adresse 3] pour y faire construire leur future maison.

Un contrat de construction, daté du 27 mars 1998, a été signé par Mme [H] et M. [M] avec la société Castelord, suivi, le 2 avril 1998, d'une promesse synallagmatique pour l'achat du terrain.

Pour financer ces réalisations, M. [M] et Mme [H] se sont adressés à la Société centrale de crédit immobilier et à la Société financière inter-régionale de crédit immobilier, qui leur ont proposé, la première, un prêt de 170 000 FF, la seconde, un prêt de 662 000 FF, prêts signés par le couple, le 3 juin 1998, le second contrat incluant une assurance décès auprès de la Caisse nationale de prévoyance.

Le [Date décès 8] 1998, M. [F] [G] [M] est décédé accidentellement, laissant à sa succession ses trois enfants mineurs, représentés par leur mère.

Par courrier du 8 octobre 1998, la SCP Daniel Fouquet, Jean-Pierre Taramarcaz et Roland-Emmanuel Dejean de la Batie, notaires associés, a adressé au juge des tutelles de Gonesse une requête par laquelle Mme [H], ès qualités, sollicitait notamment son autorisation pour accepter purement et simplement, au nom de ses trois enfants mineurs, la succession de leur père, y joignant un inventaire de patrimoine sous seings privés, d'où il ressortait que la succession présentait un actif qui dépassait manifestement le passif.

Par ordonnance du 12 novembre 1998, le juge des tutelles a autorisé Mme [H], ès qualités d'administratrice légale de ses trois enfants mineurs à accepter purement et simplement la succession de M. [F] [G] [M].

Par courrier du 18 décembre 1998, la SCP de notaires a informé le juge des tutelles que la vente par la société Semavo à Madame [H] et ses enfants, également autorisée par l'ordonnance du 12 novembre 1998, d'un terrain situé à Gonnesse, pour y édifier un pavillon d'habitation, avait été régularisée à l'étude le 10 décembre 1998.

Le 24 décembre 1998, Me [K] [R], avocat, a adressé un courrier à la famille de M. [M] afin de l'informer que celui-ci s'était porté caution d'un prêt d'1 000 000 FF accordé en 1992 à la société Banzai, son employeur, dont il était également un associé et qu'une action en paiement, après la mise en redressement judiciaire de l'emprunteuse, avait été mise en oeuvre contre lui par le prêteur, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) devant le tribunal de grande instance de Toulon.

Les consorts [H]-[M] ont été assignés en reprise d'instance, le 9 février 1999.

Par jugement du 25 juin 2001, confirmé le 20 mars 2003 par la cour d'appel d'Aix en Provence, le tribunal de grande instance de Toulon a condamné solidairement, les cautions, M. [V], Mme [V], M. [X] et Mme [H], cette dernière en sa qualité d'administratrice légale de ses trois enfants mineurs, héritiers de leur père, à payer la somme de 436 919,62 FF à la CRCAM.

La CRCAM a ensuite fait assigner devant le tribunal de grande instance de Pontoise Mme [H] et les trois enfants en licitation partage de l'immeuble situé à [Localité 13] appartenant en indivision par moitié à Mme [H] et par moitié aux enfants [M].

Par jugement du 4 janvier 2008, ce tribunal a débouté la CRCAM de l'ensemble de ses demandes mais, par arrêt du 9 septembre 2010, la cour d'appel de Versailles, infirmant ce jugement, a ordonné l'ouverture des opérations de compte de liquidation partage de l'indivision existant entre les consorts [H] et [M].

Par jugement du 3 juillet 2014, irrévocable après le rejet du pourvoi en cassation le 12 mai 2016, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Pontoise a adjugé ledit pavillon au prix de 200 000 euros.

Les 9 et 10 février 2017, Mme [Z] [H], M. [L] [H], Mme [A] [M] et Mme [T] [M], reprochant au notaire de ne pas avoir informé Mme [H] de la possibilité d'accepter la succession de M. [M] sous bénéfice d'inventaire et au juge des tutelles de l'avoir autorisée à accepter cette succession purement et simplement sans avoir exigé un inventaire par le notaire, ont fait assigner respectivement la SCP de notaires Roland-Emmanuel Dejean de la Batie, Florence Prager-Fouquet, Thomas Berdal, Antony Gil, ainsi que l'Etat, pris en la personne de l'agent judiciaire de l'Etat, devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 19 mars 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré irrecevables les demandes présentées par Mme [Z] [H], M. [L] [H], Mmes [A] et [T] [M] ;

- débouté les parties de leurs demandes présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;

- condamné les demandeurs in solidum aux entiers dépens.:

Le tribunal a considéré que :

- le fait générateur du dommage allégué pour engager la responsabilité de l'Etat étant intervenu le 12 novembre 1998, date de l'ordonnance critiquée du juge des tutelles, le délai quadriennal pour agir a commencé à courir le 1er janvier 1999 ; l'action initiée par la CRCAM à l'encontre des consorts [H]-[M], qui ne présente aucun lien avec la créance indemnitaire revendiquée par ces derniers contre l'Etat dans le cadre de la présente instance, n'a pu interrompre le cours de la prescription ; en toute hypothèse, l'effet interruptif n'aurait opéré que jusqu'au 20 mars 2003, date de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence fixant définitivement la créance de la CRCAM à l'encontre des consorts [H]-[M], de sorte que la prescription était acquise le 31 décembre 2002, sinon le 31 décembre 2007, l'action des consorts [H]-[M] introduite contre l'Etat en février 2017 étant en conséquence irrecevable ;

- la faute imputée au notaire par les consorts [H]-[M] au soutien de leur action en responsabilité procède du défaut d'information et de conseil sur l'opportunité d'accepter la succession litigieuse sous bénéfice d'inventaire, plutôt que purement et simplement, manquement concomitant au règlement de ladite succession, à la fin de l'année 1998, le dommage en résultant ne s'étant néanmoins manifesté que le 20 mars 2003, date à laquelle la cour d'appel d'Aix-en-Provence a définitivement fixé la créance de la CRCAM à l'encontre des consorts [H]-[M], qui constitue le point de départ de la prescription décennale, de sorte que la prescription était acquise le 20 mars 2013 et que l'action des consorts [H]-[M], introduite contre le notaire en février 2017, est irrecevable.

Les consorts [H]-[M], qui ont interjeté appel de cette décision, le 22 mars 2018 (RG 18-06119), puis le 17 juin 2018 (RG 18-15224), demandent à la cour, aux termes de leurs dernières conclusions du 21 août 2019, de :

- constater que la SCP de notaires a violé son obligation de conseil en n'informant pas Mme [Z] [H] de la faculté qui s'offrait à elle d'accepter l'héritage de M. [M] sous bénéfice d'inventaire ;

- constater que le juge des tutelles du tribunal d'instance de Gonesse a commis une faute lourde engageant la responsabilité de l'État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice pour avoir autorisé Mme [Z] [H] à accepter la succession de M. [M] purement et simplement en lieu et place de sous bénéfice d'inventaire ;

- condamner in solidum l'État et la SCP Dejean de la Batie-Prager-Fouquet-Berdal-Gil à leur verser, à titre de dommages intérêts :

* 185 000 euros correspondant à la valeur perdue de la maison et au préjudice moral souffert par les appelants ;

* le montant exact de la dette de M. [L] [H] et de Mmes [T] et [A] [M] à l'égard de la CRCAM au jour du paiement par les co-intimés ;

- condamner l'État et la SCP de notaires à leur verser 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures du 13 septembre 2018, la SCP Dejean de la Batie-Prager-Fouquet-Berdal-Gil, titulaire d'un office notarial dont le siège social est [Adresse 2], demande à la cour de :

- déclarer mal fondés Mme [Z] [H], M. [L] [H], Mme [A] [M] et Mme [T] [M] en leurs appels ;

- en conséquence, confirmer, au besoin par substitution de motifs, le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes présentées par les appelants ;

- juger que Mme [Z] [H] n'a pas qualité à agir ; la déclarer irrecevable en toutes ses demandes ;

- déclarer irrecevables les appelants en leur demande indéterminée ;

- juger prescrite l'action diligentée par les appelants à leur encontre ;

- en tout état de cause, dire que la SCP de notaires n'a pas commis de fait fautif ;

- en conséquence, rejeter toutes les demandes des appelants ;

- en tout état de cause, constater l'absence de préjudice actuel et certain ayant un lien de causalité direct ;

- rejeter de plus fort l'intégralité de leurs demandes ;

- rejeter toute demande plus ample ou contraire ;

- condamner in solidum Mme [Z] [H], M. [L] [H], Mme [A] [M] et Mme [T] [M] au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures du 3 octobre 2018, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il est parfaitement motivé en fait et en droit et qu'il ne saurait souffrir d'aucune critique ;

- débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes ;

- les condamner au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure.

Le dossier a été communiqué au ministère public qui n'a pas formulé d'observations.

SUR CE,

Considérant que les affaires suivies sous les numéros de rôle 18-06119 et 18-15224 concernent les recours interjetés contre une unique décision du tribunal de grande instance, de sorte que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'en ordonner la jonction et de dire que la procédure sera désormais suivie sous le numéro 18-06119 ;

Considérant que les appelants soutiennent que :

- Mme [H] est personnellement recevable à agir dès lors qu'elle a personnellement souffert d'un dommage qui résulte de la faute combinée du juge des tutelles et du notaire ; elle a rémunéré les avocats et payé les frais de justice avec l'argent provenant de ses propres économies ; elle a endossé tous les soucis et l'angoisse que peuvent générer dix-sept années de procédure ; la maison familiale, dont elle possédait en propre la moitié, a été vendue 200 000 euros, largement en dessous du prix du marché se situant plutôt aux alentours de 300 000 euros et s'est ainsi trouvé lésée par une vente qu'elle n'a pu empêcher et qui l'a privée de l'équivalent de 50 000 euros ;

- l'action contre le notaire n'est pas prescrite, moins de cinq années s'étant écoulé entre la date d'adjudication de la maison familiale, le 3 juillet 2014, manifestant la réalisation du dommage et l'assignation ;

- l'action contre l'Etat est intervenue avant l'expiration du délai quadriennal, dès lors que la prescription a commencé à courir au jour de l'ordonnance critiquée du juge des tutelles du 12 novembre 1998 mais a été interrompue par la procédure commencée le 9 février 1999 par la CRCAM et achevée par l'arrêt de rejet de la Cour de cassation du 12 mai 2016 validant la vente par adjudication de leur maison en date du 3 juillet 2014;

- sur le fond, le notaire, qui ne rapporte, à aucun moment, la preuve qu'il aurait informé Mme [H] de la possibilité d'accepter la succession «sous bénéfice d'inventaire», a engagé sa responsabilité à son égard, elle-même profane en droit, ignorant tout des engagements souscrits par son concubin qui vivait à un endroit différent ;

- le juge a également commis une faute en autorisant Mme [H], d'origine vietnamienne, non juriste, à l'époque quasi-analphabète, vivant en concubinage plus ou moins suivi avec le défunt, à accepter «purement et simplement», sans aucune précaution, la succession, cette déficience traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission qui était de protéger les enfants du couple ; le simple délai de réalisation de l'inventaire de succession aurait suffit à déceler l'existence du prêt caché, révélée, un mois après l'ordonnance d'autorisation d'acceptation, par l'avocat choisi par M. [M] pour le défendre contre son créancier ;

- le montant de la dette que les enfants [H]-[M] doivent régler à la CRCAM, doit être pris en charge in solidum par le notaire et l'État, son montant comprenant principal et d'intérêts qui continuent de courir, ne pouvant être connu exactement qu'au jour de son paiement ;

- elle a payé de nombreux avocats, souvent de la main à la main, pour une moyenne de 3 000 euros par décision intervenue, ce qui représente une somme totale de 21 000 euros;

- la vente sur adjudication de la maison familiale a fait perdre une somme de 100 000 euros, qui est réclamée par les appelants ensemble à titre de dommages et intérêts ;

- la durée de la procédure occasionnée par la dette non mentionnée dans l'inventaire et les tracas sont à l'origine d'un préjudice moral important pour chacun des appelants ;

Considérant que la SCP de notaires réplique que :

- les appelants reprochant au notaire de ne pas avoir informé les héritiers de M. [M] de la possibilité qui leur était offerte d'accepter sous bénéfice d'inventaire la succession, ce qui leur aurait permis d'éviter de supporter le passif de la succession ayant conduit à l'adjudication du bien immobilier, il s'ensuit que Mme [H], qui n'est aucunement héritière de M. [M], mais seulement co-indivisaire avec lui du bien immobilier, n'a pas la qualité d'héritier ni d'ayant droit lui permettant, à titre personnel, de reprocher à l'étude notariale, avec laquelle elle n'a aucun lien de droit, un manquement dans le règlement de la succession de ce dernier ;

- les appelants, soumis à la prescription quinquennale à compter du jour où ils ont connu ou auraient dû connaître les faits permettant d'agir en responsabilité, avaient connaissance ou à tout le moins auraient dû l'avoir des faits permettant d'exercer un droit tendant à engager une action en responsabilité à l'encontre de l'étude notariale, le 24 décembre 1998, date où Me [R], saisi par M. [M] dans le cadre de la procédure en recouvrement de la CRCAM devant le tribunal de grande Instance de Toulon, a informé Mme [H] de l'existence de cette procédure et des prétentions du créancier ; les héritiers de M. [M] ont d'ailleurs été assignés dans cette procédure le 9 février 1999, date qui doit être retenue comme point de départ à défaut du 24 décembre 1998 ; à titre surabondant, la date de l'arrêt confirmatif rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 20 mars 2003 (prescription acquise le 20 mars 2013), doit être retenue ;

- le notaire n'a pas commis de faute car il appartenait aux ayants droit de M. [M] et s'agissant d'enfants mineurs, à leur mère, en leur qualité de représentant légal, de donner toutes les informations au notaire relatives d'une part à l'actif de la succession, mais également au passif, ce qu'elle n'a pas fait s'agissant de l'engagement pris par M. [M] en garantie d'engagement de la société Banzai et notamment de la souscription d'un cautionnement ; les actes critiqués ont été reçus conformément à l'ordonnance rendue par le juge des tutelles, au vu de l'inventaire établi sous le contrôle de Mme [H] et signé par cette dernière et en considération de l'intérêt d'accepter la succession, permettant de recueillir dans l'actif successoral la moitié indivise du bien immobilier financé par l'assureur décès ; il n'existe pas de lien de causalité entre une prétendue faute et le préjudice invoqué car même à supposer que l'étude notariale disposait des informations lui permettant de suspecter l'existence d'un passif successoral, autre que le passif courant, force est de constater que les héritiers n'auraient pas renoncé à la succession dans la mesure où une telle renonciation ne leur aurait pas permis de régulariser la promesse de vente sous seing privé, l'assureur prenant en charge 100 % du prêt souscrit par les concubins ; le préjudice en rapport avec la créance de la CRCAM n'est par ailleurs ni déterminé, ni actuel et certain ; la perte de chance de vendre à un prix supérieur au prix d'adjudication est nulle car il n'a pas été possible de vendre à de tels prix sur la période antérieure ; les problèmes et tracas rencontrés par Mme [H] et ses enfants ont pour cause, non la prétendue faute du notaire, mais l'engagement de caution conclu par M. [M] ;

Considérant que l'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que :

- dans la procédure en cause devant le juge des tutelles, Mme [H] n'intervenait qu'en sa qualité d'administratrice légale sous contrôle judiciaire de ses enfants mineurs, de sorte qu'elle n'a pas qualité à agir pour venir, à titre personnel, critiquer la décision du juge des tutelles, le seul fait qu'elle ait ensuite réglé des honoraires d'avocat notamment dans le cadre de la procédure engagée contre la CRCAM et ressentit une angoisse ne suffisant pas à démontrer un quelconque intérêt ni une qualité à agir ; la vente par adjudication de la maison dont Mme [H] était co-indivisaire ne suffit pas à démontrer qu'elle a un intérêt à agir dans la présente procédure qui concerne la décision du juge des tutelles relative à l'acceptation de la succession de M. [M] ;

- les requérants ont pu avoir connaissance de l'étendue du dommage résultant selon eux de l'acceptation de cette succession, à savoir les dettes contractées par M. [F] [G] [M], par l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 20 mars 2003, qui a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Toulon, les condamnant solidairement au paiement de la somme de 436 919,62 francs à la CRCAM, de sorte que c'est à cette date que se situe le point de départ du délai de prescription quadriennal ; l'action de la CRCAM à l'encontre des appelants ne concernait en rien la créance indemnitaire dont les requérants se prévalent à l'encontre de l'Etat au titre de l'article L141-1 du code de l'organisation judiciaire et n'a pu interrompre cette prescription, qui est acquise ;

- à la date à laquelle le juge des tutelles a rendu la décision litigieuse, aucun élément ne lui a été communiqué par les parties de nature à laisser présumer l'existence d'un passif; en l'état des avis rendus préalablement par le notaire chargé de la succession, professionnel dans cette matière et de l'inventaire établi et adressé au juge par Mme [H], il ne saurait être reproché au juge des tutelles d'avoir manqué à ses obligations en ne demandant pas un inventaire préalable à sa décision ; le défaut de conseil du notaire concernant les différentes possibilités d'acceptation de la succession ou la possible existence, alléguée par les requérantes d'un passif à la succession, ne saurait être imputé à faute au juge des tutelles ou entraîner la responsabilité solidaire de l'Etat avec ce dernier, alors que le notaire, en sa qualité de professionnel, est tenu d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes rédigés par lui ;

- sur le préjudice invoqué, s'agissant de la créance de la CRCAM, à supposer qu'un lien de causalité puisse être retenu entre la décision litigieuse du juge des tutelles et la condamnation de ces derniers au paiement solidaire de la somme de 143 883,34 euros, le préjudice ne pourrait dépasser la somme de 43 883,84 euros (en effet, sans acceptation de la succession, les enfants n'auraient rien recueilli) ;

- les requérants ne peuvent valablement se plaindre de l'acceptation de la succession, qui comprenait la moitié de la maison, et demander la réparation du préjudice résultant d'une dévaluation alléguée de sa valeur ;

- s'agissant des frais d'avocat réclamés, l'Etat ne saurait être tenu responsable de l'engagement de frais d'assistance juridique, qui sont inhérents à l'exercice de procédures dont aucun élément ne permet de démontrer le caractère fautif et qui ne présentent aucun lien de causalité avec la décision critiquée ; en outre, leur montant présente un caractère arbitraire, eu égard aux factures produites qui ne précisent pas les diligences accomplies et les procédures concernées ;

Considérant que l'action contre le notaire et l'Etat étant uniquement liée à un manquement allégué du premier à son devoir d'information et de conseil et pour l'Etat à la délivrance par le juge des tutelles d'une ordonnance autorisant l'acceptation pure et simple du de cujus, seule Mme [H], qui agissait alors en qualité d'administratrice légale sous contrôle judiciaire de ses enfants mineurs, héritiers de M. [M], était directement concernée ;

Considérant que cette action en responsabilité est exercée directement par ses enfants devenus majeurs, de sorte que l'action de Mme [H], agissant à titre personnel est irrecevable ;

Considérant sur la recevabilité de l'action des héritiers de M. [M], ses trois enfants, que l'assignation ayant été délivrée le 10 février 2017, soit après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de l'article 2224 du code civil sont applicables au présent litige, selon lesquelles la prescription est de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que cet article n'exige pas que le montant exact du dommage soit connu, dès lors que son principe est certain ;

Considérant que l'existence d'un passif de la succession du de cujus a été portée à la connaissance de Mme [H], alors leur administratrice sous contrôle judiciaire, par le courrier du conseil de M. [M], en date du 24 décembre 1998 faisant part de l'existence d'une action en paiement qui était dirigée contre ce dernier en sa qualité de caution solidaire d'un prêt à la société Banzai, pour un montant de 436 919,62 FF en principal ; que les héritiers ont été assignés en reprise d'instance, dès le 9 février 1999 ; qu'il convient de retenir cette date comme point de départ de la prescription, étant souligné que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 20 mars 2003 condamnera au paiement de la somme exacte qui était indiquée dans la lettre de 1998 du conseil de M. [M] ;

Considérant en conséquence que l'action contre le notaire, engagée au mois de février 2017, plus de 5ans et même plus de 10 ans, après le jour où Mme [H], alors administratrice sous contrôle judiciaire des héritiers de M. [M], a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, est prescrite ; qu'elle le serait encore si on devait retenir comme point de départ l'arrêt de la cour d'Aix en Provence ; que le jugement doit être confirmé sur les présents motifs, en ce qu'il a déclaré son action irrecevable ;

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont retenu que le délai de prescription quadriennale de l'action contre l'agent judiciaire de l'Etat, qui a commencé à courir le 1er janvier de l'année suivant celle du fait générateur du dommage allégué, soit l'ordonnance litigieuse autorisant l'acceptation pure et simple de la succession de M. [M], était achevé depuis le 31 décembre 2002 ;

Considérant que l'action initiée par la CRCAM n'ayant pas de lien avec la créance indemnitaire alléguée par l'appelante et, terminée le 20 mars 2003 par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence, n'aurait toujours pas pour effet de rendre l'action recevable, la déchéance quadriennale étant toujours acquise ;

Considérant en définitive que le jugement querellé du tribunal de grande instance de Paris doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il est équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais non compris dans les dépens qu'ils ont supportés en cause d'appel ;

Considérant que les appelants doivent être condamnés in solidum à supporter les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS,

Ordonne la jonction les affaires suivies sous les numéros de rôle 18-06119 et 18-15224 qui seront suivies sous le numéro 18-06119 ;

Confirme en toutes ses dispositions, par motifs partiellement substitués, le jugement du tribunal de grande instance du 29 mars 2018 ;

Y ajoutant :

Dit n'y avoir lieu à condamnation de Mme [H], M. [L] [H], Mmes [A] et [T] [M] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne Mme [H], M. [L] [H], Mmes [A] et [T] [M] in solidum aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/06119
Date de la décision : 02/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°18/06119 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-02;18.06119 ?
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