RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 29 Mai 2020
(n° , 3 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/08108 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B565R
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Avril 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MELUN RG n° 16-00052
APPELANT
Monsieur [W] [M]
né le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 8] (Algérie)
[Adresse 3]
[Localité 9]
représenté par Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/033795 du 31/10/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉES
S.A.S. DERICHEBOURG PROPRETÉ
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par Me Geoffrey CENNAMO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0750 substitué par Me Hélène LEVEQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : B750
CPAM DE SEINE ET MARNE
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 5]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Mars 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre
Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseillère
Mme Bathilde CHEVALIER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre et par Mme Typhaine RIQUET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [W] [M] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun en date du 13 avril 2018 dans un litige l'opposant à la SAS Derichebourg Propreté et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.
EXPOSE DU LITIGE
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard. Il suffit de rappeler que M. [M], salarié de la SAS Derichebourg Propreté, a été victime d'un accident le 30 janvier 2015, reconnu accident du travail par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne : 'Selon les dires du salarié, il attachait une élingue sur le big bag pour le raccrocher au pont roulant. Le pontier n'aurait soit-disant pas attendu le signal de M. [M] et a soulevé le big bag.
M. [M] a eu le pied coincé entre le big bag et un muret'. Il a été déclaré guéri le
31 janvier 2017 sans séquelle. Après avoir engagé sans succès une procédure de reconnaissance de faute inexcusable contre son employeur devant la caisse, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun le 13 octobre 2017 aux mêmes fins.
Par jugement rendu le 13 avril 2018, ce tribunal a débouté M. [M] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. [M] se désiste de sa demande au titre de la délivrance tardive de l'attestation destinée à la caisse primaire d'assurance maladie et requiert de la cour de :
- infirmer le jugement prononcé par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun le 13 avril 2018,
- juger que l'accident du travail survenu le 30 janvier 2015 a été causé par la faute inexcusable de son employeur,
- condamner la SAS Derichebourg Propreté à lui payer
-la somme de 5.000€ nets en réparation du préjudice de souffrances physiques et morales endurées,
-la somme de 2.249,05€ T.T.C. au titre des frais de défense devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun et la somme de 1.800€ T.T.C. devant la cour d'appel de Paris, sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1990 et de l'article 700 2° du code de procédure civile.
M. [M] sollicite la reconnaissance d'une faute inexcusable de son employeur en expliquant notamment qu'il a été blessé lors de la manipulation d'un big bag, sac d'une grande contenance déplacé par un grutier, que l'usage d'une grue présente nécessairement des dangers et les articles R. 4323-36, R. 4323-41 et R. 4323-42 du code du travail réglementent l'usage des équipements de travail servant au levage des charges,
que le grutier a mis en mouvement le big bag sans s'assurer que le salarié avait quitté la zone de travail et il y a deux témoins, Ms [O] et [C], que la mise en mouvement de la grue contrevient aux textes cités car elle a été faite sans vérification par le grutier de l'absence de présence humaine dans la zone de travail de la grue et sans chef de man'uvre permettant au grutier de mettre en mouvement la grue sans danger, que la grue a donc été utilisée dans les conditions irrégulières, et qu'ainsi la conscience du danger est nécessairement démontrée.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS Derichebourg Propreté requiert de la cour de :
- déclarer sans objet la demande de dommages et intérêts formulée par M. [M] en réparation du préjudice moral subi par l'absence de délivrance de l'attestation de salaire,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun le 13 avril 2018,
En conséquence :
- constater que les conditions de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur ne sont pas remplies,
- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes en ce compris celles relatives à la majoration de la rente et la réparation intégrale de ses préjudices,
- condamner M. [M] à lui verser la somme de 2.500€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- à titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, réduire le montant de la rente au titre de la faute inexcusable de M. [M].
La SAS Derichebourg Propreté s'oppose à la reconnaissance d'une faute inexcusable, faisant valoir pour l'essentiel que M. [M] n'évoque aucun manquement à l'encontre de son employeur et pour cause, selon ses dires, le pontier a levé le big bag, sans attendre que
M. [M] se soit éloigné et ne lui ait donné son accord pour le levage, que le pontier est un salarié de la société SAM [Localité 9], et ne saurait être substitué dans la direction de la société Derichebourg Propreté, que l'absence de manquement de cette dernière est confortée par les témoignages, que la faute d'un tiers ne peut rendre l'employeur conscient du danger auquel M. [M] était exposé, que l'appelant ne démontre aucune défectuosité, anomalie ou difficulté quant à l'exécution de ses fonctions, que la méconnaissance par le portier des règles élémentaires de sécurité était imprévisible, et que la concluante avait mis en 'uvre toutes les mesures pour assurer la sécurité de son salarié, qu'elle remet à chacun de ses salariés un livret d'accueil sécurité et les équipements de protection individuelle, qu'elle avait également établi un plan de prévention, et fait dispenser à
M. [M] une formation sur les risques spécifiques liés au process et à leurs équipements, que la société ne pouvait ainsi avoir conscience du risque encouru, que la faute inexcusable ne saurait être retenue lorsque les circonstances de l'accident sont demeurées incertaines et que sa cause n'a pu être déterminée, ce qui est bien le cas en l'espèce, car la société SAM [Localité 9] soutient qu'aucun accident n'était survenu le
30 mai 2015 et que les déclarations de M. [M] et de ses consorts étaient mensongères.
Elle ajoute que lors de l'enquête, le client a indiqué que les caméras de surveillance avaient enregistré la scène au moment dudit accident et à aucun moment, la vidéo ne montre M. [M] heurté par un big bag, qu'il apparaît également qu'il utilisait des moyens de circulation interdits par le plan de circulation et que ce serait à cette occasion qu'il aurait ressenti une douleur au pied droit, que la faute inexcusable de la victime est donc une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.
Aux termes de ses observations soutenues oralement à l'audience par son représentant, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne s'en rapporte sur la reconnaissance de faute inexcusable et sur la fixation des éventuels préjudices patrimoniaux, dans la limite toutefois des textes et de la jurisprudence, demande que la SAS Derichebourg Propreté ou son mandataire soit condamné à lui rembourser le montant des sommes avancées en application des articles L.452-2 et L.452-3 du code de sécurité sociale et de mettre définitivement à la charge de l'employeur ou de son mandataire les frais d'expertise.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE,
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers lui d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il résulte par ailleurs des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur version applicable aux faits que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.
Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve, d'une part que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause nécessaire de l'accident ou de la maladie.
A ce stade, la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.
En l'espèce, l'accident du 30 janvier 2015 est survenu alors que M. [M] occupait les fonctions d'agent de service affecté au nettoyage de l'aciérie SAM [Localité 9]. La déclaration établie le 3 février 2015 par le gestionnaire de paies de la société était ainsi rédigée : 'Selon les dires du salarié, il attachait une élingue sur le big bag pour le raccrocher au pont roulant. Le pontier n'aurait soit-disant pas attendu le signal de
M. [M] et a soulevé le big bag. M. [M] a eu le pied coincé entre le big bag et un muret'. Il était précisé que l'accident était survenu à 11 h 30 et avait été connu le 30 janvier 2015 à 17 h 30.
Le certificat médical initial du 30 janvier 2015 émanant du service des urgences de [Localité 9] constate un 'traumatisme de la jambe droite.'
Des témoignages versés aux débats, il ressort que M. [O], lui aussi agent de service de la société Derichebourg Propreté, se déclare témoin de l'accident de travail survenu à
M. [M] le 30 janvier 2015, précisant que 'le portier a pas respecté la sécurité et n'a pas attendu de M. [W] qu'il soit la zone de sécurité, il a levé le big bag...sans signal de fini levé,...que le portier a fait plusieurs fautes par rapport à la sécurité en général, et qu'après, le chef d'équipe [L] [C] a ramené M. [W] à l'infirmerie après la pause de midi.'
M. [C], chef d'équipe, atteste avoir assisté à l'accident de ce dernier le 30 janvier 2015 entre 11h et 12h, expliquant qu'ils travaillaient 'ensemble au nettoyage de la calamine sur les machines,...à évacuer des dépots dans les big bag, M. [M] réceptionnait les crochets d'attelage pour prendre les bigs bags, le portier devait évacuer les bigs bags après avoir respecté les consignes de sécurité mais celui-ci n'a pas attendu que M. [W] sorte de la zone pour lever le big bag ce qui a entraîné un accident du travail'. Il ajoutait qu'il 'avait pris l'initiative de ramener M. [M] à l'infirmerie après avoir averti
M. [Y], chef de chantier qui n'est pas venu, et que le chef de la sécurité et le médecin ont constaté et appelé les pompiers'.
Il ressort de ces pièces que si aucun des deux témoins ne décrit précisément les faits ayant conduit à la blessure de M. [M], tous deux décrivent un accident du travail causé par le manquement aux règles de sécurité commis par le salarié d'une entreprise tierce.
S'il y a bien eu violation des dispositions des articles R. 4323-36, R. 4323-41 et R. 4323-42 du code du travail, la responsabilité n'en incombe pas à la société Derichebourg Propreté, employeur de M. [M], mais à la société SAM [Localité 9], exploitante de l'aciérie.
En conséquence, l'existence de la conscience de ce danger par l'employeur de M. [M] n'est pas établie, la faute inexcusable ne peut être reconnue et le jugement entrepris sera confirmé.
Eu égard à la décision rendue, il convient de rejeter la demande présentée par l'appelant sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et d'allouer à l'intimée contrainte d'exposer de nouveaux frais de procédure, une somme de 1.000€ sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne M. [W] [M] à payer à la SAS Derichebourg Propreté une somme de 1.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes présentées par M. [W] [M], y compris celles au titre des frais irrépétibles,
Condamne M. [W] [M] aux dépens d'appel.
La Greffière,La Présidente,