RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 29 Mai 2020
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/04027 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B252G
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Janvier 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/06144
APPELANTE
ASSURANCE MALADIE DE [Localité 7]
Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude
Pole contentieux général
[Localité 5]
représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMÉ
Monsieur [P] [D]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de la FNATH en la personne de Me Sophie THEZE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 4]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mars 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Lionel LAFON, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
M. Lionel LAFON, Conseiller
Mme Bathilde CHEVALIER, Conseillère
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et par
Mme Typhaine RIQUET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7], ci-après 'la caisse', d'un jugement rendu le 17 janvier 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à M. [P] [D].
L'affaire est enregistrée sous le numéro RG 17/04027, les parties ont été entendues à l'audience du 2 mars 2020 et la décision est mise à disposition à la date du 29 mai 2020.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard.
Il suffit de rappeler que la caisse, suivant notification en date du 10 juin 2015, a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle un accident dont aurait été victime le 3 avril 2015 M. [D], alors employé par la société Sags [Localité 6].
M. [D] a saisi la commission de recours amiable de la caisse qui a rejeté son recours par décision du 13 octobre 2015.
M. [D] a contesté cette décision et saisi par lettre du 14 décembre 2015 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris.
Par jugement du 17 janvier 2017, ce tribunal a :
- dit son recours recevable,
- fait droit à la demande de M. [D] et déclaré que l'accident survenu le 3 avril 2015 devait être pris en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle,
- renvoyé M. [D] devant la caisse pour la liquidation de ses droits,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire.
La caisse a relevé appel de ce jugement, qui lui a été notifié le 28 février 2017, par lettre du 21 mars 2017.
La caisse fait soutenir oralement par son conseil des conclusions qui se réfèrent à ses écritures de première instance, demandant à la cour d'infirmer le jugement déféré.
Elle soutient que la matérialité de l'accident n'est pas établie, en soulignant que la déclaration d'accident du travail a été rédigée par M. [D] lui-même, qu'il ne se trouvait pas au temps de son travail le jour de l'accident puisque son planning prévoyait un jour de repos, que l'accident du travail repose sur les seules déclarations du salarié, qu'il existe enfin une discordance sur les faits évoqués par M. [D] et les lésions constatées.
M. [D] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour :
- à titre principal, à constater l'absence de diligence de la caisse appelante pendant deux années à compter du 27 mars 2017 et à prononcer la péremption de l'instance, sur le fondement de l'article 396 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire sur le fond, à confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, à condamner la caisse aux dépens et à lui verser la somme de 1.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient sur le fond qu'il produit par des attestations et certificats médicaux un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes qui caractérisent l'accident du travail, qu'il devait bien travailler le 3 avril 2015, que le planning déterminé par l'employeur était désorganisé, qu'il a aussitôt informé ce dernier de l'accident, que les lésions en résultant ont été médicalement constatées le jour-même.
Il est renvoyé aux écritures des parties, auxquelles la cour se réfère expressément, pour le détail de leurs argumentations.
SUR CE,
L'appel a été interjeté dans les délais et formes légales, il est donc recevable.
- Sur la péremption d'instance :
En application de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est frappée de péremption lorsque aucune des parties n'accomplit de diligence pendant deux ans.
La procédure devant la cour en matière de contentieux de la sécurité sociale est orale et jusqu'au 31 décembre 2018 la péremption de l'instance ne pouvait intervenir qu'à compter d'une demande de la juridiction aux parties d'accomplir certaines diligences, si elles s'abstenaient d'accomplir ces diligences pendant deux années. Depuis le 1er janvier 2019, le délai de péremption en l'absence de diligence est de deux ans.
La cour n'a en l'espèce demandé aucune diligence aux parties jusqu'au 31 décembre 2018 et depuis le 1er janvier 2019, le délai de deux ans n'est pas expiré. Par conséquent l'instance n'est pas frappée de péremption. L'exception soulevée par l'intimé doit donc être rejetée.
- Sur le fond :
Le 10 avril 2015, M. [D], salarié de la société Sags [Localité 6], a établi et adressé
lui-même à la caisse une déclaration d'accident du travail indiquant que le 3 avril 2015 à 9h45, dans le bureau d'accueil du parking [Localité 8] à [Localité 6] (Hauts de Seine), alors qu'il reprenait son travail à 100% après un mi-temps thérapeutique, il était victime d'un accident dont la nature était ainsi décrite : 'agression par surprise, et par derrière, par le collègue présent ce jour-là, et le responsable direct aussitôt avisés sur le lieu, aussi d'autres intervenants sous-traitants'.
A la rubrique consacrée à l'objet dont le contact a blessé la victime il était indiqué: 'la force physique, et ses méthodes de blocage, a asphyxié par écrasement de la nuque et la tête ainsi que le thorax, immobilisation des jambes et cris assourdissants'.
Le siège des lésions indiqué était : 'la nuque, le cou, trapèze, musculature épaule droite, tendon pied droit et le bas du dos'.
Il était précisé que la première personne avisée de l'accident était 'le responsable M. [U] et le siège accueil et Mme [N] Drh puisque je l'avais en ligne avant et (illisible)'.
Il était ajouté que l'accident avait été causé par un tiers, M. [Y].
L'employeur expliquait avoir reçu de M. [D] le 8 avril 2015 à son siège social l'arrêt de travail pour accident du travail de M. [D] sans plus de précision, et il émettait les plus vives réserves par lettre du 6 mai 2015, soutenant que M. [D] n'était pas prévu au planning du 3 avril 2015 et en avait connaissance, qu'il s'était néanmoins rendu sur son lieu de travail où il s'était trouvé en doublon avec son collègue M. [Y], que son responsable M. [U] lui avait demandé par téléphone de rentrer chez lui, que
M. [Y] lui avait demandé de ne rien inscrire sur le registre puisqu'il n'avait pas à être là.
L'employeur ajoutait dans cette lettre qu'il s'en était suivi de vifs échanges verbaux entre les deux salariés, qu'il n'avait eu aucune connaissance d'un fait accidentel ayant causé des lésions à M. [D], mais juste d'un 'vif échange verbal sans lien avec son poste de travail'.
Un certificat médical initial établi le 3 avril 2015 par le docteur [H] faisait mention de 'cervicalgie - région cervicale, agression sur le lieu de travail, contracture cervicale et muscle trapèze droit et gauche. Etat de choc émotionnel, trace griffure main gauche', et un arrêt de travail était prescrit jusqu'au 9 avril 2015.
La caisse procédait à une enquête, clôturée le 15 mai 2015, qui retient d'une part que la victime était informée depuis la veille qu'elle ne devait pas travailler ce jour-là, et d'autre part que la réalité de l'agression physique ne pouvait être établie que par les déclarations de la victime.
La caisse a par conséquent refusé la prise en charge au titre de la législation professionnelle.
En application de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quel qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il appartient au salarié de prouver la matérialité de cet accident, et en l'espèce M. [D] se prévaut de la seule présomption d'accident du travail comme survenu au temps et au lieu du travail.
La jurisprudence définit l'accident du travail comme un événement, ou une série d'événements, certain, identifié dans le temps, survenu par le fait ou à l'occasion du travail, et générateur d'une lésion.
En l'espèce la caisse appelante soutient que le salarié ne démontre pas la survenance d'un accident.
Au cours de son audition par l'agent assermenté de la caisse, le 7 mai 2015, M. [D] affirme avoir été victime le 3 avril 2015 d'une véritable agression sur son lieu de travail par son collègue M. [Y]. Il soutient qu'après avoir pris le cahier de main courante pour y porter une mention son collègue le saisit par la taille, lui bloque les bras en l'air, lui presse la tête vers le bas, lui donne un coup de pied derrière la jambe droite, relâche sa prise puis lui tape sur la main pour lui faire lâcher le cahier, qu'il récupère alors.
Entendu à son tour par l'agent assermenté, M. [Y] donne une version très différente des faits. Selon lui, M. [D] venait au travail sans respecter le planning, et prenait sa place. Le 3 avril 2015, M. [D] est revenu alors qu'il n'était pas de service.
M. [Y] a appelé le chef de service, M. [U], qui lui a réexpliqué le planning, mais M. [D] n'en a tenu aucun compte et s'est emparé du cahier de main courante.
M. [Y] reconnaît avoir arraché de la main de M. [D] le cahier, lorsque
M. [U] est venu pour la seconde fois, mais il conteste toute agression ou coup sur
M. [D].
Lors de son audition par l'agent assermenté de la caisse, M. [U] expose que le 3 avril 2015, sur appel de M. [Y], il s'est rendu au parking et a vu M. [D] occupé à téléphoner. Ce dernier lui a expliqué qu'il était en conversation avec le service des ressources humaines. M. [U] a pris le téléphone et discuté avec Mme [N], assistante de ce service. Pendant cette conversation il a entendu derrière lui le ton monter et a été obligé de raccrocher l'appareil. Il précise qu'il s'agissait d'un échange seulement verbal, que M. [M] (qui n'a pas été entendu lors de l'enquête) a fait la remarque à M. [D] qu'il ne devait pas empêcher les gens de travailler. Il ajoute que M. [D] ne s'est pas plaint auprès de lui d'avoir été agressé et qu'il n'a vu aucune agression.
M. [D] produit une attestation de M. [O] [J], une attestation de son frère [W] [D] et une attestation de M. [V], mais aucune de ces personnes n'a été témoin des faits.
Dans sa plainte déposée le jour des faits au commissariat de [Localité 6], M. [D] décrit l'agression dans des termes qui sont très proches de ce qu'il déclarera plus tard à l'enquêteur de la caisse.
Il résulte de tous ces éléments que pour le moins une altercation s'est bien produite entre MM [D] et [Y] le 3 avril 2015.
Surtout il convient de relever que sur le certificat d'ITT dressé le jour des faits par le docteur [H] apparaissent exactement les mentions portées par ce praticien sur le certificat médical initial, plus la mention 'trace strangulation arrière du cou'. Cet élément va dans le sens de la thèse du salarié intimé.
Enfin et comme l'a bien relevé le tribunal le certificat médical initial établi le jour même des faits constate un état de choc émotionnel qui doit être considéré comme en lien direct avec l'accident allégué, ainsi qu'une griffure à la main qui peut très bien résulter du coup porté à la main de M. [D] pour lui faire lâcher le cahier de main courante.
Ces éléments constituent bien un ensemble de présomptions précises, graves et concordantes qui caractérise la survenance sur le lieu de travail d'un accident qui a causé au salarié des lésions.
La caisse appelante soutient par ailleurs que l'accident n'est pas survenu au temps du travail, M. [D] étant informé qu'il ne devait pas se rendre sur son lieu de travail le
3 avril 2015.
Il n'est pas contesté que M. [D] travaillait en mi-temps thérapeutique jusqu'au
31 mars 2015.
Selon lui, il était de repos le 1er avril. Mais son chef de service M. [U] soutient exactement le contraire en déclarant à l'enquêteur de la caisse qu'il devait travailler ce
jour-là.
Le 2 avril M. [D] expose qu'il est venu travailler de 7h00 à 15h00 selon les horaires qui étaient les siens avant le mi-temps thérapeutique. Il a rencontré son collègue
M. [Y] le matin et en a été surpris car selon lui M. [Y] devait travailler l'après midi. M. [D] a ensuite passé la visite médicale de reprise.
Dans son audition par l'agent assermenté de la caisse M. [D] indique : ' le 2 au matin, mon responsable était passé vers 7h30 pour donner mon emploi du temps. Je lui dis que celui qu'il me donne n'est pas bon car il ne correspond pas à celui qui est affiché'.
Ce responsable, M. [U], explique dans son audition que M. [D] savait depuis la veille des faits, le 2 avril 2015, qu'il ne devait pas travailler le lendemain. Il ajoute que le planning fourni à l'enquêteur par le salarié n'est pas le bon, n'étant valable que jusqu'au 31 mars.
M. [Y] confirme cette version, en indiquant que le jeudi 2 avril, M. [D] était venu sans respecter l'emploi du temps et l'avait empêché de travailler en prenant sa place.
Dans ses écritures prises devant la cour, en page 5, M. [D] décrit ainsi les événements: 'le jour de l'accident, le vendredi 3 avril 2015, il effectuait les horaires suivants : 7h-15h. Lors de sa prise de poste , il a constaté que M. [Y], un collègue de travail, était présent alors qu'il devait être de repos. La même chose était survenue la veille et on lui avait demandé alors de rentrer chez lui avec de nouveaux plannings en main.'
M. [D] produit la copie d'un message adressé par lui à Mme [N], assistante des ressources humaines déjà évoquée plus haut, le 2 avril 2015 à 8h13, dans lequel il s'étonne de la coexistence d'une part d'un emploi du temps mis à disposition pour étude, et d'autre part d'un autre emploi du temps portant changement à compter du 1er avril 2015.
Mais à la lecture des deux emplois du temps versés aux débats concernant le mois d'avril 2015, celui invoqué par M. [D] porte en bas de page la mention 'année 2014" alors que celui qui fait apparaître l'emploi du temps donné par l'employeur porte la mention 'année 2015".
Cet élément va dans le sens des déclarations de M. [U]. Il est sans importance qu'un planning périmé ait été affiché dans les locaux du parking, comme tend à l'établir l'attestation de M. [J] que produit l'intimé.
L'employeur dispose sur ses salariés d'un pouvoir de direction et de contrôle, qui lui permet d'organiser le fonctionnement du service, et il n'est pas contesté que M. [U] était le supérieur hiérarchique direct de M. [D].
Si l'on peut admettre que M. [D], reprenant à plein temps son travail après une période de mi-temps thérapeutique, se soit trompé sur son emploi du temps du 2 avril, il apparaît qu'il était parfaitement informé à cette date par M. [U] qu'il ne devait pas se présenter sur son lieu de travail le lendemain.
Il n'avait en aucune manière à 'prendre toutes les précautions nécessaires avant de rentrer à son domicile' et à se rendre le 3 avril 2015 sur son lieu de travail.
Il est ainsi établi qu'au moment de l'accident M. [D] ne se trouvait pas placé sous la subordination de son employeur, n'était pas au temps du travail, et que l'accident du travail n'est pas caractérisé.
Le jugement déféré sera dès lors infirmé en toutes ses dispositions et M. [D] sera débouté de l'ensemble de ses demandes.
L'intimé qui succombe sera également condamné aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7],
Rejette l'exception de péremption d'instance soulevée par M. [P] [D],
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 janvier 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris,
Statuant à nouveau,
Dit que l'accident dont a été victime M. [P] [D] le 3 avril 2015 ne relève pas de la législation sur les risques professionnels,
Déboute M. [P] [D] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne M. [P] [D] aux dépens d'appel.
La Greffière,La Présidente,