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28/05/2020 | FRANCE | N°19/12458

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 28 mai 2020, 19/12458


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU28 MAI 2020



(n° 124 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12458 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFHU



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Juin 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/51829





APPELANTE



Société CERNER MIDDLE EAST LTD agissant poursuites

et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.



c/o Intertrust Corporate Services (Cayman) Limited [Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par Me St...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU28 MAI 2020

(n° 124 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12458 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFHU

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Juin 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/51829

APPELANTE

Société CERNER MIDDLE EAST LTD agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

c/o Intertrust Corporate Services (Cayman) Limited [Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : A619

Assistée par Me Nevena IVANOVA, avocat au barreau de PARIS, toque : A619 substituant Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : A619

INTIMÉE

Société civile CONSEILLER COLLIGNON LAND COMPANY prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Simon LEWITA du cabinet DEPARDIEU, BROCAS, MAFFEL AARPI avocat au barreau de PARIS, toque : R45,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mars 2020, en audience publique, rapport ayant été fait par Véronique DELLELIS, Présidente conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Véronique DELLELIS, Présidente

Hélène GUILLOU, Présidente

Thomas RONDEAU, Conseiller

Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue au 23 avril 2020, et prorogée à ce jour, en raison des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire.

- signé par Hélène GUILLOU, Présidente pour Véronique DELLELIS, Présidente, empêchée et par Lauranne VOLPI, Greffière,

Exposé du litige :

En 2008 la société iCapital Sole Establishment (société iCapital S/E ), entreprise individuelle de droit Emirati de M. [M] [F] [T] [R] [K] (M. [K]), a conclu avec le ministère de la santé des Emirats arabes unis un contrat portant sur un projet de système d'informations sanitaires (création d'une plate-forme électronique d'information médicale). Elle a conclu un contrat de sous-traitance notamment avec la société Cerner Middle east (la société Cerner), société Caïmanienne.

Soutenant que l'entreprise iCapital S/E, devenue la société à responsabilité limitée i Capital LLC, avait indûment conservé les paiements reçus du ministère de la santé sans payer son sous-traitant, la société Cerner Middle east a saisi un tribunal arbitral.

Par une sentence arbitrale du 16 juillet 2015, la cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale a condamné M. [M] ([F] [T] [R]) [K] solidairement avec la société iCapital S/E à payer à la société Cerner Middle East une somme de l'ordre de 51 088 308, 75 euros.

Cette sentence a été revêtue de l'exequatur par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 23 mai 2016.

M. [K] a formé un recours en annulation contre la sentence arbitrale qui a été rejeté par arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2018. Un pourvoi, toujours en cours, a été formé contre cet arrêt.

En exécution de cette sentence, la société Cerner, autorisée par le juge de l'exécution, a, par acte du 20 juillet 2016, pratiqué une saisie conservatoire et un nantissement provisoire des parts sociales que M. [K] détient à hauteur de 99% dans la SCI Conseiller Collignon Land Company, laquelle détient l'appartement qu'il occupe [Adresse 1].

Par jugement en date du 1er mars 2017, confirmé par un arrêt du 24 mai 2018, le juge de l'exécution a confirmé ces mesures. La société Cerner a en conséquence engagé une procédure d'expertise des parts sociales de M. [K] et a assigné ce dernier pour se voir attribuer judiciairement ses parts sociales dans la SCI.

Craignant que cette saisie et ce nantissement se trouvent privés d'effet si la SCI Conseiller Collignon Land Company aliénait l'immeuble dont elle est propriétaire à Paris 16ème, la société Cerner Middle east, a, le 11 février 2019, assigné la SCI Conseiller Collignon Land Company devant le juge des référés pour voir:

- interdire à la SCI Conseiller Collignon Land Company de vendre, aliéner, transférer, donner, disposer, consentir une hypothèque ou autre sûreté ou louer pour une durée supérieure à 12 mois l'immeuble dont elle est propriétaire à Paris 16ème ,

- dire que cette interdiction aura pour effet pendant la durée de la procédure de nantissement et de saisie des parts sociales de la SCI Conseiller Collignon Land Company et ce jusqu'à ce qu'une décision au fond purgée de tout recours ait été prononcée,

- débouter la SCI Conseiller Collignon Land Company de ses demandes,

- ordonner la publication de l'ordonnance à intervenir sur le registre foncier tenu par les services de la publicité foncière compétents,

- ordonner la publication de cette interdiction sur le Kbis de la SCI Conseiller Collignon Land Company pendant la durée de la procédure,

- condamner la SCI Conseiller Collignon Land Company au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En défense, la SCI Conseiller Collignon Land Company a soulevé l'incompétence du juge des référés au profit du juge de l'exécution et subsidiairement le rejet des demandes.

Par ordonnance en référé contradictoire rendue le 11 juin 2019, le président du tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté l'exception d'incompétence,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,

- dit n'y avoir lieu à référé,

- condamné la société Cerner à payer à la SCI Conseiller Collignon Land Company la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le juge a estimé que la mesure sollicitée, bien qu'elle s'inscrive dans le contexte de l'exécution de la sentence arbitrale de 2015, ne tend pas à trancher une difficulté d'exécution ou une contestation relative à la mise en oeuvre d'une mesure conservatoire et ne relève donc pas de la compétence du juge de l'exécution. Il a également estimé que la société Cerner n'avait pas violé le principe d'estoppel puisque ses démarches procédurales n'étaient pas empreintes de contradiction.

Il a cependant estimé que la société Cerner n'apportait pas la preuve que la SCI ou M. [K] s'apprêteraient à aliéner l'immeuble et qu'il n'existait donc aucune urgence, dommage imminent ou trouble manifestement illicite, justifiant qu'une vente soit interdite. Il a également relevé l'existence de contestations sérieuses et dit n'y avoir lieu à référé, la mesure visant à interdire à la SCI Conseiller Collignon Land Company d'aliéner un bien dont elle est propriétaire, alors qu'elle n'est pas débitrice de la société Cerner.

Par déclaration en date du 19 juin 2019, la société Cerner a fait appel de cette décision, critiquant l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et l'a condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 17 février 2020, la société Cerner demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et l'a condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

et, statuant à nouveau

- interdire à la SCI Conseiller Collignon Land Company de vendre, aliéner, transférer, donner, disposer, consentir une hypothèque ou autre sûreté ou louer pour une durée supérieure à 12 mois l'immeuble dont elle est propriétaire à Paris 16ème ,

- dire que cette interdiction restera en place pendant la durée de la procédure de nantissement et de saisie des parts sociales de la SCI Conseiller Collignon Land Company du 20 juillet 2016,

- ordonner la publication de l'ordonnance à intervenir sur le registre foncier tenu par les services de la publicité foncière compétents,

- ordonner la publication de cette interdiction sur le Kbis de la SCI Conseiller Collignon Land Company pendant la durée de la procédure,

- ordonner au greffe et au greffier du tribunal de commerce de paris d'exécuter la présente décision notamment en ce qui concerne la mention au Kbis de la société,

- condamner la SCI Conseiller Collignon Land Company au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Cerner a fait valoir en substance les éléments suivants :

S'agissant de la compétence du juge des référés :

- Le juge de l'exécution a pour rôle d'autoriser les mesures conservatoires strictement énumérés dans le code des procédures civiles d'exécution et de trancher les contestations nées de l'exécution de ces mesures,

- Le juge des référés a compétence pour prendre les mesures conservatoires, au sens large cette fois, visant à empêcher la survenance d'un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite,

- en l'espèce, la mesure demandée ne vise pas directement à faire exécuter une sentence arbitrale (à laquelle la SCI Conseiller Collignon Land Company n'est pas partie) mais à garantir l'efficacité d'une saisie conservatoire, c'est donc bien le juge des référés qui est compétent pour prononcer la mesure demandée.

S'agissant de la fin de non recevoir tirée du principe de l'estoppel :

- Il n'y a aucune contradiction entre la saisie conservatoire exercée par la société Cerner en exécution de la sentence arbitrale de 2015 et la mesure demandée qui vise justement à garantir l'efficacité de cette saisie, et c'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté la fin de non-recevoir tiré du principe d'estoppel.

S'agissant de l'urgence :

- l'urgence peut découler de l'ancienneté de la dette (qui augmente le préjudice du créancier) et de la mauvaise foi du débiteur.

- En l'espèce, la dette qui a donné lieu à la sentence arbitrale de 2015 découle d'un contrat entre la société Cerner et M. [K] (via une société tierce) signé en 2008,

- En multipliant les procédures dilatoires devant la juridiction arbitrale et le juge de l'exécution, M. [K] a abusivement retardé le recouvrement de cette dette,

- M. [K] est engagé dans un processus global visant à dissimuler son patrimoine : il a ainsi déjà tenté de vendre les biens appartenant à une société dont il est propriétaire avant de se le voir interdire par la justice américaine, à la demande de la société Cerner,

- M. [K] est le réel propriétaire de l'immeuble litigieux. En effet, il y réside lorsqu'il est France sans payer de loyer et détient 99% des parts sociales de la SCI Conseiller Collignon Land Company (le 1% restant appartient à son épouse),

- bien que la société Cerner ait assigné, le 4 décembre 2019, M. [K] en attribution judiciaire (en exécution du nantissement) de ses parts de la SCI Conseiller Collignon Land Company, il reste pour l'instant propriétaire de ces parts, il existe donc un risque réel qu'il vende l'immeuble,

- la SCI Conseiller Collignon Land Company affirmant ne pas avoir l'intention de vendre l'immeuble, on ne voit pas en quoi une mesure lui en faisant l'interdiction lui ferait préjudice ou serait disproportionnée,

- Il ressort de tous ces éléments qu'il y a bien urgence à interdire à la SCI Conseiller Collignon Land Company (et en réalité derrière elle à M. [K]) d'interdire la vente de l'immeuble.

S'agissant du dommage imminent et du trouble manifestement illicite :

- la vente de l'immeuble par M. [K] (à travers la SCI Conseiller Collignon Land Company) constitue un dommage imminent pour la société Cerner, puisqu'elle priverait de tout effet les mesures conservatoires qu'elle a entreprises,

- la société Cerner a obtenu des mesures similaires aux Etats-Unis où M. [K] tentait également de dissiper son patrimoine à ses dépens,

- La vente de l'immeuble constitue également un trouble manifestement illicite en ce qu'elle permettrait à M. [K] d'échapper à sa dette issue de la sentence arbitrale de 2015,

- Le juge des référés a donc le pouvoir d'interdire cette vente.

Par conclusions remises au greffe le 28 février 2020, la SCI Conseiller Collignon Land Company demande à la cour de:

A titre principal :

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a reconnu la compétence du juge des référés et a rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,

- déclarer que le juge des référés n'a pas compétence pour connaître de l'ensemble des demandes formulées par la société Cerner,

statuant à nouveau,

- déclarer la société Cerner irrecevable à présenter sa demande visant à interdire à la SCI Conseiller Collignon Land Company de vendre l'immeuble dont elle est propriétaire à Paris en vertu du principe d'estoppel,

A titre subsidiaire :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé,

- en tout état de cause, rejeter toutes les demandes de la société Cerner,

- condamner la société Cerner à payer à la SCI Conseiller Collignon Land Company la somme de 33 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de PMG Avocats (Maître De Maria).

La SCI Conseiller Collignon Land Company a exposé en résumé ce qui suit :

S'agissant de la compétence du juge des référés :

- il ressort des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et L. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution dispose d'une compétence exclusive pour trancher les difficultés relatives aux titres exécutoires et à l'exécution forcée,

- la mesure sollicitée s'inscrit dans le contexte de l'exécution de la sentence arbitrale de 2015, puisqu'elle vise à garantir la créance née de cette sentence,

- elle relève donc de la compétence du juge de l'exécution et non de celle du juge des référés.

S'agissant du principe d'estoppel :

- au nom du principe d'estoppel, une demande qui est en contradiction avec le comportement procédural du demandeur doit être sanctionnée d'une fin de non-recevoir,

- en demandant au juge des référés une mesure conservatoire à l'encontre de M. [K], la société Cerner se contredit, puisqu'elle avait auparavant considéré qu'elle disposait d'un titre exécutoire contre lui en vertu de la sentence arbitrale et avait donc saisi le juge de l'exécution,

- cette contradiction doit donc être sanctionnée par une fin de non-recevoir,

S'agissant de l'urgence :

- selon la société Cerner, l'urgence résulterait en l'espèce du risque que l'immeuble soit vendu, privant de tout effet les mesures conservatoires qu'elle a entreprises, mais la société Cerner n'apporte pas la preuve que la SCI Conseiller Collignon Land Company serait sur le point de vendre l'immeuble,

- l'assignation en attribution de parts sociales opérée par la société Cerner ne caractérise pas davantage l'existence d'un tel risque de vente, comme l'affirme cette dernière,

- pour étayer l'existence de ce risque, la société Cerner s'appuie sur une attestation de Mme [Y] [E], attestation qui, outre qu'elle ne respecte pas les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, est de pure complaisance puisque cette dernière est une employée de la société Cerner,

- il ressort de la jurisprudence que le simple fait qu'un débiteur tente de se soustraire à l'exécution d'une décision exécutoire ne constitue pas en soi une urgence.

- quant aux procédures américaines invoquées par la société Cerner, il convient de préciser que:

elles ne concernent pas la décision de la sentence arbitrale,

en appel, un juge américain a estimé qu'il n'existait pas de preuve que la société détenue par M. [K] tentait de dissiper son patrimoine,

- la société Cerner prétend être face à l'urgence. Pourtant, elle a manqué de notifier (et donc perdu l'effet) d'une ordonnance rendue sur requête le 14 octobre 2016 qui avait justement interdit la vente de l'immeuble en exécution de la mesure de nantissement,

- il ressort de tous ces éléments qu'il n'y a pas d'urgence à interdire la vente de l'immeuble.

S'agissant des contestations sérieuses :

- l'arrêt du 16 octobre 2018 ayant rejeté la demande en annulation de la sentence arbitrale fait l'objet d'un pourvoi en cassation,

- par une ordonnance du 14 novembre 2019, le premier président de la cour de cassation a rejeté la requête en radiation du pourvoi de la société Cerner fondée sur la non-exécution de l'arrêt du 16 octobre 2018,

- la créance de la société Cerner vis à vis de M. [K] n'est donc pas incontestable,

- la SCI Conseiller Collignon Land Company n'est pas directement créancière de la société Cerner,

- autoriser cette mesure reviendrait à nier la personnalité morale de la SCI Conseiller Collignon Land Company et a considéré qu'elle se confond avec M. [K] sous prétexte qu'il en est l'associé majoritaire,

- une telle mesure contreviendrait gravement au droit de propriété, droit fondamental, de la SCI Conseiller Collignon Land Company, propriétaire de l'immeuble et non partie à la sentence arbitrale,

- la mesure se voit donc opposer plusieurs contestations sérieuses qui empêchent le juge des référés d'agir,

S'agissant du dommage imminent :

- l'organisation en SCI choisie par M. [K] et son épouse n'est pas un 'montage juridique frauduleux' comme l'affirme la société Cerner mais une technique juridique classique de transmission successorale,

- il est difficile de qualifier le dommage d'imminent alors que la sentence arbitrale dont il est demandé de garantir l'exécution à travers cette mesure a été prononcée il y a plus de 4 ans, et ce d'autant plus que la société Cerner a fait preuve de négligence fautive dans la conduite des procédures visant à obtenir l'exécution de cette sentence,

- Il en résulte que le dommage imminent allégué par la société Cerner est inexistant.

SUR CE LA COUR

Sur l'exception d'incompétence du juge des référés au profit du juge de l'exécution:

La société Cerner demande qu'il soit interdit à la SCI Conseiller Collignon Land Company de vendre le bien qu'elle possède.

Cette demande a pour fondement la sentence arbitrale du 16 juillet 2015 qui a condamné M. [M] [K] solidairement avec la société iCapital S/E à payer à la société Cerner Middle East une somme de 51 088 308, 75 euros, sentence déclarée exécutoire en France.

Pour autant, la demande d'interdiction de vente de l'immeuble détenu par la SCI, si elle est en rapport avec l'exécution de cette décision, ne s'inscrit pas dans le cadre d'une difficulté d'exécution, puisqu'elle ne constitue pas une mesure d'exécution forcée engagée par les créanciers en vertu de leur titre exécutoire.

En conséquence, le juge des référés du tribunal de grande instance a retenu à bon droit sa compétence, la demande étant formée au visa des articles 834 et 835 5 du code de procédure civile qui permet au président du tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de prendre diverses mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite et qui lui permettent aussi, en cas d'urgence de prendre des mesures justifiées par l'existence d'un différend.

L'exception d'incompétence sera donc rejetée par confirmation de l'ordonnance.

Sur l'attitude procédurale de la société Cerner et l'allégation d'estoppel:

La SCI soutient que la saisine du juge étatique des référés traduit une contradiction de la société Cerner qui soutient d'un côté être créancier d'une condamnation au titre d'une sentence arbitrale et de l'autre côté sollicite le juge étatique pour obtenir une mesure conservatoire.

Mais ainsi qu'il a été rappelé au sujet de la compétence du juge des référés, la mesure demandée tout en se fondant sur un titre exécutoire ne tend pas à l'exécution de la décision en vertu de ce titre mais tente seulement de préserver l'effectivité d'une telle mesure en évitant une vente qui constituerait selon elle un dommage imminent.

Aucune contradiction procédurale ne peut donc être reprochée à la société Cerner et la fin de non recevoir sera rejetée par confirmation de l'ordonnance.

Sur la demande d'interdiction:

La société Cerner fonde sa demande de prononcer d'une interdiction de vendre l'immeuble appartenant à la SCI Conseiller Collignon Land Company au principal sur l'article 834 du code de procédure civile qui dispose que 'dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend'.

Subsidiairement, elle demande le prononcé de la même mesure sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile qui dispose que ' Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite'.

En l'espèce, la sentence arbitrale a conduit à la condamnation de M. [K] et non de la SCI Conseiller Collignon.

Mais M. [K] est propriétaire de 99% des parts de cette SCI qui possède un bien immobilier estimé selon les déclarations d'impôts sur la fortune remplies par M. [K] à près de 4 millions et qui constitue le domicile personnel de M. [K], en tout cas lorsqu'il réside en France.

Les parts de cette SCI ont été nanties, d'abord à titre provisoire puis à titre définitif et le nantissement a été inscrit registre du commerce de Paris le 26 décembre 2018.

Ainsi que le rappelle un notaire interrogé sur ce point par la société Cerner, le nantissement de parts sociales n'interdit pas la vente du bien et le nantissement n'est pas publié au service de la publicité foncière.

L'existence d'un différend, en l'espèce la condamnation de M. [K] à payer à la société Cerner la somme de 51 088 308, 75 euros justifie donc l'interdiction demandée, compte tenu de l'importance des sommes dues, des nombreux éléments d'extranéité dans ce litige dont l'adresse de M. [K] qui s'est revendiqué domicilié à [Localité 3],, afin d'empêcher tout transfert du prix sur un compte à l'étranger ou au profit d'autres créanciers, dès lors qu'il ressort des pièces versées aux débats que dans le cadre d'autres procédures d'exécution diligentées aux Etats Unis sur des sociétés détenues par M. [K], celui-ci a procédé à des ventes d'actifs, pourtant interdites, qui ont empêché l'exécution de décisions judiciaires. L'attestation de Mme [Y] [E] versée aux débats, quoiqu'elle ne soit pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, ne fait que confirmer ces constatations et doit être prise en compte comme un élément de preuve, dont la cour apprécie la force probante.

L'urgence découle en l'espèce de l'imminence du dénouement judiciaire du conflit entre la société Cerner et M. [K], en raison de l'épuisement des voies de recours contre la décision ayant rejeté la demande d'annulation de la sentence arbitrale, puisqu'un pourvoi a été formé contre l'arrêt rejetant cette demande. Une telle mesure d'interdiction permettra d'éviter toute disparition du prix des parts nanties au profit de la société Cerner, avant que le litige ait été définitivement tranché, en faveur ou en défaveur de la société Cerner.

Les conditions d'existence d'un différend et d'urgence, en l'espèce celle de prévenir une vente qui serait de nature à faire échec à toute voie d'exécution sur les parts de l'immeuble détenues par M. [K], sont donc remplies et justifient la mesure demandée sur le fondement de l'article 834 précité.

L'atteinte, incontestable, portée au droit de propriété de la SCI, n'est pas de nature à remettre en cause l'opportunité de cette mesure, qui n'est que provisoire et proportionnée aux intérêts en cause. D'ailleurs, la SCI elle-même fait valoir qu'aucune preuve n'est rapportée de ce qu'elle aurait l' intention de se départir de son unique actif, de sorte que la mesure ne lui cause pas un préjudice important.

Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:

La SCI Conseiller Collignon n'ayant pas spontanément exécuté la sentence, cette procédure lui est imputable, elle devra donc supporter les dépens de l'instance tant devant le tribunal de grande instance qu'en appel.

Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel comme indiqué au présent dispositif.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance du 11 juin 2019 en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non recevoir soulevées par la SCI Conseiller Collignon Land Company,

L'infirme pour le surplus,

et, Statuant à nouveau,

Interdit à la SCI Conseiller Collignon Land Company de vendre, aliéner, transférer, donner, disposer, consentir une hypothèque ou autre sûreté ou louer pour une durée supérieure à 12 mois l'immeuble dont elle est propriétaire à Paris 16ème,

Dit que cette interdiction restera en place pendant la durée de la procédure de nantissement et de saisie des parts sociales de la SCI Conseiller Collignon Land Company du 20 juillet 2016,

Ordonne la publication de l'ordonnance à intervenir sur le registre foncier tenu par les services de la publicité foncière compétents,

Ordonne la publication de cette interdiction sur le Kbis de la SCI Conseiller Collignon Land Company pendant la durée de la procédure,

Condamne la SCI Conseiller Collignon Land Company au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande formée par la SCI Conseiller Collignon Land Company à ce titre,

Condamne la SCI Conseiller Collignon Land Company aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière, Pour la Présidente empêchée,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 19/12458
Date de la décision : 28/05/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°19/12458 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-28;19.12458 ?
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