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28/05/2020 | FRANCE | N°17/14603

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 28 mai 2020, 17/14603


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 5 - Chambre 5





ARRÊT DU 28 MAI 2020





(n° , 18 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/14603 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3ZSX





Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2017 -Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE - RG n° 2016000805








APPELANTE





SARL TOULAO anciennement dénommée 'CREANCIL'


Ayant son siège social [...]


[...]


N° SIRET : 498 735 356


Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège





Rep...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 28 MAI 2020

(n° , 18 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/14603 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3ZSX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2017 -Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE - RG n° 2016000805

APPELANTE

SARL TOULAO anciennement dénommée 'CREANCIL'

Ayant son siège social [...]

[...]

N° SIRET : 498 735 356

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Elise ORTOLLAND de la SEP ORTOLLAND, avocat au barreau de PARIS, toque : R231

INTIMÉE

SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORD FRANCE EUROPE

Ayant son siège social [...]

[...]

N° SIRET : 383 089 752

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090

Ayant pour avocat plaidant Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

PARTIE INTERVENANTE :

SA CAISSE D'EPARGNE DES HAUTS DE FRANCE, venant aux droits et obligations de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORD FRANCE EUROPE

Ayant son siège social [...]

[...]

N°SIRET : 383 000 692

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090

Ayant pour avocat plaidant Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre chargée du rapport

Mme Christine SOUDRY, Conseillère

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Annick PRIGENT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre et par Mme Hortense VITELA-GASPAR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS Toulao (anciennement Créancil) a pour objet en France et à l'étranger l'activité d'intermédiation en opérations de banque.

Elle peut notamment effectuer des opérations de prêts visant le rachat de créances PEEC (Participation des Employeurs à l'Effort de Construction).

Créancil et la Caisse d'Epargne ont signé le 23 août 2010 une «Convention de Mandat» d'une durée indéterminée, prévoyant diverses obligations à charge de la société Créancil.

Cette convention avait pour but le rachat de créances PEEC résultant de prêts consentis par des entreprises au titre du 1% logement à des organismes collecteurs (CIL), créances remboursables à terme (20 ans) et figurant à l'actif du bilan des entreprises ayant consenti ces prêts.

Les entreprises intéressées par ce dispositif sont des entreprises ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, l'objectif étant de permettre au mandataire judiciaire de réaliser ces créances dans un délai raisonnable et ainsi désintéresser tout ou partie des créanciers de la procédure collective et de procéder plus rapidement à la clôture de cette procédure.

La mission de la société Creancil était :

- la recherche de créances PEEC détenues par des entreprises faisant l'objet d'une procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire non clôturée ;

- la rédaction d'offres de rachat des créances ;

- la présentation de ses offres de rachat auprès du mandataire compétent ;

- la rédaction des requêtes aux fins de cession d'actifs aux conditions de l'offre d'achat ;

- l'assistance du mandataire judiciaire lors des audiences destinées à examiner les requêtes ;

- la rédaction des actes de cession de créance et la prise en charge des formalités de signification de cession au débiteur cédé ;

- la restitution au mandant de tous les documents relatifs aux opérations de rachat de créance ;

- l'envoi d'un courrier de rappel d'échéance avant le terme de chaque créance CV étant précisé que le recouvrement de créances reste à la charge du mandant.

La Caisse d'Epargne, après avoir donné son accord, rachetait la créance à un prix dégradé tenant compte des frais de gestion des dossiers et du coût de refinancement bancaire, et les porte jusqu'au terme de leur amortissement (maximum 20 ans).

La rémunération des parties s'effectue par différence entre un taux de rachat de la créance nommé taux de réfaction dans la convention et fixé au départ à 9,50% et un taux de refinancement fixé au départ à 7%, la répartition de cette différence étant prévue à hauteur de 12% pour la Caisse d'Epargne et de 88% pour Creancil.

Ce dispositif a fonctionné de 2010 à 2015 mais très rapidement un certain nombre de divergences sont apparues entre les parties tenant à la notion d'exclusivité des parties, à la fixation des plafonds annuels de rachat des créances par la Caisse d'Epargne, à la demande de la Caisse d'Epargne de communication de pièces complémentaires, à la fixation des taux de rachat et de refinancement, au calcul et au partage de la rémunération entre les 2 parties, au taux d'impayés sur le recouvrement des créances et à la difficulté rencontrée pour obtenir le remboursement des créances par les CIL.

Un avenant n°1 à cette convention a été signé le 21 février 2012 redéfinissant les taux d'intervention et la répartition de la rémunération entre les parties.

Une réunion entre les deux parties s'est tenue le 11 juin 2014 visant, compte tenu de ces divergences, à étudier la modification proposée par la Caisse d'Epargne de certains termes de la convention, mais n'a pas permis de trouver un accord.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 juillet 2014, la Caisse d'Epargne a notifié à Créancil la rupture de la Convention de Mandat du 23 août 2010 à l'issue d'un préavis expirant le 30 juin 2015.

Les parties se sont réunies le 17 septembre 2014 en présence de leurs avocats respectifs mais cette réunion n'a pas permis de trouver une issue négociée.

La Caisse d'Epargne a confirmé le 17 octobre 2014 son intention de mettre fin aux relations contractuelles le 30 juin 2015.

Par acte d'huissier de justice du 12 janvier 2016, Creancil a assigné la Caisse d'Epargne devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin de la voir condamner à lui verser des dommages-intérêts pour compenser le préjudice subi au cours de l'exécution de la convention et par la résiliation de cette convention.

En cours de procédure au fond, deux référés introduits par la Caisse d'Epargne ont donné lieu à des ordonnances du 8 septembre 2016 condamnant toutes deux la Caisse d'Epargne à verser à la société Toulao (anciennement dénommée Creancil) un euro symbolique de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

Les ordonnances ont été confirmées en appel en ce qu'elles avaient débouté la Caisse d'Epargne de ses demandes sauf la disposition relative à la procédure abusive et injustifiée qui a été infirmée.

Par jugement du 18 mai 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

-débouté la SAS Toulao (anciennement dénommée CREANCIL) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-condamné la SAS Toulao à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la SAS Toulao en tous les frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 81.12 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

Par déclaration du 19 juillet 2017, la société Toulao a interjeté appel de ce jugement.

***

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 23 septembre 2019, la société Toulao demande à la cour de :

- dire l'appel de la société Toulao recevable ;

- dire cet appel bien fondé et réformer en conséquence le jugement entrepris ;

1. Sur l'exécution du contrat,

Vu l'article L.442-6-I du code de commerce,

Subsidiairement, vu les articles 1984 et suivants, 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,

-dire et juger que la Caisse d'Epargne des Hauts de France a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Toulao (anciennement dénommée Creancil) ;

En conséquence,

-condamner la Caisse d'Epargne des Hauts de France à payer à la société Toulao (anciennement dénommée Creancil) la somme de 1.143 226 euros, à titre de dommages et intérêts compensant le préjudice subi au cours de l'exécution de la convention de mandat, et ce avec intérêts judiciaires au taux légal à dater de l'arrêt à intervenir,

2. Sur la rupture du contrat,

Vu l'article L 442-6-I, 5° du code de commerce,

-condamner la Caisse d'Epargne des Hauts de France à payer à la société TOULAO (anciennement dénommée CREANCIL) la somme de 1.209.000 euros à titre de dommages et intérêts compensant le préjudice causé par la rupture de la convention de mandat, et ce avec intérêts judiciaires au taux légal à dater de l'arrêt à intervenir,

En tout état de cause,

-condamner la Caisse d'Epargne des Hauts de France au paiement d'une indemnité de procédure de 25 000.00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-la condamner aux entiers frais et dépens dont recouvrement direct au profit de Maître Ortolland, avocat au Barreau de Paris.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 25 septembre 2019, la Caisse D'Épargne des Hauts de France venant aux droits de la Caisse d'Épargne et de prévoyance Nord France Europe demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1147 du code civil et L.442-6-I-5 du code de commerce,

-déclarer recevable et bien fondée la Caisse d'Épargne des Hauts de France venant aux droits par fusions absorption de la Caisse d'Épargne et de prévoyance Nord France Europe ;

-confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

-débouter Creancil de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions tendant à la réformation du jugement,

-condamner Creancil (Toulao) à payer à la Caisse d'Epargne une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-la condamner en tous les frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 octobre 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Toulao (Créancil) invoque à l'encontre de la Caisse d'Epargne les griefs suivants :

-la tardiveté de la fixation et de la mise à disposition de l'enveloppe annuelle ;

- l'exigence de données supplémentaires dans la data room ;

-la modification de la rémunération de Creancil par avenant du 21 février 2012 signé par les deux parties ;

-le refus d'acheter certaines créances de CIL qui n'acceptait pas l'opération de cession de créances ;

-les préjudices liés à l'exclusion totale de 5 CIL et à la fixation d'un plafond par CIL ;

-des échecs sur des tentatives d'achats à raison d'offres non concurrentielles ;

La société Toulao (anciennement Creancil) fonde ses demandes sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et subsidiairement sur l'exécution de la convention de mandat

Sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

La société Toulao (anciennement Creancil) soutient que :

-les dispositions de l'article L442-6-I du code de commerce sont applicables au cas d'espèce en ce que les parties étaient partenaires commerciaux au terme de la convention de mandat,

-le mandant engage sa responsabilité envers le mandataire lorsqu'il refuse de manière abusive de traiter avec la personne qui lui est présentée par ce dernier et la Caisse d'Epargne a refusé d'examiner les dossiers de manière systématique les premiers mois de chaque année avant la fixation de l'enveloppe annuelle,

-Au cours de l'exécution de la convention de mandat, la Caisse d'Epargne a conservé des taux non concurrentiels qui ont conduit à la perte de dossiers, créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

- la Caisse d'Epargne a soumis son partenaire commercial à l'obligation de réduire la part

de commission lui revenant, pour que la part revenant à la Caisse d'Epargne reste, elle, intacte.

La Caisse d'Epargne répond que :

-les partenaires ne sont pas des partenaires commerciaux mais des cocontractants ;

-elle peut discrétionnairement refuser l'achat de créances ;

-elle assume le risque final des pertes ;

-elle est soumise à la réglementation bancaire ;

-que le fait de refuser l'acquisition de créances à risque, est sans rapport avec l'obtention d'un avantage ne correspondant pas un service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.

Toulao venant aux droits de Créancil invoque pour chaque fait reproché à la Caisse d'Epargne l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ce qui est contesté par son cocontractant qui ajoute que les opérations passées étaient soumises à des impératifs réglementaires.

L'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Le déséquilibre significatif est le plus souvent caractérisé par une absence de réciprocité des prérogatives contractuelles ou par une disproportion entre les droits et obligations des parties. La disproportion entre les droits et obligations des parties implique de tenir compte de l'équilibre économique de l'opération. En l'espèce, il ne peut être fait abstraction du contexte réglementé auquel est soumise l'exécution du mandat et de la nature bancaire des opérations.

Il résulte du préambule en page 2 de la convention de mandat que les créances PEEC, objet du contrat, ont la nature juridique de prêt, que leur rachat par la Caisse d'Epargne est susceptible d'être considéré comme une opération de banque au sens de l'article L311-1 du code monétaire et financier ; les parties ont qualifié le mandat de mandat d'intermédiaire en opérations de banque et entendent le soumettre aux articles L519-1 et suivants du code monétaire et financier.

Créancil dont l'activité est aux termes de son extrait Kbis 'l'intermédiation en opération de banque' indique que la Caisse d'Epargne est le rédacteur de la convention dont la signature a été précédée de longues négociations, étant précisé qu'il n'est pas contesté que Créancil a démarché la Caisse d'Epargne et lui a proposé une offre relative à un programme d'achat de créances PEEC (Participation des Employeurs à l'Effort de Construction) appelé également dispositif 1 % logement qui permet aux entreprises assujetties aux versements auprès des Comités Interprofessionnels du Logement (CIL) de faire bénéficier à leurs salariés de différents services tel que l'attribution de logement locatif dans le parc HLM ou l'octroi de prêt accession.

L'article 3 du mandat énonce que le mandant s'engage à racheter les créances PEEC présentées par le mandataire pour un montant fixé par les instances décisionnaires du mandant. Ce dernier se réserve la faculté de refuser toute cession de créances présentée par le mandataire sans devoir se justifier.

Les parties sont des partenaires en ce qu'elles entretiennent des relations dans le but de poursuivre une activité de services avec la volonté réciproque d'effectuer des actes dans le cadre d'un projet commun.

Le déséquilibre significatif, doit être examiné au regard de l'analyse des clauses imposées dans la convention en tenant compte des contreparties accordées, et de l'équilibre économique de l'opération.

Il résulte des explications des parties que les clauses de la convention ont fait l'objet de discussions approfondies entre elles, excluant l'existence d'une soumission.

Au vu des griefs susvisés, Créancil ne se plaint pas des clauses du contrat à l'exception de la modification de la clause de rémunération mais des modalités d'exécution de la convention de mandat par la Caisse d'Epargne ce qui ne relève pas du déséquilibre significatif.

Avant la signature de l'avenant relatif à la rémunération, les modalités d'application de la clause de rémunération par les parties concernent l'exécution de la convention de mandat, mais ne relèvent pas du déséquilibre significatif des droits et obligations des parties ; la clause de rémunération n'est d'ailleurs pas remise en cause.

Créancil se plaint de la perte de 24 dossiers sur des offres déposées entre le 20/04/2011 et le 06/05/2015 en raison de l'application par la Caisse d'Epargne de taux non concurrentiels à la suite de la signature de l'avenant en date du 21 février 2013 ce qui a eu pour conséquence de favoriser un concurrent de Créancil, lequel travaillait avec une entité appartenant au même groupe que la Caisse d'Epargne alors même que figurait au mandat une clause d'exclusivité réciproque.

Les opérations passées étant soumises aux dispositions du code monétaire et financier et la Caisse d'Epargne assumant la charge des risques financiers des opérations de rachat de créance, dans le cadre d'une convention de mandat, le mandant, a fixé le taux de rachat des créances en fonction des impératifs liés à l'exercice de son activité. La rémunération de Créancil est certes proportionnelle au montant de l'opération mais ne subit aucun aléa lié au recouvrement de la créance contrairement à la Caisse d'Epargne. Les conséquences liées au montant du taux de rachat fixé et au respect de la clause d'exclusivité relèvent également de l'exécution de la convention du mandat.

En conséquence, Créancil ne pouvant se prévaloir d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, les inexécutions reprochées à la Caisse d'Epargne seront examinées au regard des règles relatives à la convention de mandat passée entre les parties.

Sur l'application de l'article 2000 du code civil

L'article 2000 du code civil énonce que le mandant doit indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.

En l'espèce, Créancil se plaint des modalités d'exécution par la Caisse d'Epargne de la convention de mandat et invoque non des pertes subies mais un manque à gagner du fait du comportement déloyal de son cocontractant dans l'exécution de la convention de mandat et dans l'application de ses clauses. Les faits reprochés seront donc examinées au regard des obligations contractuelles des parties.

Sur l'exécution de la convention de mandat

En application de l'article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Sur la tardiveté de la fixation et de la mise à disposition de l'enveloppe annuelle

Toulao allègue que :

-les dispositions du code civil relatives au mandant prévoient des obligations générales dont le mandant est tenu à l'égard de son mandataire : obligation de loyauté, obligation de mettre le mandataire en mesure d'exécuter le mandat, devoir de coopération,

-en envoyant tardivement le montant de l'enveloppe annuelle pour le rachat des créances PEEC, la Caisse d'Epargne a manqué à son devoir de coopération,

-aux termes de la convention, la Caisse d'Epargne n'avait pas la prérogative de se soustraire à sa guise à l'émission de toute offre d'achat pendant plusieurs mois.

La Caisse d'Epargne réplique que :

-les griefs relatifs à la tardiveté de la fixation et de la mise à disposition de l'enveloppe annuelle, à la modification de la rémunération admise par avenant signé par les deux parties, au refus d'acheter certaines créances de CIL, à l'exclusion totale de 5 CIL, à la fixation d'un plafond par CIL, aux prétendus échecs sur des tentatives d'achat à raison d'offres non concurrentielles et au refus de traiter un dossier identifié ne peuvent être constitutifs de manquements contractuels du fait de cette faculté octroyée à la Caisse d'Epargne de refuser toute cession de créances sans devoir se justifier par la convention de mandat

- Il n'y a pas eu de retard dans l'envoi des enveloppes annuelles mais la volonté de ne fixer les nouveaux seuils qu'après le règlement des litiges sur les créances acquises l'année précédente

L'article 3 du mandat énonce que le mandant s'engage à racheter les créances PEEC présentées par le mandataire pour un montant fixé par les instances décisionnaires du mandant. Ce dernier se réserve la faculté de refuser toute cession de créances présentée par le mandataire sans devoir se justifier.

Il est précisé à l'annexe A de la convention que Créancil sera informé par lettre recommandée avec avis de réception du montant global de la cession.

Il résulte des pièces versées aux débats que :

' pour l'année 2011, par courrier du 17 janvier 2011, la Caisse d'Epargne s'est engagée sur une enveloppe de 5 000 000 euros mais sous réserve d'une nouvelle lettre d'accompagnement que la Caisse d'Epargne ne justifie pas avoir envoyée ; la première offre a été éditée le 28 mars 2011

' pour l'année 2012, Créancil a reçu le courriel suivant en date du 17 juillet 2012, d'un chargé d'affaires des grands comptes de la Caisse d'Epargne : ' l'enveloppe 2012 validée (en terme de montant) par mon Comité de Crédit correspond à 10M€ en valeur faciale (cad avant rachat) à répartir entre les 22 CIL selon les modalités suivantes : 2M€/CIL et 4 M€/CIL pour les ClL suivants : Solendi, Cilgere, Procilia, Astria et GIC'

' pour l'année 2013, le plafond a été fixé à 10 000 000 euros par courrier en date du 8 avril 2013

' pour l'année 2014, le plafond a été fixé par courrier du 24 avril 2014 à 8 000 000 euros

Il ne peut être retenu une violation contractuelle en ce qu'aucune disposition relative à une date butoir ne figure à la convention de mandat quant à l'envoi de cette enveloppe annuelle.

Créancil se plaignant qu'en l'absence de réception du montant de l'enveloppe, la Caisse d'Epargne n'admettait pas de nouveau dossier, les courriers et courriels échangés dans les périodes d'attente du montant de l'enveloppe accordé entre les parties établissent qu'ils portaient sur les impayés en cours et sur les risques encourus et les tentatives et démarches de la Caisse d'Epargne afin de limiter ceux-ci.

La Caisse d'Epargne écrivait à Créancil dans un courriel du 13 février 2013 :

« Dans l'attente de la régularisation de l'ensemble de ces impayés, il ne nous est pas possible de nous prononcer sur une nouvelle enveloppe 2013, ni d'engager de nouveaux dossiers ».

La Caisse d'Epargne envoyait le courrier suivant le 11 avril 2013 : « Merci de faire le nécessaire pour le remboursement rapide de ces deux impayés car nous avons tout de même renouvelé l'enveloppe 2013, malgré ces instances. Dans tous les cas, je ne pourrais pas présenter un nouveau dossier concernant [...], tant que ces deux impayés ne sont pas régularisés chez nous ».

La Caisse d'Epargne envoyait le mail suivant à Créancil le 23 janvier 2014 :« comme déjà évoqué avec vous, ces impayés causent un retard important dans le renouvellement annuel de l'enveloppe, ce qui, en conséquence, retarde le rachat de nouvelles créances.

Néanmoins, comme déjà affirmé à plusieurs reprises, le renouvellement de l'enveloppe annuelle ne peut s'effectuer que sous réserve de l'accord de notre Comité, bien sûr et sous réserve qu'il n'y a aucun impayé sur les enveloppes précédentes.'

'Nous souhaitons comprendre la cause et l'origine de ces impayés. Quelle est précisément votre démarche pour régulariser ces impayés, s'agit-il uniquement de relances téléphoniques ou effectuez-vous aussi des relances par courriers ou mails ''

Dès lors que la Caisse d'Epargne assumait les risques financiers de l'opération et était chargée de procéder au recouvrement des impayés, il ne peut lui être reproché son attitude exigeante vis à vis de l'admission des dossiers. Le retard dans l'annonce de l'enveloppe accordée, étant précisé qu'aucune date limite n'avait été annoncée, s'explique par la volonté de la Caisse d'Epargne de maîtriser le recouvrement des créances achetées ce qui est justifié par leur caractère fragile.

Aucune faute ne peut-être retenue de ce chef à l'encontre de la Caisse d'Epargne.

Sur la communication de pièces dans le cadre de data-rooms

Créancil fait valoir que la Caisse d'Epargne a exigé de des données supplémentaires dans la data-room concernant les statuts, les rapports annuels et les comptes de chaque CIL concernés, en marge de la convention de mandat ce qui lui aurait occasionné des taches supplémentaires pour le mandataire.

La Caisse d'Epargne réplique que :

-la convention fait référence en son annexe A à une data room dont le contenu est détaillé et stipule expressément que le mandant peut demander la mise en place de mesures et d'indicateurs supplémentaires,

-les données requises relèvent dub.a-ba et ont pour but de mesurer le risque d'impayé ou de procédure collective.

Il résulte de la convention que chaque dossier doit comporter un certain nombre de pièces administratives précises.

A l'annexe A de la convention, il est mentionné qu'« en concertation avec le mandataire, le mandant peut demander la mise en place de mesures et d'indicateurs supplémentaires. ».

Cette disposition démontre que la liste fournie n'est pas exhaustive.

Le tribunal de commerce a indiqué :

'Le 10/03/2011, Créancil répondait par mail à la Caisse d'Epargne sur ce point :

Statuts des CIL : nous commandons auprès des préfectures les statuts des autres CIL ;

Bilans : nous avons communiqué les comptes de l'ensemble des CIL en rapport avec les

dossiers de l'année 2011. Pour faciliter l'accès à ces documents, nous allons mettre en place un lien via la data-room afin que vous puissiez consulter l'ensemble des bilans en notre possession. Ce lien sera actif demain. Nous solliciterons à nouveau les CIL en 06/2011 lors de leur AG pour qu'ils nous transmettent les comptes de l'année 2010" ;

Attendu que par ce mail, Créancil ne formulait aucune objection à cette demande de la Caisse d'Epargne par ailleurs tout à fait logique compte tenu des risques financiers pris sur les CIL et qu'à aucun moment pendant les 4 années de relations entre les parties, ce reproche n'a été formulé par Créancil ;'

Ces demandes rentrent dans le cadre de l'obligation de Créancil de fournir des dossiers le plus complet possible et le mandataire ne démontre pas en quoi ces demandes étaient injustifiées au regard de l'économie globale de la convention ou difficiles à mettre en oeuvre.

Sur la modification de la rémunération de Créancil avant l'avenant du 21 février 2012

Créancil allègue que si la Caisse d'Epargne a autorisé Créancil, dans un premier temps, à réduire le taux de rachat fixé dans la convention à 9,50 % et ce compte tenu de la baisse des taux d'intérêt, elle a également modifié d'autorité les règles de partage de la rémunération entre mandant et mandataire, afin que le mandant garde la même rémunération quel que soit le taux de rachat retenu.

La Caisse d'Epargne répond que Créancil a accepté par avenant en date du 21 février 2012 la modification de sa rémunération et que le préjudice était peu élevé puisque d'un montant de 6648 euros.

Créancil produit des factures antérieures à février 2012 et un tableau récapitulant la somme qu'elle a perdue à titre de rémunération à la suite de l'accord de la Caisse d'Epargne pour réduire le taux de rachat.

Cette modification des modalités d'exécution de la convention n'a pu se faire que d'un commun accord des parties, Créancil reconnaissant que la réduction du taux de rachat permettait d'être plus concurrentiel sur le marché. Cette adhésion de Créancil qui est corroborée par la délivrance des factures adressées à son cocontractant qui les a réglées fait obstacle à ce que Créancil revienne sur cette modification unilatérale et uniquement pour la disposition relative à la rémunération de la Caisse d'Epargne, laquelle n'a pas été prévue au contrat.

Créancil sera déboutée de sa demande de remboursement de la somme de 6648euros.

Préjudice lié au maintien de taux non concurrentiels

Créancil expose que tout au long de l'exécution de la convention de mandat, la Caisse d'Epargne a obstinément conservé des taux non concurrentiels dans les périodes de baisse des taux d'intérêts, que cette attitude particulièrement intransigeante après l'avenant du 21 février 2012 a abouti à la fixation de taux de rachat minimum en dessous desquels il était rigoureusement impossible de descendre ce qui ne permettait pas d'être concurrentiel sur le marché, que dans le cas des créances inférieures à 500.000.00 euros, le taux de rachat minimum était fixé à 8%, alors que le concurrent DGM, travaillant pour Naxicap CIL, structure dédiée du groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne) offrait au mandataire le taux de 4.85%.

La Caisse d'Epargne soutient que l'avenant du 21 février 2012 a été signé par Créancil, que la modification acceptée qui tient compte du retour d'expérience faisant apparaître une chronophagie administrative liée au traitement des factures, aux impayés consécutifs à la désorganisation administrative de certains CIL, à des risques de double cession, à un refus de la cession.

La lecture de l'avenant du 21 février 2012 fait apparaître le taux de rachat minimum, le taux de refinancement et le pourcentage de rémunération suivants :

' En dessous de 0,5 M euros : $gt; à 8%, taux de refinancement : 6,50% et % Créancil : 60%

' Entre 0,50 M euros et 1,5 M euros : $gt; à 7%, taux de refinancement : 6,50% et % Créancil : 60%

' Au dessus de 1,5 M euros : $gt; à 7% taux de refinancement : 6, 25 % et % Créancil : 50%

Il résulte de cet avenant que le taux de rachat de créance a été réduit de 9,5% à 8 et 7% en fonction du montant des créances.

La Caisse d'Epargne n'a jamais accepté de descendre sous le taux de 7% invoquant le ratio de solvabilité qu'elle devait respecter et le risque lié aux opérations de crédit.

Créancil ne démontre pas que sa cocontractante l'a contrainte à signer cet avenant et chaque opération était rémunérée de manière précise.

Cependant, les parties étaient soumises à une clause d'exclusivité ; en maintenant cette clause d'exclusivité et en fixant un taux de rachat élevé, alors qu'une autre entité du groupe auquel ne conteste pas appartenir la Caisse d'Epargne, soit Naxicap Cil, réalisait des opérations dans le même domaine via une société tierce, concurrente directe de Créancil, laquelle se voyait proposer des taux nettement plus favorables, la Caisse d'Epargne n' a pas exécuté le mandat de manière loyale. En effet, Créancil verse aux débats les requêtes présentées au juge commisaire démontrant que pour plusieurs opérations pour lesquelles elle a proposé un taux de rachat de 7% imposé par la convention, son concurrent a emporté le marché en proposant un taux de rachat très légèrement inférieur.

Créancil établit également qu'alors que son chiffre d'affaires atteignait 230.000 euros en 2011 et 2012, il était de 148.234 euros en 2013 et de 139.308 euros en 2014 alors que le chiffre d'affaires de son concurrent qui était de 180.962 euros en 2012 a atteint le chiffre de 479.262 euros en 2013 et de 459.092 euros en 2014.

En agissant ainsi, la Caisse d'Epargne a engagé sa responsabilité dans l'exécution du mandat causant à Créancil un préjudice.

Créancil évalue son préjudice à la perte de rémunération qu'elle aurait pu percevoir si elle avait emporté le marché des créances acquises par son concurrent.

Cependant, la Caisse d'Epargne pouvant refuser les propositions de rachat de créances de Créancil, le préjudice ne peut être évalué au chiffre d'affaire lié à ces dossiers auxquels elle estimait pouvoir prétendre.

En revanche, compte tenu des modalités d'exécution de la convention qui bien que réglementée offrait une enveloppe importante quant au montant possible de rachats de créances, même si la Caisse d'Epargne ne s'était pas engagée à un volume d'acquisition minimum, Créancil pouvait espérer obtenir un chiffre d'affaire équivalent à celui des deux années précédentes soit 230.000 euros si la convention avait été exécutée de manière loyale. Or, elle a subi un manque à gagner de 80.000 euros en 2013 et 90.000 euros en 2014 soit 50.000 euros sur un peu plus de six mois jusqu'à la résiliation du contrat soit au total 130.000 euros. Durant cette période, la levée de la clause d'exclusivité en avril 2014 n'a pas pu permettre à Créancil de trouver un autre partenaire immédiatement.

S'agissant d'un cabinet employant un salarié et exerçant une activité administrative, il sera retenu une marge brute de 60%.

Le préjudice subi sera évalué à 130.000 euros X 60% = 78.000 euros

La Caisse d'Epargne devra verser à Créancil la somme de 78.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur l'exclusion des CIL ne donnant pas leur accord de principe, l'exclusion totale de cinq CIL, la fixation d'un plafond par CIL

Créancil allègue que l'exclusion des CIL ne donnant pas leur accord de principe à la cession de créances PEEC opérée par la Caisse d'Epargne a été lourdement pénalisante pour elle et a créé une rupture partielle et brutale d'une relation commerciale établie, qu'elle a subi un préjudice lié à l'exclusion totale de cinq CIL et à la fixation d'un plafond par CIL pour les autres, qui engage la responsabilité de la Caisse d'Epargne.

La Caisse d'Epargne fait valoir que pour éviter tout risque d'impayé et/ou de double cession, elle a exigé que Creancil lui justifie l'accord du rachat de la créance PEEC par le CIL, exigence s'inscrivant dans la réglementation bancaire mais aussi dans la loi des parties puisque la Caisse d'Epargne pouvait refuser, sans avoir à se justifier, telle ou telle créance proposée à la cession.

Par courrier du 8 avril 2013, la Caisse d'Epargne informait Créancil que les CIL devaient donner leur accord de principe quant au rachat des créances existant à leur encontre.

Il est justifié que par jugement du 30 juin 2016, confirmé par la cour d'appel de Douai le 17 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Lille a condamné un mandataire judiciaire à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 19.109,63 euros à titre de dommages-intérêts pour une double cession dans un dossier Solendi qui avait été présenté par Créancil, la cession étant intervenue le 10 octobre 2010. .

Par jugement du 14 mars 2019, le tribunal de grande instance de Lille a condamné la société Toulao (Créancil) à verser à la Caisse d'Epargne la somme de 23.078,78 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de diligences dans l'exécution de la convention de mandat en ayant présenté à la Caisse d'Epargne une créance qui ne se trouvait plus dans le patrimoine de Comeureg en 2013 pour avoir déjà été cédée en 2007.

Il est versé un courriel de la Caisse d'Epargne en date du 28 juillet 2016 aux termes duquel elle mandate son avocat pour intenter dans un premier temps une procédure amiable à l'égard d'un mandataire judiciaire de Lyon dans une double cession de créance Rencast Delle pour un montant de 135.676,37 euros.

Il est justifié d'une mise en demeure réceptionnée par un mandataire judiciaire le 10 octobre 2016 adressée par le conseil de la Caisse d'Epargne de payer à celle-ci la somme de 226.257,21 euros suite à une cession de créance SASU Rolpin d'un montant de 226.257,21 euros, autorisée par ordonnance du 28 mai 2015 et qui avait déjà été cédée.

Ces cessions de créances ont été présentées par Créancil à la Caisse d'Epargne dans le cadre de la convention de mandat.

Le fait d'exiger l'accord des CIL à la cession constituait une garantie justifiée par la nature de la créance rachetée et le risque financier encourue par le seul établissement bancaire, huit créances ayant été identifiées comme ayant fait l'objet d'une double cession pour un montant global de cession de 483.275, 66 euros pour un portefeuille de 1.011.339,03 euros.

Le mandataire est tenu d'exécuter le mandat selon les instructions du mandant. En l'absence de précision, et compte tenu des différents incidents de paiement survenus, et de la possibilité prévue au mandat pour le mandant de demander 'la mise en place de mesures et d'indicateurs supplémentaires', le fait d'exiger des CIL leur accord de principe à la cession de créances PEEC, ne peut être considéré comme fautif et de nature à entraver l'exécution du mandat.

Par courrier du 23 avril 2014, la Caisse d'Epargne fixait sa limite d'intervention pour 2014 à 8.000.000 euros (Huit Millions d'euros) en valeur de remboursement. Elle imposait par ailleurs une limite d'intervention financière à respecter par organisme collecteur qu'elle précisait aux termes de son courrier et indiquait que 'compte tenu des limites d'intervention de notre établissement, inférieures à celles souhaitées par Créancil dans votre correspondance du 4 avril 2014, nous vous informons par la présente renoncer à l'exclusivité prévue à l'article 3 de notre convention.'

La Caisse d'Epargne demandant à Créancil de donner son accord à cette nouvelle proposition, par mail du 27 mai 2014, M. T..., dirigeant de Créancil répondait : 'vous m'avez contraint, pour obtenir des offres sur lesquelles des engagements avaient été pris, à vous donner un accord de principe sur un document (...) dont les termes ne sont pas acceptables. Vous renouvelez aujourd'hui votre demande de régularisation sous contrainte ».

La Caisse d'Epargne n'expliquait pas pour quel motif elle imposait cette condition et précise dans ses conclusions qu'elle était liée à la gestion des risques et des impayés.

Il résulte du mandat que le mandant s'engageait à racheter les créances PEEC pour un montant fixé par ses instances décisionnaires.

Créancil justifie par la production de courriels que la Caisse d'Epargne lui a présenté entre le 03 avril 2014 et le 24 juillet 2014 trois propositions différentes de plafonds par CIL comportant des augmentations ou diminutions très importantes de ceux-ci.

Créancil justifie que par courrier du 10 mars 2015, Me Q..., mandataire-judiciaire lui a demandé de lui présenter une offre de rachat de la créance de 1% logement comptabilisée au crédit de la société SA Union des Coopérateurs d'Alsace pour un montant de l'ordre de 1 450 000.00 euros pour des créances portant sur plusieurs CIL. Pour l'un des CIL Purial, l'enveloppe allait être dépassée ce qui a entraîné une perte de l'intégralité du dossier le mandataire judiciaire voulant une offre globale.

Si aux termes du courrier du 23 avril 2014, la Caisse d'Epargne supprimait les sommes accordées à quatre CIL, aux termes de la dernière proposition, en date du 22 juillet 2014 des plafonds réapparaissent concernant ces CIL; il ne peut donc être retenu un grief sur ce plan.

En revanche, compte tenu de la date à laquelle, la demande de la Caisse d'Epargne est intervenue soit le 23 avril 2014 alors que la résiliation du contrat a été notifiée trois mois plus tard, le 22 juillet 2014, la limite d'intervention financière à respecter par organisme collecteur a contribué à réduire l'activité de Créancil et l'impact financier qui en est résulté sera examinée dans le cadre de la demande au titre de la rupture du contrat.

Sur le refus de la Caisse d'Epargne d'examiner le dossier de la SA [...]

Créancil reproche à la Caisse d'Epargne de n'avoir pas examiné l'opportunité de racheter le portefeuille de créances de la SA [...] d'un montant de 2 233 000.00 euros qu'elle lui a proposé par courriel du 29 octobre ce qui selon elle constituerait un manquement de la Caisse d'Epargne à son obligation de loyauté et d'exécution du contrat de bonne foi au titre de l'article 1134 alinéa 2 du code civil.

Par courrier du 11 décembre 2014, la Caisse d'Epargne répondait à Créancil que concernant le dossier de la SA [...], compte tenu des sujets actuels de double cession et le rachat d'un portefeuille de créances détenues par un tiers n'étant pas prévu à la convention, elle ne donnait pas de suite favorable au dossier.

Compte tenu des incidents liés à la cession de double créance, le refus de la Caisse d'Epargne d'examiner le dossier au vu du montant important de la créance ne peut caractériser une faute dans l'exécution du mandat, le refus de s'engager étant expressément stipulé à la convention.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les parties fondent leur demande et leur défense sur les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce. La résiliation du contrat sera examinée au regard de ces dispositions.

La société Créancil fait valoir que :

-le caractère établi de la relation commerciale est caractérisé ;

-l'état de dépendance économique de Créancil est caractérisé par son impossibilité de trouver une solution alternative ;

-le délai de préavis de 11 mois consenti à Créancil était insuffisant pour qu'elle puisse se réorganiser du fait du marché de niche en cause, de l'étranglement progressif dont elle a été victime de la part de la Caisse d'Epargne et de la clause d'exclusivité qui liait les partieset qui l'a mise dans une situation objective d'échec rendant très difficile la présentation du dossier à d'autres partenaires bancaires ;

-la rupture par la notification de la fin de l'exclusivité en avril, puis de la cessation des relations trois mois plus tard, avec une raréfaction des dossiers est incontestablement brutale et ouvre droit à réparation pour la société Toulao.

La Caisse d'Epargne réplique que :

-Créancil réclame 3 ans de préavis supplémentaires, pour une relation commerciale d'une durée de 4 ans et demi avec un chiffrage qui n'est pas raisonnable ;

-le risque de rupture n'était pas inconnu pour Créancil puisque dès le 24 avril 2014, la Caisse d'Epargne avait levé l'obligation d'exclusivité de Créancil et lors d'une réunion du 11 juin 2014, le souhait de dénoncer la convention au 31 décembre 2014 avait été indiqué ;

-Créancil a calculé sa marge brute sur la base d'un chiffre théorique de chiffre d'affaires sans aucun fondement contractuel ;

-Il y a un défaut total de transparence sur les conditions d'exploitation de la société postérieurement à la rupture de la relation commerciale.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Il n'est pas contesté que la relation a duré quatre ans et 4 mois du 11 mars 2010 (première convention) au 22 juillet 2014, date de l'envoi du courrier recommandé de la Caisse d'Epargne notifiant la rupture et fixant la fin du préavis au 30 juin 2015, soit un préavis d'une durée de 11 mois.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Etait insérée dans la convention une clause d'exclusivité réciproque interdisant au mandataire de réaliser, sans l'accord préalable du mandant, toute opération entrant dans le champ d'application de la présente convention avec tout autre établissement régi par les dispositions du code monétaire et financier et au mandant de confier à un autre mandataire une mission entrant dans le cadre de la convention.

L'objet de la convention était limité en ce qu'il était relatif au rachat de créances PEEC (1% logement) dont les créanciers font l'objet d'une procédure collective.

Cette clause d'exclusivité n'empêchait pas Créancil d'exercer d'autres activités en qualité d'intermédiaire en opérations de banque mais celle-ci ne donne aucun élément sur des activités connexes éventuelles ce qui exclut de retenir l'existence d'un lien de dépendance avec la Caisse d'Epargne, son activité devant être examinée de manière globale.

Sur l'achat de créances CIL, la clause d'exclusivité réciproque autorisait cependant Créancil à escompter le maintien d'un flux d'affaires régulier même si la Caisse d'Epargne ne s'était pas engagée sur un volume garanti d'activité. Il sera à cet égard souligné que la Caisse d'Epargne en fixant une limite d'intervention financière à respecter par organisme collecteur, trois mois avant la résiliation du contrat, a contribué à limiter l'activité de Créancil, à compter d'une date où la Caisse d'Epargne allait résilier la convention et accorder à sa cocontractante un préavis.

Compte tenu de la durée de la relation, le préavis de 11 mois accordé était suffisant pour permettre à Créancil de retrouver des clients en tenant compte des études et investissements réalisés, de la nature et du caractère confidentiel du marché. Il n'y a pas lieu de tenir compte de l'activité de Créancil postérieure à l'expiration du contrat.

Durant le préavis, la Caisse d'Epargne devait maintenir le taux d'activité escompté par Créancil.

Le volume d'activité représentatif à prendre en compte est l'activité moyenne que la Caisse d'Epargne pouvait espérer réaliser et non la limite maximale de rachat de créance à laquelle s'était engagée la Caisse d'Epargne. En effet, celle-ci avait fixé un montant limite de rachat de créances qui supposait que les conditions imposées par la convention soient remplies et que la Caisse d'Epargne accepte le rachat de la créance.

Il est produit les bilans pour les exercices 2010 à 2014 inclus. Le contrat ayant duré un peu plus de quatre ans, il sera tenu compte des chiffres d'affaires réalisés durant les deux meilleures années complètes précédant la résiliation du contrat. Les deux années significatives de l'exécution du contrat sont 2011 et 2012 avec 230.000 euros de chiffre d'affaires annuel, celui-ci étant de 148.234 euros en 2013 et 139.308 euros en 2014. Il sera ainsi tenu compte du flux d'affaires susceptible d'être réalisé par Créancil en raison de la nature de la convention si celle-ci s'était déroulée de manière loyale.

Créancil pouvait espérer réaliser un chiffre d'affaires moyen annuel de 230.000 euros jusqu'à l'expiration du contrat alors que sur l'année 2014 complète et en l'absence d'élément sur l'année 2015, Créancil a réalisé un chiffre d'affaires de 139.308 euros ce qui constitue un manque à gagner de 90.692 euros soit sur 11 mois = 83.134 euros

Au vu de ces éléments, Créancil pouvant prétendre à une marge de 60%, son préjudice est de : 83.134 euros euros X 60% = 49.880 euros.

La Caisse d'Epargne devra donc lui verser la somme de 49.880 euros euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de condamner la Caisse d'Epargne aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la société Toulao ( Créancil) la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

DÉCLARE recevable l'intervention volontaire la Caisse d'Épargne des Hauts de France venant aux droits de la Caisse d'Épargne et de prévoyance Nord France Europe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

REJETTE les demandes de la société Toulao (Créancil) au titre du déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties,

DIT que la Caisse d'Epargne a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Toulao (Créancil) dans l'exécution de la convention de mandat,

CONDAMNE la Caisse d'Epargne à payer à la société Toulao (Créancil) la somme de 78.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi dans l'exécution de la convention de mandat,

CONDAMNE la Caisse d'Epargne à payer à la société Toulao (Créancil) la somme de 49.880 euros à titre de dommages-intérêts, au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONDAMNE la Caisse d'Epargne à payer à la société Toulao (Créancil) la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la Caisse d'Epargne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 code de procédure civile.

Hortense VITELA-GASPAR Marie-Annick PRIGENT

Greffière Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/14603
Date de la décision : 28/05/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°17/14603 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-28;17.14603 ?
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