RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 22 Mai 2020
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/02847 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2W6S
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Novembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15-06145
APPELANTE
SAS ARKOS INTERIM
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Denis ROUANET, avocat au barreau de LYON, toque : 1485 substitué par Me Benjamin BAILLAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0942
INTIMÉE
CPAM 94 - VAL DE MARNE
Division du contentieux
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Mme [V] en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 2]
[Localité 4]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre
Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseillère
M. Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- délibéré du 27 mars 2020 prorogé au 22 mai 2020, prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre et par Mme Typhaine RIQUET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la SAS Arkos Intérim d'un jugement rendu le 25 novembre 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est expressément fait référence à cet égard.
Toutefois, il convient de rappeler que [Y] [T], salarié de la SAS Arkos Intérim en qualité de manutentionnaire BTP, a été victime d'un accident le 2 juin 2015, lequel a été déclaré le 4 juin 2015 par l'employeur qui a également émis des réserves par lettre du 8 juin suivant.
Le 20 août 2015, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a reçu le certificat médical initial établi le 18 juin 2015.
Le 26 août 2015, la caisse primaire a notifié à la SAS Arkos Intérim la prise en charge de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 21 octobre 2015, la SAS Arkos Intérim a saisi la commission de recours amiable de la caisse en contestation de cette décision.
En l'absence de réponse de la commission de recours amiable, le 14 décembre 2015, la SAS Arkos Intérim a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris sur rejet implicite de son recours.
Par jugement du 25 novembre 2016 ce tribunal a débouté la SAS Arkos Intérim de sa demande. La SAS Arkos Intérim a relevé appel de ce jugement le 20 février 2017.
À l'audience du 20 janvier 2020, la SAS Arkos Intérim et la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne ont comparu.
La SAS Arkos Intérim, appelant, a fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour, au visa des articles R. 441-10, R. 441-11 à R. 441-14 du code de la sécurité sociale, à :
- Infirmer le jugement du 25 novembre 2016 rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
- Constater que les réserves formulées par la société Arkos Intérim le 8 juin 2015 étaient motivées ;
- Constater que le principe de la contradiction n'a pas été respecté par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne ;
- Constater que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne n'a pas respecté les délais relatifs à l'instruction en matière de législation sur les risques professionnels ;
En conséquence,
-Dire et juger inopposable à la société Arkos Intérim la décision de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident subi le 2 juin 2015 par [Y] [T].
Au soutien de son appel, en premier lieu, la SAS Arkos Intérim prétend que les réserves qu'elle a formulées en vue de contester le caractère professionnel de l'accident prétendument survenu à [Y] [T] le 2 juin 2015, étaient parfaitement précises, circonstanciées et détaillées pour être jugée motivées. Elle ajoute que ces réserves répondaient strictement à la définition jurisprudentielle dans la mesure où elles mentionnaient l'absence de lien entre l'accident et le travail à raison des circonstances de temps et de lieu de l'accident déclaré, étant précisé que dans une autre affaire, par arrêt du 25 janvier 2018, la Cour de cassation a validé les réserves qu'elle avait formulées dans des termes similaires. Elle précise que l'accident s'étant produit au sein de l'entreprise utilisatrice, elle n'avait eu que très peu d'informations sur les circonstances de l'accident; que, par conséquent que la caisse primaire était tenue de procéder à une enquête et ne pouvait pas prendre d'emblée en charge l'accident survenu à son salarié au titre de la législation sur les risques professionnels ; qu'elle n'avait pas à ce stade de la procédure à rapporter la preuve que l'accident déclaré par son salarié n'avait pas pu se produire aux temps et lieu de travail.
En second lieu, la société rappelle que si à l'expiration du délai de trente jours en cas d'accident du travail, la caisse primaire constate qu'il lui est matériellement impossible de se prononcer sur le caractère professionnel de l'accident, elle dispose d'un délai supplémentaire pour prendre sa décision mais qu'elle est tenue alors d'aviser l'employeur, la victime et ses ayants droit par lettre recommandée avec accusé de réception de la prolongation du délai. Elle observe qu'à l'expiration du délai de deux mois dont dispose la caisse primaire pour instruire le dossier et prendre sa décision, l'accident étant pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, cette reconnaissance ne résulte que du non-respect par l'organisme de sécurité sociale du délai qui lui est imparti, privant ainsi l'employeur d'une procédure contradictoire qui lui aurait permis de discuter utilement le caractère professionnel de l'accident.
Elle fait alors valoir que, la déclaration ayant été transmise à la caisse le 4 juin 2015 et la prise en charge n'ayant été notifiée aux intéressés que le 26 août 2015, la caisse primaire n'a pas respecté le principe de la contradiction.
En défense, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, intimée, a déposé et soutenu oralement des conclusions écrites aux termes desquelles elle a demandé à la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 novembre 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ;
Et ce faisant,
-Déclarer que c'est à bon droit que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a pris en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, l'accident du travail dont a été victime [Y] [T] le 2 juin 2015 ;
En conséquence,
-Déclarer opposable à la société Arkos Intérim la prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne de l'accident du travail dont a été victime [Y] [T] le 2 juin 2015 ;
- Débouter la société Arkos Intérim de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Arkos Intérim à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Arkos Intérim à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne les entiers dépens.
La caisse primaire fait valoir que l'absence de témoin n'est pas un élément déterminant à lui seul pour refuser la prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle, et que le seul fait d'invoquer une absence de témoin ne constitue pas une réserve motivée au sens de la jurisprudence ; qu'elle s'est fondée sur la cohérence de l'ensemble des éléments de fait de l'accident en cause, tels qu'ils ressortaient notamment de la déclaration d'accident du travail, de la fiche d'intervention des sapeurs-pompiers, des comptes-rendus hospitalier et opératoire, et du certificat médical initial, connus de l'employeur au jour de la décision de prise en charge, pour faire valoir que la seule circonstance de l'absence de témoin n'était donc pas de nature à remettre en cause la matérialité de l'accident aux temps et lieu du travail, qu'en conséquence elle n'était pas tenue de mettre en 'uvre une mesure d'instruction en présence de réserves purement formelles ne répondant pas aux exigences légales et jurisprudentielles.
Elle ajoute que si elle a reçu la déclaration d'accident du travail le 5 juin 2015, elle n'a reçu le certificat médical initial que le 20 août 2015, et qu'au regard de l'ensemble des éléments au dossier, elle a pu prendre en charge d'emblée l'accident le 26 août suivant, sans que cette décision puisse être considérée comme tardive ; que le tribunal a donc estimé à tort qu'elle avait dépassé les délais d'instruction et qu'en tout état de cause, l'inobservation du délai de 30 jours ne rend pas pour autant la prise en charge de l'accident inopposable à l'employeur.
Il est fait référence aux écritures des parties ainsi déposées pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés au soutien de leurs prétentions.
SUR CE,
Le jugement du 25 novembre 2016 a été notifié à la SAS Arkos Intérim le 27 janvier 2017. La société a relevé appel de cette décision le 20 février 2017. L'appel est donc recevable.
En application des dispositions de l'article R. 441-11, III°, du code de la sécurité sociale, en cas de réserves motivées de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse primaire envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels, un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident, ou procède à une enquête auprès des intéressés.
Les réserves visées par ce texte, s'entendant de la contestation du caractère professionnel de l'accident, ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, M. [Y] [T] a été victime d'un accident le 2 juin 2015 à
13 heures 15, alors que, sur un chantier réalisé à la [Adresse 6] auquel il avait été affecté, en enlevant un faux-plafond, il est tombé d'un échafaudage d'une hauteur de quatre mètres. Il a été immédiatement secouru par les sapeurs-pompiers qui l'ont conduit à l'hôpital. Les services de police se sont rendus sur les lieux à 15 heures 56. Il est resté à l'hôpital jusqu'au 11 juin 2015, a été transporté à la clinique jusqu'au 18 juin 2015, date à laquelle le certificat médical initial a été établi et a subi une intervention chirurgicale. Au jour de la consolidation de ses blessures, fixée au 1er décembre 2016, il lui a été attribué une rente sur la base d'une incapacité permanente de 47 %.
L'employeur a été informé de l'accident le 3 juin 2015 à 17 heures.
La SAS Arkos Intérim a procédé, auprès de la caisse primaire d'assurance maladie du
Val-de-Marne à la déclaration de cet accident le 4 juin 2015 et a formulé des réserves par lettre du 8 juin suivant. Le certificat médical initial la été reçu le 20 août 2015 et la caisse primaire a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels le 26 août 2015.
Contestant l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels, l'employeur a saisi d'un recours le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris.
Pour rejeter ce recours, la juridiction saisie a retenu que la lettre de réserves adressée à la caisse le 8 juin 2015 était rédigée comme suit :
« Nous émettons des réserves sur le caractère professionnel de l'accident cité en référence du fait qu'aucun témoin ne peut attester l'heure et le lieu indiqué par l'intérimaire. »
Cette juridiction a donc jugé que ces observations ne constituaient pas des réserves motivées sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident, de sorte que la caisse primaire n'avait pas été tenue de procéder à une mesure d'instruction préalablement à sa décision de prise en charge. En outre, elle a considéré que la caisse primaire n'avait pas respecté le délai d'instruction d'une déclaration d'accident du travail dans la mesure où la déclaration en cause a été reçue le 11 juin 2015 et la décision de prise en charge a été notifiée le 26 août 2015. Néanmoins, ayant considéré que l'inobservation de ce délai par la caisse primaire n'était sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, la juridiction a retenu que le dépassement du délai n'avait pas pour conséquence l'inopposabilité de la décision de prise en charge à l'égard de l'employeur.
Il s'agit certes d'une relation de travail intérimaire et il n'est pas établi que l'employeur a eu connaissance de l'intervention des sapeurs-pompiers sur le chantier pendant les horaires de travail. Mais il résulte des termes de la lettre adressée dés le 8 juin 2015 à la caisse primaire que l'employeur a formulé par précaution des réserves quant aux circonstances de temps et de lieu de l'accident remettant en cause le caractère professionnel de l'accident déclaré, afin que la caisse primaire lui fournisse tout élément lui permettant de renverser la présomption d'imputabilité dans l'hypothèse où les éléments portés à sa connaissance auraient démontré que l'accident ne s'était pas produit aux temps et lieu du travail.
Ainsi, en ne visant que l'absence de témoin, l'employeur a fait la démonstration qu'il ne disposait d'aucun élément pouvant faire douter des circonstances de temps et de lieu de l'accident telles qu'elles ressortaient notamment de la déclaration d'accident du travail, des circonstances et de l'heure de l'accident, du compte-rendu des sapeurs-pompiers, des comptes-rendus hospitalier et opératoire, et du certificat médical initial.
En conséquence, la caisse disposait d'un faisceau d'indices précis et concordants lui permettant de prendre une décision de prise en charge sans procéder à une instruction préalable.
La décision prise le 26 août 2015 ne peut être considérée comme tardive dés lors que, si la déclaration d'accident du travail a été reçue le 5 juin 2015, le certificat médical initial n'a été reçu que le 20 août 2015 et que c'est à cette seule date que le dossier était complet. La caisse n'avait pas à procéder à la prolongation du délai d'instruction.
La cour confirmera en toutes ses dispositions le jugement déféré et déclarera la décision de prise en charge de l'accident du 2 juin 2015 opposable à la SAS Arkos Intérim.
L'employeur qui succombe en ses prétentions sera condamné au paiement des dépens d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare recevable et bien fondé l'appel interjeté par la SAS Arkos Intérim ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Et statuant à nouveau,
Déclare opposable à la SAS Arkos Intérim la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne de l'accident survenu le 2 juin 2015 au préjudice de M. [Y] [T] ;
Condamne la SAS Arkos Intérim aux dépens d'appel.
La Greffière,La Présidente,