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20/05/2020 | FRANCE | N°18/05371

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 20 mai 2020, 18/05371


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 20 Mai 2020

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/05371 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QEZ



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Février 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/09400





APPELANT



Monsieur [L] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

né le [Date naissance 3

] 1955 à [Localité 5]



représenté par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148 substitué par Me Virginie DOUBLET NGUYEN, avocat au barreau de PARIS, toque : C...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 20 Mai 2020

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/05371 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QEZ

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Février 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/09400

APPELANT

Monsieur [L] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 5]

représenté par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148 substitué par Me Virginie DOUBLET NGUYEN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1445

INTIMEE

SAS RESIDENCE LES [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 5]

N° SIRET : 438 434 599

représentée par Me Natacha LE QUINTREC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0768

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Janvier 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère

Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 06 Janvier 2020

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société [Adresse 11], appartenant au groupe Domusvi, a embauché Monsieur [L] [R] par un contrat de travail à durée indéterminée en date du 5 octobre 2006, en qualité de responsable d'établissement de la résidence pour personnes âgées du [Localité 8].

Ses fonctions se sont poursuivies dans plusieurs résidences du groupe et il occupait, en dernier lieu, les fonctions de directeur de la SAS [Adresse 10].

Monsieur [L] [R] a quitté son poste le 16 juillet 2015.

Sollicitant le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis conventionnel et une indemnité de brusque rupture, la SAS [Adresse 10] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 6 février 2018, a:

- dit la demande de rupture conventionnelle requalifiée en démission et condamné Monsieur [L] [R] au paiement des sommes suivantes, avec intérêts légaux :

* 14 061,72 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

* 12 000 euros d'indemnité pour brusque rupture,

* 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société du surplus de ses demandes,

- débouté Monsieur [L] [R] de ses demandes reconventionnelles et condamné aux dépens.

Monsieur [L] [R] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 13 avril 2018.

Dans ses dernières conclusions au fond, déposées et notifiées par voie électronique le 18 novembre 2019, il demande à la cour de :

-infirmer le jugement déféré,

-dire que son départ s'analyse en une prise d'acte de la rupture devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en date du 8 juin 2015,

-condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

* 13 681,71 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 20 522,56 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 27 363,42 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235- 3 du code du travail,

-subsidiairement, imputer la période du 8 juin au 16 juillet sur le préavis conventionnel,

-condamner la société à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Dans ses dernières conclusions au fond, déposées et notifiées par voie électronique le 19 mars 2019, la société demande à la cour de :

-confirmer le jugement déféré,

-statuant à nouveau:

* déclarer irrecevables les demandes nouvelles de Monsieur [L] [R] formulées en appel par voie de conclusions en appel récapitulatives,

* qualifier la prise d'acte de la rupture en démission,

* condamner Monsieur [L] [R] à lui payer la somme de 3 000 euros d'indemnité pour brusque rupture, en sus de la somme allouée en première instance,

* le condamner à lui payer la somme de 4 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée en première instance, outre les dépens.

Monsieur [L] [R] fait valoir que :

- il a été confronté à une situation sociale très dégradée à la résidence des [Localité 7] et à de nombreuses plaintes des familles des résidents,

- le 8 juin 2015, constatant que les comportements non sanctionnés de salariés se reproduisaient régulièrement et étaient susceptibles de conduire à la mise en jeu de sa responsabilité personnelle, civile et pénale, estimant ne plus être en mesure d'exercer ses fonctions dans la résidence, s'estimant abandonné par sa hiérarchie, il s'est vu contraint de solliciter la rupture conventionnelle de son contrat de travail,

- le 29 juin 2015, il a adressé une lettre recommandée à sa direction pour dénoncer sa délégation de pouvoir,

- son départ ne peut pas s'analyser comme une démission et doit être qualifié de prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- il n'avait plus les moyens d'exercer sa délégation de pouvoir ce qui avait des répercussions sur sa santé et cette situation empêchait la poursuite du contrat de travail,

- l'employeur ne justifie d'aucun préjudice,

- la rupture doit prendre effet au 8 juin 2015 pour le calcul du délai de préavis.

La SAS [Adresse 10] fait valoir que :

- Monsieur [L] [R] a démissionné pour prendre un nouveau poste dans le sud, sans informer son employeur, et sans accomplir son préavis d'une durée de trois mois,

- il n'apporte pas la preuve d'un manquement de son employeur,

- elle a refusé de sanctionner Madame [T] parce que Monsieur [L] [R] avait lui-même commis une faute en demandant à cette salariée de donner des soins à une résidente alors qu'elle n'était pas aide-soignante,

- le directeur d'établissement a un pouvoir de direction et disciplinaire mais, en matière sociale, il collabore avec son directeur régional et la direction des ressources humaines du groupe afin d'aboutir à des solutions pondérées et légales,

- l'indemnité de préavis présente un caractère forfaitaire et est indépendante de la réparation du préjudice supplémentaire causé en cas de rupture,

- sa démission sans prévenir ni respecter son préavis a causé un préjudice à la société en termes d'image et d'organisation,

- la demande d'indemnité compensatrice de préavis est nouvelle en cause d'appel et irrecevable.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 novembre 2019.

Dans des conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 6 janvier 2020, Monsieur [L] [R] demande à la cour de :

- rejeter des débats les conclusions notifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture,

- subsidiairement, révoquer l'ordonnance de clôture afin de lui permettre de produire de nouvelles pièces en réponse aux conclusions de la SAS [Adresse 10] du 20 novembre 2020.

Dans des conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2020, la SAS [Adresse 10] demande à la cour de :

- débouter Monsieur [L] [R] de ses demandes principales et subsidiaires,

- admettre les conclusions en réplique n°2 produites dans les délais impartis.

L'audience de plaidoirie s'est tenue le 30 janvier 2020.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties.

MOTIFS

Sur le rejet des conclusions notifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats

La cour observe que la SAS [Adresse 10] a déposé ses dernières conclusions au fond au greffe par voie électronique le 19 mars 2019 et qu'elle n'a pas déposé d'autres conclusions au fond après cette date, notamment le 19 novembre 2019, étant précisé que la pièce intitulée "16ccl° CA.pdf" est en réalité une lettre adressée au greffier.

Dès lors, les demandes des parties relatives aux conclusions notifiées le 19 et le 20 novembre 2019 et la demande subsidiaire de révocation de l'ordonnance de clôture, sont sans objet.

En conséquence, les parties en seront déboutées.

Sur la rupture du contrat de travail

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. La démission peut être verbale et se déduire des circonstances entourant cette décision.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, il appartient à la cour d'apprécier s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque. Dans cette hypothèse, la démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Pour que la remise en cause de la démission soit accueillie, il faut que le salarié justifie qu'un différend antérieur ou contemporain de la démission l'avait opposé à son employeur. L'existence d'un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission est nécessaire. Ce lien sera établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission, et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié afin que l'employeur puisse rectifier la situation.

Ainsi, même émise sans réserve, une démission est nécessairement équivoque si le salarié parvient à démontrer qu'elle trouve sa cause dans des manquements antérieurs ou concomitants de l'employeur.

En l'espèce, il est constant que Monsieur [L] [R] a quitté son poste le 16 juillet 2015, après avoir formulé une demande de rupture conventionnelle, refusée par son employeur.

La lettre de demande de rupture conventionnelle, datée du 8 juin 2015, est rédigée dans les termes suivants:

" (...)

A deux reprises, j'ai fait part à [K] [X] directrice de région ma supérieure hiérarchique, conformément aux procédures internes, des comportements inacceptables de certains salariés et notamment de Madame [T] :

- mi-janvier 2015 Madame B. a eu un comportement inqualifiable en salle à manger au dîner, "violente altercation, gesticulation et vocifération contre une famille et un collègue". Cela a entraîné le départ de plusieurs résidents de la salle à manger par peur et des plaintes de familles.

- mi-avril 2015 le docteur [W] médecin traitant de Madame [B] a informé le docteur [J] de [Localité 9] médecin coordonnateur d'actes non conformes aux bonnes pratiques, "pouvant s'apparenter à de la maltraitance", de la part de Madame B. (actes que Madame [T] n'est pas autorisée à pratiquer). J'ai fait vérifier la véracité des informations : par le médecin coordonnateur, l'infirmière coordinatrice, la psychologue, les informations se sont avérées exactes.

A deux reprises, en accord avec [K] [X], j'ai engagé une procédure de mise à pied conservatoire, devant conduire à un licenciement, sans succès.

Il n'a été infligé à Madame B. qu'une mise à pied disciplinaire, sans commune mesure avec les fautes commises, alors que Madame B est coutumière de faits similaires et ce depuis plusieurs années.

Madame B est désormais de retour.

Outre le fait que son retour discrédite mon action, tant vis-à-vis des familles mais aussi de certains salariés qui se sentent confortés dans des pratiques préjudiciables et/ou dans leur absence d'investissement dans leur fonction.

Cela a concouru au départ, fin mai 2015 du médecin coordonnateur et de l'infirmière coordinatrice, après seulement quelques mois de présence mais aussi, porté préjudice aux relations, que nous avions réussi à renouer avec l'hôpital [6], grâce aux relations hospitalières du médecin coordonnateur.

J'avoue ne pas comprendre cette politique fortement préjudiciable à la bonne renommée de la résidence ainsi qu'au développement du réseau gérontologique de proximité.

Le turn-over extrêmement élevé de l'encadrement (...) depuis plusieurs années s'explique notamment par ces problématiques fortement enracinées.

Par ailleurs depuis plusieurs mois, je suis sous "la surveillance rapprochée " d'un syndicat, plus particulièrement de ses représentants.

Chacun de mes faits et gestes est déformé, amplifié, transformé à loisir, à chaque fois je suis obligé de me justifier, cela tourne au harcèlement.

J'ai évoqué ces faits avec le médecin du travail, ainsi qu'avec l'inspecteur du travail, lors de leur dernière visite.

Afin de sauvegarder ma santé tant physique que morale, j'ai dû à plusieurs reprises me faire prescrire des anxiolytiques pour supporter tout cela, ce qui n'est pas acceptable.

Ce n'est pas ainsi que je conçois ma fonction, mon travail et que je souhaite travailler.

Le fait que les agissements répréhensibles de salariés, vis-à-vis de résidents ne soient pas sanctionnées à la hauteur de leur gravité, malgré mes demandes et le harcèlement subi de la part de certains partenaires sociaux me placent dans une situation inacceptable :

- l'autorité qui m'est conférée de par mes fonctions est remise en cause.

- le bien-être et la prise en charge de qualité des résidents placés sous ma responsabilité ne peuvent être totalement garantis compte tenu des faits ci-dessus.

- les conditions de travail des autres salariés qui assument consciencieusement leur travail sont compromises par les agissements insuffisamment sanctionnés de quelques uns.

Je n'ai donc pas les moyens d'exercer la responsabilité que vous m'avez confiée car je ne reçois pas le soutien nécessaire à l'exercice de mes fonctions de la part de ma hiérarchie.

Je vous demande donc la rupture conventionnelle de mon contrat de travail dans les meilleurs délais, dans l'intérêt de tous, afin de ne pas envenimer et de laisser perdurer une situation d'ores et déjà difficile.

(...)"

Il résulte de ces éléments que Monsieur [L] [R] avait un différend avec son employeur lorsqu'il a quitté son poste et que son départ était notamment motivé par les manquements qu'il imputait à son employeur. Ainsi, la démission, équivoque, s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail et il appartient à la cour d'examiner les manquements invoqués par le salarié pour déterminer si cette prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [L] [R] invoque l'impossibilité d'exercer ses responsabilités contractuelles et sa délégation de pouvoir.

Le contrat de travail de Monsieur [L] [R] stipulait qu'il avait vocation "à remplir quatre missions essentielles en s'appuyant sur les fonctions et métiers du groupe: commercialiser sa résidence, mettre en 'uvre et garantir le fonctionnement de sa résidence, favoriser la qualité de vie et la sécurité des soins des résidents et assurer la gestion administrative et les résultats financiers de sa résidence. (...) Le salarié s'engagera plus particulièrement à appliquer et à faire appliquer par le personnel placé sous sa responsabilité toutes les règles, directives et instructions en vigueur. Par ailleurs, son attention est attirée sur la nécessité d'entretenir des relations de qualité tant avec les résidents qu'avec leurs familles".

La délégation de pouvoir de Monsieur [L] [R] prévoyait, notamment, que "Monsieur [L] [R] assurera également le suivi de la gestion du personnel de la résidence, tant sur le plan administratif que disciplinaire en liaison avec la direction des ressources humaines. (...) Monsieur [L] [R] est titulaire d'un pouvoir disciplinaire lui permettant de sanctionner (avertissement, mise à pied, licenciement, etc...) toute inobservation notamment des prescriptions applicables en matière d'hygiène et de sécurité ou de respect de la réglementation professionnelle."

Il est constant, en l'espèce, que Monsieur [L] [R] a engagé, conformément à sa délégation de pouvoir, deux procédures disciplinaires à l'encontre de Madame [T], à la suite d'une violente altercation avec la famille d'un résident puis de mauvais traitements à l'encontre d'une résidente, et que la SAS [Adresse 10] s'est opposée au licenciement de cette salariée.

La cour observe pourtant que l'employeur avait délégué au salarié son pouvoir disciplinaire, que cette délégation avait pour effet de transférer sa responsabilité pénale à Monsieur [L] [R], et qu'en s'opposant au licenciement de Madame [T], il s'est immiscé de manière fautive dans l'exercice de ce pouvoir par Monsieur [L] [R], privant ainsi celui-ci d'une partie de ses prérogatives contractuelles et l'empêchant de mener ses missions relatives notamment à la qualité des soins des résidents et des relations avec ces derniers et leurs familles.

La cour constate qu'en agissant ainsi, la SAS [Adresse 10] a fait supporter au salarié le risque de voir sa responsabilité pénale mise en cause alors qu'il ne disposait pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.


La cour relève ainsi que ce manquement de la part de la SAS [Adresse 10] étant grave, empêchait la poursuite du contrat de travail. La rupture s'analyse en prise d'acte aux torts de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture aux torts de l'employeur

Sur la recevabilité de la demande d'indemnité compensatrice de préavis formée par Monsieur [L] [R]

Aux termes de l'article R. 1452-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable, toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.

Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes.

L'article R. 1452-7 du même code, dans sa rédaction applicable, dispose que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel. L'absence de tentative de conciliation ne peut être opposée.

Même si elles sont formées en cause d'appel, les juridictions statuant en matière prud'homale connaissent les demandes reconventionnelles ou en compensation qui entrent dans leur compétence.

Aux termes de l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 783, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Monsieur [L] [R] a saisi le conseil de prud'hommes le 27 juillet 2015, avant l'entrée en vigueur du décret du 20 mai 2016 supprimant le principe de l'unicité de l'instance en matière prud'homale. Il pouvait, en conséquence, former des demandes nouvelles en cause d'appel.

La cour observe, toutefois, qu'il a interjeté appel le 13 avril 2018, après l'entrée en vigueur de l'article 910-4 précité et que sa demande relative au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis ne figurait pas dans ses premières conclusions au fond déposées le 9 juillet 2018.

La cour constate qu'il n'est ni soutenu ni établi que cette prétention était destinée à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Dès lors, cette demande est irrecevable.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

Aux termes de l'article 47 de la convention collective applicable, Monsieur [L] [R] est bien fondé à solliciter le paiement d'une indemnité calculée de la manière suivante:

" Cadres comptant 5 ans d'ancienneté et plus :

- 1/2 mois de salaire par année d'ancienneté dans la fonction de cadre jusqu'à 5 ans ;

- 1 mois de salaire pour chacune des années suivantes dans la fonction de cadre.

(...)

En cas d'année incomplète ces indemnités seront proratisées.

Etant précisé que le montant de l'indemnité ci-dessus ne pourra dépasser, pour les cadres, l'équivalent de 12 mois de traitement calculés dans les conditions ci-après, porté à 15 mois pour les cadres ayant plus de 15 ans d'ancienneté.

c) Salaire de référence :

Le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de cette indemnité est le 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse, la moyenne des 3 derniers mois, étant précisé que toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel qui aurait été versée au salarié pendant cette période ne sera prise en compte que pro rata temporis."

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, et notamment des bulletins de salaire, que la rémunération brute mensuelle moyenne de Monsieur [L] [R] s'élevait à 4 560,57 euros et qu'il bénéficiait d'une ancienneté de huit ans, neuf mois et onze jours.

Dès lors, la cour, statuant dans les limites de la demande, lui allouera la somme de 20 522,56 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point et la SAS [Adresse 10] sera condamnée au paiement de cette somme.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, du montant de la rémunération versée à Monsieur [L] [R], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable, une somme de 27 363,42 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point et la SAS [Adresse 10] sera condamnée au paiement de cette somme.

L'application de l'article L.1235-3 du code du travail appelle celle de l'article L.1235-4 concernant le remboursement par l'employeur fautif à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié, que la cour ordonnera dans le cas d'espèce dans la limite de trois mois.

Sur les demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour brusque rupture formées par la SAS [Adresse 10]

Il ressort des développements précédents que la non exécution par Monsieur [L] [R] de son préavis est imputable aux manquements de l'employeur, qui n'a pas donné au salarié les moyens d'accomplir les missions qui lui étaient confiées.

La cour observe, en outre, que Monsieur [L] [R] avait exprimé auprès de son employeur ses difficultés à exercer ses missions et avait sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail avant de quitter son poste.

Dès lors, aucun manquement relatif aux conditions de la rupture n'est imputable au salarié, la SAS [Adresse 10] ne peut prétendre ni au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis ni à celui de dommages et intérêts pour brusque rupture, et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

La société sera, en conséquence, déboutée de ces demandes.

Sur les frais de procédure

La SAS [Adresse 10], succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera, en outre, condamnée à payer à Monsieur [L] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure. Le jugement lui ayant alloué une indemnité à ce titre sera par ailleurs infirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déboute les parties de leurs demandes relatives aux conclusions notifiées le 19 et le 20 novembre 2019 et de révocation de l'ordonnance de clôture,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Déclare la demande d'indemnité compensatrice de préavis formée par Monsieur [L] [R] irrecevable,

Condamne la SAS [Adresse 10] à payer à Monsieur [L] [R] les sommes suivantes :

- 20 522,56 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 27 363,42 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la SAS [Adresse 10] à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Monsieur [L] [R] à la suite de la rupture du contrat de travail, dans la limite de trois mois,

Déboute la SAS [Adresse 10] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour brusque rupture,

Condamne la SAS [Adresse 10] à payer à Monsieur [L] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS [Adresse 10] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 18/05371
Date de la décision : 20/05/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°18/05371 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-20;18.05371 ?
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