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20/05/2020 | FRANCE | N°16/09271

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 20 mai 2020, 16/09271


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 20 Mai 2020

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/09271 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZGQI



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F12/11617





APPELANTE

SA [E] GESTION - SOCIETE GERANCE DE [Localité 12]

[Adresse 3]

[Localité 4]

SIRET : 542 020 987



représentée par Me Isabelle DE ROQUEFEUIL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1177 substitué par Me Emilie BELS de la SARL BELS & ASSOCIES, avocat au barrea...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 20 Mai 2020

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/09271 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZGQI

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F12/11617

APPELANTE

SA [E] GESTION - SOCIETE GERANCE DE [Localité 12]

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 542 020 987

représentée par Me Isabelle DE ROQUEFEUIL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1177 substitué par Me Emilie BELS de la SARL BELS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : E0833

INTIMEES

Madame [I] [O]

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Véronique LESNE BERNAT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0528

SAS [E] COMMERCIALISATION [Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Dominique CRIVELLI JURGENSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1245

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 janvier 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Sandra ORUS, présidente de chambre

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Madame Sandra Orus, présidente de chambre, pour le magistrat empêché, et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 23 juin 2016 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage dans le litige opposant Mme [I] [O] aux sociétés [E] gestion-Gérance de [Localité 12] et [E] commercialisation,a condamné la société société Gérance de [Localité 12] à verser à la salariée les sommes suivantes :

-rappel de commissions : 26 613,26 euros,

-indemnité de congés payés afférente : 2 418,20 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 18 169,35 euros,

-indemnité de congés payés afférente : 1 816,93 euros,

-indemnité conventionnelle de licenciement: 12 112,90 euros,

-indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35 000 euros,

-indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros,

a ordonné la remise par la société des bulletins de salaires conformes aux condamnations, débouté la salariée de ses autres demandes, débouté aussi les sociétés de leurs demandes et condamné la société Gérance de [Localité 12] aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 7 juillet 2016 parla société Gérance de [Localité 12]-[E] gestion de cette décision qui lui a été notifiée le 24 juin précédent.

Vu les conclusions et les observations orales des parties auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel.

Aux termes de conclusions enregistrées au greffe le 17 décembre 2019, soutenues oralement à l'audience, la société Gérance de [Localité 12] demande à la cour de :

- Dire et juger recevable et bien fondé son appel,

- Infirmer le jugement,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- Constater que la cession partielle du fonds de commerce intervenue le 29 juin 2012 entre la société [E] Gestion-Gérance de [Localité 12] et la société [E] commercialisation répond aux conditions d'application de l'article L.1224-1 du code du travail, qu'il n'est entaché d'aucune fraude et qu'il a entrainé le transfert du contrat de travail de Mme [O] à la société [E] commercialisation à la date du 29 juin 2012,

- Dire et juger opposable à Mme [O] la cession partielle du fonds de commerce intervenue le 29 juin 2012,

- Constater l'absence de prêt de main d''uvre illicite,

- Mettre hors de cause la société Gérance de [Localité 12],

- Débouter Mme [O] de sa demande de rappels de commissions et d'indemnité de congés payés afférente,

- Constater que la prise d'acte de la rupture du contrat de Mme [O] est postérieure à l'acte de cession et qu'elle n'est pas dès lors imputable à la société [E] Gestion-Gérance de [Localité 12]

- Constater l'absence de faits constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de Mme

[O],

En conséquence,

- Débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner Mme [O] à restituer à la société [E] Gestion-Gérance de [Localité 12] les sommes qu'elle a indûment versées en exécution du jugement du 23 juin 2016, à savoir :

- 26 613,26 euros à titre de rappel de commissions ;

- 2 418,20 euros à titre d'indemnité de congés payés afférente ;

- 18 169,35 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 816,93 euros à titre d'indemnité de congés payés afférente ;

- 12 112,90 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 35 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si par impossible la cour devait juger que la cession partielle de fonds de commerce intervenue le 29 juin 2012 n'était pas opposable à Mme [O] et faisait droit à ses demandes,

- Constater que la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [O] dans les mois ayant précédé la cession était de 4 500 euros,

- Constater que la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [O] des douze mois ayant précédé la rupture du contrat de travail était de 3.207,72 euros.

- Constater que Mme [O] ne justifie d'aucun préjudice que ce soit puisqu'elle a bénéficié dès sa sortie d'une retraite à taux plein.

- Cantonner le montant de l'indemnité de préavis à la somme de 9 623,16 euros représentant 3 mois de salaire (3 207,72 euros × 3) ;

- Cantonner le montant des congés payés sur préavis à la somme de 962,31 euros ;

- Cantonner le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 5 798,56 euros.

Étant précisé que la convention collective de l'immobilier prévoit à compter de 2 ans d'ancienneté une indemnité égale à 1/4 de mois par année d'ancienneté.

De plus, la base de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement pour un salarié rémunéré en tout ou partie à la commission, comme c'est le cas de Mme [O], est égale au treizième de la rémunération contractuelle des 12 mois précédents, soit en l'espèce à 2 960,97 euros (38 492,65 / 13).

- Cantonner le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sachant qu'au regard de l'ancienneté de Mme [O] et du référentiel d'indemnisation instaurée par les ordonnances Macron, l'indemnisation allouée à Mme [O] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait aujourd'hui excéder 8 mois de salaire, soit 25 661,76 euros (3 207,72 × 8).

En conséquence,

- Ramener à d'infinies plus justes proportions les prétentions de Mme [O],

Y ajoutant,

- Débouter Mme [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre reconventionnel,

- Condamner Mme [O] à verser à la société [E] Gestion-Gérance de [Localité 12] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [O] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître [R] [C], Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Aux termes de conclusions enregistrées au greffe le 16 décembre 2019, soutenues oralement à l'audience, Mme [O] demande à la cour de

- Dire et juger Mme [I] [O] tant recevable que bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

A titre principal, sur les condamnations requises contre la société Gérance de [Localité 12]

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme [O] la cession de fonds signée le 29 juin 2012 entre la Société Gérance de [Localité 12] et la Société [E] commercialisation et a, en conséquence, dit que le contrat de travail de Mme [O] n'a pas été transféré à la Société [E] commercialisation ,

- Dire et juger ainsi, conformément aux dispositions de l'article 12 du code de procédure civile qu'il appartient au juge de donner ou de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

- Dire et juger en l'espèce, qu'il n'existe pas de cession de fonds de commerce opposable à Mme [O] mais seulement une convention d'externalisation entre les sociétés Gérance de [Localité 12] et [E] commercialisation, la société Gérance de [Localité 12] demeurant l'employeur de Mme [O].

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société [E] gestion-Gérance de [Localité 12] à régler à Mme [O] ses arriérés de commissions à hauteur de 26 613,26 euros, lesquelles sont chiffrées à partir des factures émises,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu le prêt de main d''uvre

illicite commis par la Société Gérance de [Localité 12] au détriment de Mme [O] et la condamner, en conséquence, avec intérêts de droit à de la saisine de la juridiction prud'homale, à lui régler sur le fondement de l'article L 8241-1 du code du travail, la somme forfaitaire de 36 338,70 euros correspondant à six mois de salaire,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une rémunération mensuelle brute moyenne des douze derniers salaires perçus avant la cession à hauteur de 4 500 euros bruts, et statuant nouveau, dire et juger d'une part que cette rémunération avant cession est de 6 056,45 euros bruts (dont 4 500 euros bruts de commissions) et qu'il convient d'autre part de la prendre seule en considération pour évaluer les préjudices subis par Mme [O],

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé fondée la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en date du 18 avril 2014 et qu'il a ainsi condamné la Société [E] gestion- Gérance de [Localité 12] à régler à Mme [O] son indemnité compensatrice de préavis, ses congés sur préavis et son indemnité conventionnelle de licenciement dans les termes des demandes présentées par Mme [O],

- Infirmer le jugement en sa condamnation prononcée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur seulement de 35.000 euros, alors que cette demande, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail l'est sur la base d'un salaire brut moyen mensuel de 6 056,45 euros et statuant à nouveau, condamner la société Gérance de [Localité 12] à régler à Mme [O], avec intérêts de droit à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause, une somme de 145 354,80 euros (6056,45 euros x 24 mois), étant précisé que la somme de 35 000 euros représente moins de six mois de salaires.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [O] de sa demande de condamnation de la société Gérance de [Localité 12] à des dommages et intérêts pour harcèlement moral à hauteur de six mois de salaires, demande fondée sur les dispositions de l'article L 1151-1 du code du travail, soit 36.338,70 euros au prétexte que cette demande serait dirigée seulement contre [E] commercialisation alors que dès lors que la cession de fonds a été déclarée inopposable à Mme [O], Gérance de [Localité 12], qui est restée son employeur doit répondre des actes de l'entreprise utilisatrice des services de cette dernière.

- Statuant à nouveau, condamner la société Gérance de [Localité 12] à régler à Mme [O] avec intérêts de droit à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, à titre de dommages et intérêts la somme de 36 338,70 euros pour harcèlement moral (six mois de salaires), demande fondée sur les dispositions de l'article L 1151-1 du code du travail, du fait des agissements fautifs de la Société [E] commercialisation, cessionnaire fictif du fonds de commerce de Gérance de [Localité 12].

Subsidiairement, dans l'hypothèse extraordinaire où la cour d'appel de céans estimerait que la cession du fonds de commerce intervenue le 19 juin 2012 entre les Sociétés [E] gestion et [E] commercialisation est opposable à Mme [O] et son contrat de travail valablement transféré à la Société [E] commercialisation, condamner la Société [E] commercialisation à régler avec intérêts de droit à compter de la saisine de la juridiction prud'homale à Mme [O], outre les commissions impayées à hauteur de 26 613,26 euros:

- des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail à hauteur de 145 354,80 euros,

- une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis à hauteur de 18 169,35 euros et 1 816,93 euros,

- une indemnité conventionnelle de licenciement à hauteur de 12 112,90 euros,

- des dommages et intérêts pour harcèlement moral à hauteur de six mois de salaires, demande fondée sur les dispositions de l'article L 1151-1 du code du travail, soit 36 338,70 euros.

- des dommages et intérêts pour prêt de main d''uvre illicite à hauteur de la somme forfaitaire de 36 338,70 euros, demande fondée sur les dispositions de l'article L 8241-1 du code du travail.

La cour condamnera, en outre, à titre principal la Société Gérance de [Localité 12] et à titre subsidiaire la Société [E] commercialisation à régler à Mme [O] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 18 000 euros.

Enfin, la cour condamnera les sociétés Gérance de [Localité 12] et [E] commercialisation en tous les dépens.

Aux termes de conclusions enregistrées au greffe le 8 décembre 2019, soutenues oralement à l'audience, la société [E] commercialisation demande à la cour de :

1 Confirmer le jugement de départage rendu le 23 juin 2016 en ce qu'il a mis hors de cause la société [E] commercialisation,

2 Subsidiairement, au cas où il serait fait droit à la demande subsidiaire de Mme [O] à l'encontre de [E] commercialisation,

21 Dire l'appel de Mme [I] [O] recevable mais mal fondé,

22 Confirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article L. 8241-1 du code du travail et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Par voie de conséquence, la débouter de sa demande fondée sur le prêt de main d''uvre illicite,

23 Infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande tendant à obtenir « des commissions impayées à hauteur de 26 613,26 euros », l'article 2 du contrat de travail ayant été respecté,

24 L'infirmer en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence :

Débouter Mme [I] [O] de ses demandes formées au titre des indemnités de rupture (préavis et indemnité conventionnelle de licenciement) et de sa demande de dommages et intérêts fondée sur les dispositions de l'article L. 1235.3 du code du travail,

25 La débouter de sa demande fondée sur les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail,

3 Très subsidiairement, Infirmer la décision sur le montant des dommages et intérêts alloués en première instance à Mme [O],

4 Débouter Mme [O] de sa demande tendant à obtenir la somme de 18 000 euros au titre de l'article 700 du C.P.C.,

5 La condamner aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR :

Mme [I] [O] a été engagée le 7 juin 2006 par la société Immo [Adresse 7] en qualité de négociateur immobilier. Cette société a été rachetée par la société Gérance de [Localité 12] et le contrat de travail de la salariée transférée à cette entreprise à compter du 2 mai 2008. Un nouveau contrat de travail a été signé le 1er décembre 2010 prévoyant une rémunération fixe de 1 641 euros et une part variable basée sur le montant hors taxes des honoraires perçus par la société variant entre 20 à 25 %. En juin 2012, la société gérance de [Localité 12] a cédé partiellement son fonds de commerce à la société [E] commercialisation.

Le 22 octobre 2012, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande tendant principalement au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail. En cours d'instance, elle a pris acte, par lettre du 18 avril 2014, adressée à la société [E] commercialisation et dénoncée à la société gérance de [Localité 12], de la rupture des relations contractuelles en raison de manquements imputés à son employeur dans l'exécution de ses obligations, motivé comme suit :

«[...] je ne peux, en effet, continuer de travailler au sein de votre société, sans prendre le risque d'altérer définitivement mon état de santé. Au médecin traitant, qui me suit depuis de longs mois pour un eczéma réactionnel, perte d'appétit, insomnie, anxiété et dépression, et qui a voulu, à de nombreuses reprises m'arrêter, via une nouvelle fois de m'en alerter.

Depuis que mon contrat de travail a été transféré de la société gérance de [Localité 12] à la société [E] commercialisation en juin 2012, je n'ai eu de cesse de réclamer non seulement le rétablissement de mes droits, mais également de vous exposer les conséquences dramatiques, en termes de salaire, de conditions de travail et de répercussions personnelles que cette cession a provoquée.

La société [E] commercialisation a méconnu mes droits, à diviser par deux l'assiette de mes commissions, tout en prêtant mes services à toutes les filiales du groupe Promo [E] pour qui j'ai continué mon activité de négociatrice immobilière, sans être déclaré, ni même recevoir les honoraires qui mettaient du équipe ont été pourtant payés par les bailleurs à celles-ci.

Initialement, mon conseil a saisi la juridiction prud'homale au fond résiliation judiciaire du contrat.

Parallèlement, elle a sollicité du juge des référés puis de la cour d'appel la condamnation de la société [E] à me régler mes arriérés de commissions.

Lorsque la cour m'a donné satisfaction et que mon conseil a alors modifié les demandes initiales présentées pour ne solliciter que l'exécution loyale du contrat, la société [E] commercialisation, furieuse de ce revirement, a alors choisi de m'adresser, soudainement, une avalanche de critiques, toutes aussi injustifiées que vaines, de tentatives de déstabilisation, comme ses rappels à l'ordre en date du 11 décembre 2013, comme cette convocation à un entretien préalable en vue de mon licenciement en date du 13 février 2014, comme ce blâme en date du 11 mars 2014, comme ses mails en date des 26 novembres 2013, 3 mails le 29 novembre 2013, 31 mars 2014 et 3 avril 2014.

J'ai répondu systématiquement aux courriers sans motif et sans fondements qui m'ont été adressés, notamment par courriers des 12 décembre 2013 et 21 mars 2014.

J'ai même sollicité dernièrement, notamment le 21 mars 2014 qu'un rendez-vous d'explication soit organisé avec Monsieur [G] [L], mon supérieur hiérarchique et vous-même afin de démontrer le non fondement de ces reproches.

Je n'ai jamais eu naturellement la moindre réponse à mes courriers.

Vous voudrez bien, à réception de ce présent courrier, me transmettre mon certificat travail et mon reçu le solde de tout compte.[...]».

Statuant par jugement du 23 juin 2016, dont appel, le conseil de prud'hommes de Paris, s'est déterminé comme indiqué précédemment.

Sur le transfert du contrat de travail :

Il ressort de l'article L. 1224'1 du code du travail que s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Ces dispositions s'appliquent si trois conditions sont réunies cumulativement, soit l'existence d'une entité économique autonome, le transfert de cette identité et le maintien de l'identité de cette entité après le transfert. A cet égard, constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. Enfin le transfert d'entité peut être partiel.

En l'espèce, le contrat régularisé entre les sociétés [E] gestion-gérance de [Localité 12] d'une part et [E] commercialisation d'autre part, a consacré la cession par la première par acte du 29 juin 2012 à la seconde d'un fonds de commerce situé [Adresse 2], relatif à l'exploitation d'une activité de transaction immobilière La cession a ainsi porté sur des éléments incorporels, soit la clientèle et l'achalandage et le droit au bail et des éléments corporels composés du matériel de biens meublant et du mobilier commercial. Les parties ont entendu également prévoir la reprise des contrats de travail en cours au jour de la cession des personnes employées dans le fond. Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, il ressort de l'attestation établie le 16 juillet 2019 par Monsieur [H], commissaire aux comptes de la société [E] gestion ' gérance de [Localité 12], que les honoraires de location et de transaction réalisée en 2012 par la société se sont élevés à 555'962 euros et qu'en 2013 le chiffre d'affaires hors taxes cumulées était de 85'742 euros et que les honoraires de transaction durant la même période sont passés de 327'720 euros à 5 631 euros, ce qui démontre la réalité de la cession de l'activité de transaction immobilière entre gérance de [Localité 12] et [E] commercialisation. L'attestation de Monsieur [E], président de [E] commercialisation dont l'exactitude a été confirmée par le commissaire aux comptes, Monsieur [Y], révèle aussi qu'à compter du 1er juillet 2012 les honoraires de transaction ont augmenté. Aussi, le commissaire aux comptes des sociétés, sur la base des attestations des responsables respectifs de la comptabilité des deux entreprises a, ainsi qu'il résulte du procès-verbal du conseil de surveillance de promo [E] du 15 octobre 2013, confirmé n'avoir constaté entre les deux entreprises aucune rétrocession d'honoraires durant la période août 2012 à juillet 2013, mais qu'en revanche la société [E] gérance de [Localité 12] à lors des dénouements des mandats détenus par elle pendants lors de la cession reversé ensuite à [E] commercialisation les honoraires induits par la réalisation de ces mandats. M. [F], président associé de la société Soupex en 2013 et assurant notamment le mandat de commissariat aux comptes des sociétés Promo [E], [E] gestion'société gérance de [Localité 12] et [E] commercialisation, atteste aussi que la société gérance de [Localité 12] a reversé à la société [E] commercialisation les seuls honoraires induits par la réalisation des mandats régularisés antérieurement à la cession du fonds de commerce, qu'ensuite les mandats postérieurs à la cession ont été directement confiés à [E] commercialisation et enfin que depuis octobre 2012 plus aucun mandat n'est resté pendant. Le projet d'externalisation, non daté, un temps envisagé entre les deux sociétés n'est pas de nature à rendre fictive la cession du fonds de commerce susvisée.

Dans de telles conditions, il doit être retenu, contrairement aux premiers jeuges que l'activité cédée constituait une entité économique autonome et qu'ainsi le transfert du contrat de travail de Mme [O] à la société [E] commercialisation et régulier et lui est opposable.

Sur le prêt de main d''uvre illicite :

Il n'est produit au débat devant la cour par la salariée aucun élément de nature à remettre en cause la décision des premiers juges qui, après avoir rappelé les dispositions de l'article L.8241' 1 du code du travail prohibant toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d''uvre, ont constaté que la réalité d'un tel prêt n'était pas caractérisée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les salaires et commissions :

Il n'a été, postérieurement à la cession et donc au transfert du contrat de travail de Mme [O] au sein de la société [E] commercialisation, proposé et donc a fortiori régularisé aucun avenant au contrat de travail ou nouveau contrat de travail, en sorte que le nouvel employeur est tenu de respecter l'ensemble des droits et obligations résultant du contrat du 1er décembre 2010 et plus particulièrement de son article 5. Il ressort des bulletins de paye délivrée par la société gérance de [Localité 12] de janvier à juillet 2002 que la salariée percevait en moyenne une somme de 4 500 euros au titre de la seule part variable de son salaire, dénommée commissions. Ainsi, au vu des salaires fixes auquel il convient d'ajouter ce montant moyen de commissions, le montant moyen mensuel de salaire calculé sur la moyenne des douze derniers mois incluant la partie fixe perçue et des commissions de 4 500 euros, sera fixé à 6 056,5 euros. Le jugement sera donc infirmé sur le montant du salaire moyen mensuel.

Les factures établies par la société [E] commercialisation à partir du mois de juillet 2012 font aussi apparaître que les commissions de Mme [O] n'ont pas été calculées sur la totalité des honoraires encaissés par la société gérance de [Localité 12] à l'occasion des opérations réalisées par la salariée et que 50 % de leur montant a été éludé. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de la salariée de percevoir un rappel de commission de 26 613,26 euros, sauf à dire que la société [E] commercialisation en sera redevable et non la société [E]-Gérance de [Localité 12].

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, le salarié a la charge d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée invoque avoir subi une diminution injustifiée de sa rémunération, un assèchement de son portefeuille de clientèle, l'omission de son numéro de téléphone portable au profit du seul numéro fixe à l'agence dans le portefeuille de biens à vendre en ligne sans réponse à sa demande d'explication du 22 novembre 2013 effectuée par courriel, des reproches injustifiés sur sa gestion de trois biens en location par courriel de M. [L] du 29 novembre 2013, le reproche fait par lettre du 12 décembre 2013 de ne pas respecter ses objectifs en chiffre d'affaires de vente et d'avoir multiplié les actions judiciaires contre la société [E]-Gérance de [Localité 12] avec pour conséquence de l'obliger à revoir ses relations avec cette dernière société qu'elle met aussi en difficulté, sa convocation à un entretien préalable à licenciement pour finalement la sanctionner d'un blâme le 11 mars 2014 et enfin un état de santé dégradé avec un arrêt de travail d'une semaine à compter du 3 avril 2014.

Ces faits laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral. Leur justification par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement n'est pas démontrée par la société [E] commercialisation, qui se borne à les contester en interprétant notamment les pièces de la salariée. Les agissements précités de l'employeur et ses reproches injustifiés sont révélateurs d'un abus d'autorité, ayant eu pour effet d'emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles d'altérer sa santé physique ou mentale.

Il sera en conséquence alloué à Mme [O] la somme de 2 000 euros correspondant à une juste évaluation du préjudice subi par elle du fait du harcèlement moral. La société [E] commercialisation sera condamnée à lui verser cette somme.

Sur la rupture :

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient. Il lui appartient de démontrer l'existence de manquements de son employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles d'une gravité suffisante ayant empêché la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, il a été démontré ci-dessus que la société [E] commercialisation a commis les manquements que lui a imputés Madame [O]. Dans de telles conditions il sera fait droit, dans la limite de la prétention de la salariée, à la demande de voir la rupture produire les effets d'un licenciement sans cause et sérieuse.

La salariée est en droit de prétendre par voie de conséquence au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés sur préavis à hauteur de 18'169,35 euros et 1816,93 euros, de l'indemnité conventionnelle de licenciement qui correspond à ses droits et qu'il ne fait l'objet d'aucune contestation subsidiaire pour 12'112,90 euros ainsi qu'à des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 1235' 3 du code du travail dans sa version alors en vigueur, qui seront fixés en considération de l'effectif de l'entreprise, de l'ancienneté de la salariée (embauche au 7 juin 2006), de son âge (née en [Date naissance 11] 1948), de sa situation et de son salaire moyen de 6 056,45 euros, à 50'000 euros.

La société [E] commercialisation sera condamnée en application de l'article L. 1235'4 du code du travail à rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage perçu par la salariée à compter de la rupture dans la limite de six mois de prestations.

Sur les autres demandes :

Le jugement sera infirmé en ses autres dispositions.

Les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus.

La société [E] commercialisation, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [O] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

Dit que le contrat de travail de Mme [I] [O] a été transféré à la société [E] commercialisation à effet au 29 juin 2012 ;

Dit que la prise d'acte par la salariée du 18 avril 2014 produit les effets d'un licenciement sans cause et sérieuse ;

En conséquence, condamne la société [E] commercialisation à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

- 26'613,26 euros : rappel de commissions,

- 18'169,35 euros : indemnité compensatrice de préavis,

- 1 816,93 euros : congés payés sur préavis,

- 12'112,90 euros : indemnité conventionnelle de licenciement,

- 2 000 euros : dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 50'000 euros : dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société [E] commercialisation à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versé à la salariée dans la limite de six mois ;

Rappelle que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Rejette toutes autres demandes des parties ;

Condamne la société [E] commercialisation aux dépens de première instance d'appel et à verser à Mme [O] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER P/le magistrat empêché

LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 16/09271
Date de la décision : 20/05/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°16/09271 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-20;16.09271 ?
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