Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 13 MAI 2020
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03764 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5CRY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/18458
APPELANTE
SCPI FRUCTIPIERRE
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 340 846 955
[Adresse 1]
[Localité 1] représentée par la SAS AEW CILOGER agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par Me Dominique BENATTAR ANGIBAUD de la SELEURL ASSET AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0552
INTIMÉE
SA SFEIR agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 332 163 724
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Georges JENSELME de la SCP DERRIENNIC & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sandrine GIL, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre
Madame Sandrine GIL, conseillère
Madame Elisabeth GOURY, conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, le prononcé de l'arrêt (fixé au 18 mars 2020) ayant été renvoyé en raison de l'état d'urgence sanitaire.
- signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
*****
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 29 avril 2014, la SCPI FRUCTIPIERRE a donné à bail à la société SFEIR des locaux à usage commercial sis [Adresse 3] (92), pour une durée de 9 années à compter du 15 septembre 2014, moyennant un loyer annuel en principal de 543.780 euros.
Soutenant avoir réglé deux fois le loyer du 4e trimestre 2016, ayant réglé une première fois l'échéance à un tiers suite à des manoeuvres frauduleuses puis une seconde fois à la SCPI FRUCTIPIERRE alors même que celle-ci connaissait le mode opératoire de la fraude dont plusieurs de ses locataires avaient été victimes et ne l'avait pas prévenue, la société SFEIR a, par acte du 19 décembre 2016, fait assigner la SCPI FRUCTIPIERRE devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 131.297,31 euros correspondant au loyer du 4ème trimestre.
Par jugement du 31 janvier 2018, le tribunal de grande instance de PARIS a :
- Rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 23 octobre 2017 présentée par la SCPI FRUCTIPIERRE,
- Déclaré irrecevable la pièce n°10 produite par la SCPI FRUCTIPIERRE,
- Condamné la SCPI FRUCTIPIERRE à payer la somme de 60.000 euros (soixante mille euros) à titre de dommages et intérêt à la société SFEIR,
- L'a condamnée aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
- L'a condamnée à payer la somme de 2.000 euros à la société SFEIR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire,
- Rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration du 16 février 2018, la société FRUCTIPIERRE a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 2 octobre 2019, la société FRUCTIPIERRE, SCPI, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1342 et suivants du Code civil,
Vu les dispositions des articles 1103, 1104 et 1217, 1231-1 du Code civil,
Vu la jurisprudence applicable en l'espèce,
Et les pièces versées aux débats,
- CONSTATER que la société FRUCTIPIERRE a parfaitement rempli son obligation d'information,
- CONSTATER que la société SFEIR n'apporte aucune preuve de ses allégations,
- CONSTATER que la société SFEIR n'a pas procédé aux vérifications indispensables et induites par les pièces reçues du fraudeur,
- CONSTATER que la société SFEIR a payé avec mauvaise foi un créancier non apparent,
En conséquence,
- REFORMER le jugement rendu le 31 janvier 2018 en toutes ses dispositions,
- DÉBOUTER la société SFEIR de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- CONDAMNER la société SFEIR à payer à la société FRUCTIPIERRE la somme de 8.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER la société SFEIR, aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL ASSET AVOCATS, Avocats au Barreau de Paris.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 14 août 2018, la société SFEIR, SA, demande à la cour de :
Vu le Code Civil et notamment l'article 1147 ancien
Vu l'article 954 du Code de Procédure Civile
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile
Vu les pièces,
- DIRE ET JUGER la société SFEIR bien fondée de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- DÉBOUTER la société FRUCTIPIERRE de toutes ses demandes, fins et conclusions
- DÉCLARER les pièces 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, et 10 de la société FRUCTIPIERRE inopérantes.
En conséquence:
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il indique qu'il appartenait à la société FRUCTIPIERRE de s'assurer de porter précisément ces informations à la connaissance de chacun de ses locataires susceptibles d'être touchés par la fraude ;
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il indique que la société FRUCTIPIERRE ne prouve pas avoir adressé ce courrier à la société SFEIR en particulier ;
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il indique que la société FRUCTIPIERRE n'établit pas que la société SFEIR a bien reçu cette note, alors que la preuve de cette réception effective incombe à la société FRUCTIPIERRE, débitrice de l'obligation d'information;
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il indique que le manquement par la société FRUCTIPIERRE à son obligation d'information a causé un dommage à la société SFEIR qui s'est acquittée deux fois du loyer du 4eme trimestre 2016 d'un montant de 131.297,31 euros TTC, une fois entre les mains d'un tiers et une fois entre les mains de son bailleur;
- CONFIRMER le jugement en ce qu'il condamne la société FRUCTIPIERRE à indemniser le préjudice de la société SFEIR ;
S'agissant du montant de la réparation :
A TITRE PRINCIPAL :
- INFIRMER le Jugement en ce qu'il fixe le montant des dommages et intérêts alloués à la société SFEIR à 60.000 euros ;
Statuant à nouveau :
- CONDAMNER la société FRUCTIPIERRE à réparer intégralement le préjudice en versant une somme de 131.297,31 euros TTC à la société SFEIR;
A TITRE SUBSIDIAIRE:
- CONFIRMER le Jugement en ce qu'il CONDAMNE la société FRUCTIPIERRE à verser une somme de 60.000 euros à la société SFEIR ;
En tout état de cause :
- CONDAMNER la société FRUCTIPIERRE à verser une somme de 7.000 euros à la société SFEIR au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- CONDAMNER la société FRUCTIPIERRE aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 octobre 2019.
MOTIFS
Sur la demande de la société SFEIR de voir déclarer les pièces inopérantes
La société SFEIR expose que les conclusions de l'appelante ne respectent pas les règles de présentation imposées par l'article 954 du code de procédure civile. Elle soutient que les pièces 1 à 8 et 10 doivent être écartées au motif qu'il n'est pas indiqué les pièces invoquées et leur numérotation à l'appui des prétentions ; que les conclusions de l'appelante ne présentent pas l'exposé des chefs du jugement critiqués ; que dans le dispositif des conclusions, elle demande à la cour de 'constater que la société SFEIR n'apporte aucune preuve de ses allégations' sans que les conclusions ne permettent de comprendre à quoi cette prétention fait référence de sorte que celle-ci doit être écartée.
La cour observe que dans le dispositif de ses écritures qui seul la saisit, la société SFEIR ne forme qu'une seule prétention relative aux pièces de sorte que la cour n'est pas tenue de répondre aux autres points. En tout état de cause, à titre surabondant, la cour rappelle qu'elle n'a à examiner que les moyens contenus dans la partie discussion des écritures et qu'une demande de constat n'est pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
S'agissant des pièces, il n'y a pas lieu de les écarter au motif que le numéro de toutes les pièces visées dans les écritures n'est pas expressément indiqué alors que l'appelante se réfère à des pièces précises et identifiables qu'elle produit et qui figurent dans le bordereau de communication ; qu'en outre, lesdites pièces sont en nombre restreint.
Par conséquent la société SFEIR sera déboutée de sa demande de voir déclarer les pièces 1 à 8 et 10 de l'appelante 'inopérantes'.
Sur la demande de paiement de la société FRUCTIPIERRE
L'appelante fait valoir que l'obligation d'information ne dispense pas celui qui est créancier de toute obligation de prudence et de diligence ; qu'elle est débitrice d'une obligation d'information attachée à sa qualité de bailleur ; qu'avisée d'un risque de fraude, elle a diffusé auprès de tous ses locataires, dont la société SFEIR, une note d'information le 11 février 2016 explicitant le mécanisme de fraude tel que porté à sa connaissance et attirant l'attention du locataire sur la nécessité de prendre attache avec le service de gestion locative en cas de doute ; qu'elle a donc suffisamment informé sa locataire. Elle estime avoir justifié de l'envoi de la note à la locataire ; qu'il ne lui appartient pas de prouver en sus que celle-ci a bien reçu et lu la note contrairement à ce qui a été retenu par le jugement qui lui a imposé une obligation supplémentaire. Elle précise que la locataire est une société spécialisée en ingénierie informatique qui était à même de comprendre le mécanisme de fraude et de l'éviter ; qu'il ne lui appartient pas de couvrir le défaut de vigilance de la locataire dans le règlement des factures. Elle soutient que seul un paiement fait de bonne foi à créancier apparent est libératoire et que, même si la société SFEIR n'avait pas eu connaissance de la note d'information, de nombreux indices laissaient présumer la fraude, tels que les numéros distincts de ceux de la gestionnaire habituelle, une adresse mail différente de celle de la société NAMI-AEW-EUROP son gestionnaire et le fait que la banque à laquelle les paiements devaient être adressés était bulgare ce qui ressort de l'IBAN du RIB adressé pour procéder au virement.
L'intimée expose que le 20 septembre 2016, son comptable a reçu un appel téléphonique d'une personne se présentant comme le responsable financier de la société NAMI-AEW EUROPE, gestionnaire de la bailleresse, et lui précisant que la société FRUCTIPIERRE ayant passé un contrat d'affacturage avec la société GATEV TOURS LTD, il convenait dorénavant de payer les loyers entre les mains de celle-ci, information qui a été reprise dans un courrier électronique adressé le même jour comprenant un RIB et un courrier à propos de la cession de créance de la bailleresse; qu'elle a, le 27 septembre 2016, donné ordre de virement à sa banque, s'agissant du loyer du 4e trimestre 2016, avec les nouvelles coordonnées bancaires. Elle explique que par lettre du 14 octobre 2016, la bailleresse lui a adressé une facture de relance au titre du non-paiement du loyer du 4e trimestre 2016, puis une seconde le 21 octobre 2016, joignant alors une note d'information sur les fraudes au virement subies par plusieurs locataires faisant référence à une précédente note communiquée aux locataires en date du 11 février 2016 ; qu'elle n'a pas été destinataire de cette note. Elle fait valoir que la société FRUCTIPIERRE débitrice d'une obligation d'information à son égard en vertu de leur relation contractuelle, a violé celle-ci en omettant de l'informer du risque de fraude et de s'assurer de la bonne réception de l'information ; qu'il incombe à la bailleresse d'apporter la preuve de l'exécution de son obligation d'information ; que la société FRUCTIPIERRE n'apporte pas la preuve de la communication et de la réception d'une quelconque note à la date indiquée, ni à toute autre date antérieure au 21 octobre 2016. Elle indique que le document produit par l'appelante est une demande de mailing adressée à son prestataire et non la preuve de l'envoi de la note d'information. Sur le préjudice subi, elle conteste avoir contribué à la réalisation du dommage comme l'a retenu le jugement ; qu'elle ne pouvait pas détecter la fraude dès lors qu'elle n'avait pas été alertée à ce sujet ; que le montant du loyer appelé était le montant contractuel ne nécessitant aucune vérification particulière ; que si l'IBAN communiqué commençait effectivement par BG, cela confirmait que le paiement était effectué auprès d'une banque bulgare, ce qui correspondait aux nouvelles coordonnées bancaires et n'était pas de nature à inquiéter son comptable, la Bulgarie étant membre de l'Union Européenne. Elle considère que la société FRUCTIPIERRE doit donc réparer intégralement le préjudice subi découlant de sa faute sans pouvoir s'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité, puisque si elle avait été diligente, la fraude aurait pu être évitée ; que le préjudice est constitué par le décaissement frauduleux du loyer du 4e trimestre 2016.
L'obligation d'information trouve sa source dans l'article 1134, alinéa 3, du code civil, qui oblige à exécuter les contrats 'de bonne foi' et les articles 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, dont il s'évince une obligation de renseignement de la part du cocontractant et une obligation de bonne foi et de diligence dans l'exécution des obligations contractuelles laquelle comporte pour le preneur l'obligation de se libérer de son loyer entre les mains de son bailleur.
L'obligation d'information s'analyse comme l'obligation par l'une des parties de fournir à l'autre des informations permettant une bonne exécution du contrat.
Il s'ensuit que la société FRUCTIPIERRE est débitrice d'une obligation d'information à l'égard de la société locataire lorsqu'elle entre en possession d'éléments de nature à influer sur l'exécution par elle du contrat les liant.
Le manquement à l'obligation d'information justifie l'allocation de dommages et intérêts, en cas de survenance d'un préjudice, cependant en tenant compte des manquements des parties à leurs obligations respectives.
Il y a lieu de renvoyer à la motivation pertinente du jugement entrepris, la cour relevant que la preuve de la réception de la note d'information datée du 11 février 2016 incombe à la bailleresse, débitrice de l'obligation d'information ; que contrairement à ce que prétend la bailleresse, il ne s'agit pas de mettre à la charge de celle-ci une obligation supplémentaire tenant à s'assurer que la locataire a en pris connaissance ; que l'appelante doit prouver que la locataire a bien été destinataire de ladite note. Or si elle justifie avoir demandé le 2 février 2016 à son prestataire habituel d'adresser à ses locataires des factures de loyers outre trois documents dont une note d'information intitulée "fraudes locataires", le prestataire ayant indiqué en retour pouvoir procéder aux envois de courrier pour le 15 février 2016, elle n'établit pas pour autant que la société SFEIR a bien reçu cette note et les échanges produits en pièce 10, régulièrement communiquée dans le cadre de la procédure d'appel, avec son prestataire dont il ressort que le ' mailing a été expédié en date du 16/02/2016 par La Poste' par le prestataire ne fait pas apparaître les destinataires de l'envoi, ni une facturation particulière par le prestataire correspondant à l'envoi de la note à la locataire.
C'est par conséquent de manière justifiée que le jugement entrepris a retenu que le manquement par la société FRUCTIPIERRE à son obligation d'information a causé un dommage à la société SFEIR qui s'est acquittée deux fois du loyer du 4e trimestre 2016 d'un montant de 131.297,31 euros TTC, une fois entre les mains d'un tiers et une fois entre les mains de son bailleur, ce faute d'avoir été informée en temps utile de la fraude par le bailleur qui en avait connaissance depuis plusieurs mois.
La cour renvoie également à la motivation du jugement entrepris qui a retenu que la locataire avait contribué à son dommage en s'acquittant de son loyer dans les mains d'un tiers avec une légèreté blâmable, ce en l'absence d'élément nouveau en cause d'appel sur ce point.
Il convient par conséquent de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a, en l'état des manquements des parties à leurs obligations respectives, condamné la société FRUCTIPIERRE payer à la société SFEIR la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêt.
Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris étant confirmé à titre principal, il le sera également en ce qui concerne le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, l'équité commande de condamner la société FRUCTIPIERRE à payer la somme de 2 000 euros à la société SFEIR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société FRUCTIPIERRE qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société SFEIR de sa demande de voir déclarer les pièces 1 à 8 et 10 inopérantes,
Condamne la société FRUCTIPIERRE à payer la somme de 2 000 euros à la société SFEIR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société FRUCTIPIERRE aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE