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05/03/2020 | FRANCE | N°17/00605

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 05 mars 2020, 17/00605


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 05 Mars 2020

(n° 2020/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/00605 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2MSW



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 07/02675



APPELANT



Monsieur [O] [Z]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 6]

Demeurant [Ad

resse 2]

[Localité 5]



comparant en personne, assisté de Me Frédérique DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : D0224



INTIMEE



La société CENTRAL D'ACHATS DE L'HOSPIT...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 05 Mars 2020

(n° 2020/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/00605 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2MSW

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 07/02675

APPELANT

Monsieur [O] [Z]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 6]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 5]

comparant en personne, assisté de Me Frédérique DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : D0224

INTIMEE

La société CENTRAL D'ACHATS DE L'HOSPITALISATION PRIVEE ET PUBLIQUE (CAHPP)

Sise [Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Céline BRUNEAU de la SELARL PATCHWORK, avocat au barreau de PARIS, toque : P0317

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Novembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère

En présence de Mme [E] [M] et Mme [R] [W] (Stagiaire de 3ème) lors des débats.

Greffier : Madame Marine BRUNIE , lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente de chambre et par Madame Marine BRUNIE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE :

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 30 septembre 2002, M. [O] [Z] a été engagé par la SA CENTRALE D'ACHAT DE L'HOSPITALISATION PRIVEE ET PUBLIQUE (ci-après dénommée SA CAHPP), qui accompagne les établissements de santé dans l'optimisation de leurs performances économiques, en qualité de directeur adjoint, moyennant une rémunération mensuelle brute de 9.200 euros. A compter du 1er octobre 2004, il a été promu au poste de directeur et son salaire a été augmenté.

Dans le dernier état de la relation contractuelle le salaire moyen brut mensuel de M. [Z] était de 13 945 euros et la SA CAHPP employait habituellement au moins 11 salariés.

Par courrier du 21 février 2007, reçu par l'employeur le 26 février, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la SA CAHPP.

Par lettre du 8 mars 2007, la CAHPP a contesté chacun des griefs invoqués par M. [Z] et lui a rappelé que la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur ne pouvait être justifiée que par des motifs graves rendant impossible la poursuite du contrat et l'exécution d'un préavis.

Le 8 mars 2007, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, de demandes tendant à voir qualifier de licenciement la rupture de son contrat de travail et se voir allouer diverses indemnités ainsi que des dommages-intérêts pour préjudices liés à la perte du bénéfice de contrats retraite.

Par jugement du 17 mars 2008, notifié le 3 juin suivant, auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, a débouté M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné aux dépens, et a débouté la société CAHPP de ses demandes reconventionnelles.

Par déclaration du 6 juin 2008, M. [Z] a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 25 février 2010, la cour d'appel de céans a infirmé la décision déférée et ordonné le sursis à statuer jusqu'à l'issue d'une procédure pénale en cours faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile déposée le 6 novembre 2006 par la SA CAHPP à l'encontre de deux anciens dirigeants des chefs notamment de faux, usage de faux, escroquerie, abus de confiance, abus de biens sociaux, visant notamment les accords de retraite complémentaire et supplémentaire qui auraient été signés à l'insu du conseil d'administration au début des années 90.

La procédure pénale n'a pas donné lieu à poursuites, l'arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2018 n'ayant pas admis le pourvoi de la CAHPP. La reprise des débats a donc été ordonnée.

Aux termes de ses dernières conclusions visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience du 29 novembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Z] prie la cour, de :

- infirmer le jugement entrepris,

- fixer sa moyenne de salaire à la somme de 13 945 euros bruts,

- dire et juger que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail est imputable à la CAHPP,

- dire et juger que la prise d'acte s'analyse en un licenciement et produit ainsi tous les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamner la CAHPP à lui verser les sommes suivantes :

* 251 010 euros au titre du licenciement abusif (18 mois),

* 13 015,33 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 41 835 euros (3mois) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et 4 183,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 13 945 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de mention de la convention collective applicable sur les fiches de paie,

* 70 370 euros à titre de préjudice lié au contrat retraite 1001724,

* 79 200 euros à titre de préjudice lié au contrat retraite 1001718,

* 587 518 euros à titre de préjudice lié au contrat 1289018 Fortis,

* 13 945 euros à titre de dommages-intérêts pour violation des obligations de loyauté au titre de l'article L 1222-1 du code du travail,

* 13 945 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de respecter les conditions de modifications substantielles des avantages et stipulations contractuelles au titre de l'article L 1222-6 du code du travail,

* 13 945 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de notifier les modifications des régimes de contributions retraite à cotisations et prestations définies au sens des articles 12 de la loi 89-1009 du 31 décembre 1989, article L 141-4 du code des assurances et des articles L 932-6 et 932-18 du code des assurances,

* 13 945 euros à titre de dommages-intérêts pour violation des obligations de traitement égalitaire au sein de la catégorie cadres et cadres supérieurs et omission de respecter les conditions de modifications des avantages et stipulations contractuelles au titre de l'article L 3211-1 du code du travail,

* 19 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de l'acte introductif d'instance et la capitalisation des intérêts.

- débouter la CAHPP de toutes ses demandes reconventionnelles.

Aux termes de ses dernières conclusions visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience du 29 novembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société CAHPP prie la cour, de :

Sur les demandes de M. [Z]

- confirmer le jugement entrepris,

- dire et juger qu'aucune faute de l'employeur n'est caractérisée,

- dire et juger que la rupture du contrat à l'initiative de M. [Z] produit les effets d'une démission,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement,

- constater que M. [Z] a retrouvé un emploi concomitamment à la prise d'acte de la rupture et ne justifie d'aucun préjudice ni de sa nouvelle rémunération,

En conséquence,

- réduire toute éventuelle indemnisation à de justes proportions,

A titre reconventionnel,

- infirmer le jugement entrepris,

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 39 048 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut d'exécution du préavis,

- condamner M. [Z] à lui payer une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour démission abusive,

- le condamner au paiement d'une somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'affaire est venue pour plaider à l'audience du 29 novembre 2019.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié

La prise d'acte de la rupture à l'initiative du salarié produit soit les effets d'un licenciement non causé si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont établis et suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, soit ceux d'une démission si ceux-ci ne sont pas établis ou ne sont pas suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Le juge est tenu d'examiner la réalité des manquements invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans l'écrit prenant acte de la rupture.

M. [Z] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a assimilé sa prise d'acte à une démission et l'a débouté de toutes ses demandes.

La société CAHPP sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé infondés les reproches invoqués dans la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes considérant qu'il s'agit d'une démission stratégique du salarié, entré rapidement au service d'une société concurrente, pour tenter d'obtenir une indemnisation.

La lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail invoque trois griefs principaux :

- la modification unilatérale de ses fonctions et attributions contractuelles ayant déterminé son entrée au sein de la CAHPP occasionnant une rétrogradation de fait et une mise à l'écart,

- des choix de gestion et des modalités inacceptables de règlement des conflits incompatibles avec ses attributions contractuelles, ainsi que des pressions et vexations,

- la résiliation abusive des engagements souscrits par la CAHPP au titre des prestations de retraite et revenus de fin de carrière.

1) Sur la modification unilatérale des fonctions et des attributions contractuelles ayant déterminé son entrée au sein de la CAHPP amenant à une rétrogradation de fait et à une mise à l'écart

M. [Z] fait valoir qu'il a été recruté dans la perspective de devenir à terme le directeur général de la société ; qu'après le départ de l'ancienne direction, il a été l'auteur de son redressement spectaculaire, ce dont il a été félicité par le PDG, M. [D] [T], au mois de février 2006 ; que cependant, à compter du mois de mai 2006, l'employeur, ne respectant pas ses engagements, l'a 'placardisé' ; qu'il n'a dès lors plus participé aux décisions importantes, ni été signataire de notes de service adressées aux salariés ; qu'il a été déclassé ainsi qu'il résulte des différents organigrammes de la société perdant le titre de 'directeur' pour celui de 'directeur opérationnel' en contradiction avec ses conditions d'embauche sans qu'aucune modification de son contrat de travail ne soit notifiée ; qu'au surplus, cette rétrogradation s'est accompagnée de propos dénigrants du PDG à son endroit.

La CAHPP fait valoir que le redressement de l'entreprise après le départ de l'ancienne direction a été dû à l'action et l'investissement de nombreux collaborateurs sous l'impulsion du nouveau PDG, M. [D] [T], et ne s'est pas limité à la seule action de M. [Z] ; que les qualités professionnelles revendiquées par ce dernier n'étaient pas partagées par sa hiérarchie, qu'il s'agisse de l'ancienne ou de la nouvelle direction, ni par le conseil d'administration ; que ce salarié n'a jamais caché une ambition dévorante d'accéder à des fonctions de direction générale mais qu'aucun élément contractuel ne fait référence à une possible nomination à un tel poste ; qu'essentiellement affecté à des fonctions commerciales et marketing, il n'a jamais été chargé de la stratégie, de la politique ou de l'orientation de la CAHPP qui ont toujours été décidées par le PDG avec l'approbation du conseil d'administration ; qu'il n'a jamais fait l'objet de rétrogradation ni de mise à l'écart.

La cour relève que l'appréciation des qualités professionnelles revendiquées par M. [Z] n'était pas partagée par sa hiérarchie, qu'il s'agisse de l'ancienne ou la nouvelle direction ; que son bilan d'intégration du 18 février 2003 soulignait déjà ses difficultés d'intégration, la déception de la direction se posant des questions sur son avenir, considérant que ' pour être intégré comme M. [Z] le souhaite dans l'équipe directionnelle, c'est à lui d'apporter la preuve qu'il en a la compétence à travers un travail d'équipe dans le seul intérêt du développement de la CAHPP et non de la promotion de son image personnelle' ; qu'après avoir été nommé directeur de la CAHPP en octobre 2004, il a été destinataire d'observations claires et écrites du PDG, renouvelées à plusieurs reprises, lui reprochant une attitude individualiste peu conforme avec l'organisation mise en place et un comportement ouvertement critique des orientations validées par le conseil d'administration, cette analyse étant partagée par certains des principaux responsables de service de l'entreprise.

Si le rapport d'audit social et comptable réalisé le 3 décembre 2004 ainsi que quelques attestations produites aux débats font certes état de l'investissement de M. [Z] à l'occasion du redressement de la CAHPP, il n'est pas démontré que celui-ci a été dû à la seule action de M. [Z] ; qu'il en résulte au contraire qu'il s'agit d'un effort collectif de redressement d'une entreprise en difficulté du fait de l'investissement d'un certain nombre de collaborateurs sous l'impulsion du nouveau président directeur général, M. [D] [T].

La CAHPP souligne à juste titre que les possibles évolutions d'un cadre supérieur ne sont que des perspectives, et non un droit. Les éléments contractuels et avenants, prévoyant une possibilité d'évoluer hiérarchiquement dans le temps, en fonction de ses possibilités d'adaptation au poste à pourvoir, ne font pas référence à une nomination du salarié en qualité de directeur général.

La nomination de M. [Z] aux fonctions de directeur général n'a depuis son embauche, alors qu'il n'a jamais caché sa volonté d'y accéder, jamais été envisagée par sa hiérarchie ni aux termes des procès-verbaux du conseil d'administration. Sa participation aux décisions relevant de la direction générale, personnel, finance et stratégie de l'entreprise lui étant au contraire expressément refusée.

Par la suite, lors d'un conseil d'administration du 4 juin 2004, la nomination d'un membre de l'entreprise ou d'un administrateur en qualité de directeur général a été d'ailleurs formellement exclue. Il ne peut donc être sérieusement soutenu que l'employeur a violé ses engagements.

S'agissant d'une modification du titre de directeur au profit de celui de directeur opérationnel et de la modification sans son accord de l'organigramme de la société, il doit être relevé que M. [Z] a toujours été depuis octobre 2004, directeur chargé de la gestion de certains services, et non directeur général, de sorte que le titre de directeur opérationnel correspond strictement à la réalité de ses attributions.

Il est établi que le service informatique ainsi que la direction financière ont toujours été rattachés à la direction générale à laquelle ils doivent rendre compte directement depuis la nomination du nouveau PDG, M. [D] [T]. Le changement de police ou de présentation, alors que M. [Z] se trouve toujours au centre de l'organigramme, ne caractérise aucune atteinte à ses fonctions et l'adjonction dans une organisation d'un niveau hiérarchique supplémentaire ou intermédiaire ne caractérise pas en soi une modification des fonctions du salarié.

Contrairement aux allégations de M. [Z], les notes de services n'étaient pas systématiquement cosignées par M. [D] [T] et lui-même.

Ainsi, il n'est pas établi que le positionnement et la nature des fonctions exercées par M. [Z] ont fait l'objet de modifications depuis sa nomination en qualité de directeur en octobre 2004 et aucun déclassement n'est caractérisé.

M. [Z] soutient également avoir réalisé un important travail tendant à l'émergence d'un nouveau marché en Belgique, M. [D] [T] n'ayant cessé d'entraver son action en prenant des décisions inadaptées, ce que l'employeur conteste.

Les nombreux courriels produits aux débats dont la plupart sont postérieurs à la prise d'acte, s'ils permettent de constater des différences d'appréciation dans la gestion de ce dossier ne démontrent aucune attitude fautive du PDG dans le choix de ses orientations. De plus, les attestations produites aux débats établies par des personnes ayant été, ou étant encore en litige, avec l'employeur ne peuvent être considérées comme dénuées de toute partialité en l'absence d'éléments objectifs venant les corroborer.

Le fait pour le PDG de rencontrer des collaborateurs en dehors de la présence de M. [Z] ne saurait constituer des faits de brimades ou de vexations. De même, sa position sur un procès-verbal de réunion ne peut être constitutive d'une dépréciation de son positionnement hiérarchique.

S'agissant de la restitution de l'une de ses cartes bancaires, l'employeur a expliqué, sans être utilement contredit, qu'elle est intervenue lors d'un contrôle fiscal réalisé au sein de la CAHPP. Il n'est par ailleurs pas contesté que le salarié disposait de plusieurs cartes et qu'il a conservé une importante avance de trésorerie ainsi qu'une carte AMEX afin de couvrir ses frais de représentation.

Il résulte de manière générale de l'ensemble de ces éléments et notamment du caractère peu probant des pièces, des jugements de valeur contradictoires portés par les différents témoins sur les qualités respectives de M. [Z] et du PDG, des affirmations portant non sur des faits mais sur des intentions prêtées, et du caractère subjectif des pressions ou de la mise à l'écart de M. [Z] évoquées en termes vagues, qu'aucun manquement de l'employeur sur ce point n'est établi.

2) Sur des choix de gestion incompatibles avec les attributions contractuelles et les pressions subies

M. [Z] invoque des méthodes inacceptables de gestion du personnel résultant de procédures de harcèlement visant à faire partir des salariés non serviles de l'entreprise ayant conduit à l'éviction de plusieurs collaborateurs de la CAHPP, le paiement de factures injustifiées, le blocage et la fouille des ordinateurs et des menaces d'entrer en contact avec les salariés de l'entreprise.

La CAHPP conteste totalement les faits reprochés ajoutant que certains d'entre eux sont en outre postérieurs à la prise d'acte.

Le témoignage de Mme [L] [X], licenciée pour faute grave en raison de manquements à ses obligations contractuelles et dont la procédure est actuellement toujours pendante, ne peut être considéré comme dénué de partialité en l'absence d'éléments objectifs venant le corroborer.

Les autres salariés désignés comme victimes de méthodes de gestion inadmissibles de la direction ont en réalité démissionné dans des conditions claires et non équivoques, certains adressant même leurs remerciements à la direction.

Les termes vagues et imprécis du courriel du 29 novembre 2006 invoqué par M. [Z], échangé entre le PDG de la CAHPP et le dirigeant d'une société MEDICLUB évoquant : «la prise en charge par la CAHPP des causes d'un jugement prud'homal ayant condamné cette société à indemniser un de ses salariés » ne sont pas de nature à caractériser un manquement grave de l'employeur.

Les faits relatifs au blocage et à la fouille de l'ordinateur professionnel de M. [Z] par la CAHPP postérieurs à la prise d'acte, ne seront en conséquence pas retenus.

Les méthodes de gestion inadmissibles employées par la CAHPP illustrées par les « menaces voilées d'entrer en contact avec les salariés quittant l'entreprise » et de « menaces systématiques de poursuites pénales à l'encontre desdits salariés » dénoncées par M. [Z], ne sont étayées par aucun élément.

Enfin, M. [Z] ne produit aucun élément démontrant qu'il a été victime d'une pression démesurée compte tenu de l'importance des ses responsabilités dans des fonctions de direction.

3) Sur la résiliation abusive des contrats retraite et revenus de fin de carrière

M. [Z] fait valoir que la résiliation par la CAHPP des contrats de prestations de retraite et revenus de fins de carrière dont il bénéficiait en sa qualité de cadre supérieur compte-tenu des engagements pris au sein de la CAHPP, sans son accord et sans compensation, caractérise une modification contractuelle inacceptable et justifie que la rupture de son contrat soit jugée aux torts de l'employeur.

La CAHPP fait valoir qu'elle a découvert en décembre 2004 lors d'un audit, que son ancien directeur avait signé seul, à l'insu du conseil d'administration, et sans négociation avec les représentants du personnel, deux documents qualifiés «d'accords d'entreprises », et organisé la souscription de certains cadres supérieurs à ces contrats, afin de leur conférer artificiellement un caractère collectif ; qu'une expertise informatique ayant permis de découvrir la fraude, le PDG les a dénoncés auprès des institutions représentatives du personnel, a résilié les contrats et informé les salariés de la disparition des avantages consentis, M. [Z] ayant été informé et associé à ces investigations ; que la dénonciation est régulière et la CAHPP n'a commis aucun manquement grave.

Il sera rappelé que la reprise des débats a été ordonnée, à l'issue d'une procédure pénale qui n'a pas donné lieu à poursuites.

S'agissant des deux documents qualifiés ' accords d'entreprise'

- accord du 3 janvier 1994, intitulé « retraite à prestations définies », garantissant aux cadres supérieurs une indemnisation à la date de leur départ en retraite, le bénéfice de cette indemnisation étant subordonné à la présence du salarié lors de son départ à la retraite.

- accord du 30 septembre 1992, intitulé « indemnité de fin de carrière » (IFC), prévoyant un système d'indemnisation des cadres de l'entreprise ayant plus de dix ans d'ancienneté à leur départ en retraite, le bénéfice de cette indemnisation étant subordonné à la présence du salarié lors de son départ à la retraite.

M. [Z] considère que ces contrats ont été dénoncés sans respect des formes et procédure, ce qui constitue une perte de chance liée à la requalification de la prise d'acte en un licenciement abusif.

La CAHPP fait valoir que, signés dans des conditions frauduleuses, ou à tout le moins anormales, ils ont été régulièrement dénoncés par son PDG.

La cour constate que la dénonciation de ces engagements a été précédée d'une information auprès des institutions représentatives du personnel, cette question ayant été abordée à l'occasion de la réunion du comité d'entreprise du mois d'octobre 2004 ainsi que le confirme M [B], membre élu de la délégation unique du personnel au sein de la CAHPP. De plus, lors de la réunion du comité d'entreprise du 26 juin 2006, ces membres ont confirmé que la dénonciation de ces engagements avait fait l'objet d'une information du président au cours de la réunion d'octobre 2004 en raison «des nombreuses inconnues sur leur libellé, le caractère restrictif des bénéficiaires, les doutes relevés sur l'attribution préférentielle des compléments de retraite prévus, le tout n'ayant fait l'objet d'aucun consensus avec les représentants du personnel dont la mise en place avait été ignorée », que M. [Z] en a été personnellement informé, et qu'un délai de préavis suffisant a été respecté pour permettre l'ouverture d'éventuelles négociations. La dénonciation lui est donc opposable et il n'est en conséquence démontré aucun manquement grave de l'employeur sur ce point.

S'agissant du contrat intitulé 'revenu de fin de carrière' n° 501149/L souscrit auprès de la compagnie FORTIS du 2 juin 1992

M. [Z] fait valoir que la résiliation de ce contrat qui caractérise une modification de son contrat de travail, constitue un manquement grave de l'employeur.

Le contrat de travail de M. [Z] signé le 28 août 2002 prévoit expressément en dernière page:

(...)

REVENU DE FIN DE CARRIERE

A l'issue d'une période d'activité de six mois révolus au sein de notre société, votre statut de cadre supérieur entraînera votre inscription au contrat collectif revenu de fin de carrière N° 501149 souscrit à un taux de cotisation patronale de 15% du salaire brut total. (...)

La cour constate que la société a ainsi contractualisé l'engagement unilatéral initial instituant le régime de retraite supplémentaire et qu'en conséquence, n'ayant fait l'objet d'aucun accord avec M. [Z] sur sa résiliation, la dénonciation ultérieure de cet engagement unilatéral est inopposable au salarié.

Cependant la cour considère que cet unique manquement de l'employeur n'est pas suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Il s'ensuit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [Z] aux torts de la société CAHPP n'étant pas justifiée, elle ne peut produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit aux indemnités consécutives à un tel licenciement et M. [Z] sera débouté de l'ensemble de ses demandes en découlant. Le jugement sera confirmé de ce chef.

M. [Z] soutient cependant, qu'en tout état de cause, le préjudice subi qui doit être intégralement réparé, est indépendant de la qualification de la prise d'acte. Il sollicite de ce chef la condamnation de la CAHPP à lui payer une somme de 587.218 euros à laquelle l'employeur s'oppose faisant état, au mieux, d'une perte de chance.

Il est constant que M. [Z], ayant une ancienneté de 4 ans et demi lors de son départ de la CAHPP à l'âge de 42 ans, ne pouvait revendiquer le bénéfice immédiat de l'accord litigieux subordonné à une condition d'âge, sa retraite étant très lointaine et les aléas nombreux ; qu'il soutient cependant, à juste titre qu'il aurait pu bénéficier d'une faculté de portabilité ou de transfert de son compte de retraite acquis sous certaines conditions en cas de changement d'entreprise et seulement au profit d'un contrat de même nature souscrit par le nouvel employeur, ce dont il a été privé.

Au regard de l'ensemble des ces éléments et dans la mesure où la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage procuré par cette chance si elle s'était réalisée, la cour alloue à M. [Z] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes de M. [Z]

M. [Z] soutient que la CAHPP relève d'une convention collective et que l'absence de mention de la convention collective applicable sur ses bulletins de salaires lui causerait un préjudice qu'il évalue à un mois de salaire.

La SA CAHPP fait valoir que M. [Z] ne détermine pas la convention collective qui serait susceptible de s'appliquer au sein de la CAHPP, qu'il appartient au salarié de revendiquer l'existence d'une convention et de démontrer sa force obligatoire au sein de l'entreprise avant d'établir le préjudice qu'il subirait du fait de la non application de ladite convention au sein de la CAHPP.

La cour constate que M. [Z] ne démontre aucune fraude de l'employeur et ne justifie pas du préjudice qu'il aurait subi du fait de l'absence de référence à une convention collective sur ses bulletins de salaires. Il sera débouté de cette demande et le jugement confirmé.

Sur les demandes reconventionnelles de la SA CAHPP

La SA CAHPP fait valoir que M. [Z] a quitté l'entreprise dans des conditions fautives au regard des dispositions des articles L 1234-1et L 1237-2 du code du travail qui imposent le respect du préavis au salarié démissionnaire, et sanctionnent la brusque rupture du contrat par un salarié.

Elle sollicite la condamnation de M [Z] à lui verser à la somme de 39.048 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d'exécution du préavis.

Cependant, M. [Z] soutient à juste titre qu'il a proposé de conduire à son terme la négociation des marchés en cours de la CAHPP en Belgique, ce qui a été refusé par l'employeur ; que de plus, la CAHPP ne justifiant d'aucun préjudice, elle sera déboutée de cette demande et le jugement sera confirmé.

Ensuite, la SA CAHPP sollicite la condamnation de M. [Z] à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour démission abusive, demande à laquelle M. [Z] s'oppose.

Compte tenu du climat tendu régnant au sein de la société, aucun comportement abusif n'est démontré à l'encontre de M. [Z]. En outre, aucun préjudice moral et commercial n'est justifié par la CAHPP qui sera déboutée de sa demande. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige, la SA CAHPP sera condamnée à payer à M. [Z] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la CAHPP à payer à M. [O] [Z] les sommes suivantes :

* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du régime de retraite 'revenu de fin de carrière' n° 501149/L souscrit auprès de la compagnie FORTIS le 2 juin 1992,

* 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus des demandes,

CONDAMNE la CAHPP aux entiers dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/00605
Date de la décision : 05/03/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°17/00605 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-05;17.00605 ?
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