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04/03/2020 | FRANCE | N°17/15052

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 04 mars 2020, 17/15052


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 04 MARS 2020



(n° 2020/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15052 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UZA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Octobre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F16/06677





APPELANTE



Madame [V] [J]

[Adresse 2]

Représentée par Me Sylvie KONG THONG

, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069





INTIMEE



SA EDF prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 1]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barr...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 04 MARS 2020

(n° 2020/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15052 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UZA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Octobre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F16/06677

APPELANTE

Madame [V] [J]

[Adresse 2]

Représentée par Me Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

INTIMEE

SA EDF prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 1]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne BERARD Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Mme [J] a été embauchée comme cadre par la société EDF en 1986 par contrat de travail à durée indéterminée.

En juillet 2002, elle a été promue dirigeant puis nommée directeur Grands Comptes.

La société emploie plus de dix salariés et la convention collective applicable à la relation de travail est le statut national des industries électriques et gazières.

Le 23 janvier 2012 Mme [J] a été victime d'un accident de trajet.

Le 10 janvier 2014, le médecin du travail, dans le cadre d'une visite de préreprise, a déclaré Mme [J] apte à la reprise sur un poste aménagé avec un mi-temps thérapeutique, afin de permettre une réadaptation progressive au travail.

Elle a repris à mi-temps thérapeutique en février 2014.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 mars 2016, elle a dénoncé à son employeur la façon dont elle a été traitée depuis son accident et lui a fait des demandes de rappel de salaires.

Dans un avis en date du 18 mars 2016, le médecin du travail l'a déclarée apte sous réserve d'un aménagement de poste (télétravail 2 journées par semaine) et a préconisé de la revoir dans trois mois.

Mme [J] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris le 16 juin 2016 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur pour cause de discrimination.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 août 2016, Mme [J] a demandé son départ à la retraite anticipée dans le cadre du dispositif spécifique de retraite des salariés handicapés.

La rupture du contrat de travail a pris effet le 1er décembre 2016.

Par jugement du 20 octobre 2017, le conseil de prud'hommes l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et a débouté la société EDF de sa demande reconventionnelle.

Le 23 novembre 2017, Mme [J] a régulièrement interjeté appel.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 décembre 2019, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [J] demande à la cour d'infirmer le jugement rendu,

- dire et juger que la société EDF a commis des manquements graves de discrimination liés à la santé et au handicap de Mme [J],

- constater la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société EDF en date du 8 juin 2016,

- dire et juger que le départ à la retraite de Mme [J] postérieur à la demande de résiliation judiciaire est équivoque car il a été contraint et forcé en raison de la discrimination subie et dénoncée,

- dire et juger que le départ à la retraite de Mme [J] s'analyse en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- Condamner la SA EDF à payer à Mme [J] les sommes suivantes :

o 102.848 € au titre de l'indemnité légale de licenciement

o 414.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

o 2.089 € à titre de rappel de salaire fixe sur 2013, outre la somme de 208,90 € au titre des congés payés afférents

o 4.219 € à titre de rappel de salaire fixe sur 2014, outre la somme de 421,90 €. au titre des congés payés afférents

o 6.392 € à titre de rappel de salaire fixe sur 2015, outre la somme de 639,20 €, au titre des congés payés afférents

o 8.365 € à titre de rappel de salaire fixe sur 2016, outre la somme de 836,50 euros au titre des congés payés afférents

o 100.000 € à titre de rappel de rémunération variable de 2013 à 2016, outre la somme de 10.000 € au titre des congés payés afférents

o 231.706 € à titre de dommages intérêts pour préjudice lié à la perte de droit à la retraite

o 69.000 € à titre de dommages intérêts pour discrimination

o 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du CPC.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 30 décembre 2019, auxquelles il est expressément fait référence, la société EDF demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter Mme [J] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser une somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 6 janvier 2020.

MOTIFS :

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin à l'initiative du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet.

Tel est le cas en l'espèce, Mme [J] ayant pris sa retraite le 1er décembre 2016.

Sur les circonstances du départ à la retraite de la salariée

Le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite.

Il est établi que Mme [J] a manifesté pour la première fois son intention de 'mettre en oeuvre les dispositions prévues à la note DSP-DRH-14-004 concernant les mesures de fin de carrière à horizon décembre 2016 sous forme de temps partagé avec fractionnement du CET' par un mail du 22 juillet 2014.

Elle a réitéré son intention par lettre du 10 février 2015, en confirmant à son employeur son intention de partir à la retraite au 1er décembre 2016 et souhaiter mettre en oeuvre les mesures prévues par la note 14-004 précitée, joignant à son courrier un formulaire de demande de temps partagé de fin de carrière. L'employeur en a pris acte par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 septembre 2015, l'invitant à constituer son dossier de pension sur le site de la CNIEG.

Dans des échanges ultérieurs sur l'organisation de son temps de travail, elle a continué à évoquer son départ à la retraite au 1er décembre 2016.

Dans la lettre recommandée avec accusé de réception qu'elle lui a adressé le 10 mars 2016, Mme [J] a fait part à son employeur de sa déception de la façon dont elle avait été traitée à la suite de son accident de travail, indiquant avoir ressenti son remplacement 21 jours seulement après l'accident comme une sanction, les questions posées à son retour comme une mise en doute de la réalité de ses ennuis de santé, évoqué le peu de missions confiées depuis son retour, dénoncé l'absence de fixations d'objectifs contrairement à la pratique antérieure et l'injuste amputation de ses revenus et sa profonde souffrance personnelle résultant de sa situation professionnelle depuis son accident.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur le 16 juin 2016.

Elle a adressé à son employeur une lettre recommandée avec accusé de réception le 21 juillet 2016 pour dénoncer la discrimination dont elle estimait être l'objet et affirmer avoir pris l'engagement de prendre sa retraite sous la contrainte, en précisant réfléchir à revenir sur cet engagement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 août 2016 elle a notifié à son employeur son intention de prendre sa retraite au titre du handicap ( note DRH-I 16-002) au 1er décembre 2016.

Compte tenu des sentiments exprimés par Mme [J] courant mars 2016, de sa saisine du conseil de prud'hommes en juin 2016 aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, de son courrier de juillet 2016, sa décision de prendre effectivement sa retraite, formalisée le 25 août 2016, s'inscrit dans un contexte suffisamment équivoque pour que cette démarche soit qualifiée de prise d'acte, étant par ailleurs relevé que si elle n'a pas manifesté son désarroi dès ses premières expressions d'intention de prendre sa retraite, l'équivoque existait dès ce moment, contemporain de comportements qu'elle reproche à son employeur.

Le bien-fondé de sa prise d'acte doit être apprécié en considération des manquements de l'employeur invoqués par la salariée tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte.

Sur la prise d'acte

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail est la situation dans laquelle le salarié notifie à l'employeur la rupture de son contrat de travail en lui imputant la responsabilité en raison de son comportement fautif ou de son non-respect des obligations contractuelles, rendant impossible le maintien du contrat de travail.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les griefs invoqués doivent être suffisamment graves.

Aux termes de l'article L1132-1 du code du travail en sa rédaction applicable, issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de l'un des motifs énoncés à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée'.

Aux termes de l'article 1er de la loi précitée 'Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

La discrimination inclut :

1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant;

2° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2".

Aux termes de l'article L.1134-1 du code du travail 'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

En l'espèce, Mme [J] présente les éléments de faits suivants :

- Avant son accident, en tant que directeur grand compte (DGCC), elle avait en charge un portefeuille distributeur avec d'importants clients tels ERDF, GRDF,SEI et PEI . Victime d'un accident de trajet le 23 janvier 2012, elle a effectivement été informée par M. [G], directeur clients, par courriel du 13 mars 2012 que le dossier ERDF dont elle avait la charge allait être confié à M. [N].

Par courriel du 19 avril 2012, le directeur clients l'a informée que M. [N] allait être nommé DGCC à la direction clients et reprenait l'ensemble de son portefeuille.

Elle a donc été évincée de son poste très peu de temps après son arrêt de travail dont la durée était alors ignorée.

Elle souligne que cette situation est contraire aux usages de l'entreprise, en indiquant que par le passé, plusieurs directeurs grands comptes, dont les portefeuilles étaient également à enjeux forts pour EDF, ont eu des absences maladie parfois très longues sans qu'ils soient évincés de leur poste. Elle souligne que M. [G] lui-même aurait été absent sur une durée de plusieurs mois en 2010 et 2011 et a pu retrouver toutes ses missions à son retour, même à mi-temps.

- Une réunion de retour d'absence a eu lieu le 31 janvier 2014 avec M. [K], DRH du groupe des cadres dirigeants, qu'elle qualifie de discriminante.

- M. [G] lui a supprimé ses fonctions de directeur grands comptes et l'a 'placardisée'.

Dans son courriel du 19 avril 2012, M. [G] lui avait précisé qu'à son retour, il envisageait qu'en sa qualité de directeur grands comptes elle l'aide au pilotage et à l'animation de la direction et à la gestion des activités back office.

Par courriel du 14 février 2014, lors de son retour effectif, il lui a confié le pilotage de la réflexion sur l'efficience du modèle RC et de la facturation ( recommandation R2 de l'audit DSP de fin d'année).

- Elle n'a pas bénéficié d'un aménagement de poste conforme aux préconisations de la médecine du travail.

- Elle n'a plus bénéficié d'augmentation de son salaire fixe à compter de son accident du travail.

- Elle a subi une amputation de la part variable de sa rémunération à compter de son accident du travail.

- Elle n'a plus été évaluée.

Pris dans leur ensemble ces faits laissent supposer l'existence d'une discrimination.

Si l'employeur soutient qu'elle n'a pas été évincée de son poste, force est de constater que son ancien poste a été confié en avril 2012 à M. [N], lorsqu'il a été nommé directeur grand comptes et qu'il lui a dans le même temps été annoncé qu'elle ne retrouverait pas son poste à son retour, mais travaillerait aux côtés du directeur clients.

Si l'employeur justifie par l'importance stratégique du poste de Mme [J] la nécessité de son remplacement, il ne répond pas dans ses écritures à l'indication par l'appelante qu'il a été fait un sort différent à M. [G] à l'occasion d'un arrêt de travail prolongé, alors que cette personne occupait aussi un poste stratégique s'agissant du supérieur hiérarchique de la salariée.

L'employeur conteste l'existence d'une réunion de 'retour d'absence' discriminante et relève que la seule pièce versée aux débats faisant état d'une réunion discriminante est le propre courrier de Mme [J] en date du 10 mars 2016.

La Cour observe que le récit qu'elle fait de cette réunion dans son courrier du 10 mars 2016 ne forme pas le moindre grief à l'encontre du DRH du groupe des cadres dirigeants qui la recevait, et que dans ce courrier les critiques faites par la salariée concernaient exclusivement son propre directeur, tant à l'égard de sa décision de lui retirer ses attributions lors de son arrêt de travail, qu'en considération des propos dubitatifs sur la gravité de son état de santé qu'elle lui a prêtés, ce qui est insuffisamment caractérisé par ses seules déclarations.

L'employeur indique qu'à son retour d'arrêt de travail, il a dû adapter la nature des activités confiées à Mme [J] à son activité à mi-temps.

Sous réserve de lui conserver sa qualité de directeur grand compte , l'employeur était fondé, en considération de son mi-temps thérapeutique initial, puis d'un mi-temps expressément demandé par la salariée, à lui confier des tâches adaptées à sa nouvelle situation.

Mme [J] ne caractérise pas la nature dérisoire de ces tâches et le fait qu'elles aient été sous-dimensionnée à ses capacités. En effet, l'employeur qui lui avait notamment confié en 2014 la cartographie des activités de la relation clients de la DSP, a déploré dans un courriel du 9 avril 2015 le manque de profondeur de l'analyse et indiqué ne pas être satisfait du travail accompli.

Cependant, l'employeur ne justifie nullement des raisons pour lesquelles Mme [J] a perdu la qualité de directeur grand compte, ainsi qu'il résulte de l'évolution de la dénomination de son emploi sur ses bulletins de paye : 'directeur grand compte' jusqu'en 2015 inclus, 'cadre dirigeant' en 2016.

L'employeur justifie que le mi-temps thérapeutique de Mme [J] a bien été respecté à son retour dans l'entreprise.

Il établit qu'à l'issue de ce mi-temps thérapeutique de 6 mois, Mme [J] a exprimé le souhait, par mail du 22 juillet 2014, de rester sur un dispositif de mi-temps en résorbant le solde de ses congés jusqu'à la fin de l'année 2014, puis, en 2015, de travailler à temps partagé avec fractionnement du CET en application de la note DSP-DRH-14-004 concernant les mesures de fin de carrière à horizon décembre 2016.

Elle a ainsi, du 1er janvier au 30 septembre 2015, continué de travailler à mi-temps en étant en CET tous les après-midi, puis à compter d'octobre 2015 jusque fin mai 2016 en étant en congés annuels tous les après-midi, puis de nouveau, de juin à novembre 2016 inclus, en CET tous les après-midi.

Outre qu'elle ne justifie nullement avoir communiqué ce courrier à son employeur, ceci ne contrevient nullement aux préconisations du médecin expert chargé de l'évaluation de son préjudice corporel, lorsque celui-ci indiquait le 18 novembre 2014 que le travail n'était possible que dans un poste aménagé ou à temps partiel, dès lors qu'elle ne travaillait que le matin.

Il résulte en revanche d'un avis du médecin du travail du 18 mars 2016, que Mme [J] était apte à occuper son poste avec réserves, avec un aménagement de poste en télétravail deux jours par semaine et devait être revue au bout de trois mois.

L'employeur ne justifie, ni avoir déféré à cette préconisation d'aménagement de poste, ni avoir organisé de nouvelle visite en juin 2016.

S'agissant de l'évolution de la rémunération de la salariée, l'examen de ses bulletins de paie depuis 2006 établit qu'elle a bénéficié tous les ans d'une augmentation de salaire, jusqu'en 2012 inclus. Sa rémunération brute, fixée à 7.946,92€ en 2012, a été maintenue à ce même montant en 2013, 2014, 2015 et 2016.

La rupture d'augmentation du salaire fixe est donc contemporaine de l'année de son arrêt de travail.

S'agissant de la part variable, le constat est identique, dès lors qu'elle a perçu un bonus tous les ans de 2007 à 2012 ( 25.000€ en 2012) et n'a plus perçu de bonus à compter de 2013. Ainsi, la rétribution de sa performance est passée de 28.091€ en 2012 à 5.240€ en 2013, 5.667€ en 2014 et 6.038€ en 2015.

L'employeur établit que les augmentations de salaire des personnels de direction ne sont pas de droit mais adossées aux performances de la salariée, de même que leur part de rémunération variable.

Les évaluations produites par la salariée pour les années 2008 et 2009 comprennent une partie 'résultats marquants de l'année', une partie consacrée à l'évaluation de la performance (bonus) sur la base des objectifs fixés pour l'année N, une partie consacrée à la fixation des objectifs pour l'année N+1, une partie faisant la synthèse de la contribution de la salariée au travers de ses points forts, des progrès constatés et des axes de progrès et enfin un encadré relatif à l'évolution salariale prévisible où figure un curseur ayant vocation à se déplacer selon les années entre 'minimum', 'standard' et 'supérieure' à la moyenne.

A la date du 13 avril 2015, la consultation du compte personnel de Mme [J] sur le portail des ressources humaines du groupe EDF montre qu'elle a bénéficié d'un entretien d'évaluation annuel pour 2010, le 10 février 2011, mais qu'elle n'a pas bénéficié de ces entretiens annuels pour les années 2011 et 2012.

Il est justifié qu'elle devait avoir son entretien d'évaluation pour 2011 le 24 janvier 2012, qui n'a pu avoir lieu du fait de son accident et que son contrat de travail a été suspendu jusqu'à son retour.

Si l'employeur soutient que les entretiens du 5 mars et du 3 septembre 2015 valent évaluation au titre de l'année 2014, il ne justifie nullement pourquoi, à partir de son retour, Mme [J] n'a plus eu aucun entretien annuel répondant au formalisme de ceux dont elle avait bénéficié, des années durant, avant son arrêt de travail.

L'employeur produit ,s'agissant de l'année 2015, un 'compte-rendu d'entretien daté du 16 juin 2016" ne répondant pas davantage à ce cadre antérieur.

Outre que la salariée ne confirme pas l'existence de cet entretien et observe qu'il porte une date postérieure à sa demande de résiliation judiciaire, la pièce produite apparaît dénuée de toute force probante, s'agissant d'un document non signé par son auteur, rédigé sur papier libre et dont il n'est pas établi qu'il ait été communiqué à Mme [J].

Enfin, si l'employeur explique la stagnation de la rémunération à partir de son arrêt de travail par la mauvaise qualité de son travail, il n'en justifie pas, en l'absence d'entretiens d'évaluation à son retour d'arrêt de travail appréciant ses performances sur la base d'objectifs précisément fixés l'année précédente et lui fixant des objectifs à atteindre pour l'année suivante dans les formes usuellement pratiquées avant son arrêt de travail.

Surabondamment, il est surprenant de constater que les appréciations portées par son employeur sur Mme [J] après son retour d'arrêt de travail la présentent comme une personne manquant de profondeur d'analyse ou ne tenant pas ses délais, alors que le dernier entretien d'évaluation formalisé produit aux débats saluait 'sa ténacité, sa capacité de pilotage, sa rigueur, son autonomie et son goût prononcé pour les résultats'.

Dès lors que l'employeur ne justifie pas, par des raisons objectives étrangères à toute discrimination, le remplacement définitif de Mme [J] à son poste quelques semaines après son arrêt de travail, et, à compter de sa reprise, l'absence de toute évaluation de sa performance conforme au dispositif antérieurement mis en oeuvre, l'absence de toute évolution de son salaire fixe et l'absence de tout bonus, l'absence de prise en considération des préconisations de mise en place d'un télétravail deux jours par semaine par le médecin du travail, outre le changement de dénomination de son emploi à compter de 2016, la discrimination de Mme [J] à raison de son état de santé et de son handicap est établie.

Si la société EDF fait observer que les faits dénoncés sont anciens, que la salariée ne justifie pas s'être plaint du comportement de l'employeur avant mars 2016 et que ce n'est qu'en juin 2016 qu'elle évoquera pour la première fois des faits de discrimination, ceux-ci n'en sont pas moins caractérisés dans la durée et jusqu'à la fin de la relation contractuelle.

L'employeur ne justifie pas avoir tenu le moindre compte de la lettre de mars 2016, dans laquelle Mme [J], sans employer le terme de discrimination, s'en plaignait cependant implicitement au travers des reproches de 'placardisation' depuis son arrêt de travail et des revendications salariales qu'elle y formait. Il n'a pas réagi en juin 2016 à l'annonce d'une action en résiliation judiciaire devant le conseil de prud'hommes autrement qu'en répondant que son départ à la retraite la rendait sans objet.

Enfin, postérieurement à la demande de résiliation, il a persisté à ne pas tenir compte des prescriptions du médecin du travail relativement à son aménagement de poste, ne l'a pas évaluée conformément aux usages antérieurs et l'a maintenue à un niveau de rémunération injustifié.

Ses manquements répétés, graves et persistants jusqu'à la décision de la salariée de mettre fin à la relation de travail par la retraite sans attendre la résiliation judiciaire ont rendu impossible le maintien du contrat de travail et justifient que cette prise d'acte de la salariée produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris, qui a débouté la salariée de sa prise d'acte, sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes de rappels de salaire

au titre du salaire fixe

En excluant l'impact de la gratification exceptionnelle reçue en 2012, Mme [J] justifie d'une évolution de sa rémunération fixe de 2% entre 2010 et 2011 et 2011 et 2012.

En l'absence de toute évaluation objective de ses performances, elle est donc fondée à réclamer la poursuite de cette évolution sur la base d'un salaire annuel brut 2012 de 103.309€.

Il lui est dû au titre de ces augmentations annuelles 2.065€ au titre de l'année 2013, 4.172,50€ au titre de l'année 2014, 6.322,15€ au titre de l'année 2015 et 7.805,22€ au titre des onze premiers mois de l'année 2016.

La société EDF sera condamnée à lui verser une somme de 20.364,87€ à titre de rappel de salaire, outre 2.036,48€ au titre des congés payés afférents.

Au titre de la part variable

Mme [J] justifie avoir perçu une rémunération variable de 25.000€ en 2012.

Elle démontre que depuis 2008 sa rémunération variable a systématiquement correspondu à environ 20% de sa rémunération fixe de l'année considérée.

En l'absence de toute évaluation objective de ses performances, elle serait fondée à réclamer un rappel de rémunération variable selon la même logique.

Il sera donc fait droit, dans les limites de sa demande, à un rappel de bonus de 25.000€ par an au titre des années 2013 à 2016, outre les congés payés afférents.

La société EDF sera condamnée à lui verser une somme de 100.000€ à titre de rappel de salaire, outre 10.000€ au titre des congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour perte de droit à la retraite

Si Mme [J] justifie d'un préjudice lié à la prise en considération pour le calcul de ses droits d'une rémunération inférieure à celle qui lui était due, c'est à juste titre que l'employeur fait valoir que seule peut être indemnisée une perte de chance.

En conséquence, en considération des éléments de l'espèce, la société EDF sera condamnée à lui verser une somme de 115.000€ à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour discrimination

La discrimination dont Mme [J] a été victime à raison de son état de santé et de son handicap lui a causé un préjudice qui justifie de condamner la société EDF à lui verser une somme de 15.000€ à titre de dommages et intérêts.

Sur les conséquences du licenciement

sur l'indemnité légale de licenciement

Aux termes de l'article R1234-2 du code du travail 'L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté'.

Aux termes de l'article R1234-4 'Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion'.

Compte tenu du rappel de rémunération au titre de l'année 2016, et donc d'un salaire de référence de 11.402€ et déduction faite de l'indemnité de départ à la retraite de 19.867,30€ perçue, la société EDF sera condamnée à verser à Mme [J] une indemnité de licenciement de 81.800,53€.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail en sa version applicable à l'espèce, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu d'une collaboration de plus de trente ans au sein de l'entreprise, de son parcours professionnel, de son âge, de son état de santé à la suite de son accident de travail et du terme que Mme [J] a dû mettre à sa carrière, la rupture du contrat de travail a causé à la salariée un préjudice qui justifie la condamnation de la société EDF à lui verser une somme de 230.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le cours des intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales exigibles au moment de l'introduction de l'instance prud'homale sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 20 juin 2016, et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

Sur les autres demandes

Sur les frais irrépétibles

La société EDF sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles.

L'équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Mme [J] et de condamner la société EDF à lui verser une somme de 3.000€ à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

DIT que le départ à la retraite de Mme [J] s'analyse en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société EDF à verser à Mme [J] les sommes suivantes :

- 20.364,87€ à titre de rappel de salaire fixe, outre 2.036,48€ au titre des congés payés afférents,

- 100.000€ à titre de rappel de salaire variable, outre 10.000€ au titre des congés payés afférents,

- 81.800,53€ à titre d'indemnité légale de licenciement,

le tout avec intérêt au taux légal à compter du 20 juin 2016,

- 115.000€ à titre de dommages et intérêts pour perte du droit à la retraite,

- 15.000€ à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

- 230.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

le tout avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

Y ajoutant

CONDAMNE la société EDF aux dépens ;

CONDAMNE la société EDF à payer à Mme [J] la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société EDF de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 17/15052
Date de la décision : 04/03/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°17/15052 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-04;17.15052 ?
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