Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 04 MARS 2020
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13288 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4LSK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/04300
APPELANTE
SAS ID BEAUTY
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Tomas GURFEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1959
INTIMÉE
Madame [B] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée
Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Engagée à compter du 7 novembre 2011 par la société ID Beauty Internation Distribution en qualité de directrice de l'administration des ventes et de la production, Mme [Y] a été promue vice-présidente du groupe IDB, avec la qualification de cadre dirigeant, par avenant du 16 octobre 2014, à effet rétroactif au 1er janvier 2014.
Convoquée le 20 février 2015 à un entretien préalable fixé au 5 mars, elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle et pour faute grave le 10 mars 2015.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, elle a saisi la juridiction prud'homale le 10 avril 2015.
Par jugement du 31 mai 2017, le conseil de prud'hommes de Paris a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 66 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
- 45 300 euros à titre du paiement du bonus pour l'année 2014,
- 150 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Le conseil a débouté les parties de leurs autres demandes.
Le 23 octobre 2017, l'employeur a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 9 octobre.
Par conclusions transmises le 28 novembre 2019 par voie électronique, l'employeur demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au paiement d'un bonus pour l'année 2014 et, statuant à nouveau, de débouter la salariée de toutes ses demandes et subsidiairement, de limiter à la somme de 121 127,04 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de lui allouer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions transmises par voie électronique le 11 décembre 2019, l'intimée sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement des sommes de 66 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de 45 300 euros au titre du bonus pour l'année 2014 mais sa réformation pour le surplus et la condamnation de l'appelant au paiement des sommes suivantes, avec anatocisme :
- 240 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et subsidiairement 150 000 euros,
- 100 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
- 452 856,76 euros de rappel de salaire sur heures supplémentaires, repos compensateur et congés payés afférents,
- 120 000 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 décembre 2019 avant l'ouverture des débats et l'affaire a été plaidée le jour même.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bonus de l'année 2014
L'employeur relève à juste titre que, si le contrat de travail initial de la salariée prévoyait une rémunération fixe et une partie variable à définir ultérieurement par avenant, le second contrat, à effet au 1er janvier 2014, n'en fait pas état.
Il résulte cependant des courriels échangés entre les parties qu'elles étaient convenues du principe de versement d'un bonus pour l'année 2014. M. [U], expert-comptable, a indiqué dans un mail du 25 février 2015 que 'le montant définitif s'élève à 37 888 euros en prenant en compte une provision de 50% sur le CA 2014 de WS.
En effet, eu égard aux emails et nombreux échanges entre Nocibé, Douglas et IDB, il y a une très forte probabilité de retour important sur tous les produits.
J'en ai déjà discuté avec les commissaires aux comptes et ils sont de mon avis (..)
Pour ce qui est de ta prime quanti, et comme [V] ([M]) te l'a dit, en ma présence, il rediscutera avec toi de son éventuel versement à son retour, en fonction des objectifs atteints ou pas.'
La somme de 37 888 euros a été versée à la salariée.
En l'absence de prévision contractuelle et de production d'éléments relatifs aux objectifs, et compte tenu des nombreux retours des sociétés clientes sur plusieurs produits, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'octroi d'une somme supplémentaire à la salariée. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement d'un complément de bonus pour l'année 2014.
Sur les heures supplémentaires
Sur la qualité de cadre dirigeant de la salariée à compter du 1er janvier 2014
Le contrat de travail à effet au 1er janvier 2014 confère à la salariée la qualité de cadre dirigeant, ce qu'elle conteste en soutenant qu'elle ne disposait pas dans les faits d'une totale latitude dans l'organisation de son emploi du temps, qu'elle devait faire valider le budget par le président du groupe et qu'elle ne participait pas à la direction de l'entreprise.
L'article L.3111-2 du code du travail exclut de la réglementation de la durée du travail les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Si les trois critères fixés par ce texte impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise, il n'en résulte pas que la participation à la direction de l'entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux seuls critères légaux.
Il n'est pas contesté en l'occurrence que la salariée avait la deuxième rémunération la plus élevée de l'entreprise, après celle de son président.
Selon les stipulations contractuelles, les fonctions de la salariée, placée sous la direction du président du groupe auquel elle devait rendre compte, s'exerçaient sur toutes les filiales du groupe IDB (existantes ou à venir : France, UK et USA, y compris les laboratoires), sur les secteurs des marketing produits, marketing opérationnel, administration des ventes, production, achats et logistique, sa responsabilité couvrant tous les aspects de la gestion de chacun de ces secteurs : budget, marge, stocks, personnel, SAP, RH et reporting notamment.
Elle était chargée :
- d'élaborer pour chaque secteur un budget adapté, devant être validé et soumis à la signature du président du groupe, M. [M]. La maîtrise de ces budgets est un élément essentiel de la gestion des secteurs dont elle a la charge ; toute hypothèse de dépassement doit faire l'objet d'un accord du président ;
- de travailler en lien étroit avec le contrôle de gestion et la direction financière, auxquels elle transmet tous les éléments budgétaires et comptables des secteurs dont elle a la charge et permettant le pilotage et le contrôle financiers de ces secteurs,
missions susceptibles d'être modifiées par la société en fonction de son évolution et de son organisation.
L'étendue de ces fonctions, qu'elle a pleinement exercées comme cela ressort des nombreux courriels produits, démontre qu'à l'évidence la salariée remplissait les critères de l'article L.3111-2 précité, la qualité de cadre dirigeant n'étant toutefois pas exclusive d'un lien de subordination qui caractérise le contrat de travail.
Sur la demande d'heures supplémentaires pour la période antérieure au 1er janvier 2014
Conformément à l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, la salariée verse aux débats un tableau récapitulatif des heures supplémentaires qu'elle allègue avoir accomplies et des courriels envoyés à des heures tardives ou tôt le matin. Elle étaie ainsi sa demande.
L'employeur, qui ne produit aucun élément, conteste tant le caractère probant des courriels que l'accord donné à la réalisation de ces heures.
Cependant le contrat initial de travail prévoit la possibilité, compte tenu de la nature des fonctions exercées, de dépasser l'horaire collectif en vigueur.
Les courriels renseignent sur l'amplitude horaire des journées de travail mais ne permettent pas de connaître avec certitude le temps de travail effectif de la salariée. Ainsi, dans un mail envoyé le 13 mai 2013 à 21 heures 52, la salariée indique avoir dû partir tôt du bureau pour des raisons personnelles. Le samedi 27 juillet 2013, elle écrit recevoir ses mails sur son iPhone avec plusieurs heures de retard. Enfin, elle a apposé à la main d'autres horaires pour tenir compte du décalage horaire sur certains mails, étant rappelé qu'elle travaillait avec des filiales américaine et anglaise et était amenée à se rendre dans ces pays.
Compte tenu de ces éléments, et au vu des pièces produites, la cour retient que la salariée a accompli des heures supplémentaires, mais dans une moindre mesure que celle alléguée, et qu'il est justifié de lui allouer à ce titre la somme de 80 000 euros, outre celle de 8 000 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement.
Sur la demande au titre du travail dissimulé
Conformément à l'article L.8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, est constitutif de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour l'employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
La salariée ne démontre pas que l'employeur se serait volontairement soustrait à cette obligation.
La cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement est rédigée comme suit :
'Ces griefs sont de deux ordres. Depuis la clôture 2014, des éléments se sont accumulés qui révèlent des carences importantes dans votre travail. De surcroît, depuis le 12 février des faits ont été révélés qui, après enquête, constituent une faute grave.
1. Insuffisances professionnelles
Vous avez été recrutée en novembre 2011 pour prendre en charge la production et la logistique, missions que vous avez accomplies efficacement. Forte de ce succès, vous avez au cours de l'année 2013 demandé à assurer plus de responsabilités dans l'entreprise. Nous vous avons nommée à compter du 1er janvier 2014 Vice-Présidente du groupe ID Beauty responsable du développement, du marketing, de l'administration des ventes, de la production, des achats et de la logistique, essentiellement sur l'activité Soin.
Vous avez eu toute latitude pour organiser vos équipes et choisir vos fournisseurs. Vous avez eu les moyens humains et financiers que vous demandiez. Vous avez ainsi décidé d'utiliser un nouveau laboratoire, Procoluide, pour les nouveaux développements.
Vous avez progressivement mis à l'écart la consultante que nous utilisions pour nous aider dans le processus de développement, Madame [P] [O]. Vous avez recomposé votre équipe à votre guise, et vos équipes ont été étoffées de quatre nouveaux postes. Vous avez effectué les recrutements avec le concours du consultant que vous avez choisi, Monsieur [X] [F], qui est également votre compagnon.
Or nous constatons que sur les produits développés en 2014 seuls trois ont été correctement menés à terme : Hydra Essential, Hydra Caress et Line Killer Fraser. Tous les autres développements présentés à nos clients (principalement Séphora et Douglas/Nocibé) et pour lesquels des investissements de recherche-développement et de marketing ont été engagés se sont soldés par des échecs :
sérum Wonderskin : ce produit clé pour toute la gamme et la marque Wonderskin devait bénéficier en 2014 d'un nouveau packaging, celui livré en 2013 à nos clients s'étant avéré défectueux. Alors que vous saviez l'importance de régler ce problème de packaging, vous avez lancé en juillet et septembre 2014 la production de 30 000 exemplaires du sérum sur la base d'un nouveau packaging qui s'est avéré défectueux, la formation de bulles d'air faisant obstacle au bon mécanisme des pompes. Compte tenu du nombre important de retours du produit par les consommateurs, nos clients en ont arrêté la commercialisation et nous ont demandé la reprise des stocks. Nous avons dû rompre le contrat avec Nocibé/Douglas pour essayer d'écouler le sérum sur showroomprivé.com. Nous estimons la perte subie en 2014 de ce fait au chiffre d'affaires facturé, soit 309 000 euros. Si nous ne pouvons éviter la reprise des stocks Wonderskin, la perte supplémentaire sera de l'ordre de 750 000 euros. L'avenir de la marque Wonderskin est de plus très sérieusement compromis après plusieurs années d'investissement.
Rexaline Hydra Massage : ce produit a été présenté à Séphora qui comptait en faire un des points forts de sa journée de présentation de décembre 2014 alors même que tous les tests effectués par vos équipes montraient qu'il n'a jamais fonctionné. Séphora l'a refusé en l'état et j'ai dû prendre personnellement la décision d'arrêter ce projet fin 2014.
Rexaline Hydra Precious : ce produit a été développé, produit et vendu. La première livraison de ce produit a été bloquée début mars 2015 par Douglas en Allemagne pour une non-conformité à la législation allemande, alors que vous étiez censée avoir vérifié ce point avec le cabinet d'avocats allemand que vous aviez choisi. De surcroît, Procoluide nous a informés le 26 février 2015 que le packaging qui leur avait été livré pour la seconde production était défectueux.
Line Killer Xtreme Look : cette ligne de patchs a été développée et vendue à Séphora, mais refusée par nos autres clients. Cependant le positionnement prix que vous avez fixé pour ce produit et les volumes vendus ont dû être revus très sérieusement à la baisse début 2015 (8 000 pièces au lieu de 20 000). De plus nous avons appris fin février 2015 que le prix d'achat de ces patchs avait été sous-estimé de plus de 17%. De ce fait ce produit s'avère désormais non rentable pour l'entreprise. Enfin, nous n'avons toujours pas les résultats des tests d'efficacité du produit alors même qu'il fait l'objet de ventes fermes, ce qui n'est pas professionnel et fait encore courir un risque d'image de marque.
Le 12 février, les deux Chefs de produit de votre équipe sont venues m'avertir qu'elles comptaient démissionner car elles ne supportaient plus vos méthodes de management : manque de cohérence dans la répartition des tâches, ordres contradictoires, informations partielles, manque de soutien en cas de problème. Plusieurs de vos collaboratrices actuelles et passées se sont également plaintes d'un travail fractionné et effectué dans l'urgence permanente.
Ces carences sont inacceptables au regard de votre niveau de responsabilité et de rémunération et caractérisent une insuffisance professionnelle dans vos fonctions de Vice-Présidente.
2. Fautes graves
Le 12 février 2015, les deux Chefs de produits qui m'ont fait part de leur intention de démissionner m'ont révélé que vous étiez au courant des problèmes de packaging défectueux du sérum Wonderskin et que c'est en toute connaissance de cause que vous aviez pris la décision de les produire et de les commercialiser.
Après enquête, il s'avère que :
- les résultats des tests effectués entre juin et septembre 2014 montraient des problèmes récurrents de reprise d'air dans les pompes en empêchant le fonctionnement normal ;
-sur la base de ces tests, le fournisseur du packaging, la société Aptar, avait indiqué par écrit qu'il ne validait pas le dispositif retenu et avait de ce fait exigé une décharge qualité avant de produire ;
- vous avez donné instruction expresse à vos collaboratrices de ne pas me parler de ce problème, en faisant planer la menace d'un licenciement collectif si le sérum n'était pas livré.
Vous avez donc ignoré les résultats des tests et l'avis du sous-traitant. Pire vous avez délibérément dissimulé les problèmes à votre hiérarchie, ce qui est un grave manquement à votre obligation de loyauté.
Vous avez persisté dans ce comportement en prétendant dans un email du 24 février 2015 que le problème de reprise d'air était 'aussi imprévisible qu'inattendu' alors que vous le connaissiez depuis juin 2014.
Nous avons également appris que vous aviez dissimulé les problèmes du projet Hydramassage en refusant de laisser la Directrice commerciale tester elle-même le produit.
Enfin, vous avez adopté un comportement inadmissible lorsque les problèmes se sont accumulés et que j'ai organisé des réunions pour en comprendre l'ampleur et les résoudre. Non contente d'adopter un comportement agressif à mon égard, relayé par les messages menaçants de votre compagnon, vous avez insulté publiquement deux collaboratrices de l'entreprise :
- le 12 février 2015 au matin dans l'entrée des bureaux du 3ème étage à la sortie d'une réunion avec Madame [L] [R], Directrice Commerciale (qui est par ailleurs ma compagne) concernant le packaging des nouveaux produits Rexaline que Sephora avait trouvé décevants, vous vous êtes exclamée à voix haute 'cette pute va influencer [V] et le monter contre nous!'
- à plusieurs reprises vous avez traité dans le bureau du développement Mesdames [P] [O] et [C] [A], Directrice de la communication, de 'vieilles putes grabataires'.
L'ensemble de ces faits caractérise une faute grave empêchant votre maintien dans l'entreprise, ne fût-ce que pendant un préavis.'
Préalablement sur les deux motifs de rupture
La salariée rappelle que l'employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement plusieurs motifs de rupture inhérents à la personne du salarié à la condition qu'ils procèdent de faits distincts.
En l'espèce, l'employeur considère que la commercialisation du sérum Wonderski avec un packaging défectueux relève tant d'une insuffisance professionnelle que d'une faute grave, la salariée ayant été informée de cette défectuosité qu'elle lui aurait volontairement cachée.
S'agissant d'un même fait, il appartenait à l'employeur de choisir s'il relevait d'une faute ou d'une carence de la salariée. Ce grief sera en conséquence écarté.
Sur la faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
Le grief relatif à la commercialisation du produit Wonderskin étant écarté, seules restent l'agressivité et les insultes reprochées à la salariée, laquelle ne saurait être tenue responsable des faits reprochés à son compagnon, consultant de la société.
Le seul élément de preuve produit par l'employeur est une attestation de Mme [K], chef de produit, qui n'est pas suffisamment précise pour établir la matérialité de ce grief.
La cour confirme le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement prononcé pour un motif disciplinaire n'était pas justifié.
Sur l'insuffisance professionnelle
Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'insuffisance professionnelle se caractérise par l'incapacité du salarié à exercer ses fonctions de façon satisfaisante, par manque de compétences. Si l'insuffisance professionnelle relève de l'appréciation de l'employeur, ce dernier doit néanmoins s'appuyer sur des faits précis, matériellement vérifiables et personnellement imputables au salarié.
En l'espèce, l'employeur reproche à la salariée, d'une part, de ne pas avoir mené à bien la commercialisation de plusieurs produits, d'autre part, des carences managériales.
L'employeur ne démontre pas que la salariée est responsable des difficultés rencontrées pour la commercialisation des trois produits cités dans la lettre de licenciement, étant relevé, d'une part, qu'elle a indiqué 'nous ne lancerons pas de commande avant validation d'une des options (ou l'annulation du projet) par [V]' ([M]) pour la fixation des prix et quantités concernant le produit (Line Killer Xtreme Look) dans un mail du 25 février 2015, et que, s'agissant de la non-conformité à la réglementation allemande du packaging du Rexaline Hydra Precious, les mails échangés démontrent que des experts extérieurs ont été consultés à ce sujet.
L'employeur justifie en revanche par la production d'attestations d'anciens salariés des pressions mises par la salariée sur ses équipes, de l'absence de dialogue, d'un management autoritaire évinçant notamment la directrice marketing développement soin et empêchant la responsable comptable et une chef de produit d'exercer normalement leur activité, des difficultés ayant entraîné le départ de plusieurs salariées.
Compte tenu des fonctions confiées à la salariée et de son niveau hiérarchique, la cour retient, par infirmation du jugement, que le licenciement pour insuffisance professionnelle de la salariée est justifié et la déboute en conséquence de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée la somme non contestée de 66 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire
Le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture, d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi, peut prétendre à des dommages-intérêts.
En l'espèce, la salariée ne justifiant ni de circonstances vexatoires, ni d'un préjudice, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
Sur les autres demandes
Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.
En application de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus produisent intérêts à compter du premier jour de la demande expressément présentée en première instance, dès lors qu'ils sont dus pour au moins une année entière.
L'équité commande d'allouer à la salariée la somme supplémentaire de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
L'employeur, qui succombe, devra supporter les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société ID Beauty International Distribution à payer à Mme [Y] la somme de 66 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et rejeté les demandes de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, d'indemnité pour travail dissimulé et d'heures supplémentaires pour l'année 2014 de Mme [Y] ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société ID Beauty International Distribution à payer à Mme [Y] les sommes de :
- 80 000 euros pour les heures supplémentaires accomplies en 2011, 2012 et 2013 ;
- 8 000 euros au titre des congés payés afférents ;
- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [Y] du surplus de ses demandes ;
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;
Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la société IB Beauty International Distribution aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE