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27/02/2020 | FRANCE | N°18/195157

France | France, Cour d'appel de Paris, I7, 27 février 2020, 18/195157


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 27 FÉVRIER 2020

(no 6, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 18/19515 - No Portalis 35L7-V-B7C-B6H4U

Décision déférée à la cour : décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no08-38-17 en date du 13 juillet 2018

REQUÉRANTE :

La société ENEDIS S.A.
Prise en la personne de son président du directoir

e
Ayant son siège social Tour ENEDIS
[...]
[...]

Élisant domicile au cabinet de Me François TEYTAUD
[...]
[...]

Représentée pa...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 27 FÉVRIER 2020

(no 6, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 18/19515 - No Portalis 35L7-V-B7C-B6H4U

Décision déférée à la cour : décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no08-38-17 en date du 13 juillet 2018

REQUÉRANTE :

La société ENEDIS S.A.
Prise en la personne de son président du directoire
Ayant son siège social Tour ENEDIS
[...]
[...]

Élisant domicile au cabinet de Me François TEYTAUD
[...]
[...]

Représentée par Me François TEYTAUD, de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Christine LE BIHAN-GRAF, du cabinet DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, avocat au barreau de PARIS, toque D 0959

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

La société JOUL S.A.S.
ayant comme nom commercial ekWateur
Prise en la personne de son représentant légal
Inscrite au RCS de Paris sous le no 814 450 151
Ayant son siège social au [...]
[...]

Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS VERSAILLES
[...]
[...]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Olivier FRÉGET, de l'AARPI FRÉGET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0261

EN PRÉSENCE DE :

LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
Prise en la personne du Président du Comité de règlement des différends et des sanctions
[...]
[...]

Représentée par Me Karim HAMRI, de la SELARL EARTH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L 259
Assistée de Me Karima KHATRI et de Me Yann-Gaël NICOLAS, de la SELARL EARTH AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : L 259

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 décembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente
– M. Philippe MOLLARD, président de chambre
– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Marie-Gabrielle HARDOIN DE LA REYNERIE

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et qui a fait connaître son avis par écrit

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no 08-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui oppose la société Joul à la société Enedis, relatif à la conclusion d'un contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique ;

Vu la déclaration de recours, contenant un exposé sommaire des moyens, déposée au greffe de la cour par la société Enedis le 22 août 2018 ;
Vu l'exposé complet des moyens déposé au greffe de la cour par la société Enedis le 21 septembre 2018 ;

Vu les observations écrites déposées au greffe de la cour par la société Enedis les 19 février, 1er juillet et 24 septembre 2019 ;

Vu les observations écrites déposées au greffe de la cour par la société Joul les 6 décembre 2018, 21 février, 18 juillet et 24 septembre 2019 ;

Vu les observations écrites de la Commission de régulation de l'énergie déposées au greffe de la cour les 24 janvier et 12 septembre 2019 ;

Vu les avis écrits du ministère public des 21 février et 4 septembre 2019, qui ont été communiqués les mêmes jours aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 19 décembre 2019 en leurs observations orales les conseils des sociétés Enedis et Joul, qui ont été mis en mesure de répliquer, le conseil de la Commission de régulation de l'énergie et le ministère public ;

***

FAITS ET PROCÉDURE

A. Le contexte juridique

1.L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité a conduit à la séparation tant juridique que fonctionnelle des activités de fourniture d'électricité, d'une part, et des activités d'acheminement de cette électricité via les réseaux de transport et de distribution, d'autre part. Seule l'activité de fourniture d'électricité a été ouverte à la concurrence, tandis que la gestion du réseau de distribution d'électricité, qui relève d'un monopole de service public concédé à hauteur de 95 % à la société Enedis, filiale à 100 % de la société EDF, est une activité régulée placée sous le contrôle de la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la « CRE »).

2.Cette séparation des activités de fourniture et de distribution a pour effet d'imposer au client final de conclure deux contrats : un contrat de fourniture avec le fournisseur de son choix, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution (ci-après le « GRD »).

3.Pour faciliter l'exercice par le client final de sa liberté de choix du fournisseur et favoriser la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité, le législateur a instauré la possibilité pour ce client final de conclure avec son fournisseur un contrat unique qui porte tant sur la fourniture que sur la distribution d'électricité, le fournisseur concluant de son côté avec le GRD, pour le compte du client, un contrat permettant l'accès au réseau de distribution. Cette faculté offerte au client final est prévue à l'article L.121-92, devenu L.224-8, du code de la consommation, qui impose au fournisseur d'offrir à son client la possibilité de conclure un contrat unique.

4.Le fournisseur qui conclut un contrat unique gère, pour le compte du GRD, certains aspects de la relation contractuelle entre ce dernier et le client final, utilisateur du réseau, et notamment :

– le choix des paramètres tarifaires : le fournisseur choisit ou relaie les demandes du client final concernant les paramètres du tarif de réseau choisi (option tarifaire, puissance souscrite, etc.), impliquant, le cas échéant, des interventions du GRD sur les compteurs ;
– la facturation : le fournisseur facture au client final le tarif d'accès aux réseaux publics de distribution, pour le compte du gestionnaire de réseau ;

– la gestion et recouvrement des impayés : le fournisseur assure le recouvrement des factures qu'il émet concernant, notamment, les tarifs d'utilisation des réseaux (souscription ou modification des formules tarifaires, accueil téléphonique, facturation et recouvrement des factures relatives à la distribution de l'électricité).

5.Le contrat type conclu entre le GRD et un fournisseur d'électricité, dit « contrat GRD-F », ne prévoyant pas de contrepartie financière à ces prestations, la question de leur rémunération a donné naissance à plusieurs différends entre distributeurs et fournisseurs.

6.Par une délibération du 26 juillet 2012 portant communication relative à la gestion de clients en contrat unique (ci-après la « délibération du 26 juillet 2012 »), la CRE, saisie par les sociétés Direct Énergie et ERDF, a examiné un projet de contrat de prestation de services dit « de gestion de clientèle » proposé par ces dernières pour mettre fin à leur « différend » relatif à la prise en charge, par la société ERDF, des frais de gestion de la clientèle en contrat unique supportés par la société Direct Énergie.

7.La CRE a, par cette délibération, validé un système de régulation qualifié d'asymétrique au profit des fournisseurs nouveaux entrants. Sous certaines conditions liées à l'entrée récente de l'opérateur sur le marché et au désavantage objectif en résultant, ces fournisseurs pouvaient conclure avec la société ERDF un contrat de prestation de gestion de clientèle en contrat unique (ci-après un « CPS »). Ce contrat devait être temporaire et la dissymétrie devait être proportionnée à la différence de situation, afin de corriger le déséquilibre.

8.La CRE a précisé, dans ladite délibération, qu'un tel contrat pouvait être conclu avec d'autres fournisseurs nouveaux entrants placés dans une situation comparable à celle de la société Direct Énergie.

9.Enfin, elle a indiqué que la rémunération versée aux fournisseurs pour la gestion des clients ayant souscrit un contrat unique était de nature à entrer dans le périmètre des charges couvertes par le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (ci-après le « TURPE »), qu'elle examinerait donc, lors de l'élaboration des prochains tarifs, la couverture des montants facturés au GRD dans le cadre d'un CPS et qu'elle auditerait, en tant que de besoin, l'évaluation des coûts présentés par les parties.

10.La société EDRF, devenue Enedis, a conclu six CPS, entre 2012 et 2016.

11.La société GDF Suez, devenue Engie, a formé un recours gracieux contre la délibération du 26 juillet 2012, lequel a été rejeté par une délibération de la CRE du 10 décembre 2014.

12.Cette décision de rejet a été annulée le 13 juillet 2016 par le Conseil d'État (GDF Suez, req. no 388150) lequel a jugé que « les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau ». Il en a déduit qu'en considérant, dans la délibération du 26 juillet 2012, qu'un contrat prévoyant une rémunération versée par le gestionnaire de réseau de distribution à un fournisseur au titre des frais de gestion des clients ayant conclu un contrat unique ne pouvait être que « transitoire », et en en réservant le bénéfice à certains fournisseurs, la CRE a méconnu les dispositions de l'article L.121-92, devenu L.224-8, du code de la consommation.

13.Prenant acte de la décision du Conseil d'État, la CRE a, par une délibération du 12 janvier 2017, abrogé la délibération du 26 juillet 2012, tout en précisant, d'une part, qu'en l'absence de recommandation spécifique ou d'encadrement par la CRE de la rémunération des fournisseurs pour leur part de gestion de clientèle pour le compte des GRD, il appartenait à ces derniers ainsi qu'aux fournisseurs concernés « de déterminer contractuellement le versement au fournisseur d'une compensation financière au titre des coûts qu'il supporte du fait des prestations effectuées pour le compte du GRD » et en indiquant, d'autre part, qu'elle avait engagé des travaux sur les coûts relatifs à la gestion de clientèle des utilisateurs des réseaux de distribution de gaz naturel et d'électricité en contrat unique, et lancé une étude pour leur évaluation.

14.Puis, le 26 octobre 2017, la CRE a adopté deux délibérations :

– la délibération no 2017-236 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT à compter du 1er janvier 2018, par laquelle la CRE a défini et déterminé la composante tarifaire d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique, qui constitue la contrepartie due par les GRD aux fournisseurs au titre de la gestion de clientèle effectuée, à compter du 1er janvier 2018 ;

– la délibération no 2017-239 portant modification de la délibération de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT, par laquelle la CRE a pris en compte, dans le tarif d'utilisation du réseau de distribution, facturé directement au fournisseur, une composante annuelle de gestion dont elle a fixé les niveaux.

15.La loi no 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, a, en son article 13, confirmé le principe d'une rémunération au profit des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle en contrat unique qu'ils accomplissent pour le compte des GRD et précisé que les éléments et le montant de cette rémunération sont fixés par la CRE (art. L.452-3-1 du code de l'énergie pour le gaz, et L.341-4-3 pour l'électricité).

16.Cette loi traite également de la situation antérieure au 1er janvier 2018, période au cours de laquelle certains fournisseurs d'électricité n'ont pas été rémunérés par les GRD pour les frais de gestion de clientèle engagés en lieu et place de ces derniers. L'article L. 452-3-1, II, alinéa 1er, du code de l'énergie, issu de ladite loi, dispose que, « [s]ous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux [...] et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi ».

17.Par une délibération no 2018-011 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT, la CRE a abrogé sa délibération no 2017-236 du 26 octobre 2017 tout en reprenant les mêmes niveaux de la composante tarifaire d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique.

18.Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l'article L.452-3-1, II, alinéa 1er, du code l'énergie, introduites par la loi no 2017-1839 du 30 décembre 2017, précitée, le Conseil Constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution par décision no 2019-776 QPC du 19 avril 2019.

B. La procédure de différend

19.C'est dans ce contexte qu'est intervenu le différend entre la société Joul, fournisseur d'électricité sur le marché de détail depuis le 1er juin 2016, et la société Enedis, les parties étant liées par une convention d'accès au réseau de distribution conclu le 24 février 2016 qui ne prévoit pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle qu'elle met à la charge de la société Joul pour le compte de la société Enedis.

20.Le 7 septembre 2016, la société Joul a demandé à la société Enedis la mise en place d'un CPS et la transmission de sa demande à la CRE.

21.Le 7 octobre 2016, la société Enedis a indiqué à la société Joul avoir transmis sa demande à la CRE pour examen.

22.Le 4 janvier 2017, la société Joul a écrit directement à la CRE lui indiquant être dans l'attente d'une réponse de la part de ses services et soulignant qu'elle remplissait les conditions posées par la délibération du 26 juillet 2012, que le retard dans la conclusion d'un CPS lui était préjudiciable et qu'il créait une discrimination par rapport aux fournisseurs alternatifs bénéficiant d'un tel contrat.

23.Par une lettre du 3 février 2017, la CRE, qui venait d'abroger, par sa délibération du 12 janvier 2017, celle du 26 juillet 2012, a répondu à la société Joul en lui rappelant les termes de cette délibération abrogative.

24.Entre-temps, par une lettre du 23 janvier 2017, la société Joul, qui avait déjà eu connaissance de la délibération abrogative du 12 janvier 2017, a indiqué à la société Enedis qu'il lui appartenait désormais de « rééquilibrer ce contrat », et lui a transmis une estimation des coûts de gestion de clientèle réalisée pour son compte

25.Le 3 mars 2017, la société Joul a renouvelé sa demande auprès de la société Enedis et l'a informée qu'elle allait saisir le Comité de règlement des différends et des sanctions (ci-après « le CoRDiS ») , à défaut d'une réponse avant le 1er avril 2017.

26.Faute de réponse de la société Enedis, la société Joul a, le 4 avril 2017, saisi le CoRDiS auquel elle a demandé de constater que la société Enedis avait enfreint le principe de non-discrimination et de la rétablir dans ses droits en enjoignant à la société Enedis de lui transmettre un projet de CPS équivalent aux contrats déjà signés avec d'autres fournisseurs et prévoyant une rémunération proportionnelle et équitable.

27.Par décision no 08-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui oppose la société Joul à la société Enedis, relatif à la conclusion d'un contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique (ci-après la « décision attaquée »), le CoRDiS a, d'une part, dit que « [l]a société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire prévu à l'article L. 322-8 du code de l'énergie en refusant de faire droit à la demande de la société Joul du 7 septembre 2016 tendant à l'octroi d'une rémunération au titre des prestations fournies pour son compte, tandis que d'autres fournisseurs en bénéficiaient conformément à l'article L. 224-8 du code de la consommation » (article 1er de la décision attaquée).

28.Le CoRDiS a en effet retenu qu'aux termes de la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016, tout fournisseur a droit à une rémunération au titre des coûts financés par lui pour le compte du gestionnaire de réseau, que la société Joul avait donc droit à une rémunération au titre des prestations fournies pour le compte de la société Enedis et que, dès lors, en refusant de faire droit à la demande de la société Joul du 7 septembre 2016 tendant au versement d'une rémunération, alors qu'il ressortait de l'instruction qu'à cette date, six autres fournisseurs en bénéficiaient, la société Enedis avait méconnu son obligation de traitement non discriminatoire au sens de l'article L. 322-8 du code de l'énergie.

29.Il a ajouté que la circonstance que le montant de cette rémunération n'était pas fixé par la CRE était inopérante, dès lors que l'obligation pour la société Enedis de rémunérer les fournisseurs découlait de la loi, qu'elle avait été confirmée par le Conseil d'État, dans sa décision du 13 juillet 2016, et que la délibération du 12 janvier 2017 avait expressément prévu qu'en l'absence de recommandation spécifique ou d'encadrement par la CRE de cette rémunération, il appartenait aux GRD et aux fournisseurs concernés de déterminer contractuellement le versement au fournisseur d'une compensation financière au titre des coûts qu'il supporte du fait des prestations effectuées pour le compte du GRD.

30.Le CoRDiS a rejeté le surplus des demandes de la société Joul (article 2 de la décision attaquée) en considérant qu'elles se heurtaient aux dispositions de validation de l'article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie, tout en constatant par ailleurs que la rémunération définie par la CRE dans sa délibération du 18 janvier 2018 avait été intégrée dans le contrat liant la société Enedis à la société Joul, et que cette dernière bénéficiait d'une rémunération depuis le 1er janvier 2018.

C. La procédure devant la cour

31.Par déclaration enregistrée au greffe le 22 août 2018, la Société Enedis, à qui la décision attaquée a été notifiée le 24 juillet 2018, a formé un recours à l'encontre de cette décision, demandant à la cour d'annuler, subsidiairement de réformer, son article 1er et, statuant à nouveau, de dire qu'elle n'a commis aucun manquement à l'obligation de traitement non discriminatoire des fournisseurs.

32.Par ses observations écrites déposées au greffe de la cour les 6 décembre 2018, 21 février, 18 juillet et 24 septembre 2019, la société Joul demande à la cour, à titre principal, de mettre fin à la situation discriminatoire qu'elle subit en enjoignant à la société Enedis de lui communiquer, sous astreinte de 5000 euros par jours de retard à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir, un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs, avec comme point de départ le 1er juin 2016.

33.A titre subsidiaire, elle conclut à l'inconventionnalité de l'article L.452-3-1 du code de l'énergie au regard de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'amendé par le Protocole no 11, et demande, en conséquence, à la cour de laisser inappliqué l'article L.452-3-1 du code de l'énergie et de mettre fin à la situation discriminatoire qu'elle subit en enjoignant à la société Enedis de lui communiquer, sous astreinte, un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs, avec comme point de départ le 1er juin 2016.

34.A titre très subsidiaire, elle demande à la cour de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles portant sur l'interprétation des dispositions du droit de l'Union européenne précitées et de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir.

35.En tout état de cause, la société Joul conclut au rejet du recours de la société Enedis et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

36.La CRE considère que le recours formé par la société Enedis doit être rejeté, que « le recours » formé par la société Joul est irrecevable, comme tardif. À titre subsidiaire, elle fait valoir, sur le fond, que doivent être rejetées les demandes de la société Joul tirées de la non-conformité de l'article L.452-3-1 du code de l'énergie avec le droit de l'Union européenne et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

37.Le ministère public conclut que le recours formé par la société Enedis doit être rejeté et que la demande de réformation présentée par la société Joul est irrecevable, comme tardive.

MOTIVATION

I. SUR LE RECOURS DE LA SOCIÉTÉ ENEDIS

38.Au soutien de son recours, la société Enedis reproche au CoRDiS d'avoir commis :

– une erreur de droit en considérant qu'elle devait proposer une rémunération à la société Joul en l'absence d'intervention du régulateur pour en déterminer les modalités ;

– une erreur de droit en omettant de vérifier que les fournisseurs bénéficiant d'un CPS au 7 septembre 2016 étaient placés dans la même situation que la société Joul ;

– une erreur d'appréciation des faits en ne relevant pas que les fournisseurs bénéficiant d'une rémunération au 7 septembre 2016 étaient dans une situation différente de celle de la société Joul.

39.Elle fait valoir que ces erreurs justifient d'autant plus la réformation de l'article 1er de la décision du CoRDiS que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la disposition législative ayant pour objet de valider, pour le passé, les contrats litigieux.

40.Elle reproche encore au CoRDiS d'avoir manqué à son obligation de répondre aux moyens soulevés par elle et commis une erreur de droit en refusant implicitement de faire droit à sa demande tendant à l'application des délibérations no 2017-239 du 26 octobre 2017 et du 18 janvier 2018.

41.La société Joul répond qu'à la date de sa demande de conclusion d'un CPS, aucune disposition réglementaire ou législative n'imposait au régulateur de fixer les modalités de rémunération des fournisseurs due par le GRD, et qu'une telle obligation ne pouvait pas davantage résulter de la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016. Elle ajoute que la CRE, dans sa délibération du 26 juillet 2012, n'a jamais validé a priori le tarif le tarif convenu dans le CPS que les sociétés Enedis et Direct Énergie se proposaient de conclure, mais s'est bornée à prendre acte de l'accord négocié entre ces parties, et que la délibération du 17 novembre 2016 relative au TURPE est intervenue postérieurement à sa demande de conclusion de CPS.

42.Elle fait valoir que la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016, qui ne remet pas en cause son droit à rémunération, mais qui, bien au contraire, le consacre, n'interdisait pas à la société Enedis de lui proposer un contrat prévoyant une rémunération, et que cette dernière en avait même l'obligation depuis la délibération du 12 janvier 2017, qui a dit que le GRD devait déterminer contractuellement la rémunération à verser aux fournisseurs. Elle soutient, dès lors, qu'elle a bien subi une discrimination de la part de la société Enedis, au moins vis-à-vis des six fournisseurs bénéficiant d'une rémunération à la date du 7 septembre 2016.

43.La CRE expose qu'antérieurement à la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016, la société Enedis rémunérait certains fournisseurs sans que la CRE n'ait défini ni la méthode ni le niveau de cette rémunération, la délibération du 26 juillet 2012 ne s'étant prononcée que sur les conditions à respecter pour qu'un fournisseur nouvel entrant puisse prétendre à la conclusion d'un CPS le rémunérant.
44.Elle estime que ladite décision du Conseil d'Etat n'ayant annulé le refus de la CRE d'abroger la délibération du 26 juillet 2012 qu'en ce que celle-ci proposait le bénéfice d'une rémunération aux seuls fournisseurs entrants et à titre temporaire, a ainsi consacré le droit pour tous les fournisseurs de conclure un CPS avec les GRD, de sorte qu'elle ne saurait justifier le fait que la société Joul aurait été dans une situation différente de celle des autres fournisseurs. La CRE en conclut que la différence de traitement résultant du refus d'Enedis de conclure un CPS avec la société Joul n'est pas justifiée par une différence de situation.

***

Sur ce, la cour :

45.Aux termes de l'article L.452-3-1, II, alinéa 1er, du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2017, « [s]ous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution mentionnés à l'article L. 111-52 du code de l'énergie et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi. »

46.Cette disposition, en vigueur à la date à laquelle le CoRDiS s'est prononcé sur le différend opposant la société Enedis à la société Joul, a eu pour effet de valider la convention d'accès au réseau conclu entre elles le 24 février 2016 en ce que cette convention ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle en contrat unique qu'elle mettait à la charge du fournisseur pour le compte de la société Enedis.

47.Il en résulte qu'à la date à laquelle le CoRDiS a tranché le différend, la société Joul ne pouvait plus prétendre à la conclusion d'un CPS aux fins d'être rémunérée des prestations de gestion de clientèle qu'elle avait fournies à la société Enedis avant le 1er janvier 2018, et n'était plus fondée à invoquer, pour obtenir la conclusion de ce contrat, la discrimination qu'elle prétendait subir du fait de l'absence de rémunération.

48.Il s'ensuit que le CoRDiS a commis une erreur de droit en accueillant le moyen pris du manquement de la société Enedis à son obligation de traitement non discriminatoire que la société Joul avait présenté au soutien de sa demande de conclusion de CPS.

49.Il y a donc lieu, pour ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée, et statuant à nouveau, par l'effet dévolutif du recours, de rejeter le moyen de la société Joul tendant à faire constater que la société Enedis a manqué à son obligation de traitement non discriminatoire.

II. SUR LES DEMANDES DE LA SOCIÉTÉ JOUL

50.La société Joul demande à la cour, à titre principal, d'enjoindre à la société Enedis de lui communiquer un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs.

51.La société Enedis conclut à l'irrecevabilité de cette demande en ce qu'elle excède le recours formé par elle contre la décision du CoRDiS et n'a pas été formée dans le délai imparti à l'article R.134-22 du code de l'énergie. Elle en déduit l'irrecevabilité des demandes subsidiaires tendant, l'une, à voir juger inconventionnelles les dispositions de l'article L.452-3-1 du code de l'énergie, l'autre, à la transmission d'une question préjudicielle.

52.La société Joul réplique que sa demande est recevable en faisant valoir d'une part, qu'elle l'avait déjà présentée devant le CoRDiS et qu'elle présente un lien étroit avec le grief fait à la société Enedis d'avoir méconnu le principe de non-discrimination, lequel a été jugé fondé par le CoRDiS, ce qui a motivé le recours d'Enedis, et, d'autre part, que l'irrecevabilité a été soulevée tardivement alors que la société Enedis a admis l'intervention de la société Joul devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité no 2019-776 et, partant, a reconnu son intérêt au succès de cette question, ce qui implique nécessairement qu'elle a reconnu que la société Joul pouvait, en cas d'annulation de la disposition contestée, obtenir la réformation de la décision déférée.

***

Sur ce, la cour :

53.Aux termes de l'article L.134-21 du code l'énergie, les décisions prises par le CoRDiS sont susceptibles d'un recours en annulation ou en réformation, lequel, précise l'article L.134-24 du même code, est de la compétence de la cour d'appel de Paris.

54.Selon l'article R.134-21 du code de l'énergie, ces recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du présent titre, par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, dispositions qui régissent la procédure d'appel.

55.L'article R.134-22 du même code dispose :

« Le recours est formé dans le délai d'un mois par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé. A peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. S'agissant du recours dirigé contre les décisions du comité de règlement des différends et des sanctions autres que les mesures conservatoires, l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration. »

56.Il résulte de ces dispositions, qui visent toutes un recours, et non un appel, et qui excluent expressément l'application de la procédure d'appel, que les décisions prises par le CoRDiS ne peuvent être contestées que par la voie du recours spécifique qu'elles prévoient.

57.Dès lors, le défendeur à un recours ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief qu'à la condition d'avoir formé lui-même un recours dans les formes et délai prescrits aux articles R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie.

58.Les demandes de la société Joul tendant à la réformation de l'article 2 de la décision attaquée sont donc irrecevables, en application des dispositions de l'article R. 134-22 du code de l'énergie dont la société Joul ne discute ni l'application ni les conséquences, tant en ce qu'elles ont été présentées par voie d'observations en défense qu'en ce qu'elles ont été déposées le 8 décembre 2018, soit au-delà du délai d'un mois prévu pour exercer un recours contre les décisions du CoRDiS.

59.La circonstance que la société Enedis n'a pas contesté l'intervention volontaire de la société Joul devant le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de validation figurant à l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, question posée dans le cadre d'un litige opposant la société Enedis à un autre fournisseur, est inopérante à établir la renonciation de cette dernière à se prévaloir, dans la présente procédure, de l'irrecevabilité des demandes de la société Joul faites en violation des formes et délai prescrits.

60.En conséquence de l'irrecevabilité de la demande principale de la société Joul, il n'y a pas lieu d'examiner les moyens pris de l'applicabilité au litige ou de l'inconventionnalité de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, ni la demande subsidiaire tendant à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un renvoi préjudiciel.
III. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

61.La société Joul, succombant, sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

62.L'équité commande de rejeter également la demande de la société Enedis fondée sur le même article.

PAR CES MOTIFS

ANNULE l'article 1er de la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no 08-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui oppose la société Joul à la société Enedis, relatif à la conclusion d'un contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique ;

Statuant à nouveau,

REJETTE le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire ;

DÉCLARE irrecevables les demandes de la société Joul ;

REJETTE les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Joul aux dépens du recours.

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,

Agnès MAITREPIERRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : I7
Numéro d'arrêt : 18/195157
Date de la décision : 27/02/2020
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2020-02-27;18.195157 ?
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