Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 3
ARRÊT DU 17 FÉVRIER 2020
(n° 2020 / 31 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07108 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7UTU
Saisine sur renvoi après cassation par un arrêt rendu le 7 mars 2019 par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation - Pourvoi N°17-27139, ayant cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt du 6 juillet 2017 rendu par la Cour d'appel de PARIS - RG n° 19/07108 - ayant statué sur l'appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL rendu le 16 décembre 2015 - RG n° 15/00509.
DEMANDEUR A LA SAISINE
LE FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERROR ISME ET D'AUTRES INFRACTIONS Le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, représenté par son Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
assisté de Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, toque P 124
DEFENDEUR A LA SAISINE
Monsieur [S] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 3]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 2] (Bouches du Rhône)
représenté par Me Mario-Pierre STASI de la SELARL OBADIA - STASI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1986
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Décembre 2019, en audience publique, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport, Mme Clarisse GRILLON, conseillère et Mme Nadège BOSSARD, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Mme Clarisse GRILLON, Conseillère
Mme Nadège BOSSARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 03 février 2020, prorogé au 17 février 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Laure POUPET, greffière présente lors du prononcé.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, au Niger, M. [S] [Y], employé de la société Sogea Satom exploitant une mine d'uranium, a été enlevé par un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Il est demeuré l'otage de ce groupe jusqu'au 29 octobre 2013.
A sa libération, son employeur, la société Sogea Satom, filiale du groupe Vinci, lui a versé une somme de 200 000 €.
Par jugement du 16 décembre 2015 (instance n° 15/06177), le tribunal de grande instance de Créteil a :
dit que la somme de 200 000 € versée le 17 décembre 2013 par la société Sogea Satom à M. [Y] n'a pas vocation à être déduite de l'indemnisation qui lui est due par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions en application des articles L.126-1 et L.422-1 du code des assurances,
condamné le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à verser à M. [S] [Y] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens de l'instance, qui peuvent être recouvrés directement par la SELARL Montpensier en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur appel interjeté par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, la présente cour d'appel de Paris a, par arrêt du 6 juillet 2017 :
infirmé en toutes ses dispositions le jugement du 16 décembre 2015, et, statuant à nouveau,
dit que la somme de 200 000 € versée par la société Sogea Satom à M. [S] [Y] est indemnitaire,
débouté M. [S] [Y] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé les dépens tant de première instance que d'appel à la charge de M. [S] [Y].
Sur pourvoi formé par M. [S] [Y], la Cour de cassation a, par arrêt du 7 mars 2019, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt du 6 juillet 2017, considérant que la cour d'appel a privé sa décision de base légale en n'ayant pas précisé à quel titre la société Sogea Satom, dont l'intention libérale était alléguée, se trouvait tenue de verser la somme litigieuse à son salarié.
Sur déclaration de saisine du 1er avril 2019 et selon dernières conclusions notifiées le 4 novembre 2019, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) demande à la cour de :
dire et juger que l'obligation naturelle dont s'est reconnue unilatéralement redevable Sogea Satom, par son exécution, s'est transformée en obligation civile,
par conséquent, dire et juger que la somme de 200 000 € versée par l'employeur de M. [Y] en décembre 2013 s'analyse comme une indemnité à caractère indemnitaire visant à réparer les préjudices du demandeur trouvant leur source dans la relation contractuelle employeur/salarié obligeant Sogea Satom à compensation financière,
dire et juger que l'indemnité de 200 000 €, dénuée de tout caractère libéral, doit être déduite de l'indemnisation qui sera versée par le FGTI à M. [Y],
réformer le jugement entrepris en ce qu'il a également condamné le FGTI à payer à M. [Y] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,
rejeter toutes demandes de ces chefs.
Selon dernières conclusions notifiées le 15 novembre 2019, M. [S] [Y] demande à la cour de :
dire et juger que la société Sogea Satom n'était pas tenue de lui verser la somme de 200 000 €,
dire et juger que la somme versée le 17 décembre 2013 ne présentait pas un caractère indemnitaire déductible en application de l'article R.422-8 du code des assurances,
dire et juger que la somme de 200 000 € versée le 17 décembre 2013 n'a pas vocation à être déduite de l'indemnisation due à M. [S] [Y] par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions,
en conséquence, confirmer le jugement du 16 décembre 2015 en toutes ses dispositions,
condamner le FGTI à verser à M. [S] [Y] la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner le FGTI aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 novembre 2019.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Le tribunal a retenu que la somme versée par la société Sogea Satom, à titre compassionnel, ne visait pas à réparer un préjudice de même nature que celui devant être réparé par le FGTI et s'analysait en une libéralité, cette société n'ayant jamais indiqué qu'il s'agissait d'un acompte sur des indemnités dont elle pourrait être débitrice envers M. [Y].
Le FGTI soutient :
- en premier lieu, que le caractère indemnitaire de la somme versée est établi et n'a pas été remis en cause par l'arrêt de la Cour de cassation, puisqu'elle a pour but de compenser et réparer le dommage subi par M. [Y] du fait de sa rétention subie dans le cadre de son emploi salarié, ainsi que l'employeur l'a clairement admis dans ses lettres des 17 décembre 2013 et 22 août 2014, et que cette indemnité n'est pas indépendante du préjudice subi, le FGTI allouant une indemnité réparant le préjudice de rétention,
- en deuxième lieu, qu'il ne peut s'agir d'une libéralité au sens de l'article 893 du code civil puisque l'employeur a procédé à une 'réparation', ayant une obligation légale à ce titre puisque sa responsabilité était susceptible d'être recherchée au titre de son obligation de résultat en matière de sécurité de ses employés, telle que prévue par l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, que dès avant que la société Sogea Satom ne prenne l'initiative de verser cette somme, la presse s'était fait l'écho de la défaillance éventuelle de la sécurité mise en place par les employeurs des otages, et que l'intention de l'employeur ne peut être qualifiée de libérale et son geste de désintéressé tant son but évident était d'éviter une action en responsabilité à son encontre,
- en troisième lieu, que la société Sogea Satom a versé à M. [Y] l'indemnité litigieuse de 200 000 € en vertu d'une obligation naturelle, ayant versé une somme d'argent afin de remplir un devoir impérieux de conscience et d'honneur, dont elle s'est reconnue unilatéralement redevable et qui s'est transformée en obligation civile par sa promesse d'exécution (page 13 des conclusions) ou son exécution (page 15),
- en quatrième lieu, qu'il ne peut s'agir, en raison de l'importance du montant de la somme versée, d'une gratification versée en supplément du salaire et relevant du droit social.
M. [Y] soutient :
d'une part,
- que la société Sogea Satom n'était tenue d'aucune obligation de paiement ou de réparation envers lui,
- qu'ainsi, elle n'était tenue d'aucune obligation de résultat en matière de sécurité de ses employés, en l'absence de reconnaissance préalable d'une faute inexcusable de l'employeur selon un protocole d'accord ou une décision de justice ou d'une quelconque renonciation à agir en justice,
- que l'obligation naturelle invoquée par le FGTI n'était susceptible d'aucune exécution forcée et qu'à supposer qu'elle soit débitrice d'une telle obligation, elle n'était pas 'tenue de verser la somme litigieuse à son salarié',
d'autre part,
- que la somme versée discrétionnairement procède d'un geste spontané effectué par solidarité et ne présente aucun caractère indemnitaire,
- que la somme de 200 000 € était forfaitaire et a été versée suivant des modalités indépendantes de celle de la réparation du préjudice selon le droit commun, et sans référence à un poste de préjudice particulier, de sorte qu'elle n'est pas déductible de l'indemnisation due par le FGTI au sens de l'article R.422-8 du code des assurances.
D'une part, selon l'article L.126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L.422-1 à L.422-3.
D'autre part, l'alinéa 1er de l'article L.422-1 du code des assurances énonce que, pour l'application de l'article L.126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Enfin, aux termes de l'article R.422-8 du code des assurances :
'L'offre d'indemnisation des dommages résultant d'une atteinte à la personne faite à la victime d'un acte de terrorisme indique l'évaluation retenue par le fonds pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice.'
La société Sogea Satom, employeur de M. [Y], lui a adressé la lettre suivante, datée du 17 décembre 2013 :
'L'ensemble de l'entreprise a eu l'occasion de vous témoigner la joie qui fut celle de tous ses membres lors de votre retour qui a marqué la fin de votre séquestration.
Si vos proches sont certainement les plus à même de vous apporter la chaleur du retour à la liberté, l'entreprise souhaite aussi vous accompagner.
Vous savez que vous avez bien entendu toute votre place au sein de notre groupe.
Mais au-delà, et comme nous vous l'avons dit lors de notre dernière entrevue, nous avons décidé de vous accorder la somme de deux cents mille euros en réparation des conséquences de votre captivité pour vous et votre famille.
Nous voudrions que vous preniez ce geste spontané comme la preuve de notre entière solidarité et de notre volonté de vous accompagner dans votre retour à la liberté. [...]'
Etait ajoutée de manière manuscrite à cette lettre signée du président de la société la mention :
'[S], avec toute mon admiration et respect pour ton courage inimaginable.'
Interrogé par le FGTI sur les sommes versées à M. [Y], la société Sogea Satom a indiqué, par lettre du 22 août 2014 :
'En réponse à votre demande, nous vous confirmons avoir versé au titre des salaires et indemnités d'expatriation, la somme de 200 231,03 € [...]. Nous lui avons également versé une indemnité d'un montant de 200 000 € en réparation des conséquences de sa captivité pour lui et sa famille.'
Par lettre du 4 août 2015, la société Sogea Satom a apporté au conseil de M. [Y] lui demandant de 'confirmer que la somme forfaitaire de 200 000 € correspondait à une gratification bénévole n'acceptant aucune autre cause que l'intention libérale' la réponse suivante :
'... Nous vous confirmons que l'indemnité que nous avons versée à M. [S] [Y] est une indemnité compassionnelle spontanée que nous avons décidé de lui accorder ainsi qu'à sa famille afin, comme vous le relevez, de faciliter son retour à la liberté.'
L'article R.422-8 du code des assurances pose en principe que sont déductibles des indemnités allouées par le FGTI toutes sommes dues, au titre de l'indemnisation du préjudice subi, par un débiteur d'indemnité.
Pour que la somme litigieuse versée soit déductible en application de ce texte, il appartient au FGTI de rapporter la preuve que la société Sogea Satom était obligée au paiement d'une indemnité.
Sollicitant l'infirmation du jugement qui a qualifié le versement litigieux de libéralité, le FGTI soutient que l'employeur était tenu de verser une indemnité, à titre principal en vertu de l'obligation de sécurité dont il était tenu envers son salarié, et à titre subsidiaire en vertu d'une obligation naturelle.
S'agissant de la responsabilité civile de l'employeur qui n'aurait pas dû envoyer son salarié dans une zone à risque, aucune preuve n'est rapportée que la société Sogea Satom ait reconnu un quelconque manquement à son obligation de sécurité, ni que celle-ci ait été mise en cause ne serait-ce que de manière non contentieuse.
Aucune action civile ou pénale n'a été engagée par M. [Y] à l'encontre de la société Sogea Satom, comme précisé par cette dernière au FGTI dans sa lettre du 22 août 2014, et la remise de la somme litigieuse ne s'est accompagnée d'aucune renonciation à une action en responsabilité à son encontre.
De plus, le beau-frère de M. [Y], dans un article du journal Le Monde publié en juin 2013, a indiqué au sujet de la plainte déposée par la famille [U] à l'encontre de la société Areva et de sa filiale Sogea Satom, qu'elle 'n'était pas portée par l'ensemble de la famille [U]' et surtout que 'les autres familles étaient mobilisées actuellement uniquement pour les ramener'.
Enfin, la plainte que M. [Y] a déposée le 20 janvier 2016 pour complicité de séquestration et non-assistance à personne en danger est déposée contre X et non contre son employeur, accusant de hauts fonctionnaires français d'avoir retardé sa libération (pièce 46 du FGTI).
S'agissant de l'obligation naturelle invoquée, définie comme le fait pour une personne de s'obliger envers une autre personne ou lui verser une somme d'argent non sous l'impulsion d'une intention libérale mais afin de remplir un devoir impérieux de conscience et d'honneur, son existence n'est pas plus démontrée par le FGTI qui pose seulement le postulat de son existence pour en tirer des conséquences juridiques.
En effet, si le président de la société Sogea Satom a souhaité expliquer en personne à son salarié, en écrivant de sa main qu'il admirait son courage, vouloir 'réparer les conséquences de sa captivité', il a qualifié son action de 'geste spontané' à prendre 'comme la preuve de [son] entière solidarité et de [sa] volonté de [l'] accompagner dans [son] retour à la liberté', et qualifié la somme versée d''indemnité compassionnelle spontanée', termes qui ne témoignent aucunement de l'accomplissement d'un devoir impérieux de conscience mais caractérisent une intention libérale.
En conséquence, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a jugé que la somme de 200 000 € versée par la société Sogea Satom n'est pas déductible de l'indemnisation due par le FGTI.
Conformément aux dispositions de l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridiction du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée. Ceux-ci sont mis à la charge de l'Etat et le FGTI sera condamné à lui payer la somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a mis les dépens de première instance à la charge du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions,
Condamne l'Etat aux dépens exposés devant les juridictions du fond y compris ceux afférents à la décision cassée,
Condamne le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à M. [S] [Y] la somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE