La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/02/2020 | FRANCE | N°18/28155

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 06 février 2020, 18/28155


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 06 FÉVRIER 2020



SUR RENVOI APRÈS CASSATION



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28155 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B65QQ



Suite à un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 décembre 2018 (Pourvoi n° Z 17-25.850) prononçant la cassation d'un arrêt rendu le 06 juillet 2017 par la

cour d'appel de PARIS(Pôle 5 - chambre 5) sous le n° RG 15/21251 sur appel d'un jugement rendu le 1er octobre 2015 par le tribunal de commerce de PARIS (n° RG 2013045777)
...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 06 FÉVRIER 2020

SUR RENVOI APRÈS CASSATION

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28155 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B65QQ

Suite à un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 décembre 2018 (Pourvoi n° Z 17-25.850) prononçant la cassation d'un arrêt rendu le 06 juillet 2017 par la cour d'appel de PARIS(Pôle 5 - chambre 5) sous le n° RG 15/21251 sur appel d'un jugement rendu le 1er octobre 2015 par le tribunal de commerce de PARIS (n° RG 2013045777)

DEMANDEURS A LA SAISINE

Monsieur [R] [J]

Demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4]

Né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8] (MORBIHAN)

Représenté par Me Jean-Christophe HYEST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0672

Madame [V] [K] épouse [J]

Demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4]

Né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 7]

Représentée par Me Jean-Christophe HYEST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0672

SARL GB COIFFURE

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 423 353 226

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jean-Christophe HYEST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0672

DÉFENDERESSE A LA SAISINE

SAS FRANCE EXPERTISE COMPTABLE

Ayant son siège socail [Adresse 6]

[Adresse 6]

N° SIRET : 950 023 929

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Sylvie CHARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0079

Ayant pour avocat plaidant Me Maxime DELHOMME, avocat au barreau de PARIS, toque : P94

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 octobre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre, chargée du rapport

Mme Camille LIGNIERES, conseillère

M. Stanislas DE CHERGE, conseiller appelé d'une autre chambre afin de compléter la cour en application de l'article R.312-3 du code de l'organisation judiciaire

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l'audience par Mme PRIGENT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre et par Mme Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

Monsieur [R] [J], était gérant de la société GB Coiffure exploitant un salon de coiffure depuis 1999 sous le nom de "coiffure et nature" sis [Adresse 2].

La société France Expertise Comptable est l'expert-comptable de la société GB Coiffure depuis sa création.

En date du 12 août 1999, une lettre de mission générale a été signée entre les parties, comportant une mission principale de tenue de comptabilité et présentation des comptes annuels, incluant l'établissement de "simulations intermédiaires" et "d'études prévisionnelles". Aucune autre lettre de mission n'a été signée.

Fin 2007, les époux [J] ont formé le projet d'acquérir un second fonds de commerce en vue de l'exploitation par la société GB Coiffure d'un institut de soin-spa, complément du salon de coiffure. La société France Expertise Comptable a établi à la demande la société GB Coiffure un plan de financement et des comptes prévisionnels pour cette nouvelle exploitation intitulée "soins et nature".

En date du 21 novembre 2007, la société GB Coiffure a acquis à cette fin le fonds de commerce sis [Adresse 5] pour un prix de 125.000 euros.

En date du 23 octobre 2008, la société GB Coiffure a contracté un emprunt d'un montant de 560.000 euros pour financer l'achat dudit fonds de commerce, les travaux et les frais de lancement de l'activité, emprunt dont les époux [J] se sont portés cautions solidaires.

L'activité s'est rapidement révélée être largement déficitaire. Les époux [J] ont dû vendre leur appartement et ont remboursé l'avant de 120.000 euros que leur avait consentie la Bred et le fonds de commerce a été revendu pour un montant de 105.000 euros en date du 19 décembre 2011.

Estimant que la société France Expertise Comptable avait commis une faute dans l'établissement des comptes prévisionnels, par acte en date du 17 juillet 2013, Monsieur [R] [J], Madame [V] [K], épouse, [J], et la société GB Coiffures ont assigné la société France Expertise Comptable devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir une indemnisation pour les pertes subies.

Par jugement contradictoire rendu le 1er octobre 2015, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société GB Coiffure Bastille et M. [R] [J] et Mme [V] [K], épouse [J] de toutes leurs demandes,

- condamné solidairement la société GB Coiffure Bastille et M. [R] [J] et Mme [V] [K], épouse [J] à payer à la société France Expertise Comptable la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement la société GB Coiffure Bastille et M. [R] [J] et Mme [V] [K], épouse [J] aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 129,24 euros dont 21,32 euros de TVA.

La société GB Coiffure Bastille et M. [R] [J] et Mme [V] [K], épouse [J] ont interjeté appel du jugement le 23 octobre 2015.

Par arrêt contradictoire rendu le 6 juillet 2017, la cour d'appel de Paris a :

- confirmé, par motifs propres, le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dit n'y avoir lieu à allouer une indemnisation complémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société GB Coiffure et Monsieur et Madame [J] en tous les dépens.

Par arrêt rendu le 12 décembre 2018, la Cour de cassation sur le pourvoi formé par les époux [J] et la société GB Coiffure a :

- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remis en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait de droit, les a renvoyé devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

- condamné la société France Expertise Comptable aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté sa demande et condamné à payer à Monsieur et Madame [J] et à la société GB Coiffure la somme globale de 3.000 euros.

Par déclaration du 17 décembre 2018, Monsieur [R] [J], Madame [V] [K], épouse [J], et la société GB Coiffure ont saisi la cour d'appel de Paris.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 06 juin 2019, Monsieur [R] [J], Madame [V] [K], épouse [J], et la société GB Coiffure demandent à la cour de :

Vu l'ordonnance du 19 septembre 1945, le code des devoirs professionnels et les normes générales de comportement applicables à la profession d'expert-comptable,

Vu la jurisprudence précitée,

En application des articles 1134, 1147 et suivants (anciens - applicables au cas d'espèce) en ce qui concerne les demandes de la société GB Coiffure,

En application des articles 1382 et suivants (anciens - applicables au cas d'espèce) en ce qui concerne les demandes des consorts [J],

- recevoir les consorts [J] et la société GB Coiffure en leur présente action et les y déclarés bien fondés,

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- constater que la société France Expertise Comptable a commis une faute lors de l'établissement des données prévisionnelles et du plan de financement de l'institut soins et spa "soins et nature" sis [Adresse 5],

A titre principal,

- condamner par conséquent la société France Expertise Comptable à payer à Monsieur et Madame [J] la somme de 201.155 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société France Expertise Comptable à payer à la société GB Coiffure la somme de 591.839 euros à titre de dommages et intérêts,

A titre subsidiaire,

Si la cour devait requalifier le préjudice en perte de chance de ne pas contracter,

- condamner par conséquent la société France Expertise Comptable à payer à Monsieur et Madame [J] la somme de 160.924 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société France Expertise Comptable à payer à la société GB Coiffure la somme de 473.471 euros à titre de dommages et intérêts, soit 80% du préjudice subi,

En tout état de cause,

- condamner la société France Expertise Comptable à payer à la société GB Coiffure, Monsieur et Madame [J] la somme de 20.000 euros du code de procédure civile (sic),

- condamner la société France Expertise Comptable aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 7 septembre 2019, la société France Expertise Comptable, intimée, demande à la cour de:

Vu le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 1er octobre 2015,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de paris le 6 juillet 2017,

Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2018,

Vu l'article 1147 du code civil en vigueur au moment des faits,

Vu le référenciel normatif des professionnels de l'expertise-comptable,

Vu les pièces produites aux débats et la jurisprudence citée,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 1er octobre 2015 (RG 2013045777),

- juger, en conséquence, qu'aucune faute professionnelle n'est rapportée contre la société France Expertise Comptable, pas plus qu'un lien de causalité entre les griefs émis et les préjudices invoqués,

- débouter ainsi la société GB Coiffure, Monsieur [R] [J] et Madame [V] [K] épouse [J], de l'ensemble de leurs moyens, demandes et conclusions,

- condamner la société GB Coiffure, Monsieur [R] [J] et Madame [V] [K] épouse [J] à verser à la société France Expertise Comptable la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la procédure d'appel, dont distraction au profit de Maître Sylvie Chardin, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455du code de procédure civile.

***

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité de la société d'expertise comptable

Les consorts [J] et la société GB Coiffure font valoir que :

-la société France Expertise Conseil n'a pas fait signer à la société GB Coiffure de lettre de mission spécifique comme cela est normalement d'usage, alors que cette mission dépassait le cadre contractuel issu de la lettre de mission initiale entre les parties ;

-la société France Expertise Comptable n'a pas pris en compte, lors de la rédaction du bilan prévisionnel, l'activité de coiffure en plus de celle de l'institut de beauté et lors de l'établissement du plan de financement, le coût des achats de marchandises à réaliser en vue de l'ouverture de l'institut, de sorte que l'emprunt contracté ne correspond pas aux montant total du projet ; d'autant que l'activité avait besoin d'une trésorerie de 30.000 euros ou 40.000 euros par mois pour supporter les coûts des salaires et les achats de marchandise ;

- le travail fourni ne peut s'analyser en un plan de financement, lequel aurait mis en exergue le caractère précaire de l'équilibre financier du projet ;

-le compte de résultat prévisionnel ne s'appuie sur aucun document ou étude de marché extérieurs, de sorte que la société France Expertise Comptable a manqué à ses obligations en ne demandant pas à sa cocontactante, la société GB Coiffure, qu'elle lui fournisse les documents permettant d'étayer les données prévisionnelles, de sorte que cette dernière n'a pas été mise à même d'apprécier les choix effectués par la direction ;

-la société intimée à manqué à son obligation de conseil en ne procédant pas aux vérifications minimales de l'état du marché de l'esthétique, dans la mesure où les hypothèses retenues en termes de chiffre d'affaires prévisionnels étaient au-delà des normes sectorielles alors que ce même marché est ralenti depuis plusieurs années ;

-les éléments retenus dans les prévisionnels n'ont pas été unilatéralement fixés par Monsieur [J], et font valoir au contraire que si Monsieur [J] a avancé des chiffres, la crédibilité de ces derniers n'a pas été vérifiée par la société intimée, de sorte qu'elle a laissé son cocontractant dans l'ignorance du potentiel de rentabilité du fonds acquis ;

-la non-immixtion de l'expert-comptable dans la gestion de l'entreprise et la prise de risque afférente à toute acquisition de fonds de commerce ne prive pas ce dernier de l'obligation de respecter son obligation de conseil, inhérente à sa mission d'expert-comptable, de sorte qu'il aurait au moins dû émettre une réserve sur la réalisation d'un chiffre d'affaires de 450.000/500.000 euros.

La société France Expertise Comptable répond que :

- l'expert comptable n'a pas vocation à savoir si un commerce pouvait ou non trouver sa clientèle, cette analyse relevant de la responsabilité de l'entrepreneur ;

-elle n'était tenue que d'une mission d'assistance dans l'établissement des comptes prévisionnels sur la base d'hypothèses fournies par l'entrepreneur et non de formuler une appréciation sur l'information produite par Monsieur [J] lors de l'établissement du bilan prévisionnel ;

-elle ne devait pas s'immiscer dans le projet de son client ;

-les hypothèses établies par Monsieur [J] au moment de l'établissement du bilan prévisionnel lui semblaient tout à fait cohérentes au regard de l'activité structurellement croissante du salon de coiffure, des qualités de chef d'entreprise de Monsieur [J] ;

-elle a conseillé à ce dernier de réviser le montant des travaux et le nombre d'effectifs embauchés, de sorte qu'elle a exercé son esprit critique et émis une réserve relative à l'équilibre financier de la société GB Coiffure ;

- non seulement le plan de financement a été assorti de pièces justificatives qui ne sont tout simplement pas versées aux débats, mais en outre, les écarts entre ledit plan de financement établi par la société intimée et le plan effectivement réalisé sont assez faibles ;

-non seulement l'acquisition du fonds de commerce a été réalisée avant l'intervention de la société France Expertise Comptable ; mais en outre, l'emprunt a été souscrit après l'acquisition du fonds de commerce et le début des travaux.

Les consorts [J] et la société GB Coiffure fondent leur demande sur l'ordonnance du 19 septembre 1945, et les articles 1134, 1147 anciens et suivants du code civil.

L'expert-comptable peut exercer des tâches accessoires pour le compte des clients chez lesquels ils assurent des missions d'ordre comptable à titre permanent ou habituel, ou dans la mesure où les consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont il est chargé.

Dans ce cadre, il est tenu d'informer et d'éclairer sur le plan comptable de manière complète les parties sur les effets et la portée de l'opération projetée ; la preuve qu'il s'est acquitté de cette obligation de conseil lui incombe.

Dans le cadre du devoir de mise en garde , l'expert-comptable a le devoir d'alerter le client dès que toute action ou omission de sa part dans son domaine de compétence est susceptible de causer un préjudice à celui-ci.

La société France Expertise Comptable était l'expert-comptable de la société GB Coiffure avec une mission habituelle d'ordre comptable, fiscale et sociale et assistance en matière de gestion dans le cadre d'une lettre de mission en date du 12 août 1999.

Il est mentionné dans cette lettre que 'la mission qui nous est confiée comporte de notre part des obligations de moyens et de diligences et de la vôtre un devoir d'information et de coopération. Elle consiste à établir les comptes et documents de synthèse dans le respect de la loi et de la réglementation en vigueur.' En contrepartie, le client s'engageait à lui communiquer l'ensemble des documents et informations nécessaires.

Ayant le projet d'ouvrir un institut de soins SPA dans un local commercial situé en face de son salon de coiffure, M. [J] s'est adressé à son expert-comptable afin qu'il élabore un bilan prévisionnel de sa future activité.

Il résulte des pièces produites que M. [J] a donné à la société France Expertise Comptable le document suivant établi sur un papier à en tête d'un expert de la cour d'appel de Paris en estimations immobilières, document sur lequel il était mentionné :

Investissements :

achat fonds : 125 156 €

devis travaux : 717 600 €

CA actuel : 850 000 €

Prévisionnel avec SPA : 1 300 000 €

Etaient ensuite exposées les charges salariales pour quatre personnes et le loyer évalué à 4.200 euros par mois.

Sur ces bases, l'expert-comptable a établi un document appelé : ' plan de financement et compte de résultat prévisionnel de la SARL GB Coiffure pour sa nouvelle exploitation 'soins et natures'.

Le projet était présenté ainsi : 'M. Et Mme [J] après avoir lancé avec succès

' Coiffure et Nature' dans le cadre de la SARL GB Coiffure ( le chiffre d'affaires a plus que doublé depuis sa création en 2000)' ont acquis un local commercial d'environ 250m² situé en face du salon de coiffure pour y développer leur activité de coiffure mais surtout une activité 'Soins et Nature'.

Le loyer était évalué à 50.400 euros et les travaux à 500.000 euros. Il était précisé que six personnes seraient engagées et qu'un prêt de 590.000 euros sur une durée de 7 ans serait sollicité.

L'expert-comptable a évalué la recette prévisionnelle de la nouvelle exploitation ainsi :

- vente de produits : 200X22X11 : 48 400 euros

-s oins et coiffure : 2000 X 22 X11: 484 000 euros

total : 532.400 euros

L'expert-comptable concluait que 'sur ces bases modestes la première année d'exploitation de Soins et Nature serait quasiment à l'équilibre'. Etaient joints à cette étude le plan de financement et le compte de résultat prévisionnel sur deux ans.

Il y a lieu d'examiner si dans le cadre de cette mission complémentaire, la société France Expertise Comptable, a manqué à son devoir de conseil ou de mise en garde.

Il ne peut être reproché à la société d'expertise ne pas avoir fait signer à M. [J] une lettre de mission complémentaire qui n'était pas obligatoire ni le caractère succinct de la mission réalisée puisqu'il résulte des pièces versées aux débats que M.[J], qui avait une expérience réussie dans la coiffure, souhaitait étendre son activité dans le domaine du SPA, avait déjà acquis le local destiné à cette nouvelle activité et avait donné des éléments financiers à l'expert-comptable afin qu'il prépare un prévisionnel manifestement destiné à appuyer la demande de prêt de la SARL GB Coiffure.

Il n'a pas été demandé à la société France Expertise Comptable d'évaluer les chances de réussite du projet et le chiffre d'affaires susceptible d'être réalisé par la nouvelle activité mais de procéder à une étude comptable prévisionnelle au vu du chiffre d'affaires annoncé par M.[J] et des éléments qu'il fournissait soit le montant de l'investissement, le loyer et les charges salariales.

M.[J] a proposé un coût estimatif du projet qui a été rectifié par l'expert-comptable.

M.[J] consacre de longs développements au fait que le projet aurait été mal évalué alors qu'il a échoué en raison d'un chiffre d'affaires trop bas eu égard à celui escompté et donc aux charges à assumer.

Il n'appartenait pas à la société d'expertise comptable d'effectuer une étude de marché pour connaître la rentabilité d'une telle activité. M. [J] ayant une expérience dans l'exploitation d'un salon de coiffure, l'expert-comptable n'avait pas de motif de s'interroger sur la rentabilité du fonds de commerce qui relevait de la compétence du chef d'entreprise et qui présentait en tout état de cause un aléa comme toute activité nouvelle.

M. [J], en lui demandant une étude prévisionnelle lui demandait de présenter une étude comptable compatible avec son projet qu'il avait la perspective de réaliser.

La société d'expertise comptable ne conteste pas s'être fondée sur les chiffres prévisionnels élaborés par Monsieur [J], le chiffre d'affaires qu'il pensait pouvoir réaliser étant d'environ 450.000 euros annuels et le montant des travaux nécessaires étant évalué à 717.600 euros ;

La société d'expertise comptable a limité le montant des travaux à la somme de 500.000 euros et le montant de l'emprunt sollicité pour 590.000 euros a finalement été accordé pour 560.000 euros.

Il appartenait à M.[J], responsable de la société GB Coiffure de faire établir les devis nécessaires aux travaux et le prêt n'a pu être accordé que sur présentation de pièces financières attestant de l'étude prévisionnelle.

Il est reproché à la société d'expertise comptable d'avoir présenté un projet irréaliste. Les consorts [J] et la société GB Coiffure versent aux débats un rapport établi par la société d'expertise comptable SAE conseils, en date du 4 décembre 2014, qui conclut que :

-les prévisions du chiffre d'affaires n'étaient pas corroborées par des éléments tangibles ;

- ces prévisions étaient bien supérieures aux normes sectorielles ;

- en établissant les comptes prévisionnels, l'expert-comptable a validé la cohérence du chiffre d'affaires retenu et des prévisions dans leur ensemble ;

-le plan de financement n'était pas conforme aux préconisations de l'ordre des experts-comptables et ne permettait pas de dégager une trésorerie suffisante ;

La société France Expertise Comptable produit également une analyse de la mission qui lui a été confiée élaborée par M. [U], expert-comptable et qui aboutit à deux rapports en date des mois de mars et juin 2014.

M. [U], conteste l'analyse réalisée par le cabinet SAE conseils en ce que l'analyse sectorielle donnait un chiffre de 149.000 euros comme moyenne de chiffre d'affaires réalisé et qui n'aurait pas été prise en compte. M. [U], fait observer que ce chiffre doit être comparé à l'investissement moyen réalisé qui est de 100.000 et

150.000€, que dans le secteur du bien-être, un euro investi correspond à un euro de recette et qu'un investissement de 500.000 euros pour un chiffre d'affaires du même montant n'est pas irréaliste. M. [U], a noté que le chiffre d'affaires de l'institut a été égal à 196.000 euros en 2009 soit 30% de plus que la moyenne calculée dans l'analyse sectorielle alléguée.

Prenant comme référence une étude sectorielle relative à la coiffure en date de 2008, M. [U], relève que celle-ci révèle un chiffre d'affaires moyen de 80.428 euros alors que le salon GB coiffure Bastille réalisait un chiffre d'affaires presque 10 fois plus élevé.

Sur l'absence de trésorerie suffisante, alors que durant les premiers mois d'activité, la société GB coiffure Bastille aurait dû disposer d'une trésorerie de 35.000 à 40.000 euros par mois hors remboursement du prêt d'un montant mensuel supérieur à 8000 euros, il résulte du rapport de M. [U], en date de mars 2014 que la société GB coiffure Bastille qui ne prévoyait pas d'apports en fonds propres a versé la somme de 60.000 euros aux motifs que le projet de SPA avait débuté avant l'accord de financement de la banque et que le prêt accordé avait été inférieur de 30.000 euros à celui estimé ce qui avait grevé la trésorerie de la société GB coiffure Bastille qui disposait malgré tout de 85.515 euros de disponibilités à la fin de l'année 2008 ce qui lui permettait de faire face à deux mois d'activité.

Il a également été mis en exergue que si M. et Mme [J] avaient diminué leurs salaires et le montant de leur prime et éviter le double emploi de leurs enfants qui occupaient des postes administratifs, la société GB coiffure Bastille aurait été en mesure de rembourser l'emprunt sur l'année 2009.

Le cabinet SAE conseils considère au contraire que l'emploi de ses enfants par M. [J] qui correspondait à un véritable besoin sur le plan administratif, a permis de limiter le coût de la main d'oeuvre extérieure.

Les pertes subies ont été accentuées par la revente du fonds de commerce à un prix très bas soit 105.000 euros net vendeur, quatre ans après son acquisition pour un montant de 125.000 euros, hors travaux, sans intervention de l'expert-comptable.

Les consorts [J] et la société GB Coiffure se fondent sur le guide méthodologique intitulé « Mission d'assistance à l'établissement des comptes prévisionnels : application des normes générales » que le Conseil supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables a publié en 2003, pour définir les missions et les obligations de l'expert-comptable.

Il y est mentionné en page 4 que les comptes prévisionnels sont « établis sur la base d'hypothèses décrites en notes annexes et traduisant la situation future de l'entité que la direction a estimée la plus probable à la date de leur établissement »

Il y est mentionné que cette mission ne comporte pas l'expression d'une assurance ; la mission d'assistance à l'établissement de comptes prévisionnels par l'expert-comptable ne saurait avoir pour objet d'apporter une assurance sur la probabilité de réalisation des prévisions.

Les comptes prévisionnels sont établis sous la responsabilité des dirigeants de l'entité sur la base des hypothèses fournies par eux.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que M. [J] ayant pris la décision d'ouvrir un institut dédié à la beauté a fait l'acquisition d'un local commercial situé en face du salon de coiffure qu'il exploite afin de pouvoir bénéficier au moins partiellement de sa clientèle et de créer une synergie entre les deux activités. Obtenant d'excellents résultats avec le salon de coiffure, après avoir évalué lui-même le chiffre d'affaires potentiel sur lequel il pouvait compter, il a présenté un projet à son expert-comptable en lui indiquant qu'il envisageait d'emprunter la somme de 717.600 euros et employer quatre personnes.

Il appartient au chef d'entreprise d'évaluer les perspectives d'activité de sa société et de proposer les moyens qu'il veut mettre en oeuvre pour y parvenir ; la société d'expertise comptable avait pour mission de présenter un bilan prévisionnel cohérent avec les objectifs poursuivis par M. [J] et de nature à lui permettre d'en obtenir les moyens dont le prêt bancaire.

M. [J] ne pouvait ignorer que l'investissement qu'il comptait réaliser n'était rentable que si le chiffre d'affaire qu'il avait fixé était atteint.

L'échec du projet résulte sans contestation possible du fait que le chiffre d'affaires prévu n' a pas été réalisé ce qui est imputable tant aux prévisions erronées de M. [J] qu'à sa propre activité qui n'a pas permis de parvenir aux objectifs qu'il avait seul fixés sans qu'il puisse en imputer la faute à son expert-comptable.

Enfin, M. [J] qui a pu obtenir pour la société GB Coiffure un prêt bancaire conséquent, en raison des résultats de son activité de coiffure, et des garanties financières qu'il présentait, n'a pu se méprendre sur la responsabilité qu'il endossait en lançant cette nouvelle activité, au vu du nantissement consenti sur le fonds de commerce et du cautionnement personnel pour un montant de 672.000 euros auquel son épouse et lui s'étaient engagés.

En conséquence, aucune faute n'étant caractérisée à l'égard de la société France Expertise Comptable dans la mission qui lui a été confiée, les consorts [J] et la société GB Coiffure seront déboutés de leur demande à son encontre et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles seront confirmées.

Il y a lieu de condamner les consorts [J] et la société GB Coiffure à verser à la société France Expertise Comptable la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; les appelants seront déboutés de leur demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

CONDAMNE la société GB Coiffure, Monsieur [R] [J] et Madame [V] [K] épouse [J] à verser à la société France Expertise Comptable la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la société GB Coiffure, Monsieur [R] [J] et Madame [V] [K] épouse [J] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Hortense VITELA-GASPAR Marie-Annick PRIGENT

Greffière Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 18/28155
Date de la décision : 06/02/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°18/28155 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-06;18.28155 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award