Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 4
ARRET DU 30 JANVIER 2020
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02479 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7GRZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Décembre 2018 - Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 18/07007
APPELANT
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[...]
[...]
représenté par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124 substituée par Me Noémie TORDJMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
INTIMEES
Madame C... N...
[...]
[...]
représentée par Me Eric MORAIN de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298
Madame V... I...
[...]
[...]
née le [...] à NICE (06000)
représentée par son représentant légal par Madame C... N...,
représentée par Me Eric MORAIN de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298
Madame J... I...
[...]
[...]
née le [...] à NICE (06000)
représentée par son représentant légal par Madame C... N...,
représentée par Me Eric MORAIN de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Catherine COSSON, conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport, et Mme Sylvie LEROY, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente
Mme Sylvie LEROY, Conseillère
M. Jean LECAROZ, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie FARHI
MINISTÈRE PUBLIC : auquel le dossier a été communiqué
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Sylvie FARHI, Greffière présente lors de la mise à disposition.
Dans la nuit du 14 au 15 juillet 2016, Mme P... G... est décédée dans l'attentat terroriste perpétré sur la Promenade des Anglais à Nice.
Par jugement rendu le 20 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Créteil, sous le bénéfice de l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées :
- a reçu Mme C... N... en son action successorale,
- a liquidé le préjudice de Mme P... G... à la somme de 30.000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente,
- a condamné le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions (ci-après le FGTI) à payer à Mme C... N... la somme de 30.000 euros au titre de l'action successorale,
- a liquidé le préjudice :
1/ de Mme C... N... à la somme de 77.500 euros, soit :
- 50.000 euros au titre du préjudice d'affection,
- 7.500 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme,
- 20.000 euros au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude,
2/ d'J... I... et de V... I... à la somme de 23.500 euros à chacune, décomposée comme suit :
- 15.000 euros au titre du préjudice d'affection,
- 3.500 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme,
- 5.000 euros au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude,
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- a condamné le Fonds de Garantie à payer à Mme C... N... la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge du trésor public.
Le Fonds de Garantie a relevé appel partiel de ce jugement, le limitant aux dispositions relatives au préjudice d'angoisse de mort imminente et au préjudice d'attente et d'inquiétude.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 30 avril 2019, il demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris :
- en ce qu'il a jugé que le préjudice d'angoisse de mort imminente et le préjudice d'attente et d'inquiétude des proches constituaient des préjudices autonomes,
- en ce qu'il a alloué à Mme C... N... la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par Mme P... G...,
- en ce qu'il a alloué à Mme C... N..., J... I... et V... I... une somme à chacune en réparation du préjudice d'attente et d'inquiétude des proches,
- en ce qu'il l'a condamné à payer à Mme C... N... la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- de dire que le préjudice d'angoisse de mort imminente est une composante du préjudice de souffrances endurées,
- d'allouer à Mme C... N..., ès qualités d'héritière et dans la limite de sa quote part successorale, la somme de 10.000 euros en réparation des souffrances morales endurées par Mme P... G...,
- de dire que le préjudice d'attente et d'inquiétude des proches est une composante du préjudice d'affection,
- de débouter Mme C... N... agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale d'J... I... et de V... I... de ses demandes au titre d'un préjudice spécifique d'attente et d'inquiétude,
- de confirmer le jugement pour le surplus,
- de condamner Mme C... N... aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 24 juin 2019, Mme C... N..., agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de V... I... et d'J... I..., sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation du Fonds de Garantie à payer, à chacune, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par ordonnance du 17 octobre 2019, le magistrat en charge de la mise en état de l'affaire a prononcé la clôture de l'instruction.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR
Sur le préjudice d'angoisse de mort imminente
Le tribunal a rejeté la demande présentée au titre du préjudice de souffrances au motif qu'il n'était pas démontré que Mme P... G... ait survécu, ne fusse qu'un moment, entre le choc traumatique extrêmement violent et son décès. Il a évalué à la somme de 30.000 € le préjudice d'angoisse de mort imminente subi par la victime, précisant qu'il s'agissait d'un préjudice autonome exceptionnel inhérent à la souffrance supplémentaire distincte et résultant de la conscience par la victime de sa mort imminente provoquée par un acte terroriste et de l'angoisse existentielle y afférente.
Le FGTI critique à juste titre cette décision, faisant valoir que le préjudice d'angoisse de mort imminente est une composante du préjudice des souffrances endurées.
En effet, le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste du préjudice temporaire des souffrances endurées quelle que soit l'origine de ces souffrances et l'acte qui y a conduit, le préjudice lié à la conscience de la mort imminente, ne peut être indemnisé de façon autonome, sauf à indemniser deux fois le même préjudice.
Mme C... N... fait valoir que sa mère a vécu un moment de terreur et de détresse avant d'être blessée et de mourir. Elle relève que son corps a été retrouvé à proximité immédiate du Palais de la Méditerranée, soit en toute fin de parcours du camion meurtrier et que les circonstances particulières de ce drame démontrent que Mme P... G... a subi de façon certaine l'angoisse de mourir.
Le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine n'est indemnisable que si les ayants droit de la victime sur qui pèse la charge de la preuve, démontrent une véritable conscience de cette dernière.
Or, aucun des documents communiqués ne permet de savoir :
- à quel endroit de la Promenade des Anglais se trouvait Mme P... G... lorsque le camion a commencé sa course meurtrière, le fait que son corps ait été transporté par les sapeurs pompiers dans la salle principale du bar de l'hôtel du Palais de la Méditerranée ne signifiant pas nécessairement qu'elle se trouvait à ce niveau de la Promenade,
- si elle a été en mesure de réaliser à quel événement dramatique elle était confrontée,
- si elle est décédée sur le coup ou a été blessée dans un premier temps avant de mourir, Mme R... qui se trouvait avec elle, ayant uniquement indiqué 'P... est morte à mon côté à Nice le 14 juillet 2016 par le terrorisme et je suis restée 4 mois à l'hôpital.'
Dès lors, le FGTI étant fondé à soutenir que la preuve de l'existence de la conscience de sa mort imminente par Mme P... G... n'est pas rapportée, la somme de 10.000 € qu'il offre malgré l'argumentation qu'il développe, est dite satisfactoire. Le jugement est en conséquence infirmé de ce chef.
Sur le préjudice d'attente et d'inquiétude des proches
Le FGTI fait valoir que ce poste de préjudice n'est pas un préjudice autonome et que son indemnisation s'appréhende dans le cadre d'une majoration du préjudice d'affection.
En l'occurrence, Mme P... G... qui était âgée de 64 ans et qui demeurait à La Seyne sur Mer, est venue à Nice le jeudi 14 juillet 2016 afin de rendre visite à une de ses amies, Mme E... R.... Le matin du 15 juillet, sa fille, Mme C... N..., qui demeure à Toulon, et qui ne s'était pas immédiatement inquiétée compte tenu des habitudes de vie de sa mère qui rendaient peu vraisemblable sa présence sur la Promenade des Anglais, a voulu prendre de ses nouvelles d'abord par un message envoyé sur son téléphone puis en lui téléphonant. N'ayant obtenu de réponse ni de sa part ni de la part de Mme R..., elle est arrivée à Nice le jour même, et l'a cherchée en vain dans les hôpitaux. Le samedi 16 juillet, elle a pris contact avec la cellule de crise où son ADN a été recueilli. Le dimanche 17 juillet, un appel téléphonique l'ayant informée que sa mère n'était pas sur la liste des victimes, elle est rentrée chez elle. Le lundi 18 juillet, la cellule de crise a pris contact avec elle afin qu'elle revienne immédiatement à Nice où elle a appris, vers 21 heures, le décès, dans la nuit du 14 au 15 juillet, de Mme P... G....
Mme C... N... a ainsi vécu pendant 4 jours dans l'angoisse, ignorant si sa mère était toujours vivante, craignant qu'elle ne soit blessée ou morte. Ce préjudice ne se confond pas avec le préjudice d'affection lequel indemnise le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès de la victime. Il ne se confond pas davantage avec le préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme. Ce préjudice a été exactement indemnisé par le premier juge par la somme de 20.000 € à Mme C... N... et celle de 5.000 € à chacune de ses filles qui avaient 13 et 7 ans à la mort de leur grand-mère et étaient en âge de s'inquiéter de sa disparition ; le jugement est confirmé de ces chefs.
Le surplus de la décision qui n'est pas critiqué, est confirmé.
En cause d'appel, il est alloué à Mme C... N... la somme de 1.200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 20 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Créteil en ce qu'il a liquidé le préjudice d'angoisse de mort imminente de Mme P... G... à la somme de 30.000 € et condamné le FGTI à la payer à Mme C... N... au titre de l'action successorale et le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Dit que le préjudice d'angoisse de mort imminente est une composante du préjudice de souffrances et est réparé à ce titre,
Alloue à Mme C... N... au titre de l'action successorale, en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l'exécution provisoire non déduites, la somme de 10.000 (dix mille) euros en réparation du préjudice de souffrances subi par Mme P... G..., cette somme avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Y ajoutant,
Alloue à Mme C... N... en cause d'appel la somme de 1.200 (mille deux cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens d'appel à la charge du Trésor Public.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE