RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 22 Janvier 2020
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/01784 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B47BB
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Octobre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F16/12610
APPELANT
Monsieur [O], [D], [M] [E]
[Adresse 2]
94500 France
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 5]
représenté par Me Marine GESLIN, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SARL SPEOS PARIS PHOTOGRAPHIC INSTITUTE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 3]
N° SIRET : 380 298 059
représentée par Me Sylvie CHARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0079 substitué par Me Marie-christine BEGUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0254
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Novembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Florence OLLIVIER, Vice présidente placée faisant fonction de conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 19 juillet 2019
Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [O] [E] a été embauché par la SARL SPEOS PARIS PHOTOGRAPHIC INSTITUTE à compter du 1er septembre 2000, suivant un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de formateur, en charge de l'enseignement numérique.
Par lettre du 15 septembre 2016, la société l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 27 septembre 2016.
Son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 30 septembre 2016.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et sollicitant le paiement de diverses indemnités, Monsieur [O] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 13 octobre 2017, a débouté les parties de leurs demandes et condamné le salarié aux dépens.
Monsieur [O] [E] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 19 janvier 2018.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 17 septembre 2018, il demande à la cour de:
- infirmer le jugement déféré,
- condamner la société à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts légaux :
* 8 031,82 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 803,18 euros au titre des congés payés sur préavis,
* 16 174,74 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 96 381,84 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 2 juillet 2018, la société demande à la cour de:
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [O] [E] de ses demandes,
- le condamner au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Monsieur [O] [E] fait valoir que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car les faits sont prescrits et non démontrés.
La société fait valoir que les faits fautifs, répétés, ne sont pas prescrits, que Monsieur [O] [E] a commis des actes d'insubordination, a eu des excès comportementaux et que son comportement, ayant généré le départ de trois étudiants en 2016, a constitué un environnement qui ne permettait plus au directeur de le maintenir en poste, sauf à mettre en péril l'existence de l'école elle-même.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 octobre 2019 et l'audience de plaidoirie s'est tenue le 4 novembre 2019.
MOTIFS
Sur le licenciement
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :
"Comme suite à l'entretien préalable du 27 septembre 2016, je suis contraint de procéder à votre licenciement pour la faute grave suivante: insubordination et refus d'appliquer les directives données par la direction et de respecter les règles qui s'imposent à la collectivité.
Les faits sont les suivants: Vous occupez le poste de formateur au sein de la société depuis le 1er septembre 2000. Vous avez toujours bénéficié d'un régime de faveur en raison de votre âge et de votre ancienneté au sein de l'entreprise.
J'ai fréquemment été amené à vous faire des remarques sur vos excès comportementaux à l'égard de nos étudiants, mais cela restait dans des limites tolérables. J'ai également, à de nombreuses reprises, souligné l'aspect déstructuré de vos enseignements souvent déroutant pour étudiants.
Vous avez toujours organisé votre emploi du temps en privilégiant vos impératifs personnels aux dépens de vos obligations professionnelles, refusant de vous plier aux horaires collectifs, mais encore une fois, je tolérais ces manquements qui restaient dans des limites acceptables, et toujours par égard pour votre âge et votre ancienneté.
Les mises en garde ont été très nombreuses.
Je vous faisais des remarques et les choses rentraient à peu près dans l'ordre, au moins temporairement.
SPEOS est une petite équipe familiale où il n'est pas d'usage d'adresser des avertissements recommandés, néanmoins les choses sont dites mais plutôt autour d'un café. Je paie aujourd'hui très cher la bienveillance dont j'ai fait preuve à votre égard.
En effet, depuis quelques temps, vos excès se sont multipliés et vos écarts de comportement se sont tellement aggravés que 3 étudiants ont démissionné pour l'année 2015-2016 en vous incriminant nommément. Ces démissions ont généré pour l'école une perte de 44 000 euros , alors que nous sortons à peine la tête de l'eau après 2 années noires. Ces étudiants déçus n'ont pas manqué de se répandre sur les réseaux sociaux, altérant la réputation de notre organisme. Ainsi, aujourd'hui, votre attitude met en péril notre existence, à un époque où la concurrence est sévère et où chacun doit être vigilant sur la qualité de son enseignement pour "faire la différence".
A la fin du cursus 2015-2016, devant les plaintes récurrentes des étudiants, je vous ai de nouveau demandé, ce que font tous les enseignants, de me transmettre un programme écrit de vos cours, demande réitérée à la rentrée de septembre 2016. J'ai essuyé un refus inexplicable qui constitue un acte d'insubordination que je ne peux tolérer, d'autant que tous vos collègues se plient à cet exercice, somme toute normal pour un enseignant envers sa direction et par respect envers les étudiants. Vous avez également refusé d'établir un support écrit pour vos cours permettant aux étudiants d'être moins désorientés par la désorganisation de votre enseignement qui les perturbe.
Vous avez, au cours de l'entretien préalable, confirmé ce refus de respecter des instructions entrant strictement dans le cadre de vos fonctions. Vous avez nié l'évidence, à savoir vos difficultés relationnelles avec étudiants et surtout avec la gente féminine. Vous avez été incapable du moindre mea culpa concernant les libertés que vous vous accordez en plein milieu de journée. Je ne peux donc pas compter sur votre loyauté ni même sur votre franchise.
La gravité des faits reprochés s'oppose à votre maintien dans l'entreprise, même pour la durée du préavis, car vous renvoyez une image totalement négative de SPEOS, qui ne correspond à aucune réalité, mais qui risque, à très court terme, de provoquer un désastre financier qui signifierait la mort de SPEOS.
(...)"
Pour justifier le licenciement de Monsieur [O] [E], la société invoque des écarts de comportements et des actes d'insubordination, faits pour lesquels le salarié soulève la prescription.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n'ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Il appartient à l'employeur d'établir qu'il n'a été informé des faits que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites.
Un fait fautif, dont l'employeur a eu connaissance plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, peut être pris en considération lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.
La cour relève que la lecture de la lettre de licenciement et l'analyse des pièces communiquées, et notamment des courriers électroniques et des attestations des étudiants, permettent d'établir que les écarts de comportement, à l'origine de la démission de trois étudiants selon la société, les difficultés relationnelles et les retards allégués par l'employeur sont intervenus, au plus tard, au cours de la période scolaire 2015-2016.
La cour relève également que le refus de communication d'un programme et d'un support écrits de ses cours a été formalisé par Monsieur [O] [E] au mois de juin 2016 et qu'il n'est pas établi par les éléments versés aux débats, contrairement aux affirmations de la société, que Monsieur [O] [E] ait de nouveau refusé de transmettre ces documents à l'employeur à la rentrée ou au cours de l'entretien préalable.
La cour observe, ainsi, que l'ensemble des griefs reprochés sont antérieurs au 30 juin 2016, qu'aucun fait nouveau n'est imputable au salarié postérieurement à cette date et que les faits, à l'origine de la mise en 'uvre de la procédure de licenciement le 15 septembre 2016, sont prescrits.
En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse
A la date du licenciement, Monsieur [O] [E] percevait une rémunération mensuelle brute de 4 015,91 euros, avait 64 ans et bénéficiait d'une ancienneté de seize ans et trois mois au sein de l'établissement.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis
Selon l'article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
Aucune faute grave n'étant retenue à l'encontre du salarié, l'employeur, qui l'a licencié à tort sans préavis, se trouve débiteur envers lui d'une indemnité compensatrice de préavis dont il est tenu de lui verser le montant intégral pour toute la période où il aurait dû l'exécuter.
En conséquence, le jugement déféré ayant débouté Monsieur [O] [E] de cette demande sera infirmé et la société sera condamnée à payer à Monsieur [O] [E] la somme de 8 031,82 euros d'indemnité compensatrice de congés payés, outre la somme de 803,18 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur l'indemnité de licenciement
Aux termes de l'article L. 1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement calculée en fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait avant la rupture du contrat de travail.
L'article R. 1234-4 du même code prévoit que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié : soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédent le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois.
Il convient donc d'infirmer le jugement déféré qui a débouté Monsieur [O] [E] de cette demande et de condamner la société à lui payer la somme de 16 174,74 euros d'indemnité de licenciement.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement abusif
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, du montant de la rémunération versée à Monsieur [O] [E], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du Code du travail, dans sa rédaction applicable, une somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur la remise des documents sociaux
Compte tenu des développements qui précèdent, il convient de faire droit à la demande de remise des documents de fin de contrat conformes, dans les termes du dispositif.
Sur les frais de procédure
La société, succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens de l'entière procédure.
Elle sera, en outre, condamnée à payer à Monsieur [O] [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement déféré,
Condamne la SARL SPEOS PARIS PHOTOGRAPHIC INSTITUTE à payer à Monsieur [O] [E] les sommes suivantes:
- 8 031,82 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
- 803,18 euros au titre des congés payés y afférents,
- 16 174,74 euros d'indemnité légale de licenciement,
- 16 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la remise par la société à Monsieur [O] [E] des documents de fin de contrat conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt,
Condamne la SARL SPEOS PARIS PHOTOGRAPHIC INSTITUTE aux dépens de l'entière procédure.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE