Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 16 JANVIER 2020
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/27263 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B62WI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2018 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 2018L01864
APPELANTE :
SAS L3C agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculé au RCS de VILLEFRANCHE-TARARE sous le numéro 451 341 465
Ayant son siège social [Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480,
représentée par Me Estelle DERRIEN, avocat au barreau de BREST
INTIMÉS :
SELAS MJS PARTNERS, prise en la personne de Maître [G] [B], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de la société LILNAT, fonctions auxquelles il a été désigné par jugement du Tribunal de Commerce de BOBIGNY en date du 20 juillet 2017
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 13]
représenté par Me Béatrice HIEST NOBLET de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311
SA TATI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculé au RCS de PARIS sous le numéro 399 343 466
Ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 10]
Défaillant, Régulièrement assigné
SAS TATI MAG, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
Immatriculé au RCS de PARIS sous le numéro 829 887 454
[Adresse 11]
[Localité 8]
représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
représentée par Me Marie CRUMIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1097
SAS TATI DIFFUSION Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
Immatriculé au RCS de PARIS sous le numéro 829 887 454
[Adresse 11]
[Localité 8]
représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
représentée par Me Marie CRUMIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1097
SAS PROSPHERES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
représentant légal de la société [J] en liquidation judiciaire
Immatriculé au RCS de PARIS sous le numéro 437 662 091
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 9]
Défaillant, Régulièrement assigné
SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [S] [K] ès qualités de mandataire liquidateur de la société [J]
[Adresse 2]
[Localité 13]
représentée par Me Béatrice HIEST NOBLET de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311
Société CGEA DE L'IDF EST, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 12]
Défaillant, Régulièrement assigné
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère et Madame Aline DELIERE, Conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre
Mme Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère
Mme Aline DELIERE, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Hanane AKARKACH
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.
*****
FAITS ET PROCÉDURE :
Les sociétés AGORA DISTRIBUTION, [J] et LILNAT (groupe ou pôle AGORA) exploitaient les activités du groupe TATI.
La société AGORA DISTRIBUTION assurait la fonction de centrale d'achat approvisionnant l'ensemble des magasins exploités par les sociétés, les franchisés et les affiliés du groupe TATI.
Par jugements du 4 mai 2017 le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert des procédures de redressement judiciaire distinctes à l'égard des sociétés AGORA DISTRIBUTION, [J] et LILNAT et a désigné la SELARL JEANNEROT & Associés et la SCP [Z] en qualité de co-administrateurs judiciaires, et la SELAFA MJA et Maître [G] [B] en qualité de co-mandataires judiciaires.
Par jugement du 26 juin 2017 le tribunal de commerce de Bobigny a arrêté le plan de cession de la société AGORA DISTRIBUTION au profit de la société GPG (groupe Philippe GINESTET) ou de toute autre filiale qu'elle se constituerait.
La société GPG s'est substituée les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG.
La société GPG est entrée en jouissance de l'ensemble des activités et actifs repris à la date du 27 juin 2017.
Par jugements du 20 juillet 2017 le tribunal de commerce de Bobigny a converti les procédures de redressement judiciaire des sociétés AGORA DISTRIBUTION, [J] et LILNAT en liquidation judiciaire et a désigné Maître [G] [B] et la SELAFA MJA en qualité de co-mandataires liquidateurs.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2017 la société L3C a déclaré au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société AGORA DISTRIBUTION la somme de 974 161,69 euros TTC à titre chirographaire pour des marchandises commandées, livrées et impayées à la date du jugement d'ouverture. Une clause de réserve de propriété avait été convenue entre les parties.
Par courrier recommandé du 19 mai 2017 la société L3C a sollicité des co-administrateurs judiciaires la restitution des marchandises existantes en nature à la date du jugement d'ouverture ou le paiement de leur prix si elles ont été cédées depuis.
Par courrier recommandé du 20 juin 2017, la SELARL JEANNEROT & Associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société AGORA DISTRIBUTION, a accepté la demande dans la limite du stock disponible à la date du jugement d'ouverture soit 22 118 pièces et a accepté de régler le prix correspondant, soit la somme de 78 970,19 euros HT.
Par courriel du 21 juin 2017 l'avocat de la société L3C a demandé à l'administrateur judiciaire de justifier de son refus d'accueillir la revendication dans sa totalité.
Par courriel du 22 juin 2017, la SELARL JEANNEROT & Associés a répondu que les stocks pris en compte sont ceux appartenant à la société AGORA DISTRIBUTION et non ceux des magasins dépendant des sociétés LILNAT et [J].
Le 5 juillet 2017 la société L3C a déclaré une créance de 974 161,69 euros TTC aux passifs respectifs des sociétés [J] et LILNAT et adressé une demande de revendication aux co-administrateurs judiciaires de ces sociétés en leur qualité de sous-acquéreurs des biens revendiqués.
En l'absence d'acquiescement par les co-administrateurs judiciaires des sociétés [J] et LILNAT dans le délai légal d'un mois, conformément à l'article R624-13-1 du code de commerce, la société L3C a, par deux requêtes en revendication en date du 28 août 2017 saisi le juge-commissaire et sollicité la restitution en nature des biens visés dans les factures ou le paiement de leur prix.
Saisi le 5 juillet 2017 par la société L3C, par ordonnance du 19 mars 2018 le juge-commissaire, dans le cadre de la procédure collective de la société AGORA DISTRIBUTION a :
- retenu « que l'administrateur judiciaire indique que la clause de réserve de propriété avait été acceptée au plus tard à la livraison de la marchandise, qu'il a indiqué que la revendication n'a été acquiescée que dans la limite du stock disponible au jour du jugement d'ouverture '',
- admis la requête de la société L3C dans la limite des stocks disponibles soit 22 118 pièces.
Puis, par ordonnances du 19 mars 2018, le juge-commissaire, dans le cadre des procédures collectives des sociétés [J] (ordonnance n° 2017M6569) et LILNAT (ordonnance n° 2017M6573) a rejeté la requête en revendication en retenant les motifs suivants :
- la clause de réserve de propriété stipulée entre le requérant et la société AGORA DISTRIBUTION n'est pas opposable à la société LILNAT/[J],
- le vendeur initial, en application de l'article 2276 du code civil peut revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi,
- l'existence d'un dirigeant commun aux trois sociétés [J], AGORA DISTRIBUTION et LILNAT ne permet pas à elle seule de démontrer la mauvaise foi du sous-acquéreur.
Le 6 avril 2018 la société L3C a formé opposition à ces deux ordonnances.
S'agissant de l'ordonnance n° 2017M6569 (liquidation judiciaire de la société [J]), par jugement du 22 novembre 2018 (minute n°2018L4842) le tribunal de commerce de Bobigny a :
- dit l'opposition à l'ordonnance n°2017M6569 en date du 19 mars 2018 formée par la société L3C recevable,
- débouté la société L3C de sa demande d'ordonner la restitution de chacun des biens revendiqués désignés individuellement dans les factures versées aux débats et annexées à la déclaration de créance, ainsi qu'à la demande d'acquiescement en revendication,
- débouté la société L3C de sa demande de revendication sur le prix et de condamnation in solidum de la SELAFA MJA et de Maître [G] [B], en qualité de liquidateurs judiciaires de la société [J] à lui payer la somme correspondant aux biens revendiqués, et ce au prorata des quantités présentes dans les stocks de ladite société, soit la somme totale sur LILNAT et [J] de 684 064 euros HT,
- confirmé l'ordonnance du juge-commissaire n° 2017M6569 en date du 19 mars 2018 dans toutes ses dispositions,
- condamné la société L3C à payer à la société [J], à la SELAFA MJA, et à Maître [B] es-qualité de mandataire liquidateur de la société [J] et aux sociétés TATI MAG, TATI DIFFUSION la somme de 1000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que le jugement est exécutoire de plein droit,
- condamné la société L3C aux entiers dépens.
La société L3C a fait appel le 3 décembre 2018 (affaire enrôlée à la cour sous le n°18-27263).
Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 29 juillet 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
A titre liminaire, elle demande à la cour d'annuler les ordonnances du juge-commissaire et le jugement déféré pour violation des règles du procès équitable.
Sur le fond elle conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
- faire droit à sa demande en revendication et ordonner la restitution de chacun des biens revendiqués désignés individuellement dans les factures versées aux débats et annexées à la déclaration de créance, ainsi qu'à la demande d'acquiescement en revendication,
- à défaut de possibilité de restitution en nature des biens revendiqués, faire droit à la demande de revendication sur le prix de la société L3C et condamner in solidum la SELAFA MJA et la SELAS MJS PARTNERS, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société [J], à lui payer la somme correspondant aux biens revendiqués, et ce au prorata des quantités présentes dans les stocks de ladite société, soit la somme totale sur LILNAT et [J] de 684 064 euros HT,
- condamner les mêmes, in solidum, à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SELAFA MJA et la SELARL MJS PARTNERS, qui vient aux droits de Maître [B], en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société [J], exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 26 avril 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elles concluent à la confirmation du jugement et réclament le paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 5 septembre 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
In limine litis, elles demandent à la cour :
- de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles de la société L3C, tendant à l'annulation des ordonnances du juge-commissaire du 19 mars 2018 et du jugement du tribunal de commerce du 22 novembre 2018,
- si ces demandes étaient déclarées recevables elles demandent à la cour de rejeter l'exception de nullité.
Sur le fond elles demandent à la cour de constater que la société TATI SA n'est pas partie à la présente instance et n'est pas représentée et de confirmer le jugement.
Elles réclament chacune la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société TATI SA, la société PROSPHERES (représentant légal de la société [J]) et la CGEA IDF EST ont été régulièrement assignées et n'ont pas constitué avocat.
La procédure a été communiquée le 7 janvier 2019 au ministère public.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1) Sur la demande visant la société TATI SA
Celle-ci est mentionnée comme défenderesse dans le jugement déféré et est représentée par le même avocat que les sociétés TATI MAG et TATI DIFFUSION. L'appel la vise expressément comme intimée.
Elle n'a pas constitué avocat devant la cour d'appel.
La demande de constat, par une autre partie à la procédure, que la société TATI SA n'est pas partie à la procédure d'appel et qu'elle n'est pas représentée en appel, ce qui de fait, en tout état de cause ressort de la procédure, n'est pas une demande au sens des articles 30 et suivants du code de procédure civile.
Elle sera déclarée irrecevable.
2) Sur la demande de nullité de l'ordonnance du juge-commissaire du 19 mars 2018 et du jugement du 22 novembre 2018
La société L3C soutient que l'article L662-3 du code de commerce prévoit que les débats doivent avoir lieu en chambre du conseil, à défaut de demande de publicité, qu'aucune convocation ou décision ne fait état de débats en chambre du conseil et qu'en application des articles 433 et 446 du code de procédure civile, les ordonnances et le jugement déféré sont nuls. Elle ajoute que le juge-commissaire suppléant a participé au délibéré et à la formation de jugement en violation de l'article L662-7 du code de commerce, que la juridiction n'était pas impartiale en violation de l'article 6 de la CEDH sur le procès équitable et que l'ordonnance et le jugement statuant sur opposition de l'ordonnance doivent être annulés.
La SELAFA MJA et la SELAS MJS PARTNERS n'ont pas répondu à la demande de nullité.
Les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG répondent que les demandes d'annulation des décisions du juge-commissaire sont irrecevables parce qu'elles sont nouvelles et que la demande d'annulation du jugement est irrecevable parce qu'elle n'a pas été présentée dans les premières conclusions. Elles ajoutent que les audiences ont bien eu lieu en chambre du conseil et qu'en tout état de cause le moyen de nullité devait être soulevé avant la clôture des débats, ce qui n'a été fait ni devant le juge-commissaire ni devant le tribunal, que le moyen relatif à la participation du juge-commissaire suppléant à la formation de jugement aurait dû être soulevé au plus tard dans les premières conclusions de l'appelant devant la cour, ce qui n'a pas été le cas, et qu'en tout état de cause le juge-commissaire suppléant n'a rendu aucun rapport et aucune décision lui-même et qu'il n'a pas été porté atteinte au principe d'impartialité.
L'article 564 du code de procédure civile dispose : «'Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
L'article 910-4 du code de procédure civile précise : «'A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 783, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
La société L3C n'a pas demandé au tribunal de commerce d'annuler l'ordonnance du juge-commissaire du 19 mars 2018.
Sa demande de nullité de cette décision devant la cour d'appel est nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et sera déclarée irrecevable.
L'appelante n'a pas, dans ses premières conclusions remises au greffe de la cour d'appel et notifiées le 1er février 2019, sollicité la nullité du jugement du 22 novembre 2018.
Sa demande de nullité du jugement du 22 novembre 2018 est donc irrecevable en application de l'article 910-4 alinéa 1 du code de procédure civile.
3) Sur la demande de restitution en nature des marchandises
La société L3C soutient que le principe d'interdiction de la revendication du bien lui-même en cas de revente par le débiteur, fondé sur les dispositions de l'article 2276 du code civil, ne s'applique que dans le cas où le sous-acquéreur est de bonne foi, que le vendeur initial peut valablement revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi, que la société sous-acquéreur, qui a constitué avec la société-acheteur une unité économique, disposant en outre des mêmes dirigeants, est détentrice de mauvaise foi car elle ne peut ignorer la clause de réserve de propriété et le caractère frauduleux de la revente malgré cette clause, que les trois sociétés qui exploitaient les activités du groupe TATI constituaient une unité économique, qu'elle a revendiqué ses marchandises entre les mains des deux sociétés sous-acquéreurs et non entre les mains de la société AGORA DISTRIBUTION, acquéreur initial, car les marchandises sont détenues par les deux sociétés pour elles-mêmes et non pour le compte de la société AGORA DISTRIBUTION, que les deux sociétés connaissaient la clause de réserve de propriété, qu'il y a eu fraude car le déroulement de la procédure collective montre que les sociétés du pôle AGORA ont, en toute connaissance de cause, continué à sur-commander des produits transférés par la société AGORA DISTRIBUTION à ses sociétés s'urs [J] et LILNAT alors qu'elles savaient qu'elles ne paieraient jamais les biens livrés et préparaient leur dépôt de bilan.
La SELAFA MJA et la SELAS MJS PARTNERS répondent qu'il n'est pas contesté que la plupart des marchandises vendues sous le bénéfice d'une clause de réserve de propriété à la société AGORA DISTRIBUTION ont été revendues par celle-ci aux sociétés [J] et LILNAT, que ces marchandises n'existaient plus en nature dans le patrimoine de la société AGORA DISTRIBUTION lors de l'ouverture de la procédure collective à son encontre qu'à hauteur de 22 118 pièces, dont la restitution a été ordonnée, que les autres marchandises ne peuvent être revendiquées entre les mains du sous-acquéreur parce qu'il ne les détenait pas à titre précaire pour le compte de la société AGORA DISTRIBUTION et que le fait pour le sous-acquéreur d'appartenir au même groupe de sociétés que la société débitrice/acheteur initial et l'existence d'un dirigeant commun ne permet pas d'établir que le sous-acquéreur est de mauvaise foi.
Les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG font valoir qu'aucune demande n'est formée à leur encontre et, à titre d'observations, développent les mêmes moyens que les mandataires liquidateurs.
L'article L624-16 alinéa 2 du code de commerce dispose : «'Peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties.'»
L'article 2276 du code civil dispose : «'En fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient.'»
Les factures adressées à la société AGORA DISTRIBUTION correspondant aux marchandises revendiquées ont été émises entre le 20 février et le 19 avril 2017. Ces factures n'ont pas été payées.
22 118 pièces se trouvaient dans les stocks de la société AGORA DISTRIBUTION au moment de l'ouverture de la procédure collective. Les autres pièces ont été revendues aux sociétés [J] et LILNAT.
Comme l'a relevé le tribunal de commerce la clause de réserve de propriété dans les relations contractuelles entre la société L3C et la société AGORA DISTRIBUTION n'est pas opposable aux sociétés [J] et LILNAT.
Mais le vendeur, qui se prévaut d'une clause de réserve de propriété à l'encontre de son acheteur qui a cédé les biens à un sous-acquéreur, peut revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi.
La société L3C, qui reconnaît que les marchandises ne sont plus entre les mains de la société AGORA DISTRIBUTION, fonde son action à l'encontre de la société [J] sur les dispositions de l'article 2276 du code civil et doit démontrer que celle-ci savait, en contractant avec la société AGORA DISTRIBUTION, que les marchandises appartenaient à la société L3C, par l'effet de la clause de réserve de propriété et qu'elle est un sous-acquéreur de mauvaise foi.
Les trois sociétés AGORA DISTRIBUTION, [J] et LILNAT sont détenues par le même actionnaire, la société ERAM. Elles ont le même siège social et constituent le pôle AGORA qui exploite les activités du groupe TATI, la société AGORA DISTRIBUTION étant une centrale d'achat chargée d'approvisionner notamment les sociétés [J] et LILNAT.
M. [T] [D] était le président des trois sociétés. A compter de mars 2017 la société PROSPHERES, spécialisée dans la gestion de sociétés en retournement, a été désignée par la société ERAM comme président des trois sociétés soeurs afin de, selon le jugement arrêtant le plan de cession de la société AGORA DISTRIBUTION du 26 juin 2017, «'en collaboration avec l'ensemble des équipes des sociétés composant le pôle AGORA'» procéder à la construction d'un nouveau plan d'affaires visant à élaborer des solutions de nature à assurer le redressement de l'entreprise.
L'offre de reprise globale du 14 juin 2017 présentée par le groupe GPG comprend les trois sociétés dans son périmètre.
La société L3C fait valoir, sans être utilement contestée, que les trois sociétés avaient regroupé et mutualisé les fonctions de direction dans le cadre d'une convention de prestation de management de la société AGORA DISTRIBUTION aux autres sociétés du groupe, visée dans l'offre de reprise, et que le groupe ERAM exploite par ailleurs les marques qu'il détient, dont la marque TATI, à travers une direction générale et une mutualisation des fonctions, notamment financières et juridiques, ainsi qu'il ressort du schéma présenté dans un document de communication de 2015 sur la responsabilité sociétale des entreprises.
Il est donc établi que les trois sociétés du groupe AGORA constituent, au sein du groupe ERAM, une unité économique qui a des intérêts communs, qui fonctionne avec les mêmes organes et selon des directives communes, qui adopte des stratégies communes et qui, dans ce cadre, n'ignore pas les conditions générales de vente imposées par les fournisseurs du groupe.
Il ressort des pièces produites qu'il existait un courant d'affaires continu entre les sociétés du groupe AGORA et la société L3C. Les bons de livraison versés à la procédure attestent que les marchandises commandées par la société AGORA DISTRIBUTION étaient livrées dans des lieux divers, dont ceux exploités par les sociétés [J] et LILNAT. La clause de réserve de propriété, qui est d'usage général dans les contrats de distribution, est rappelée dans toutes les factures jointes aux bons de livraison.
Enfin il y a lieu de relever que les marchandises litigieuses ont été commandées et livrées alors que les trois sociétés du pôle AGORA étaient depuis le 29 novembre 2016 sous l'effet d'une procédure de règlement amiable des difficultés des entreprises. Le 13 avril 2017 les trois sociétés ont sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation pour organiser un «'pré-pack'cession ». Après avoir reçu plusieurs offres de reprise elles ont déposé le 28 avril 2017 des déclarations de cessation des paiements qui ont mené à leur redressement judiciaire le 4 mai 2017 puis à leur liquidation judiciaire le 20 juillet 2017. Dans le cadre de ces procédures, des informations ont nécessairement circulé et été échangées sur les contrats des fournisseurs et les engagements en cours.
Eu égard aux mentions sur les documents commerciaux de la société L3C, au fonctionnement interdépendant des trois sociétés constituant le pôle AGORA, à leur sort commun dans le cadre de leurs procédures collectives, il est manifeste que la société [J] n'ignorait ni l'existence systématique des clauses de réserve de propriété ni le fait que sa société soeur, qui commandait les marchandises, ne les avait pas payées.
Sa mauvaise foi est donc établie et, après infirmation du jugement, il sera fait droit à la demande de la société L3C au titre de la restitution des biens revendiqués entre les mains du mandataire liquidateur de la société [J].
4) Sur la demande de revendication du prix des marchandises
La société L3C soutient qu'à défaut de restitution en nature des marchandises elle est en droit de revendiquer leur prix, si les marchandises ont été revendues, auprès des procédures collectives des sociétés [J] et LILNAT et que, sur autorisation de la cour statuant comme un juge-commissaire en application de l'article L624-16 dernier alinéa du code de commerce, il peut être fait « échec » à la restitution en nature du bien revendiqué par le paiement de son prix, par dérogation au principe d'interdiction des paiements. Elle ajoute qu'elle ne revendique pas le prix de cession auprès du sous-acquéreur mais qu'elle revendique directement ses marchandises auprès des sociétés [J] et LILNAT, que son action est fondée sur l'article L624-18 du code de commerce et qu'il ne s'agit pas d'une action en paiement nécessitant une déclaration de créance.
Les intimées répondent que le créancier revendiquant, qui ignore si les marchandises revendiquées sont utiles à l'exploitation de la société débitrice, est dépourvu de qualité pour solliciter du juge-commissaire le paiement du prix des marchandises revendiquées et ne peut se fonder sur l'article L624-16 dernier alinéa du code de commerce pour réclamer le paiement du prix au sous-acquéreur. Elles ajoutent que la revendication du prix des biens non acquitté par le sous-acquéreur est régie par l'article L624-18 code de commerce, que le vendeur qui a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective de l'acquéreur ne peut en réclamer le paiement une seconde fois dans le cadre de la procédure collective du sous-acquéreur et qu'en application de l'article L622-21 du code de commerce il ne peut être réclamé au débiteur dans le cadre d'une procédure collective le paiement d'une créance car toute action en justice en ce sens est interdite.
L'article L624-16 alinéa 4 du code de commerce dispose : «'Dans tous les cas, il n'y a pas lieu à revendication si, sur décision du juge-commissaire, le prix est payé immédiatement. Le juge-commissaire peut également, avec le consentement du créancier requérant, accorder un délai de règlement. Le paiement du prix est alors assimilé à celui des créances mentionnées au I de l'article L622-17.'»
En application de ces dispositions seul le juge-commissaire peut prendre la décision de payer le prix des biens revendiqués afin de les conserver et d'en disposer, ce dans l'intérêt de l'entreprise.
Sur le fondement de cet article la société L3C ne dispose d'aucun droit à réclamer au mandataire liquidateur de la société [J] le prix des biens qu'elle revendique en nature, même si les biens revendiqués ne sont plus dans le patrimoine de celle-ci.
L'article L624-18 du code de commerce, invoqué également par la société L3C, dispose : «'Peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l'article L624-16 qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure. Peut être revendiquée dans les mêmes conditions l'indemnité d'assurance subrogée au bien.»
L'action en revendication du prix par le vendeur initial entre les mains du sous-acquéreur est une action en paiement, même si elle trouve son origine dans l'article L624-18 du code de commerce, et non une action réelle fondée sur le droit de propriété, comme l'action exercée par le vendeur bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété contre l'acquéreur.
Cette action en paiement exercée par le vendeur initial est une action qui lui est propre et qui lui est personnelle. Le fait que le sous-acquéreur soit ou non de mauvaise foi n'a pas d'incidence sur la nature de cette action.
En conséquence, le vendeur initial est soumis en sa qualité de créancier, aux règles gouvernant les procédures collectives, notamment celles relatives à l'arrêt des poursuites individuelles et de l'interdiction de payer les créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective.
La créance dont la société L3C réclame le paiement est née avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société [J]. Il ne peut donc être fait droit à sa demande en paiement du prix des marchandises acquises par la société [J] et qui ne peuvent être restituées en nature.
Le jugement, qui a rejeté la demande de revendication du prix, sera confirmé.
5) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Les demandes en appel de la société L3C étant partiellement accueillies le jugement sera infirmé pour avoir mis les dépens et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile à sa charge.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SELAFA MJA et de la SELARL MJS PARTENERS, tenues in solidum, dont la demande conjointe au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée, comme celle des sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG.
Il n'est pas équitable de laisser à la charge de la société L3C la totalité des frais qu'elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
DÉCLARE irrecevable la demande formée par les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG de constat que la société TATI SA n'est pas partie à la procédure d'appel,
DÉCLARE irrecevable la demande formée par la société L3C d'annulation de l'ordonnance du juge-commissaire du 19 mars 2018 et du jugement du 22 novembre 2018 du tribunal de commerce de Bobigny,
INFIRME le jugement déféré (minute n°2018L4842) sauf en ce qu'il a rejeté la demande de revendication de la société L3C portant sur le prix des biens revendiqués et en paiement de la somme correspondante,
Statuant à nouveau,
ORDONNE la restitution en nature par la SELAFA MJA et la SELARL MJS PARTNERS, agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société [J], de chacun des biens revendiqués désignés individuellement dans les factures versées aux débats et annexées à la déclaration de créance, ainsi qu'à la demande d'acquiescement en revendication,
DÉBOUTE la SELAFA MJA et la SELARL MJS PARTNERS, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société [J], et les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SELAFA MJA et la SELARL MJS PARTNERS, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société [J], tenus in solidum, aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société L3C la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
Hanane AKARKACH Michèle PICARD