RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 10 Janvier 2020
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13679 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ4P3
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Juillet 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 16/01423
APPELANTE
Société AUBERT ET DUVAL
[Adresse 4]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN, avocat au barreau de LYON
INTIMEE
CPAM 63 - PUY DE DOME
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 2]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Octobre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Michel CHALACHIN, président de chambre
Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère
Lionel LAFON, conseiller
Greffier : Mme Venusia DAMPIERRE, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. L'arrêt mis à disposition initialement le 20 décembre 2019 a été prorogé au 10 janvier 2020.
-signé par Lionel LAFON, conseiller (président epêché) et par Mme Typaine Riquet, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la SAS Aubert & Duval (ci-après l'employeur) d'un jugement rendu le 13 juillet 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (ci-après la caisse).
EXPOSE DU LITIGE
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard. Il suffit de rappeler que le 11 juin 2015, M. [W] [K], technicien qualité au sein de la SAS Aubert & Duval, a déclaré présenter « un adénocarcinome pleural droit », pathologie qu'il souhaitait voir reconnaître comme maladie professionnelle. Il joignait un certificat médical initial du 9 mars 2015 constatant la même pathologie. Le 10 décembre 2015, après enquête, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris prenait en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle. Contestant l'opposabilité de cette décision, la SAS Aubert & Duval a saisi la commission de recours amiable de la caisse. A défaut de décision explicite, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris par courrier adressé le 17 mars 2016.
Par jugement rendu le 13 juillet 2016, ce tribunal a dit la SAS Aubert & Duval recevable mais mal fondée en son action en inopposabilité.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS Aubert & Duval demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris, en lui déclarant inopposable la décision de prise en charge par la caisse de la maladie déclarée par M. [W] [K],
* à titre principal,
- à défaut de preuve rapportée par la caisse de l'exposition de M. [K] à l'inhalation de poussières d'amiante par l'accomplissement de travaux relevant de la liste limitative du tableau 30 bis des maladies professionnelles,
* à titre subsidiaire,
- à défaut de preuve rapportée par la caisse de ce que la pathologie contractée par M. [K] correspondait à un cancer broncho-pulmonaire primitif tel que visé au tableau 30 des maladies professionnelles,
* à titre plus subsidiaire,
- commetttre un médecin expert pour dire notamment si la maladie déclarée est bien inscrite au tableau 30 bis,
faisant valoir que :
- la présomption d'origine professionnelle ne vaut que si les conditions fixées au tableau des maladies professionnelles sont remplies,
- le tableau 30 bis suppose une exposition au risque avérée et habituelle et pas seulement éventuelle et occasionnelle, et prévoit une liste limitative de travaux,
- le cancer broncho-pulmonaire n'est que rarement imputable à l'amiante,
- aux termes du colloque médico-administratif, la période d'exposition de M. [K] est comprise entre 1973 et 1997,
- un courrier du 9 novembre 2015 de la Carsat retient qu'il est fort probable que M. [K] ait été exposé aux poussières d'amiante,
- les fonctions d'agent de maîtrise de M. [K] exercées de 1984 à 1997 ne sont pas visées au tableau,
pas plus que les fonctions de technicien de qualité exercées de 1997 à 2013,
- l'attestation d'exposition à l'amiante est insuffisante à démontrer une exposition directe,
- le lien de causalité n'est établi qu'en présence abondante de fibres d'amiante au niveau pulmonaire,
- M. [K] avait déjà eu deux cancers et quatre pathologies liées au tabac,
- une expertise ou une consultation permettrait de se prononcer sur le lien de causalité entre la maladie et le travail.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de débouter la société de son recours, aux motifs que :
- le médecin conseil, dont l'avis s'impose à elle, a caractérisé la pathologie invoquée comme inscrite au tableau 30 bis,
- l'enquête a démontré que l'activité exercée par M. [K] correspondait à la liste limitative des travaux,
- de 1973 à 1984, il a été exposé comme ouvrier au sein de l'usine Cegedur Pechiney de manière directe à l'inhalation de poussières d'amiante et à partir de 1984, il travaillait de manière régulière avec des matériaux contenant de l'amiante, un de ses anciens collègues en attestant, tout comme le courrier de la Carsat,
- entre 1984 et 1988, la société Aubert & Duval ne peut l'exclure non plus,
- la présomption doit donc s'appliquer.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR,
Il ne sera pas répondu aux demandes de constatations ou de «dire et juger» qui ne saisissent pas la cour de prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile.
L'article L.461'1 alinéa 2 du code de sécurité sociale établit une présomption d'origine professionnelle pour les maladies désignées dans un tableau de maladies professionnelles dès lors qu'elles ont été contractées dans les conditions mentionnées à ce même tableau.
Il s'en déduit que la présomption suppose deux conditions cumulatives : la désignation de la maladie dans un tableau et le respect des conditions de l'exposition au risque professionnel.
En l'espèce, le certificat médical initial en date du 9 mars 2015 déposé par M. [W] [K] visait « un adénocarcinome pleural droit».
L'instruction du dossier s'est faite au regard du tableau 30 bis des maladies professionnelles, lequel vise le cancer broncho-pulmonaire primitif, un délai de prise en charge de 40 ans (sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans) et contient une liste limitative des principaux travaux susceptibles de provoquer la maladie : Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante, travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac, travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante, travaux de retrait d'amiante, travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante, travaux de construction et de réparation navale, travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante, fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante, travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Si le libellé de la maladie mentionnée au certificat médical est différent de celui figurant au tableau, il ressort de l'avis du médecin conseil contenu dans le colloque médico-adminsitratif du 19 novembre 2015 que M. [K] présentait bien un cancer broncho-pulmonaire primitif. La condition médicale était donc satisfaite.
Quant à l'exposition au risque, il sera précisé à titre liminaire que le tableau précité ne vise pas une qualification professionnelle particulière mais s'attache à l'activité exercée. Le fait que M. [K] ait exercé les fonctions d'agent de maîtrise ou de technicien de qualité n'exclut donc nullement une exposition au risque.
Il est établi par l'enquête administrative diligentée par la caisse que :
- de 1973 à 1984, M. [K] a été employé comme ouvrier à l'atelier Tôles fortes au sein de l'usine Cegedur Pechiney et y a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante au poste de pontonnier au train à chaud et au poste de chargement des fours trempes et revenus,
- en 1984, il a occupé le poste de contremaître à la presse PS23, puis, a évolué au poste d'adjoint au chef d'atelier Forge, toujours en relation étroite avec l'atelier de fabrication et M. [K] déclare avoir été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante utilisée pour la fabrication en alliages de titane,
- en 2001, la société a été rattachée à la société Aubert & Duval et il a alors occupé des missions qualité au sein des services de production Forge et Mécanique jusqu'en 2006, avant d'être affecté jusqu'en 2013, au contrôle 'coordinateur qualité',
- interrogée par l'enquêteur, la société Aubert & Duval confirmait les activités décrites sur la période de 1984 à 2013, indiquant ne pouvoir exclure une exposition directe et occasionnelle de celui-ci lorsqu'il se déplaçait dans l'atelier,
- dans une attestation en date du 11 juin 2015, M. [E] indique avoir connu M. [K] chez Aubert & Duval en 1984, à son arrivée comme agent de maîtrise au service Grosses Presses, qu'ils matriçaient du titane 3h par poste de travail en utilisant de l'amiante en plaque, qu'en fin de matriçage et à chaque pièce, la matrice était soufflée à l'air comprimé pour écacuer cet isolant (graisse + eau + amiante+ laine de verre), ce qui avait pour effet de créer un nuage très opaque d'amiante qui se dispersait dans tout le hall presse, et que tous les jours jusqu'en 1992, ils avaient utilisé de l'amiante pour ce genre de travail, ...qu'ils ne portaient aucune protection ni n'avaient d'information concernant l'amiante,
- un courrier de la société Aubert & Duval du 4 juin 2015 sollicitait de la caisse une attestation d'exposition amiante pour M. [K], précisant qu'il n'avait pas été amené à manipuler ce matériau dans l'exercice de son activité professionnelle depuis 2001 pour leur compte, mais ne pouvoir exclure une exposition indirecte et occasionnelle lors d'opérations de matriçage de titane entre 1984 et 1988,
- enfin, l'ingénieur conseil de la Carsat indiquait le 9 novembre 2015 qu'il était fort probable que, de 1973 à 1984, M. [K] ait été exposé aux poussières d'amiante directement ou en ambiance, et que, de 1984 à 1988, il était là encore probable que M. [K] ait été exposé aux poussières d'amiante en ambiance, et enfin, que l'amiante était aussi présente dans certains fours et protections contre le chaleur de certaines parties de machines et il est possible que la victime ait été exposé jusqu'en 1997.
Il s'en déduit que si l'attestation d'exposition à l'amiante sollicitée par l'employeur est insuffisante à elle seule à démontrer une exposition directe, et malgré les termes hypothétiques utilisés par l'ingénieur conseil de la Carsat, la preuve d'une exposition à l'inhalation de poussières d'amiante est clairement démontrée au moins sur la période de 1973 à 1984, soit pour une durée de plus de 10 ans qui suffit à faire bénéficier M. [K] de la présomption d'imputabilité posée par le tableau 30 bis des maladies professionnelles.
Dès lors, peu importe que l'employeur considère que le cancer broncho-pulmonaire n'est pas toujours imputable à l'amiante, ou qu'il n'est pas justifié d'une présence abondante de fibres d'amiante au niveau pulmonaire. La société Aubert & Duval n'apporte pas d'élément de nature à renverser la présomption en n'établissant pas de façon certaine que la pathologie déclarée résulte d'une cause autre que l'exposition aux poussières d'amiante.
En conséquence, l'action en inopposabilité engagée doit être rejetée et le jugement entrepris confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Aubert & Duval aux dépens.
Le greffier, Pour le président empêché,
Le conseiller