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08/01/2020 | FRANCE | N°17/13027

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 08 janvier 2020, 17/13027


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 08 JANVIER 2020

(n° , pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13027 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KIW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES - RG n°





APPELANTE



SAS LAMBERET

[Adresse 1]
>[Localité 1]



Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151





INTIME



Monsieur [S] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 2]



Représenté par Me Francesco BETTI...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 08 JANVIER 2020

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13027 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KIW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES - RG n°

APPELANTE

SAS LAMBERET

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

INTIME

Monsieur [S] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Francesco BETTI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0956

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée

Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [S] [Y] a été engagé par la société Lamberet constructions isothermes, aux droits de laquelle vient la SAS Lamberet, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2001, en qualité d'inspecteur commercial.

Le secteur de prospection du salarié a évolué au cours de la relation de travail.

Au cours de l'été 2015, une ultime modification de ce secteur a été discutée entre les parties.

Par lettre du 11 mars 2016, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable devant se tenir le 23 mars suivant.

Le 23 mars 2016, il a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint-Georges d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par lettre du 29 mars 2016, l'employeur lui a notifié un avertissement.

Par lettre du 25 mai 2016, M. [Y] a été convoqué à un nouvel entretien préalable devant se tenir le 6 juin suivant.

Par lettre du 9 juin 2016, l'employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Par jugement rendu le 4 septembre 2017, notifié le 18 septembre 2017, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a :

- dit n'y avoir lieu à résiliation du contrat de travail déjà rompu,

- déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2016 pour les créances salariales et à compter du jugement pour les autres créances :

* 43 555,21 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 20 384,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 038,46 euros au titre des congés payés afférents,

* 40 769,28 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 514,87 euros à titre de rappel de commissions sur VUL/VL entre les 1er janvier et 9 juin 2016 et 251,48 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté le salarié de ses demandes de rappel de commissions sur VUL/VI au 17 août 2015, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- ordonné à l'employeur de remettre au salarié une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes au jugement, sans astreinte,

- rejeté la demande reconventionnelle de l'employeur,

- et condamné ce dernier aux dépens, en ce compris les frais d'exécution forcée.

Le 17 octobre 2017, la société Lamberet a interjeté appel du jugement.

Par conclusions transmises le 7 octobre 2019 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, la société Lamberet sollicite l'infirmation du jugement et le rejet de toutes les demandes de l'intimé, qu'elle estime mal fondées, la demande de rappel de commissions sur VU/VL étant, selon elle, partiellement prescrite.

Par conclusions transmises le 28 octobre 2019 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, M. [Y] demande à la cour de confirmer le jugement sur le licenciement et ses condamnations au titre des indemnités de rupture, du rappel de commissions sur VUL/VL, des dépens et frais de procédure non compris dedans, de l'infirmer sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que sur le rejet de ses demandes de rappel de commissions sur VUL/VI et de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et de condamner l'appelante à lui payer les sommes suivantes :

- 122 308 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 1 988,19 euros à titre de rappel de commissions VUL/VL pour l'année 2013 et 2 949,17 euros au titre des congés payés afférents, 3 154,90 euros à titre de rappel de commissions VUL/VL pour l'année 2014 et 2 949,17 euros au titre des congés payés afférents, 3 314,76 euros à titre de rappel de commissions VUL/VL pour l'année 2015 et 2 949,17 euros au titre des congés payés afférents.

Il sollicite, par ailleurs, la remise de bulletins de paie, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de dix jours passés le prononcé de la décision à intervenir, d'assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 29 octobre 2019 et l'affaire a été plaidée le 19 novembre 2019.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.

C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

C'est donc à tort que les premiers juges ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur la résiliation du contrat de travail au motif que celui-ci avait été rompu alors que le salarié les avait saisis en résiliation avant d'être licencié.

Sur la résiliation du contrat de travail

M. [Y] sollicite la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur en faisant valoir que ce dernier a procédé à une réduction de son secteur de prospection et de sa rémunération sans son accord, qu'il a refusé de lui communiquer, avant l'introduction de l'instance, les modalités de calcul de ses commissions en dépit de ses demandes répétées, qu'il l'a mis à l'écart et qu'il a porté atteinte à sa santé physique et mentale.

La société Lamberet fait valoir que la modification du contrat de travail litigieuse a été acceptée par le salarié et que ce dernier était en possession des éléments lui permettant de calculer ses commissions.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée à la demande du salarié aux torts de l'employeur lorsque ce dernier a commis des manquements à ses obligations d'une gravité telle qu'ils empêchent la poursuite du contrat.

Il appartient au salarié d'établir la réalité de ces manquements.

En l'espèce, il résulte de l'avenant proposé par l'employeur le 23 juillet 2015, tel que rectifié et annoté à la main, que, le 1er septembre 2015, le salarié a apposé une signature sous des mentions manuscrites relatives à une augmentation de son salaire à compter du 1er octobre 2015, au paiement de ses commissions pour les commandes enregistrées jusqu'à la semaine 40, soit jusqu'au 2 octobre 2015, entérinant ainsi la modification de son secteur géographique par la référence expresse à son successeur, M. [H] [U], qui devait ainsi bénéficier des commandes enregistrées à compter de la semaine 41 même si M. [Y] en avait réalisé les devis, ainsi qu'au versement de sa prime de fin d'année.

La cour en déduit que l'intimé a manifesté, à cette occasion, son accord exprès à une modification de son secteur géographique et de sa rémunération.

Aucun manquement de l'employeur n'est donc retenu sur ces points.

M. [Y] se plaint également d'une mise à l'écart.

Cependant, le mécontentement de son employeur qu'il allègue dans sa lettre du 8 octobre 2015 sur la mise à sa disposition d'un véhicule avec boîte automatique n'est corroboré par aucune pièce objective et ne peut donc être retenu comme constituant un acte de mise à l'écart.

En outre, la diffusion, le 6 novembre 2015, de la nouvelle carte géographique des ventes de véhicules utilitaires, faisant apparaître M. [U] sur une partie de son ancien secteur, s'inscrit dans la logique de la modification de son contrat de travail susvisée et ne peut donc être retenue comme un acte d'isolement de l'employeur à son encontre.

Enfin, si M. [Y] rapporte la preuve de l'annulation, par l'employeur, de sa présence au salon Solutrans le 10 novembre 2015, cet acte, isolé et ancien, ne peut justifier une rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par ailleurs, au-delà de cette mise à l'écart, M. [Y] ne démontre pas objectivement le comportement agressif de ses supérieurs hiérarchiques qu'il allègue, les propos qu'il leur prête ne résultant que de ses propres déclarations telles qu'il les a énoncées dans sa lettre du 8 octobre 2015 et relayées au médecin du travail qui n'en a confirmé la réalité à aucun moment.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que l'employeur a porté atteinte à sa santé physique et mentale.

Il ressort, enfin, des correspondances échangées entre les parties à compter du 8 octobre 2015 une discussion sur le paiement des commissions dues à M. [Y] entre 2005 et 2015, que le salarié a réclamé à plusieurs reprises, personnellement ou par l'intermédiaire de son conseil, les 11 novembre et 11 décembre 2015, puis les 22 janvier, 2 février et 30 mars 2016, les éléments ayant permis à l'employeur de calculer ses commissions.

La société Lamberet démontre, à cet égard, que, le 21 décembre 2009, à la demande du salarié, Mme [J] [M], responsable administration du personnel, a communiqué à ce dernier un tableau détaillant, mois par mois, sur son activité, le chiffre d'affaires réalisé, le nombre de véhicules vendus et le calcul précis de ses commissions ventilées par gamme, ce qui n'avait appelé aucune observation de la part de l'intéressé ni sur l'exercice concerné ni sur les exercices antérieurs, et que, dans le cadre de l'instance prud'homale, elle a transmis à son adversaire un tableau équivalent réalisé année par année entre 2005 et 2015.

Ces éléments ayant permis au salarié de vérifier les modalités de calcul des commissions qui lui étaient dues, la cour juge, en dépit de leur communication tardive puisque, comme le précise l'intimé, il a fallu qu'il assigne son employeur pour les obtenir, que ce manquement a été régularisé.

Au regard de l'ensemble de ces développements, M. [Y] ne rapporte pas la preuve de manquements graves ayant empêché la poursuite de son contrat de travail.

Sa demande de résiliation est, en conséquence, rejetée, au même titre que les demandes qu'il a formulées subséquemment.

Sur le bien-fondé du licenciement

M. [Y] considère que les griefs visés dans la lettre de licenciement ne justifient pas un licenciement pour faute grave.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce les faits suivants :

'- D'une part, j'ai malheureusement pu vérifier que vous renouveliez votre démarchage auprès de clients situés dans votre ancien secteur de l'activité VUL/VL, sans tenir compte aucunement de mes instructions pourtant très claires à ce sujet et surtout de l'avertissement que je vous adressais le 29 mars dernier.

Vous faites donc preuve délibérément d'une insubordination caractérisée, persistante et avérée que je ne peux tolérer.

À elle seule, cette attitude révèle une faute grave que vous m'obligez finalement à sanctionner.

- D'autre part, j'ai pu constater et vérifier que votre comportement tant à l'égard de moi-même, de certains de nos fournisseurs que de vos collègues, apparaissait déplacé, inadapté et contraire aux intérêts et à la bonne marche de notre société, traduisant ainsi une toute particulière déloyauté.

À titre d'illustrations et de manière non exhaustive, un de nos fournisseurs a pu nous indiquer récemment que vous auriez cru bon de lui répondre sur un ton sec et relativement désagréable, précise-t-il, 'vous me rappellerez quand vous aurez lu le dossier...'.

Dans le même sens, votre ancien collègue, Monsieur [H] [U], prétend que vos initiatives et attitudes ont contribué à jeter un discrédit sur la société, sur son intégrité, son rôle et son implication.

Je rappellerais que Monsieur [H] [U] a depuis lors démissionné.

Votre attitude se traduit aussi parfois même par une perte sèche de chiffre d'affaires et une baisse de vos marges.

À ce titre, il m'a été récemment rapporté qu'une erreur d'interversion de châssis dont vous êtes l'auteur a engendré pour notre société un préjudice financier de plus de 6 000 €, outre bien sûr l'indéniable perte d'image de l'entreprise qui l'accompagne auprès du client. Ce dernier risque, compte tenu de vos erreurs, de ne plus passer de commandes.

Compte tenu de votre ancienneté et de l'expertise qui est la vôtre, ces nombreux manquements ne peuvent qu'être délibérés.

En outre, vous m'avez menti sur la réalité ou non de votre signature qui figure bien, finalement, sur le document intitulé 'avenant à votre contrat de travail' daté du 23 juillet 2015.

J'en ai désormais la certitude puisque vous m'avez contraint de faire appel à un expert graphologue qui vient de me le confirmer.

Votre refus de collaborer à cette expertise était du reste déjà, finalement, révélatrice.

Durant plus de 6 mois qu'a duré cette affaire, vous n'avez eu de cesse de louvoyer en n'hésitant pas, même, à faire intervenir un avocat parisien comme pour mieux nous défier et faire pression sur notre société.

Vous saviez pourtant et ce, depuis le début, que cet avenant comportait bien votre signature.

Au-delà donc de la légitimité de ma décision de modifier quelque peu votre secteur, il apparaît que vous n'avez pas hésité à faire preuve de mauvaise foi, à mentir et à adopter un comportement totalement déloyal vis-à-vis de votre employeur mais aussi de votre Directeur des Ventes, Monsieur [A] [Z].

Ce dernier en effet, durant plus de 6 mois, s'est vu impliqué dans cette affaire au risque pour lui de la voir déboucher sur une sanction disciplinaire, alors qu'il ne cessait d'affirmer, à juste titre, qu'il avait bien signé avec vous ce document, dans votre bureau à notre Agence de [Localité 3].

Tout ceci est bien sûr inacceptable compte tenu notamment de votre positionnement dans l'entreprise, votre statut de cadre, votre ancienneté et aussi, faut-il le rappeler, l'histoire et les difficiles moments pas si lointains que notre société a traversés.

Votre attitude est déloyale et contraire aux intérêts de l'entreprise que je dirige.

Ce comportement constitue là encore et à lui seul, une faute grave.

- Ainsi donc, insubordination récurrente et renouvelée, déloyauté et mauvaise foi envers votre employeur, collègues et fournisseurs, comportements contraires aux intérêts de notre société, voilà les reproches graves et vérifiés que je me dois de sanctionner'.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la société Lamberet démontre qu'en dépit de la modification de son contrat de travail intervenue le 1er septembre 2015, au terme de laquelle la région parisienne a été retirée de son secteur géographique afférent aux ventes de véhicules utilitaires légers, et de l'avertissement notifié le 29 mars 2016 pour des faits identiques, M. [Y] a continué à travailler sur son ancien secteur auprès de deux clients situés en région parisienne les 1er avril et 7 juin 2016 pour l'un, les 11 avril, 23 et 25 mai 2016 pour l'autre.

Par ailleurs, l'appelante rapporte la preuve d'un comportement inadapté du salarié à l'égard d'un client le 20 avril 2016, ce dernier ayant indiqué, dans son courriel adressé à l'employeur, qu'au cours de son échange avec M. [Y], ce dernier lui a répondu 'sur un ton sec et relativement désagréable : 'vous me rappellerez quand vous aurez lu le dossier'', ce qui n'est pas acceptable, même si la question du client était inutile dès lors qu'il disposait déjà des informations sollicitées.

Elle produit, également, le témoignage de M. [A] [Z], directeur commercial VI, qui indique qu'à compter de sa contestation de signature sur son changement de secteur, M. [Y] ne lui a plus adressé la parole, de M. [P] [V], chef des ventes, qui fait état de la réticence du salarié à communiquer, et encore de M. [N] [L], responsable agence, qui expose qu'à compter de septembre 2015, M. [Y] s'est progressivement isolé du reste de l'équipe.

Elle établit, en outre, que M. [U], successeur du salarié sur les ventes de véhicules utilitaires légers dans le secteur de la région parisienne, étant observé que la modification induite par son arrivée était en discussion depuis deux ans selon le témoignage de Mme [I] [C], directeur commercial VU, a dénoncé, dans sa lettre de démission datée du 7 avril 2016, le comportement de M. [Y] en ces termes : manque 'd'honnêteté de la part de mon collègue, [S] [Y], sensé me transmettre les clients et me laisser 'uvrer sur mon secteur et sur le marché des véhicules utilitaires, et qui n'a eu de cesse d'insinuer que je n'étais pas le bon interlocuteur et que les affaires devaient passer par lui, ont contribué à jeter un discrédit sur la société, sur mon intégrité, mon rôle et mon implication', ce qui, selon lui, a eu les incidences suivantes : 'Cela nous a par ailleurs coûté quelques dossiers comme OOFRAIS (48 véhicules) au mois de novembre pour 4 à 5 véhicules utilitaires passés à la concurrence. Dernièrement en mars pour 2 autres véhicules utilitaires, PREST DISTRIBUTION (46 véhicules) a passé commande à la concurrence malgré une différence de prix en notre faveur car, ayant été visité par [S] et moi-même, le client n'a pas compris notre démarche et le doute s'est installé dans son esprit alors que j'ai répondu par le biais d'IVECO et [S] vraisemblablement en direct avec des offres certainement différentes en termes de prix'.

M. [U] a réitéré ses propos par lettre du 29 avril 2016 en apportant des précisions et d'autres exemples.

Enfin, la société Lamberet fait la démonstration de très nombreux échanges et de son recours à une expertise graphologique sur la signature apposée par M. [Y] sur le document rectifié et annoté le 1er septembre 2015 ainsi que des réticences de ce dernier alors qu'in fine, il a reconnu avoir apposé ladite signature, qu'il intitule paraphe.

Au regard de tous les éléments ainsi recueillis, la cour juge que M. [Y] a commis des manquements graves qui empêchaient toute poursuite de son contrat de travail.

Le jugement déféré est donc infirmé en sa disqualification du licenciement pour faute grave et en ses condamnations subséquentes, l'ensemble des demandes du salarié relatives à la contestation de son licenciement étant rejeté.

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral

M. [Y] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral, ce que l'appelante conteste.

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable, énonce que, lorsque survient un litige relatif à l'application de cette disposition, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [Y] établit que sa présence au salon Solutrans a été annulée le 10 novembre 2015 et que l'employeur lui a demandé à plusieurs reprises s'il avait ou non signé l'avenant proposé le 23 juillet 2015 et s'il acceptait de se soumettre à une expertise graphologique.

Il produit, par ailleurs, son dossier médical faisant apparaître qu'il a rencontré le médecin du travail le 27 juillet 2015, dans le cadre d'une visite de reprise, puis le 18 avril 2016, à sa demande, et que ledit médecin l'a considéré apte à son poste avec nécessité d'un aménagement en préconisant l'utilisation d'un véhicule avec une boîte automatique. Ce dossier fait également mention d'un appel du salarié le 3 mai 2016, et d'échanges avec l'employeur les 20 mai et 10 juin 2016.

Au vu de ces éléments, et indépendamment des autres faits allégués, qui ne sont pas démontrés, compte tenu, notamment, des développements qui précèdent sur les allégations du salarié au soutien de sa demande de résiliation, M. [Y] fournit des éléments matériels qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

Sur les faits retenus, il apparaît que l'annulation de la présence du salarié a été justifiée par l'employeur par la nécessité, pour M. [Y], de se recentrer sur ses activités commerciales, et que les nombreuses correspondances au cours desquelles l'employeur a questionné le salarié sur la signature apposée sur le document daté du 23 juillet 2015 et rectifié et annoté le 1er septembre 2015 s'expliquaient par le comportement de M. [Y] qui contestait avoir signé alors que, dans la procédure prud'homale, il ne nie pas avoir apposé une signature, qu'il intitule paraphe, sur ce document.

La cour considère, dès lors, que l'employeur démontre que les agissements dénoncés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aucun harcèlement moral n'est donc établi.

Le jugement entrepris, qui a rejeté la demande d'indemnisation sur ce fondement, est, en conséquence, confirmé.

Sur les rappels de commissions

Les parties sont d'accord pour appliquer la prescription, mais elles divergent sur le point de départ de la créance revendiquée par M. [Y].

En application de l'article L. 3245-1 du code du travail, le salarié ne peut revendiquer un rappel de commissions qu'à compter du 23 mars 2013, sa demande de paiement pour la période antérieure étant donc irrecevable comme étant prescrite.

Sur le fond, M. [Y] soutient que les modalités de calcul de ses commissions pour véhicules utilitaires légers n'étaient pas conformes aux stipulations contractuelles, ce qui est discuté par la société Lamberet.

Le contrat de travail prévoyait initialement que M. [Y] exercerait ses fonctions d'inspecteur commercial pour vendre, notamment, des véhicules utilitaires légers (VUL) et des véhicules industriels (VI). À cette date, la rémunération variable se composait d'une prime sur ventes de véhicules industriels de 22,87 euros (150 francs) + 0,10 % du chiffre d'affaires, d'une prime sur ventes de véhicules légers de 45,73 euros (300 francs) par matériel + 0,30 % du chiffre d'affaires, ainsi que d'une prime sur objectifs.

À compter du 1er janvier 2006, les parties ont convenu par avenant que le salarié n'exercerait plus que la fonction d'inspecteur commercial VI (véhicules industriels). À cette date, la rémunération variable se composait de commissions de 53,36 euros par véhicule + 0,10 % du chiffre d'affaires, ainsi que d'une prime sur objectifs.

Il est constant que, même sans nouvel avenant, le salarié a de nouveau exercé, dans les faits, en sus, la fonction d'inspecteur commercial VUL (véhicules utilitaires légers), comme cela ressort de cartes communiquées par l'employeur le 19 février 2007.

Aucun avenant n'a entériné cette situation de fait, de sorte que les parties n'ont rien convenu sur la rémunération variable afférente aux véhicules utilitaires légers.

La société Lamberet soutient que le salarié ne pouvait prétendre qu'au tarif de commissions applicable à l'ensemble des commerciaux, mais elle ne démontre pas que tel était l'accord des parties sur ce point, les courriels qu'elle produit, datés des 17 et 19 octobre 2007, ayant expressément fait état d'un avenant à venir pour l'un, de nouvelles méthodes à venir pour l'autre, et elle ne fournit pas d'élément sur les modalités de calcul des commissions des autres commerciaux, à l'instar de M. [R] [T] visé dans le premier courriel.

Il en résulte que M. [Y] est fondé à revendiquer l'application des modalités de calcul prévues par son contrat de travail initial pour le paiement de ses commissions pour véhicules utilitaires légers, soit 45,73 euros par matériel et 0,30 % du chiffre d'affaires.

Le tableau détaillant, année par année, entre 2005 et 2015, sur l'activité du salarié, le chiffre d'affaires réalisé, le nombre de véhicules vendus et le calcul précis de ses commissions ventilées par gamme, qui ne fait ressortir aucune vente de véhicules légers en 2006, contrairement à ce que soutient l'intimé, fait apparaître qu'une prime de 0,30 % du chiffre d'affaires mais de 22,87 euros par matériel lui a été appliquée jusqu'au 14 septembre 2015, sauf en 2005, ce qui n'est pas conforme.

Dans ces conditions, et au regard des éléments fournis de part et d'autre sur le nombre de véhicules utilitaires légers vendus par M. [Y] entre 2013 et 2015, en ce compris le tableau susvisé et les récapitulatifs adressés au salarié chaque année sur l'atteinte de ses objectifs, la cour alloue au salarié les sommes de 9 866,06 euros à titre de rappel de commissions VUL/VL entre les 23 mars 2013 et 9 juin 2016, et 986,61 euros au titre des congés payés afférents, sans comptabiliser les véhicules utilitaires vendus par M. [U] à compter d'octobre 2015, compte tenu de la modification du contrat de travail intervenue à compter de cette date, et déduction faite des sommes réglées au salarié sur la période.

Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce point.

Il est rappelé que ces créances portent intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2016, date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes.

Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement à l'instance, il est justifié de faire masse des dépens de première instance et d'appel et de condamner chacune à les prendre en charge par moitié, l'équité commandant de laisser à chacune la charge des frais de procédure non compris dans les dépens qu'elle a exposés, en ce compris en première instance, ce qui conduit à l'infirmation de la condamnation prononcée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré, sauf en son rejet de la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et ajoutant,

Déclare la demande de rappel de commissions VUL/VL antérieure au 23 mars 2013 prescrite ;

Condamne la SAS Lamberet à payer à M. [Y] les sommes de 9 866,06 euros bruts à titre de rappel de commissions VUL/VL entre les 23 mars 2013 et 9 juin 2016 et 986,61 euros bruts au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2016 ;

Déboute M. [Y] de toutes ses demandes relatives tant à la résiliation de son contrat de travail qu'à son licenciement ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel et condamne chacune des parties à les prendre en charge par moitié ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 17/13027
Date de la décision : 08/01/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°17/13027 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-08;17.13027 ?
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