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19/12/2019 | FRANCE | N°17/11609

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 19 décembre 2019, 17/11609


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2019



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11609 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3P32



Décision déférée à la cour : jugement du 19 mai 2017 -tribunal de commerce de Nancy - RG n° 2016004433





APPELANTE



SASU G7 BOURGOGNE

Ayant son siège soci

al [Adresse 4]

[Localité 2]

N° SIRET : 398 528 117

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11609 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3P32

Décision déférée à la cour : jugement du 19 mai 2017 -tribunal de commerce de Nancy - RG n° 2016004433

APPELANTE

SASU G7 BOURGOGNE

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 2]

N° SIRET : 398 528 117

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0139

INTIMÉE

SA ETS MILLERET CENTRALE LAITIERE NOTRE DAME DE LEFFOND

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 426 250 023

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

PARTIES INTERVENANTES

SELARL AJ PARTENAIRES prise en la personne de Maître [S] [U] ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SASU G7 BOURGOGNE

Demeurant [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0139

Maître [B] [T] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SASU G7 BOURGOGNE

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0139

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 septembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente

Mme Christine SOUDRY, Conseillère, chargée du rapport

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente et par Mme Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Milleret centrale laitière Notre-Dame de Leffond (ci-après société Milleret) fabrique et commercialise des fromages.

La société N7 Froid a pour activité le transport routier et de marchandises.

La société Milleret a confié à la société N7 Froid des opérations de transport de ses marchandises.

En 2014, la société N7 Froid a changé de dénomination et est devenue la société G7 Bourgogne dans le cadre du rapprochement avec deux autres sociétés spécialisées dans le transport frigorifique, créant ainsi le groupe G7.

Le 10 décembre 2014, la société Milleret a adressé à la société N7 Froid une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ayant pour objet la :'Résiliation à titre conservatoire de nos relations contractuelles - Information concernant les réflexions menées par notre société' dans le cadre d'une réflexion visant à réétudier l'ensemble du schéma d'approvisionnement de ses clients.

Par courriel en date du 9 juillet 2015, la société Milleret a indiqué à la société G7 Bourgogne que ses offres tarifaires n'étaient pas retenues et qu'elle mettait fin à leur collaboration à compter du 1er septembre 2015.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 août 2015, la société Milleret a confirmé à la société G7 Bourgogne la fin de leurs relations à compter du 7 septembre 2015.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 août 2013, la société G7 Bourgogne a dénoncé à la société Milleret une rupture brutale des relations commerciales et estimé qu'un préavis d'une année aurait dû être respecté compte tenu de l'ancienneté des relations.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 octobre 2015, la société Milleret a contesté l'analyse de la société G7 Bourgogne selon laquelle la lettre du 10 décembre 2014 ne pouvait pas constituer le point de départ du préavis tout en acceptant la prorogation du préavis accordé dans cette lettre ; la fin des relations étant reportée au 14 mars 2016.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 10 février 2016, la société G7 Bourgogne a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Milleret de poursuivre les relations commerciales jusqu'en octobre 2016.

Par acte d'huissier de justice en date du 15 avril 2016, la société G7 Bourgogne a assigné la société Milleret devant le tribunal de commerce de Nancy en vue de se voir indemniser du préjudice résultant de la rupture des relations commerciales sur le fondement de l'article L.442-6 5° du code de commerce.

Par un jugement du 19 mai 2017, le tribunal de commerce de Nancy a :

- déclaré la société G7 Bourgogne mal fondée en ses demandes au titre de la rupture abusive des relations commerciales,

- l'en a déboutée,

- déclaré la société G7 Bourgogne mal fondée en sa demande à titre de dommages-intérêts,

- l'en a déboutée,

- condamné la société G7 Bourgogne à payer à la société Milleret la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société G7 Bourgogne aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 12 juin 2017, la société G7 Bourgogne a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement du 5 décembre 2017, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société G7 Bourgogne.

Par jugement du 5 février 2019, le tribunal de commerce de Grenoble a adopté un plan de redressement.

***

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions du 25 avril 2019, la société G7 Bourgogne, la société AJ Partenaires représentée par Me [S] [U] et Me [B] [T], intervenant volontairement à l'instance en leur qualité de commissaires à l'exécution du plan, demandent à la cour de :

- dire et déclarer la société G7 Bourgogne bien fondée en son appel ;

- réformer le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

Vu les dispositions de l'article L 442-6-1-5 du code de commerce :

- condamner la société Milleret à payer à la société G7 Bourgogne les sommes de :

- 581.161 euros au titre de l'indemnité du préjudice subi ;

- 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Milleret aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société G7 Bourgogne affirme avoir entretenu des relations avec la société Milleret depuis 1994, d'abord sous la dénomination de N7 Froid puis, à compter de 2014, sous sa dénomination actuelle. Elle soutient que seule la lettre du 7 août 2015 adressée par la société Milleret a manifesté la volonté claire de cette dernière d'interrompre les relations commerciales les liant et a annoncé une date de fin des relations à compter du 1er septembre 2015, de sorte que cette lettre doit constituer le point de départ du délai de préavis. Elle prétend qu'à l'inverse, la lettre du 10 décembre 2014 était imprécise et équivoque sur la volonté de rompre les relations et ne contenait aucune date précise de terme si bien qu'elle ne peut constituer le point de départ du délai de préavis.

Elle ajoute que cette lettre ne fait mention d'aucun appel d'offres et ne saurait constituer sa mise en concurrence avec d'autres sociétés. Elle fait valoir que dans ces conditions, elle ne pouvait anticiper une rupture totale des relations commerciales avec sa partenaire à la date du 10 décembre 2014. Elle relève qu'au contraire, au mois de mars 2015, la société Milleret a retenu sa candidature « pour les dossiers DIA pour les PF de [Localité 6] et [Localité 5] ». En tout état de cause, elle fait valoir que les relations se sont poursuivies avec la société Milleret au delà du mois de juin 2015, période annoncée par la société Milleret dans la lettre du 10 décembre 2014 comme étant le terme des relations.

Elle soutient que si cette lettre devait être retenue comme marquant le point de départ du délai de préavis, la poursuite des relations au-delà du 30 juin 2015 rendait en tout état de cause le préavis caduc. Elle en déduit que le préavis de sept mois qui lui a été accordé était insuffisant eu égard à l'ancienneté des relations (plus de 20 ans), à sa dépendance économique à l'égard de sa partenaire et aux investissements réalisés pour elle.

Elle considère qu'au regard de ces éléments, un préavis de quinze mois aurait dû lui être accordé. Elle revendique en conséquence la réparation de la perte de marge que l'insuffisance de préavis lui a occasionné.

Dans ses dernières conclusions du 29 mai 2019, la société Milleret demande à la cour de:

Vu l'article L 442-6-1-5 du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 19 mai 2017, en ce qu'il a :

- dit et jugé que la notification en date du 10 décembre 2014 constitue le point de départ du préavis ;

- dit et jugé que le préavis accordé par la société Milleret exécuté du 10 décembre 2014 au 14 mars 2016, d'une durée de plus de quinze mois, est suffisant ;

En conséquence,

- déclaré la société G7 Bourgogne mal fondée en ses demandes au titre de la rupture abusive des relations commerciales établies et l'en a débouté ;

- déclarer, en conséquence, les appelantes mal fondées en leurs demandes au titre de la rupture abusive des relations commerciale établies et les débouter de l'intégralité de leurs demandes à ce titre ;

A titre subsidiaire, si par impossible la cour venait à considérer que le courrier du 10 décembre 2014 ne constitue pas le point de départ du préavis et que la notification du résultat de l'appel d'offre en date du 9 juillet 2015 constitue le point de départ du préavis :

- dire et juger que le préavis accordé par la société Milleret a commencé à courir le 9 juillet 2015 et s'est achevé le 14 mars 2014 ;

- dire et juger que ce préavis est suffisant au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

- déclarer, en conséquence, les appelantes mal fondées en leurs demandes au titre de la rupture abusive des relations commerciales établies et les débouter de l'intégralité de leurs demandes à ce titre ;

En tout état de cause,

- condamner solidairement les appelantes au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

En défense, la société Milleret considère qu'aucune rupture brutale des relations commerciales la liant à la société G7 Bourgogne ne peut lui être reprochée. Elle affirme avoir notifié sa volonté claire et non équivoque de rompre ces relations par lettre du 10 décembre 2014. Elle explique en effet avoir, par ce courrier, informé la société G7 Bourgogne de ses réflexions quant à la modification de son schéma d'approvisionnement et de transport existant, indiqué sa volonté de ne pas poursuivre ses relations dans les conditions antérieures à compter du mois de juin 2015 au plus tôt et fait état d'un calendrier de mise en oeuvre d'un appel d'offres. Elle ajoute que les échanges postérieurs avec la société G7 Bourgogne manifestent que celle-ci était parfaitement consciente des enjeux et que c'est dans ces conditions qu'elle a participé à l'appel d'offres. Elle précise que si le délai initialement annoncé comme marquant le terme des relations a été prorogé, c'est à la demande de la société G7 Bourgogne et que cela ne saurait lui être reproché. Elle fait valoir que la société G7 Bourgogne a reconnu, dans ses conclusions devant le tribunal de commerce de Nancy, la précarisation des relations à compter de la lettre du 10 décembre 2014. Elle estime que le point de départ du préavis étant constitué par la lettre du 10 décembre 2014 et les relations ayant effectivement pris fin au mois de mars 2016, le préavis de quinze mois observé était largement suffisant pour permettre à la société G7 Bourgogne de se réorganiser. A titre subsidiaire, elle soutient que le délai de préavis doit courir à compter du 9 juillet 2015, date à laquelle elle a notifié à la société G7 Bourgogne que sa candidature n'était pas retenue dans le cadre de l'appel d'offres.

Elle conteste par ailleurs l'ancienneté de relations de 20 ans alléguée par l'appelante. Elle affirme à cet égard que la société G7 Bourgogne ne rapporte pas la preuve que les relations entretenues se situent dans le sillage de celles qui existaient auparavant avec la société N7 Froid de sorte que les relations entre elles n'ont débuté qu'au 1er juillet 2014. Elle ajoute que les prestations réalisées par la société G7 Bourgogne ne présentaient aucune particularité et n'ont nécessité aucun investissement spécifique et qu'il n'existait aucune dépendance économique. Elle souligne que le marché du transport de marchandises est un marché dynamique et atomisé qui permettait à la société G7 Bourgogne de réorganiser son activité dans un délai de trois mois. Elle réfute avoir admis que le délai de préavis devait être de quinze mois.

Elle affirme enfin que la société appelante ne rapporte ni la preuve du préjudice allégué ni la preuve du lien de causalité entre l'insuffisance de préavis dénoncée et les sommes réclamées.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 juin 2019.

***

MOTIFS :

Sur la rupture brutale des relations commerciales

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale entretenue entre les sociétés Milleret et G7 Bourgogne n'est pas contesté. En revanche, sont discutés la durée des relations, le point de départ du préavis, le délai de préavis ainsi que l'importance des relations entretenues.

En ce qui concerne tout d'abord la durée des relations, la société Milleret ne saurait valablement contester que les relations entretenues avec la société G7 Bourgogne font suite aux relations entretenues avec la société N7 Froid alors qu'il ressort de l'extrait du registre du commerce et des sociétés ainsi que des pièces produites aux débats que la société G7 Bourgogne existe depuis 1994, a la même personnalité morale que la société N7 Froid et a seulement changé de dénomination sociale dans le cadre d'un rapprochement avec les sociétés Transports Guebey et Plein Sud pour former le groupe G7. En outre, la société Milleret ne saurait de bonne foi nier que les relations litigieuses ont duré 20 ans, soit au moins depuis 1995, alors qu'elle n'a jamais démenti cette ancienneté revendiquée par la société G7 Bourgogne dans son courriel du 31 juillet 2015 (pièce 8 de l'intimée) et qu'elle a elle-même reconnu « l'historique de (leurs) relations » dans son courrier du 7 octobre 2015 pour accepter que les relations cessent le 14 mars 2016, à l'issue d'un préavis de quinze mois (pièce 13 de l'intimée).

En ce qui concerne ensuite le point de départ du préavis, la société Milleret estime que celui-ci doit courir à compter de sa lettre du 10 décembre 2014, ou à tout le moins, à compter de son courriel du 9 juillet 2015, tandis que la société G7 Bourgogne estime qu'il doit être fixé au 7 août 2015.

Le point de départ du délai de préavis doit être fixé au jour où le contractant informe son partenaire de sa volonté de ne pas poursuivre la relation en lui notifiant son intention définitive et non équivoque de changer de partenaire. Ainsi le préavis ne saurait courir à partir de l'annonce d'une simple intention non définitive.

En l'espèce, la société Milleret a adressé, le 10 décembre 2014, à la société G7 Bourgogne une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ayant pour objet la :'Résiliation à titre conservatoire de nos relations contractuelles - Information concernant les réflexions menées par notre société' et rédigée comme suit :

« Je fais suite, par la présente, à notre dernier échange téléphonique du 10 décembre 2014 au sujet des relations contractuelles que les sociétés N7 FROID SAS et ETABLISSEMENTS MILLERET entretiennent de manière régulière.

Bien que notre Société et la vôtre n'aient jamais formalisé de contrat cadre écrit de transport de marchandises périssables sous température dirigée, votre Société effectue des réceptions et livraisons de telles marchandises depuis le site de la Fromagerie MILLERET à [Localité 4], jusqu'à différents points de stockage en grandes et moyennes surfaces situés sur le territoire national et à l'étranger.

Comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer avec vous lors de notre dernière conversation, notre Société est actuellement en train d'initier une réflexion, visant à réétudier l'ensemble du schéma d'approvisionnement de ses clients, afin d'optimiser tout-à-la fois l'efficacité du transport de ses marchandises à destination de ceux-ci et le coût d'intervention de nos transporteurs. Selon cette démarche d'études et d'analyse, notre Société s'interroge sur l'opportunité de modifier le schéma d'approvisionnement et de transport actuel, au plus tôt à compter de Juin 2015.

Dans le souci de transparence et de loyauté qui anime notre Entreprise à l'égard de l'ensemble de ses partenaires économiques, je tenais à vous faire part de la réflexion ainsi initiée par la Société ETABLISSEMENTS MILLERET. En effet, même si notre Société n'a pas déterminé comme objectif de mettre nécessairement un terme aux relations économiques qu'elle entretient avec l'ensemble de ses partenaires transporteurs, il n'est pas exclu que le résultat de notre réflexion et des négociations qui en seront la conséquence aboutisse, au plus tôt à compter du Juin 2015, à la résiliation des relations commerciales en vigueur entre la Société ETABLISSEMENTS MILLERET et la Société N7 FROID SAS.

Notre Société n'entendant pas rompre de manière brutale une relation d'affaires harmonieusement établie avec la Société N7 FROID SAS, il m'est apparu indispensable de vous rendre expressément compte de l'initiation de nos réflexions, en considérant tout à la fois l'ancienneté et la qualité de notre partenariat économique et la rédaction des documents contractuels que nos Sociétés ont eu l'occasion de régulariser en avril 2014.

Cette résiliation, intervenant à l'initiative de la Société ETABLISSEMENTS MILLERET, est opérée à titre conservatoire, d'une part afin de respecter le préavis de trois mois expressément convenu dans la clause susvisée au Cahier des Charges Transport, mais aussi dans le but d'informer votre Société, eu égard à la préexistence de nos relations d'affaires, de la réflexion menée par l'Entreprise MILLERET et des orientations qu'elle est susceptible de mettre en oeuvre à compter de Juin 2015.

La présente résiliation à titre conservatoire ne doit donc aucunement s'analyser comme une rupture définitive de nos relations commerciales, mais uniquement comme une information loyalement délivrée par la société MILLERET, à l'heure où celle-ci met en oeuvre certaines études et réflexions, ainsi qu'un calendrier prévisionnel de modifications potentielles dans son schéma d'approvisionnement de ses clients. Dans le cadre de ses études et de sa réflexion en vue de la mise en place éventuelle d'un schéma d'approvisionnement modifié, notre Société sera bien évidemment amenée à mener certaines discussions avec ses partenaires actuels, en ce compris la Société N7 FROID SAS, mais probablement avec d'autres transporteurs potentiels.

Nous espérons toutefois que le résultat de ces études et analyses, ainsi que des échanges et discussions qui ne manqueront pas d'intervenir entre la Société ETABLISSEMENTS MILLERET et votre Société, nous permettront de poursuivre nos relations commerciales par la conclusion de nouveaux contrats mutuellement profitables.

Je me tiens, pour ma part, à votre entière disposition pour vous fournir toutes précisions complémentaires que vous souhaiteriez obtenir au sujet de la présente résiliation à titre conservatoire de nos relations contractuelles. »

Or ce courrier ne manifeste de la part de la société Milleret aucune volonté définitive d'interrompre les relations avec la société G7 Bourgogne puisqu'il évoque « une résiliation à titre conservatoire », qu'il précise qu'il ne peut s'analyser « comme une rupture définitive (des) relations commerciales », qu'il fait état des réflexions en cours sur le schéma d'approvisionnement et qu'il n'exclut pas que ces réflexions puissent mener à une résiliation des relations commerciales au plus tôt en juin 2015 sans en donner l'assurance.

Ce courrier ne prévoit par ailleurs aucun appel d'offres (date limite de dépôt des candidatures, de traitement des dossiers et de réponse au fournisseur retenu et aux autres participants...) mais évoque uniquement que des discussions auront lieu avec les transporteurs actuels, en ce compris la Société N7 Froid, et aussi probablement avec d'autres transporteurs potentiels, ce qui ne saurait constituer de manière certaine une mise en concurrence de la société G7 Bourgogne. Il sera encore relevé que l'absence de caractère univoque du courrier du 10 décembre 2014 est confortée par un courriel adressé le 25 mars 2015 par la société Milleret à la société G7 Bourgogne dans lequel elle annonce que la candidature de cette dernière est retenue dans le dossier DIA pour les plateformes [Localité 6] et [Localité 5], ce qui marque une volonté de poursuivre les relations. Ce n'est qu'à compter des mois de mai/juin 2015 que les échanges entre les parties manifestent la décision de la société Milleret de réorganiser son schéma d'approvisionnement en ne retenant que deux transporteurs et la mise en concurrence de la société G7 Bourgogne avec d'autres transporteurs sans toutefois qu'aucun préavis écrit n'ait été délivré à cette dernière signifiant la volonté d'interrompre les relations à l'issue du processus de mise en concurrence. Or seul un préavis écrit, quelle qu'en soit la forme, est de nature à écarter le grief de brutalité de la rupture. Ce n'est que par courriel du 9 juillet 2015 que la société Milleret a annoncé à la société G7 Bourgogne que sa candidature n'était pas retenue et qu'elle entendait mettre fin à leurs relations à compter du 1er septembre 2015. Cet avis écrit contenant l'expression de la volonté ferme et définitive de la socéité Milleret d'interrompre les relations doit en conséquence être retenu comme point de départ du préavis.

Il n'est pas discuté que les relations entre les sociétés ont cessé le 14 mars 2016, ce qui correspond à un préavis observé de huit mois.

Or le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, il résulte de la pièce 1 produite par la société appelante que le chiffre d'affaires réalisé par la société G7 Bourgogne avec la société Milleret s'élevait à

712.346,10 euros en 2011, 832.421,64 euros en 2012, 831.810,50 euros en 2013 et 840.404,02 en 2014, ce qui correspondait à 7,21% du chiffre d'affaires total de la société G7 Bourgogne en 2011, 7,87% en 2012, 7,66% en 2013 et 8,01% en 2014. Ces chiffres ne sont pas contredits par les pièces de la société Milleret quant au volume d'affaires réalisé entre les deux sociétés et sont corroborés par la situation comptable de la société G7 Bourgogne au 31 octobre 2016 en ce qui concerne le pourcentage d'activité réalisé par cette dernière avec la société Milleret. Il en résulte qu'aucune dépendance économique de la société G7 Bourgogne à l'égard de la société Milleret n'est établie. Contrairement à ce que la société appelante prétend, celle-ci ne rapporte pas la preuve d'un quelconque lien entre la perte de la société Milleret comme client et la procédure collective dont elle fait l'objet d'autant plus qu'un article de presse spécialisée dans le domaine du transport (la pièce 25 de la société intimée) met en cause des difficultés au sein du groupe G7 pour expliquer les procédures collectives dont font l'objet les sociétés appartenant audit groupe.

En outre, la société G7 Bourgogne ne démontre pas avoir réalisé des investissements spécifiques dans le cadre de ses relations contractuelles avec la société Milleret puisqu'elle n'établit aucunement que le matériel relatif au transport frigorifique ne pourra pas être réutilisé dans le cadre d'une autre relation.

Au regard de ces éléments, un préavis de douze mois était nécessaire à la société G7 Bourgogne pour se réorganiser. Le délai de huit mois observé apparaît donc insuffisant au regard de l'ancienneté des relations (20 ans), du volume d'affaires en cause (plus de 800.000 euros par an) et du secteur très concurrentiel concerné. La responsabilité de la société Milleret sera donc engagée en raison de la rupture brutale des relations commerciales qui lui est imputable. Le jugement entrepris doit être infirmé sur ce point.

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, celui-ci est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

Il résulte des éléments précités que la société G7 Bourgogne a réalisé un chiffre d'affaires annuel moyen de 834.878,72 euros par an entre 2012 et 2014, soit dans les trois années précédant la rupture, ce qui correspond à un chiffre d'affaires mensuel moyen de 69.573,22 euros.

Selon les éléments comptables produits aux débats, le taux de marge brute de la société G7 Bourgogne s'élevait à 56,21% au 31 mars 2016.

Par ailleurs, le préavis doit s'exécuter dans des conditions équivalentes à celles précédant l'avis de rupture. Or il résulte des pièces versées aux débats que la société G7 Bourgogne a subi une réduction du volume d'affaires réalisé avec la société Milleret pendant le préavis de huit mois exécuté puisqu'elle aurait dû réaliser un chiffre d'affaires de 556.585,76 euros (69.573,22 euros x 8 mois) entre les mois d'août 2015 et mars 2016 alors qu'elle n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 416.908,86 euros (cf. tableau pièce 7 de la société appelante), soit un différentiel de 139.676,90 euros. En outre, le préavis observé était insuffisant et une durée supplémentaire de quatre mois aurait dû être respectée, ce qui aurait dû permettre à la société G7 Bourgogne de réaliser un chiffre d'affaires de 278.292,88 euros (69.573,22 euros x 4 mois) pendant cette période.

En conséquence, la perte de marge subie par la société G7 Bourgogne du fait de l'insuffisance du préavis observé par la société Milleret sera évaluée à 234.940,81 euros [(139.676,90 + 278.292,88 = 417.969,78 euros) x 56,21%]. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la société G7 Bourgogne de sa demande de dommages et intérêts et la société Milleret sera condamnée à régler à la société G7 Bourgogne une somme de 234.940,81 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales qui lui est imputable. La société G7 Bourgogne sera déboutée du surplus de sa demande d'indemnisation.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Milleret succombe à l'instance. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société G7 Bourgogne aux dépens de première instance et en ce qu'il a condamné la société G7 Bourgogne à payer à la société Milleret la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société Milleret supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à régler à la société G7 Bourgogne une somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. La demande de la société Milleret au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera écartée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

DIT que le courriel du 9 juillet 2015 adressé par la société Milleret à la société G7 Bourgogne doit être retenu comme point de départ du préavis ;

DIT qu'un préavis de douze mois aurait dû être observé par la société Milleret avant de rompre ses relations commerciales avec la société G7 Bourgogne ;

DIT que le préavis de huit mois observé par la société Milleret est insuffisant et déclare la société Milleret responsable à l'égard de la société G7 Bourgogne de cette insuffisance de préavis ;

CONDAMNE la société Milleret à régler à la société G7 Bourgogne une somme de 234.940,81 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales imputable à la société Milleret ;

DÉBOUTE la société G7 Bourgogne du surplus de sa demande d'indemnisation ;

CONDAMNE la société Milleret à régler à la société G7 Bourgogne une somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

CONDAMNE la société Milleret à supporter les dépens de première instance et d'appel.

Hortense VITELA -GASPAR Marie-Annick PRIGENT

Greffière Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/11609
Date de la décision : 19/12/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°17/11609 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-19;17.11609 ?
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