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17/12/2019 | FRANCE | N°17/23073

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 17 décembre 2019, 17/23073


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 17 DECEMBRE 2019



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/23073 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VL4



Décision déférée à la Cour : sentence rendue le 30 octobre 2017 par le tribunal arbitral, composé de M. Pierre Tercier et Mme Dominique Brown-Berset, co-arbitres, et de M. Wolfgang Peter, président,



DEMANDERESSES AU RECOURS :

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SA DES GALERIES LAFAYETTE

prise en la personne de ses représentants légaux



[Adresse 1]

[Localité 1]



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOU...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 17 DECEMBRE 2019

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/23073 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VL4

Décision déférée à la Cour : sentence rendue le 30 octobre 2017 par le tribunal arbitral, composé de M. Pierre Tercier et Mme Dominique Brown-Berset, co-arbitres, et de M. Wolfgang Peter, président,

DEMANDERESSES AU RECOURS :

SA DES GALERIES LAFAYETTE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Philippe GINESTIE et Me Rudy LENTINI, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 138

SAS 44 GALERIES LAFAYETTE - 44 GL

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Philippe GINESTIE et Me Rudy LENTINI, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 138

SAS GALERIES LAFAYETTE HAUSSMANN - GL HAUSSMANN

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Philippe GINESTIE et Me Rudy LENTINI, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 138

SAS MAGASINS GALERIES LAFAYETTE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Philippe GINESTIE et Me Rudy LENTINI, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 138

SAS BHV EXPLOITATION venant aux droits de la société BAZAR de L'HOTEL DE VILLE, aujourd'hui dénommée IMMOBILIERE DU MARAIS

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Philippe GINESTIE et Me Rudy LENTINI, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 138

DÉFENDERESSES AU RECOURS :

BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE en son nom personnel et venant aux droits des sociétés LASER et LASER COFINGA

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0020

assistée de Me Chloé SAYNAC, Me Guillaume de RANCOURT et de Me Jean-Yves GARAUD, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : J21

SA BNP PARIBAS

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0020

assistée de Me Chloé SAYNAC, Me Guillaume de RANCOURT et de Me Jean-Yves GARAUD, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : J21

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 novembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre

Mme Anne BEAUVOIS, présidente

M. Jean LECAROZ, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière.

Le 20 septembre 2005, un pacte d'actionnaires a été signé entre la Famille [J], les sociétés Motier, Galeries Lafayette, Lafayette Services-Laser (devenue ensuite Laser), BNP Paribas, Cetelem et Cofinoga. Cet accord a été conclu dans le cadre d'une opération visant la prise de contrôle de Galeries Lafayette par la Famille [J], via sa société holding Motier, avec l'apport de capitaux de BNP Paribas. Ce pacte d'actionnaires contient à l'alinéa 2 de la clause 20 une clause compromissoire.

La Famille [J] et BNP Paribas déclarant souhaiter renforcer les partenariats entre les groupes Galeries Lafayette et Cetelem dans les domaines du crédit à la consommation, du financement et de la distribution de produits financiers, ont décidé de mettre en place un contrôle conjoint de Cofinoga, société fournisseur du crédit à la consommation proposé à la clientèle des enseignes Galeries Lafayette et BHV des grands magasins du groupe Galeries Lafayette.

En suite de diverses cessions, BNP Paribas, par le biais de Cetelem, et Galeries Lafayette sont devenues actionnaires à parts égales de Laser. Le pacte d'actionnaires portait sur la gestion de Laser et le contrôle de Cofinoga. L'article 10 de ce pacte octroyait à Galeries Lafayette le bénéfice d'une option de vente portant sur ses actions Laser que Cetelem s'engageait à racheter. Les parties convenaient que le prix des actions cédées serait fixé à dire d'expert, déterminé par un collège de trois experts, en application de l'article 1592 du code civil.

Le 19 septembre 2012, Galeries Lafayette a exercé l'option de vente. Le 2 janvier 2014, Galeries Lafayette et BNP Paribas ont conclu un contrat de cession portant sur 50 % des actions Laser détenues par la première ; elles ont conclu le même jour deux contrats de partenariat, ces trois contrats comportant une clause arbitrale identique.

Après plusieurs mois de négociation, les parties ont conclu un protocole d'expertise et ont désigné un collège de 'Banques Experts'. Le 28 mai 2014, le collège a abouti à la valorisation de 100 % du capital de la société Laser à la somme de deux cent cinq millions d'euros et en conséquence à la fixation du prix à dire d'expert à la somme de cent deux millions et cinq cent mille euros.

Un différend s'est élevé sur ce prix que Galeries Lafayette a considéré comme modeste, eu égard notamment à l'évaluation de cette filiale commune dans l'arrêté des comptes 2002 de Laser.

Il a été procédé à la cession de la propriété des actions Laser et au paiement du prix le 25 juillet 2014, après injonction faite à Galeries Lafayette par ordonnance de référé du président du tribunal de commerce du 23 juin 2014 et refus de suspendre l'exécution de cette mesure par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris du 11 juillet 2014.

Le 6 octobre 2014, les sociétés du groupe Galeries Lafayette ont engagé une procédure d'arbitrage, sous l'égide de la CCI, à l'encontre des sociétés du Groupe BNP Paribas.

Par sentence rendue le 30 octobre 2017, le tribunal arbitral, composé de M. Pierre Tercier et Mme Dominique Brown-Berset, co-arbitres, et de M. Wolfgang Peter, président, a déclaré que les Banques Experts n'avaient commis aucune erreur grossière de nature à priver leur décision de force obligatoire, rejeté toutes les demandes formulées par les demandeurs, laissé à la charge des demandeurs l'intégralité des frais qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure arbitrale, les ont condamnés solidairement à payer aux défendeurs la somme de 425 405 dollars américains correspondant à la quote-part des frais de l'arbitrage payée par ces derniers, condamné solidairement les demandeurs au paiement de la somme de 1 425 297,20 euros correspondant aux frais exposés par les défendeurs pour leur défense dans le cadre de la procédure arbitrale.

Le 22 décembre 2017, les sociétés demanderesses à l'arbitrage ont formé un recours en annulation contre cette sentence.

Par dernières conclusions signifiées le 2 août 2019, les sociétés demanderesses au recours, appartenant au Groupe Galeries Lafayette, ci-après les demanderesses, demandent à la cour d'annuler la sentence interne en application de l'article 1492, 2° du code de procédure civile et de renvoyer la question au fond, après l'annulation prononcée, soutenant au fond que les Banques Experts ont commis des erreurs grossières qu'un homme de l'art consciencieux et avisé n'aurait pas commises, qu'elles ont violé les obligations qui résultaient du mandat qu'elles avaient reçu des parties et qu'elles n'ont pas répondu à leurs attentes légitimes, en conséquence sollicitant de voir déclarer les conclusions des experts nulles et de nul effet, de ce fait, nul et de nul effet, pour défaut de prix, le contrat de cession du 2 janvier 2014 conclu entre Galeries Lafayette et BNP Paribas Personal Finance et l'ordre de mouvement signé le 25 juillet 2014.

En conséquence, les demanderesses concluent à la condamnation de BNP Paribas Personal Finance à leur payer une indemnité de 678 millions d'euros et la compensation de cette somme avec celle de 102,5 millions d'euros versée par BNP Paribas Personal Finance le 25 juillet 2014, à défaut, à titre de provision de 334 millions d'euros, la condamnation solidaire des sociétés BNP Paribas et BNP Paribas Personal Finance à verser à chacune d'elles la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 11 septembre 2019, BNP Paribas Personal Finance et BNP Paribas, ci-après les défenderesses, demandent à la cour de rejeter le recours en annulation des demanderesses, de les condamner 'solidairement chacune' au paiement d'une amende civile de 10.000 euros, de condamner les demanderesses à leur payer la somme de 150.000 euros pour procédure abusive, subsidiairement, si par extraordinaire la cour d'appel devait prononcer l'annulation de la sentence arbitrale, de renvoyer les parties à la mise en état pour permettre aux défenderesses de conclure au fond, en tout état de cause, de condamner les demanderesses à leur payer une indemnité de 250 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

SUR QUOI :

Sur le moyen unique d'annulation tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral (article 1492 2° du code de procédure civile)

Les demanderesses aux recours reprochent aux arbitres leur défaut d'impartialité.

Elles prétendent que sur la base des écrits des banques experts, les arbitres ont cru à l'existence d'un rapport de motivation des conclusions de ces dernières et qu'en concluant ensuite au § 244 de la sentence que 'les Banques Experts n'ont ni dissimulé l'absence d'un tel rapport, ni fait accroire à son existence', le tribunal arbitral a dénié ses propres écrits et déclarations, que ce déni n'a pu être que conscient et a écarté du débat un fait déterminant de l'affaire, qu'il constitue une atteinte à l'objectivité qui s'imposait aux arbitres et fait naître un doute légitime sur leur impartialité, qu'en conséquence, la sentence arbitrale doit être annulée comme rendue par un tribunal arbitral irrégulièrement constitué.

Elles répondent que contrairement à ce que soutiennent les conclusions adverses, elles invitent la cour à s'interroger exclusivement sur le comportement des arbitres, indépendamment du fond de l'affaire et uniquement en ce que ce comportement caractérise leur manque d'impartialité, soutenant qu'aucune limitation n'est apportée au pouvoir de la cour de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant le défaut d'impartialité, les arbitres ayant fait preuve d'un manque d'indépendance d'esprit qui ressort de leurs propres écrits.

Les défenderesses au recours répliquent d'une part, que sous couvert du défaut d'impartialité des trois arbitres, les demanderesses tentent de remettre en cause une appréciation au fond du tribunal arbitral et qu'il n'appartient pas à la cour d'appel de contrôler si le tribunal arbitral a bien ou mal interprété les courriers échangés entre Galeries Lafayette et les banques experts, d'autre part, que l'interprétation des pièces litigieuses par les arbitres est exempte de toute partialité.

Le manquement de l'arbitre à son obligation d'impartialité est sanctionnée au titre de l'article 1492, 2° du code de procédure civile.

L'indépendance d'esprit est indispensable à l'exercice du pouvoir juridictionnel, quel qu'en soit la source, et constitue l'une des qualités essentielles de l'arbitre qui assure à chaque partie un traitement égal.

Le défaut d'impartialité doit résulter de faits précis et vérifiables de nature à faire naître un doute raisonnable sur cette impartialité.

Le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au juge du contrôle de la régularité de la sentence.

En l'espèce, le collège d'experts ayant remis ses conclusions relatives à la fixation du prix à dire d'expert le 28 mai 2014, les demanderesses, contestant ses conclusions, lui ont demandé, dès le 5 juin 2014, de leur adresser 'le document ayant motivé votre décision et exposant les méthodes et paramètres et, plus généralement, le cheminement ayant conduit à vos conclusions '. Elles ont réitéré leur demande le 10 juin suivant.

Le 11 juin 2014, les experts ont apporté la réponse suivante : « Ces conclusions ont été rendues à l'unanimité des membres composant le Collège sur la base des travaux réalisés à partir des informations communiquées par la société, des observations formulées par les Parties, et selon les règles de l'art, sous la supervision des comités de valorisation des trois Experts. Conformément aux dispositions de l'article 3.1.4 du Protocole d'Expertise, ces travaux sont confidentiels et nous ne pouvons donc répondre favorablement à votre demande de communication ».

Dans son courrier du 17 juillet 2014, en réponse à une nouvelle demande, le collège d'experts a réitéré les termes de son courrier précédent, invoquant la clause de confidentialité couvrant ses travaux, les échanges entre les experts et ses délibérés, prévue par le protocole d'expertise, ajoutant qu'il ne pourrait répondre favorablement à la demande qu'à la condition que les parties renoncent expressément à cette clause.

Après l'introduction de l'arbitrage en octobre 2014, les demanderesses ont débattu devant les arbitres dans le cadre des demandes de mesures provisoires de la production dudit document, les défenderesses s'opposant à la levée de la confidentialité. Les demanderesses ont sollicité le 31 août 2015 auprès des arbitres la production du 'rapport de fin de mission' établi par les trois banques experts. Le 4 septembre 2015, les défenderesses à l'arbitrage ont, 'sans préjudice des objections formulées dans l'arbitrage, notamment au regard de l'article 3.1.4 du Protocole d'expertise' donné leur accord pour que les experts communiquent aux parties le document sollicité par les demanderesses, si le tribunal arbitral l'estimait approprié.

Le 8 septembre 2015, le tribunal arbitral, après avoir relevé que 'le rapport de fin de mission a été visé dans la lettre que les Banques Experts ont adressée à Galeries Lafayette le 17 juillet 2014", et pris note de la réponse des défenderesses contenant le rappel de ses objections déjà formulées au regard de l'article 3.1.4 du protocole d'expertise, a estimé approprié que les banques experts communiquent aux parties le document sollicité.

Le 16 octobre 2015, les experts ont répondu qu'ils n'avaient pas dans leur courrier du 17 juillet 2014, examiné le fond de la demande de communication qui leur était faite, contrairement à ce qu'affirmaient Galeries Lafayette, mais s'étaient limités à observer que l'article 3.1.4 du protocole d'expertise posait un principe général confidentialité, qu'eux-mêmes n'entendaient pas renoncer à cette confidentialité et que s'agissant du document demandé exposant leur motivation, il n'était pas prévu par le protocole d'expertise, concluant qu'' Un tel document n'existe pas et n'était donc pas requis'.

Dans les dernières conclusions dont elles ont saisi le tribunal arbitral (§ 91 de la sentence), les demanderesses ont alors invoqué au titre des erreurs grossières commises par les banques experts la violation de leur obligation de motiver. Les arbitres se sont prononcés sur cette violation alléguée aux paragraphes 162 à 251 de la sentence.

Selon les demanderesses, la preuve du défaut d'impartialité des arbitres résulte de la comparaison entre d'une part, les termes utilisés au § 244 de la sentence et d'autre part, leurs écrits et déclarations et ceux des parties. Elles estiment que les arbitres ont eu la conviction de l'existence d'un rapport motivé des conclusions des banques experts alors qu'ils le nient dans leur sentence, occultant un élément de fait déterminant, la contradiction entre ces deux positions apportant la preuve du défaut d'impartialité.

Mais, en premier lieu et contrairement à ce que prétendent les demanderesses, il ne peut être déduit de l'ordonnance de procédure n°2 du 17 juillet 2015 et des déclarations du président à l'audience, que le tribunal arbitral ait tenu comme établi que ces banques avaient rédigé un rapport de fin de mission ou tout autre document écrit contenant la motivation de leurs conclusions.

Dans son ordonnance de procédure, le tribunal arbitral s'est borné à rapporter, les demandes faites à plusieurs reprises par Galeries Lafayette pour obtenir la motivation de l'estimation de la part des banques experts, la réponse opposée par celles-ci dans le courrier du 17 juillet 2014 et le refus de BNP Paribas Personnal Finance de renoncer à la clause de confidentialité, sans que le tribunal arbitral en tire d'autre conséquence que le constat du désaccord persistant des parties à l'arbitrage.

Dans ses déclarations à l'audience du 20 septembre 2016, le président du tribunal arbitral, reprenant le contenu du courrier du 17 juillet 2014, puis celui de la lettre du 16 octobre 2015 des experts, a déclaré ' En tous les cas, les écrits qui viennent des experts et l'analyse des écrits ne me donnent pas le sentiment que les experts auraient été avisés qu'il ne fallait pas de rapport écrit ' mais l'expression d'une telle opinion au cours des débats, afin d'obtenir des parties des éclaircissements sur leur position à ce sujet, ne contient pas de reconnaissance univoque par les arbitres de ce qu'ils avaient acquis la certitude, à cette date, de l'existence d'un rapport motivé des conclusions des experts.

En deuxième lieu, la preuve du manque d'impartialité allégué ne peut être tirée de ce qu'après avoir admis, dans le cadre de l'examen des demandes de mesures provisoires et de production de pièces, que la production du rapport sollicité était appropriée dans leur lettre aux parties du 8 septembre 2015, les arbitres ont ensuite jugé au fond qu' « en dépit de la position quelque peu ambiguë des Banques Experts dans une de leurs lettres, celles-ci n'ont ni dissimulé l'absence d'un tel rapport ni fait accroire à son existence ».

En effet, après avoir retenu qu'il existait une obligation légale de motiver pour les experts en vertu de l'article 1592 du code civil, à laquelle les parties pouvaient renoncer en application de l'article 1156 du même code, les arbitres ont, analysant les circonstances dans lequel le protocole d'expertise a été négocié, notamment des conditions fixées pour l'expertise Motier qui a duré de 2007 à 2009 et des échanges précontractuels, estimé que les parties avaient renoncé à cette motivation. Ils se sont déterminés en ce sens au regard de l'évolution du texte du protocole d'expertise (§ 207 à 215) entre le projet du 26 avril 2013, antérieur au courrier du 4 août 2013 adressé par le conseil des demanderesses au président du collège d'experts, mentionnant « les parties ont accepté une expertise sans aucune motivation du prix (ou des prix) fixé par les Experts et avec une décharge très large de responsabilité », et le texte définitif de ce protocole. Ils ont admis en conséquence que les experts avaient eu connaissance de cette lettre du 4 août 2013 et de son contenu (§ 222) , et ont souligné que le fait que ce collège ait rendu son avis sans le motiver plaidait dans ces circonstances en faveur d'un accord des parties au protocole d'expertise pour renoncer à toute motivation, ou à tout le moins d'une compréhension des banques experts allant dans ce sens.

Ils ont ensuite examiné le comportement subséquent des parties au protocole d'expertise, en tenant compte de l'ensemble des échanges entre les parties, de leurs déclarations et de leur comportement procédural ainsi que des changements opérés par les demanderesses dans le fondement juridique de leurs prétentions, en les corrélant avec les réponses opposées par les banques experts.

Ils ont en définitive considéré au vu d'éléments objectifs tenant à ce que les banques experts avaient constamment invoqué l'article 3.1.4 du protocole d'expertise, qu'elles n'avaient jamais affirmé que le document réclamé existait et qu'enfin, elles n'avaient développé leur position sur l'absence d'avoir à motiver leurs conclusions qu'en réponse à la lettre des demanderesses du 28 octobre 2015 affirmant pour la première fois, l'existence de cette obligation, que malgré l'attitude quelque peu ambiguë des banques experts dans l'une de leurs lettres, leur comportement confirmait dans l'ensemble l'interprétation retenue, à savoir que les parties avaient renoncé à une motivation de leurs conclusions.

Il ne résulte pas en conséquence du rapprochement, d'une part, des écrits et du comportement procédural des arbitres, d'autre part, des termes de la sentence rendue, la marque manifeste d'un parti pris du tribunal arbitral susceptible de créer un doute légitime sur son impartialité, devant conduire à l'annulation de la sentence.

En troisième lieu, l'allégation relative à la désignation de Mme Dominique Brown-Berset, avocate à [Localité 3], selon laquelle cette arbitre nommée sur désignation des défenderesses, serait une relation de très longue date de l'avocat qui venait de se déporter, Me [F] [C], avec qui elle a publié et partage régulièrement des activités, dont les demanderesses tirent pour seule conséquence dans leurs écritures que « BNPP s'est comportée comme si elle n'acceptait pas d'être soumise à la décision d'arbitres susceptibles d'échapper à son influence » n'est pas de nature à établir un doute sur l'impartialité du tribunal arbitral.

Au surplus, d'une part, les demanderesses se sont abstenues de solliciter la révocation de Mme Dominique Brown-Berset alors que la publication d'articles en 1998 en tant que co-auteurs avec Me [F] [C], étaient des informations publiques et très aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage ; d'autre part, la seule circonstance qu'un arbitre, désigné par une partie à l'instance arbitrale, ait participé au cours de la procédure arbitrale, à un congrès en même temps qu'un précédent arbitre désigné par la même partie qui avait décliné sa désignation, ne peut susciter un tel doute.

Enfin, l'obligation des banques experts d'avoir à établir un rapport de fin de mission et à motiver leurs conclusions sur le prix était une question relevant de l'examen au fond du litige en ce qu'elle nécessitait l'interprétation par les arbitres de la mission qui avait été confiée aux banques experts, au vu des éléments de fait et de droit qui leur étaient soumis par les parties. Sous couvert du grief non fondé de violation de l'article 1492, 2° du code de procédure civile, les demanderesses critiquent en réalité au fond la motivation de la sentence et ne tendent qu'à en obtenir la révision.

Le recours en annulation sera en conséquence rejeté.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et de condamnation au paiement d'une amende civile

L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas suffisante à faire dégénérer l'exercice de ce droit en abus et n'est pas en soi constitutive d'une faute.

En l'espèce, les défenderesses n'apportent aucune preuve du caractère purement dilatoire et abusif dudit recours qui ne se déduit ni du rejet du recours des demanderesses, ni du fait d'avoir soutenu devant le tribunal arbitral que l'arbitrage avait un caractère international, pour écrire ensuite dans leurs premières conclusions devant la cour, que l'arbitrage était interne en se rangeant à la position adoptée par les défenderesses.

Les défenderesses seront en conséquence déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et il n'y a pas lieu à amende civile.

Sur les dépens et la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens doivent être supportés par les demanderesses qui succombent en leurs prétentions et l'équité commande de les condamner à payer aux défenderesses une indemnité de 140 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Rejette le recours en annulation formé par la Société anonyme des Galeries Lafayette, la société 44 Galeries Lafayette, la société Galeries Lafayette Haussmann, la société Magasins Galeries Lafayette et la société BHV Exploitation venant aux droits de la société Bazar de l'Hôtel de ville - BHV.

Condamne les sociétés demanderesses à payer aux sociétés BNP Paribas Personnal Finance et BNP Paribas une indemnité de 140 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

Condamne les sociétés demanderesses aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/23073
Date de la décision : 17/12/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°17/23073 : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-17;17.23073 ?
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